Table n° 6

Je lui tendais une carte quand elle en demanda une. A 13, elle pouvait se le permettre. Un 5. 18 à battre. Pas de quoi "forcer le destin"... Ah non ! Ne triche pas mon vieux Corben. Ce soir tu es ici pour sortir aussi sobrement que tu es entré ! Et par la porte de devant !

Je retournais ma carte. Un 7. Soit plus que 1 pour égaler, de 2 à 4 pour battre. Pourcentage défavorable. L'excitation classique qui précédait les parties commençait à me gagner. Et même si les mises n'existaient pas, jouer m'avait toujours procuré beaucoup de plaisir.

- Loin de moi l'idée de me jeter des fleurs, mais je pense que je me débrouille bien en effet.

Pour tenter d'appuyer mes paroles, je tirais une carte. Une autre tête.

- … enfin la plupart du temps….

Je fis la grimace et d'instinct prononçais "Brûlé". Puis j'eu un petit rire.

- Ah, je suis trop sérieux, je devrais éviter de me prendre pour un vrai croupier. Mais bon, comme tu peux le voir, Je suis effectivement assez adepte des aléas du destin. Et puis –fis-je en haussant les épaules-, mieux vaut en profiter maintenant. Qui ne nous dis pas que d’un coup d’un seul, les miroirs vont se ré-ouvrir et faire déferler sur le monde une horde de machins visqueux et toxiques ?

Je récupérais les cartes de Myra et recommençait une nouvelle distribution. Un As de visible pour moi. Je cherchais une nouvelle question à lui poser.

- Et sinon, pourquoi es-tu venue ce soir ? En quête d’indice pour une palpitante affaire de meurtre ?

J’appuyais ma dernière remarque d’un sourire espiègle et d’un clin d’œil.

Spoiler:

Je dévoilais ma deuxième carte et eu, plus par habitude que par moquerie, un sourire carnassier quand une tête se dévoila. Black Jack. Qu’importe son jeu, elle n’aurait rien plus faire. Je reprenais les cartes et en distribuais une nouvelle série. En tout cas, elle avait l’air de s’être pris au jeu. Je souriais en l’écoutant, en me mordant un peu les lèvres quand elle me parla de ses parents restés derrière.

- Désolé d’avoir fait remonter des mauvais souvenirs…

Elle sembla oublier d’un coup toutes ses chimères et repris le fil de la conversation. Ainsi elle cédait facilement à la provocation… Je notais ça dans un coin de ma tête au cas où elle finirait à une de mes tables avec cette fois des vrais gains. Je regardais rapidement aux alentours. Je ne connaissais personne à part Ryner que j’avais entraperçu au début mais qui semblait avoir disparu, et Eva dont j’avais fait plus ample connaissance.

- Je ne connais pas grand monde, c’est pour ça en partie que je suis venu. Et aussi pour profiter de cette belle auberge. La plupart du temps, ce sont les hôtels premiers prix qui me protègent du mauvais temps. Et puis je doute qu’une femme veuille s’intéresser à quelqu’un qui passe son temps à dépenser ses économies.

Je souriais. Dès que mon solde dépassait une certaine limite, je me trouvais trop riche pour ne pas le faire fructifier (ou fondre) par la voie des paris. Je posais mon coude sur la table, bloquant mon menton dans la paume de ma main, et plongeais mon regard dans celui de Myra, avec un sourire.

- Tu ne devrais pas autant te dévaloriser. Je pense connaitre beaucoup d’hommes qui jalouseraient ma place actuellement… .

Je prenais un verre d’eau et but rapidement. Puis, prenant conscience que j’avais redistribué, soulevait ma première carte. Un 3.

Une femme en mini-jupe raide bleue marine et chemisier blanc s'avança pour remplacer le pianiste qui, déjà, commençait à songer à échauffer à nouveau ses phalanges.

Alors qu'on l'évacuait en même temps que son piano, la madame sortit de son décolleté un petit magnétophone qu'elle enclencha. Quelques notes aériennes résonnèrent, introduction des annonces dans les aéroports. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire bécassin à souhait.
Temari demeura imperturbable, faisant preuve d'une impressionnante force psychologique.

Le présentateur, radieux, approcha de la jolie madame en tenue courte et la prit par la taille, annonçant (tant qu'à faire), la rotation suivante.




Ryner et Lyn disparaissaient à cette occasion alors qu'Eva se glissa vers les urinoirs (huhu c'est élégant).
Quelques employés désoeuvrés de l'Auberge rapprochèrent les tables demeurées vides pour se lancer dans un tournois enflammé (mais étonnement silencieux) de poker.

Je levais la tête et les mains, doigts écartés, au ciel en expirant par le nez quand la nouvelle disposition des tables fut annoncée. Mais bon sang, les gens nous espionnaient et se donnait un malin plaisir à nous mettre des bâtons dans les roues ou quoi ? Je regardais d’un air désolé Myra se lever et laissa une note rapidement griffonnée en me chuchotant de la possibilité de nous retrouver a une prochaine occasion. Je tournais la tête pour suivre Myra du regard et tentais de la retenir en lui prenant le poignet, mais elle fut rapide. J’eu le temps de lui glisser discrètement une carte dans une de ses poches. La dame de carreau qui m’avait permis d’obtenir mon Black Jack final. Je ne sais pas quand elle la trouverait mais elle aussi avait le droit à un cadeau.

Je rangeais lentement mes cartes en regrettant déjà mon geste, d’un point de vue purement professionnel : Un jeu incomplet était inutilisable. Mais la récompense en valait peut-être la chandelle. Je me recentrais sur ma table et sur l’arrivée de mon prochain partenaire, avec tout de même un peu de n’avoir pas pu discuter plus amplement avec Myra.

Décidément, la lenteur légendaire de Voiz n'était pas adaptée à ce jeu. L'esprit se promit à l'avenir de passer moins de temps à observer ses partenaires de la journée et davantage à la conversation. Pour sa défense, ce n'était pas tous les jours que l'on croisait un ange de l'eau.

La résolution de Voiz fut mise à rude épreuve lorsqu'elle s'installa à la table numéro 6. En dehors de l'abondance peu courante de violet, l'apparence de son vis-à-vis restait proche de celle d'un être humain. Pour sa part, après ses transformations successives en si peu de temps, Voiz soupçonnait qu'elle ne ressemblait plus à grand-chose d'identifiable: deux protubérances triangulaires sur les omoplates, des pics sur la tête et un museau de loup... Ce n'était guère prometteur.

Mais ses expériences précédentes lui ayant appris qu'il valait mieux ne pas consacrer trop de temps au mimétisme, Voiz entama d'emblée les présentations en appliquant les conseils de Xénon:

- Bonsoir, je me nomme Voiz Montis et proviens du miroir de Ki'en. Puis-je vous tutoyer? Comment s'est passée votre soirée jusqu'à présent?

C’est le coude sur la table, le poing fermé bloqué contre ma joue droite, et un regard oscillant entre l’étonnement et l’incompréhension que j’accueillais mon nouveau compagnon. Enfin je suppose que c’est « mon » ? A vrai dire, la grande carcasse qui se tenait la ressemblait plus à un puzzle grandeur nature qu’un un être vivant. Ok première chose. Qu’est-ce que c’est que CA ?

Et ça cause. C’est quoi déjà Ki’en… Le miroir du piaf, je crois… Ouais ça doit être ça.

- Salut Voiz ! Je lui tendais la main, tout en me disant que j’aurais du lavage à faire s’il laissait des traces de boue sur mes gants. J’suis Corben Krayt. Demi-Dieu de Souen. Mais bon appelle moi Zedd, c’est plus sympa. Le « tu » est autorisé. Chaudement recommandé même. Je t’avoue que j’ai du mal avec le « vous ».

Je ne savais toujours pas ce que c’était que ce grand truc à l’élocution un peu pâteuse mais il me faisait sourire. Il a pas l’air méchant.

- J’ai eu pour l’instant deux très belles jeunes femmes avec qui j’ai pu discuter, bien que la dernière soit partie un peu trop rapidement à mon gout. Mais je pense qu’on peut dire que ma soirée se passe bien. Et toi ?

Je plissais un peu des yeux et observait plus en détail mon interlocuteur.

- Hum, dis, t’es quoi au juste ? Parce que je t’avoue que je calle un peu là…

Spoiler:

Voiz modela rapidement sa patte droite pour arrondir ses griffes et en faire des doigts présentables, puis serra la main tendue de Corben. Ou Zedd. Voiz aimait bien les surnoms. C'était amusant d'essayer de retrouver leur origine. Il s'agissait la plupart du temps de diminutifs, mais en l'occurrence, ce n'était sans doute pas le cas. Peut-être était-ce une onomatopée?

- Enchantée, Zedd, dit l'esprit en essayant de cadrer son rythme de parole avec celui de son interlocuteur, avec des résultats mitigés. Si elle parlait trop vite, sa voix se perdait dans des borborygmes inintelligibles. Cette soirée se présente bien pour moi aussi, bien que j'éprouve également des difficultés au niveau de la gestion du temps. Mais les personnes que j'ai rencontrées jusqu'à présent étaient très aimables.

Pour répondre à ta question, dit l'esprit en applatissant son museau de loup pour en faire un nez humain, Je suis un esprit de la terre, forgeron de profession. Je crains cependant que mes pouvoirs de métamorphose ne soient pas encore très au point... Je me débrouille mieux pour transformer les objets extérieurs à mon corps.

Voiz n'avait encore jamais rencontré de résident de Souen auparavant, mais Ki'en abritait des dieux. L'esprit supposa que les demi-dieux devaient leur ressembler.

- Nos miroirs sont assez proches, si je ne m'abuse. Que fais-tu dans la vie? Et, si ce n'est pas indiscret, d'où vient ton surnom?

Je regardais d’un œil étonné griffes de Voiz se transformer. C’est incroyable la quantité de pouvoir étranges qu’on peut croiser dans l’entre-monde. Et c’est un demi-dieu explosif qui le dit, c’est quand même pas rien. Il se mit à parler un peu plus rapidement, mais je dus faire un effort de concentration pour comprendre parfaitement tous les mots. Sympa mais pas vif, le bonhomme.

Il se présenta comme un esprit de la terre métamorphe. Un métamorphe ! Le partenaire parfait pour une arnaque au poker ! Suffisait de le placer derrière un joueur et il modifierait je sais pas, ses doigts par exemple, en valeurs des cartes (discrètement) et le tour était joué ! C’et donc avec un vif intérêt que je l’écoutais.

- Humm… dommage pour tes pouvoirs. J’espère que tu arriveras un jour à les maitriser parfaitement, c’est déjà quelque chose de pouvoir faire ça !

Après les doigts, le museau de loup qui se modifiait. Ce type est quand même génial. Par contre, ce doit être super facile de jouer a « qui est qui » avec lui s’il prend la forme de la personne avec qui il parle… Esprit de la terre hein. Donc c’est pas un dieu. Tant mieux, ca m’évitera le discours moralisateur sur le rôle des demi-dieux sur les mortels…

- Oh, proche, proche… Tu sais demi-dieu, c’est juste un humain avec un peu de sang divin. J’ai pas particulièrement d’attache profonde avec le dieu qui a couché avec maman. C’est sur, on peut gagner l’immortalité ou la sagesse, la beauté tout ça… Moi pour ma part j’ai hérité d’un pouvoir loufoque. Mais bien drôle !

Je bus un peu, et mes yeux se promenèrent dans la salle. Eva était introuvable et Myra semblait en pleine conversation avec … une louve ? Je tournais à nouveau mon attention sur Voiz.

- Mon surnom… a vrai dire… Je me penchais au dessus de la table pour chuchoter à l’esprit. En fait c’est surtout pour que la moitié de Magna ne me court pas après pour réclamer leur argent perdu.

Mais même avec ce surnom, l’autre moitié de Magna me courrait après pour les même raisons. Il faudrait peut-être que je trouve une autre technique.