Pulsions sous morphine

Parler à Ayame, pour lui dire quoi ? Que j'ai besoin qu'on me laisse gérer ma vie... Il le sait. Il sait aussi que je ne suis pas du genre à rester attaché à côté de la niche. Je ne vois pas la différence entre un matelat et le sol de la forêt.

-Si tu veux.

Eonwë ne fait pas souvent de menaces, je me doute qu'il ne restera pas les bras croisés si Aliénor a des ennuis. Mais que fera cet elfe face à Fafnir. C'est une créature qui glisse d'une ombre à une autre, sans odeur, il est silencieux et atrocement efficace.

Je n'ai pas répondu.

-Je vais dormir un peu, tu peux ouvrir la fenêtre en sortant ?

Ou comment mettre fin à une conversation qui tourne en rond.

-Si quelqu'un doit tuer Fafnir, ce sera moi.

J'ai promis.

Retourner à Dun sans titre de perçant c'était... C'était... dépoussiérant ! J'avais volé une journée et une nuit durant pour rejoindre la ville, arrivé sur place je suis allé chercher sa veste, nos armes et la machine restées dans le puit.
Un bain et 24 heures de sommeil plus tard, je reprenais la route en sens inverse. Les épées ficelées dans mon dos et la machine fourrée dans un sac pendait près de ma hanche.

Un jour plus tard je me tenais sur le rempart, sous l'abri bus de la station aux montgolfières. Il pleuvait, une fine bruine qui colle la peau et me trempait sans en avoir l'air.

J'ai dormi à l'auberge, et j'ai attendu longtemps dans cette chambre. C'était poussiéreux et le bois n'était pas vernis.
C'est perturbant d'être endetté.
C'est douloureux quand quelqu'un vous sauve.
C'est déchirant quand quelqu'un vous trompe.

Mais Fafnir n'a pas de cœur. Oubliée la douleur. Oubliée la rancœur. Je me suis rendu à l'hôpital. J'ai sauté jusqu'à sa fenêtre ouverte. Je me suis faufilé dans l'ouverture et les épées ripèrent contre l'encadrement. De retour dans sa chambre privée -ils en ont de la chance les maitres, ou c'est juste qu'il vient très souvent- j'ai laissé tomber les armes contre un mur, la machine sur une chaise. Du lit je me suis approché, j'ai serré dans ma main gauche une poignée de ses cheveux, l'autre étendue sur sa poitrine, je lui ai dis :

-Reste couché.

J'ai penché la tête. Mes dents contre sa gorge. Je l'ai frôlé. Vampire assoiffé, un baiser sur le menton. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Je voulais l'épargner et le tuer. Les gens fous sont toujours un peu triste.

J'ai serré son col, je l'ai tenu à distance de moi, mais toujours proche, le coude enfoncé dans le drap. Je ne savais pas quoi dire, mes lèvres restaient scellées mais je devais dire quelque chose.

-De rien.

De t'avoir sauvé la vie contre l'avis du monde entier. Et je l'ai repoussé, sans contrôler ma force comme toujours. Le meuble sous la fenêtre le réceptionne dans un éclat métallique. Le verre à moitié plein tombe et se brise, et la machine qui pulse à côté produit un bip comme un champs d'oiseau mécanique, irrégulier.

J'ai relevé la tête pour l'observer, le regard vidé d'expression.

Déconcertant et douloureux, mais surtout déconcertant. J'ai gardé l'oeil fermé quand le verre éclata à côté de moi et quand je l'ai réouvert c'était pour le voir m'observer. Me tester, me dominer à sa façon. Un fin sourire étira mes lèvres.

-Tu devrais te raser.

Je me suis relevé, vérifiant le bandage sur mon cou. Il avait besoin d'être changé et la plaie en dessous me lançait depuis la veille. Une infection, encore, il ne me restait qu'à trouver un guérisseur qui veuille bien nettoyer la blessure.
J'ai passé ma langue sur ma lèvre inférieur.

Le regard vague je tapotais mes poches en quête d'une sensation bien particulière. Trouvé. Je dégageais un bout de papier défraichit.

-Un type à Dun m'a donné ça pour toi. Je lus : Retrouve-moi à Talbir chez Constance. Il disait s'appeler Din Far. Qui est-ce ?

Une main passée sur mon visage, je sentais ma peau poreuse et sèche mais surtout le piquant d'une barbe naissante. Il n'avait pas tort, j'y penserai en sortant du sanctuaire.

Din Far. Je me suis relevé brutalement, tirant sur mes blessures et sur la perfusion au passage. J'ai regardé Fafnir comme si je ne l'avais jamais vu.

-Qui t'as donné ce papier ?

Depuis que j'étais seul je n'avais plus eu droit à ce pseudonyme bidon. Quand on parle du loup... On en voit le bout de la queue. Sauf que là. Non, il ne peut pas être à Talbir, Constance l'avait jeté dehors je n'avais que 14 ans. Et j'ai admirablement fais progresser mon stock d'insultes ce jour là.

J'ai senti la douleur. Pas de mouvement brusque qu'ils disaient... Trop tard.

Je me suis rallongé et cette fois je sentais que ma vie allait devenir un véritable cauchemar. Pourquoi devait-il réapparaitre aujourd'hui ? Et je ne pourrais pas aller à Talbir avant un moment. Je dois prévenir Ayame.

-Je suis mort.

-Un grand type, la quarantaine, chatain clair, yeux bleu-vert, grand et bien bâti, il avait un tatouage à la base du cou et une cicatrice qui longeait sa mâchoire du côté gauche.

Je me suis assis au bord du lit et j'ai laissé trainé le papier sur la table de chevet.

-Tu n'es pas tout à fait mort.

J'appuyais de l'index sur son ventre.

-Mais presque. Et ça peut s'arranger.

Fronçant le nez, j'ai retiré ma main et oublié cette histoire de Din Far. Une vieille connaissance qui avait sûrement dû nous voir ensemble il y a moins d'une semaine. Donc, je servais de pigeon voyageur... Ce n'était pas bien flatteur.
Je ne voulais pas voir à quel point il semblait affecté par ce petit message.

-Au fait. Je ne tuerai pas Aliénor, mais je veux quelque chose en échange.

*touche pas... Aie... Abruti de demi-dieu sans cervelle...*

Il n'a franchement pas besoin de savoir qui c'est. Moi je le sais, et je voudrais ne pas le savoir. Alors je ne lui dis pas. Je ne veux pas que "Din Far" et Fafnir se rencontrent un jour, je ne veux même pas que le premier sache pour Fafnir.
Mais il saura. Il sait toujours tout.

-Tu ne tueras pas Aliénor. Je dirais même plus, tu ne toucheras jamais Aliénor.

Mais je reste surpris, inquiet même. Être conciliant ce n'est pas dans sa nature. Tout comme la patience n'est pas dans la mienne.

-Tu veux quoi en échange ?

-Tu veux parier ?

Un sourire. Je m'amuse du drap sous mes doigts. Le sourire s'en va.
Je sens quelque chose qui arrive. Quelque chose d'assez gros qui vient pour moi. Je le sens comme la main de la mort sur mon épaule. Mes ennuis ne font que commencer.

-Je veux un boulot légal dans ton palais. Je veux une identité qui ne soit pas entachée du pseudonyme de Fafnir. Fais de moi un humain sous ton miroir, avec un boulot et un passé qui ne méritent pas la pendaison. Je veux que quoiqu'il arrive, je sois à l'abri de l'assassin Fafnir.

Caliope est partie, l'ancien Souen aussi avant elle. Alors ceux qui me connaissent sous le nom de Fafnir se comptent sur une main. Ayame, Aliénor, Kallistrat. Je le soupçonne d'en avoir ajouté un peu auprès d'une personne de confiance. Ce qui monte à 4. Mais 4 personnes face à un dossier à K'ouen en béton, ça n'ira pas bien loin. Ils n'auront aucune preuve que c'est le nouveau moi, ils auront des allégations qui prétendront que c'est l'ancien Fafnir.

-Aide moi à faire mourir Fafnir. Et je te promets que ta guérisseuse n'aura jamais à craindre le monstre sous son lit.