Zone Inconnue nous voilà !

Et voilà le vieux gourou du coin. Pas très accueillant le vieillard et puisque les autres ont envie de l'écouter je les laisse faire. M'est avis qu'un papy qui a l'habitude d'être écouté n'a à offrir que des conneries. Je jette un oeil à sa bicoque et ne vois rien d'intéressant, que des... bah, je suis bien incapable de savoir à quoi servent la moitié de ces breloques ! On perd notre temps.

Sang et larmes.

Myra nous rejoins avec une carte dans les mains. Je me place derrière son épaule tandis qu'elle pointe Namukar, mais je me contrefous de cette ville ou quoi que Namukar soit. Tout ce que je vois c'est le gigantisme de la zone inconnue. Je lâche un juron, acide, amer. Le goût de la bile empli ma bouche. La voix titille mon esprit. C'est un cauchemar. C'est un #\'@x&: ! de cauchemar !!

Sang et larmes.

Je suis pas loin de péter un câble. Je ne sais pas si je souhaite qu'elles soient de côté de la faille ou de l'autre. Dans un cas je cherche deux aiguilles dans une immense botte de foin, dans l'autre je perds mon temps. Un temps précieux qui pourrait leur manquer. Jusque là en retrait, je joue des coudes pour atteindre le vieux. Je repousse négligemment le bâton qu'il tend vers nous et je m’accroupis près, tout près de lui.

- Nous ne venons pas de l'Est... mais de l'Ouest, d'au-delà de...

- C'est impossible !

L’ancien comme tous les vieux qui ont vécus bien trop longtemps ne croit pas ce qu'il ne peut concevoir.

- Ouais. On a survécu à l'impossible. On a aussi passé le comité d'accueil. Et nous voici ici... Alors tu crois que Namukar nous fait peur ?! Tu vas nous dire tout ce que tu sais la-dessus et tu vas le faire maintenant.

Difficile de lire le visage ridé du vieillard, mais ses mots eux sont on ne peut plus clair.

- Jeune arrogant, ce n'est pas en contraignant les gens qu'on obtient ce que l'on veut.

- Et pourtant sans rien connaître de nos rêves, tu veux que nous les abandonnions. Qui de nous deux cherche le plus à contraindre l'autre... hein ?

- ... Très bien. Prenez place. Ecoutez et puissiez-vous entendre raison.

A vrai dire je me fiche bien de ce qu'est Namukar, de ce qui en fait un endroit si terrifiant, ou de ce qui la hante. Mais c'est une étape comme une autre pour continuer d'avancer. Ne pas perde espoir. Continuer d'avancer. Ne pas perdre la raison. Étouffer la voix. Voilà ce qui importe. Alors Namukar ou ailleurs...

Sang et larmes.

Cette carte était terrifiante. L'Entre-Monde, où je mettais un mois entier à dos de Cyliong pour voyager de Termer à Valérian, était minuscule. A l'Ouest d'un continent si grand que les villes sur la carte n'était que des points vagues, comme des grains de poussière.

-Demandons-lui...

Augure nous devança, comme toujours il jouait un coup d'avance avec sa finesse personnelle.

-Hé...

Il avait lâché l'information. Le petit barage entre la sécurité et le danger venait de s'effondrer. Nous avions une chance sur deux pour que ce tout petit détail nous fasse tuer ou nous rende le travail compliqué.

-A l'Ouest. Non. L'Ouest est fermé. Il est maudit. Les Dieux les ont exilé. C'est ...

-Impossible ?

Assit sur sa chaise il nous regardait les uns après les autres. Notre sanctuari dragon, la jolie Myra et Fay auprès d'elle. Augure à l'aura si pesante, Louvia au regard plein d'intelligence. Et moi.
Nous étions étranges mais surtout nous ne prouvions rien.

-Dites-nous ce qu'est Namkuar et nous partirons.

Il tourna ses yeux sur Myra. Elle lui paraissait peut-être la moins dangereuse de nous tous, s'il savait !

-Namkuar n'est pas une légende. C'est une tragédie.

Alors il nous raconta en ces quelques mots que la ville n’abritait plus aucun vivant depuis des siècles. Qu'il n'y avait là bas que des morts et des fantômes. Mais ce qui attirait les voyageurs était l'or. Les pierres précieuses et les métaux rares, les roches les plus nobles qui composait l'intégralité de l'architecture de Namkuar. Une ville-bijou au milieu du désert.

Quand il eut terminé, il se dressa sur ses jambes, épousseta son pardessus et en nous regardant tour à tour il sourit.

-Vous ne devriez pas être là. Les Dieux en ont décidé autrement il y a très longtemps. Et les Sidéris n'ont rien dit à votre propos. Nous ne savons pas si vous êtes les bienvenus hors de votre pays d'exilés.

Il souriait encore. Il y avait du monde à présent, près des maisons et des échoppes, des hommes des femmes, armés ou non, curieux ou plus hostiles. Je ne pouvais déterminer si nous étions en mauvaise posture ou non. Ils ne montraient en dehors aucun mouvement d'agressivité, seulement une méfiance que l'on pouvait goûter sur la langue.

-Vous devriez...

-Vous en faites pas on n'a pas l'intention de rester.

Il acquiesça me voyant tourner les talons. Mon oreillette à l'oreille, je réveillais Ayame à l'autre bout du fil qui regardait depuis un moment la baleine faire la carpe dans un nuage.

-Aya tu viens nous chercher ?

Et le vieillard ajouta :

-Je préviendrais les Sidéris de votre venue.

-Faites donc !

Spoiler:

« oh! » Fit Ayame en se penchant sur la carte déballée par Myra.
Il s’y penchait en hochant régulièrement de la tête, son index frottant son menton.
« Là ! » fit soudainement le semi-elfe en indiquant une large zone du bout de l’index.

-Comme nous n’avons pas encore passés le grand fleuve, je pense que nous sommes très proches de Taehon.

Un bâillement sonore l’interrompis dans son explication. Les pieds posés sur la table voisine, Temari assise avec nonchalance oublia de mettre sa main devant sa bouche. ^

-Qu’est-ce que c’est glauque là dedans ! C’est comme dans Pinocchio … Sauf que votre baleine contient un hôtel-restaurant cinq étoiles.

Redécouvrant la présence de toute l’équipe d’exploration elle sourit en les saluant de la main. Elle se redressa sur son siège et prenant sa chaise elle rejoignit l’attroupement à la grande table. D’office elle bouscula un peu tout le monde pour se placer à côté de Myra et de Fay. Tout ça sous le regard médusé de l’assemblée.

-Si vous allez à Hacyria vous en aurez pour deux jour et demi de voyage à vol de baleine, dit-elle en regardant la carte. Namkuar est à une vingtaine d’heures de vol.

Puis elle les regarda en dévoilant ses canines.

-J’aime bien Hacyria, il y a un vendeur de fruits confits là bas… Faudra m’en rapporter si vous y allez. Au fait !

Elle se tut, regarda au plafond.

-J’ai oublié pourquoi je suis venue vous rendre visite.

Elle réfléchit longuement pendant que les autres se demandaient encore ce qu’il pouvait y avoir de si spécial à Namkuar pour que le vieil homme soit si anxieux à l’idée d’en parler. Quelqu’un fit l’admirable suggestion que pour le savoir encore valait-il mieux aller voir soi-même. Tous étaient assez curieux de voir une ville fabriquée entièrement avec des pierres précieuses et des métaux rares.

N’y tenant plus, Wergeld fit :

-L’homme a parlé des dieux. Que nous étions enfermés à l’ouest.
-Ah oui ! C’était ça bien sûr !

Témari sautillait sur sa chaise avant d’expliquer. Après l’ouverture des miroirs il y a des millénaires de cela, les voyageurs commencèrent à explorer ce monde. Avec eux ils apportèrent les sciences et les arts, des cultures nouvelles et singulières. Ainsi elles perturbèrent le développement naturel de ce monde ci. Pour éviter une fracture de leur monde, les dieux confinèrent les voyageurs et les résidents dans le territoire de l’Entre-Monde.

Puis elle commença à divaguer, que les gens de l’entre-monde étaient franchement tordus ! C’est vrai ça, ce monde s’appelle Entre-Monde, le territoire des résidents s’appelle Entre-Monde et leur ville principale aussi ! Il y a de quoi devenir chèvre.
Il fallut toute la force de persuasion d’Ayame et quelques regards curieux de Fay pour ramener Témari à la raison. Aussi continua-t-elle comme si elle ne s’était jamais arrêtée de parler.

-Je voulais vous parler des sidéris aussi. De la Guilde des Sidéris. Je vous avoue que je ne sais pas du tout d’où ils viennent mais je peux vous dire que s’ils décident que tout l’entre-monde doit vous chasser comme des lapins, tout l’entre-monde vous tirera dessus à vue. En réalité ce sont des gens assez intelligents, ils sont les gardiens de l’entre-monde.
Un livre tomba sur la table venu de nulle part. Il était si épais qu’on aurait pu repasser une chemise rien qu’en le posant dessus. Elle nous conseilla de la lire. Cela ouvrit le concours de grimaces dans les rangs.

-J’ai fais un résumé à la fin, ajouta-t-elle en riant. Mais si vous croisez un Sidéris ne le craignez pas, au fond, si les dieux ont enfin accepté que vous passiez l’une des frontières c’est bien qu’ils vous acceptent maintenant. Félicitations, vous êtes officiellement un peuple à part entière de ce monde. Les Sidéris ne devraient pas trop vous poser de problème, ils ont mieux à faire. Comme éviter que les guerres rangées entre les pirates de Bones ne s’étendent pas jusqu’à Pyrapolis… Ce serait une vrai boucherie…

Un « pop ! » Témari avait disparu.
Comme pour s’excuser Ayame fit alors :

-Je crois que la baleine l’a gobé il y a un peu plus d’une heure, je ferai attention la prochaine fois. Et sinon, on va où ? Namkuar ou Hacirya ?

-Va pour Namkuar dans ce cas !

Temari avait calculé 20 heures de trajet. C'était sans compter les 6 heures de chasses nécessaires à notre baleine pour se remplir l'estomac chaque jour.
Quand cela arrivait, une vague odeur de poisson régnait dans les parties communes.
Durant ces nombreuses heures à tuer, certains aiguisaient leurs armes et nettoyaient leur matériel. Les montures étaient copieusement nourries ainsi que l'équipage. On rangeait, on s'installait... Ayame continuait de remplir un carnet de voyage dans lequel il notait rigoureusement chaque détail que je lui fournissais.
Les bisons, l'avant poste qui ressemblait bien plus à un village fortifié et oublié. Le type de monnaie que Noryan et Myra avaient essayé, la taverne semblable en tout point aux nôtres si on oublie le menu atypique et l'alphabet compliqué... Evidemment on n'avait parfaitement noté l'hostilité des autochtones.
Les informations sur les sidéris et Namkuar attendra que Augure ait fini sa lecture. L'elfe aurait préféré être le premier à feuilleter l'épais volume.

Deux jours entiers plus tard, Winter survolait un désert en roche dure creusée de sillons interminables.

-Nous sommes arrivés, annonça Ayame dans l'interphone.

Ce qui eut pour effet de me faire sursauter d'une méridienne. Si le plafond de Winter n'avait pas été si haut, j'aurais été bon pour une belle bosse.

-Et bien en route, claironnais-je à mon tour, une cité en pierres précieuses ce doit être visible à des kilomètres !

Ou pas... Tout ce qu'il y avait dans cette région c'était un désert sans fin. Justement là où Ayame nous déposa. Un "bonne chance" aurait fait office de bonne blague...

C'était une ville où le soleil se démultipliait sur chaque pierre et sur chaque éclat de verre qui tapissaient les façades luxueuses. Fermer les yeux ne diminuait en rien la lumière qui nous inondait de toute part et effaçait nos ombres.

J'insultais le ciel alors que nous faisions nos premiers pas à l'intérieur des remparts. Myra et Augure avaient raison, si des gens étaient venus ici, ils y sont encore, morts ou vifs. Et puis, cette ville n'est pas sortie du sol par magie. Personne ne construirait une telle chose pour l'abandonner ensuite.

-C'est incroyable ce truc.

Au sens propre du terme incroyable, je me demandais si cette ville existait vraiment. Sur le plan physique. C'était inconcevable qu'une telle densité de pierreries aient pu sortir du sol pour construire cette ville et qu'il n'y ai personne qui y vive. Alors peut-être que cette ville n'était qu'une illusion.

Je portais la main sur la façade de l'une des demeures les plus proches. Le marbre était froid sous mes doigts. Les pierres dures et plus réelles que je ne l'imaginais.
Trouvez nos hôtes semblaient être une tâche compliquée. En effet, il n'y avait pas âme qui vive dans le coin. Mais peut-être que les radars de Winter pourraient nous éclairer.

-Ayame, tu m'entends ?

Aucune réponse ne me parvint.

-Ayame ?

Je délogeais l'oreillette de mon oreille et soufflais dessus comme pour en chasser une impureté. Je vérifiais l'appareil. Aucun doute, il fonctionnait à merveille. C'est un non-expert qui parle et qui ne voit aucune chose anormale sur l'écran.

-Oh ! Aya réveille-toi bordel !

Toujours aucune réponse. Inquiet, je rebroussais chemin. Après tout, personne n'est jamais revenu de Namkuar.
Je me précipitais vers la sortie de la ville. Je ne franchis pas l'enceinte. Une force invisible figea mes mouvements et me repoussa brutalement. Je volais sur plus de trois mètres.
Il n'était plus possible de sortir de la ville.