Pulsions sous morphine

Spoiler:

Y a pas à dire, on a à peine passé une dizaine d'heures là dessous et voilà comment on en ressort... Incorrigibles ces mômes ! Au milieu des urgences, j'avais un homme sur le dos et assez de sang sur moi pour être jalousé par toute la réserve d'hémoglobine de l'hôpital. On était recouvert de cendre, de poussière, de sang, beaucoup de sang. Du sang séché, le notre ou celui des autres, et du sang frais, encore chaud. Je sentais son coeur battre à retardement contre ma peau.

Le sanctuari m'aidait à soutenir Wu et les infirmières se précipitaient déjà pour venir nous chercher. On en a pas tous les jours des blessés graves dans son genre.
Elles le connaissaient, presque, toutes. Des regards expérimentés à ce métier le hissaient sur un lit et lui appliquait des soins avec une peur indicible au fond d'eux.

Je n'ai pas demandé à ce qu'on vienne s'occuper de moi, j'ai seulement listé chaque blessure reçue pendant notre expédition à la première qui vint me poser des questions.
Quand elle me demanda ce qui lui avait fait ça, je n'ai pas toute de suite répondu, seulement que s'il voulait mourir, il s'y prenait bien mal.

Presque mal.
Le presque est très important.

J'ai répété.

-Chute dans un puits. Morsure de diable, électrocuté (à peine de quoi nous assommer), tauracle. C'est le tauracle qui en a fait le plus. La main, c'est lui. Il a tué le tauracle en lui enfonçant le crâne quand l'autre l'éventrait.

On était presque sortit. On avait la machine, on était tous les deux capables de courir et de s'envoyer des vannes et cet abruti a choisi de se manger le tauracle. On ne se met pas dans la trajectoire d'un taureau, on coure se planquer !
Je n'ai pas dit que les trous c'est moi qui aurait dû les avoir. Elle s'en fichait sûrement comme de l'an 40.

Et là une grande en blouse vient me remettre l'épaule alors que je ne m'y attendais pas. J'ai bien cru que j'allais me retourner pour l'étrangler. Quand elle approche une pince et une compresse, j'hésite. Je pourrais lui enfoncer dans la gorge.
Je m'écarte et lui indique le mourant sur le lit. Ils vont le recoudre quand ? Après qu'il soit crevé pour qu'il soit présentable dans un beau cercueil en sureau ?
Mes blessures étaient minimes. Juste des bleus, je ne sentais même pas la douleur, seulement ma tête d'avoir dû nous faire léviter tous les deux jusqu'à Dun.

-Prévenez Ayame.

Et oui c'était sortit. Si on prévenait pas l'autre pitbull il pourrait se permettre de m'accuser. J'ai rien fait que je sache, il s'est mit tout seul entre le mur et le tauracle.

Il est resté assit derrière sa table les yeux ronds comme des soucoupes. Cela faisait, quoi, 1 mois ? Et j'étais déjà de retour à l'hôpital. Il abandonna sans sourciller son dîner, Lys l'observa s'habiller avec tant de précipitation qu'il faillit sortir sans chaussure. Elle savait bien pourquoi on l'appelait aussi tard dans la nuit.

La voix dans le combiné, Henrir lui avait dit "Va le plus vite possible au sanctuaire", l'avait secoué, comme si la foudre lui était tombé dessus. Il voyait déjà l'assassin m'avoir embroché sur son épée.

Un cocher attendait déjà devant chez lui, il grimpa dans la voiture que les deux étalons tiraient et un coup de fouet déchira l'air. Les roues cahotèrent sur la route pavé, la voiture lancée à pleine vitesse jusqu'à l'entrée la plus proche menant aux fumeroles.

Une demi-heure plus tard il était devant la secrétaire des urgences avec pour seul pièce d'identité un écusson de la couleur d'un saphir et fondu dessus un cheval en fer noir.

Ayame n'était pas prêt à appeler les sanctuaris. Si Fafnir était coupable, il pourra se compter un troisième oeil dans peu de temps. Son arbalète calée dans son dos semblait animée d'une vie propre en cet instant.

La secrétaire prit son téléphone, il n'y avait qu'une personne qu'elle pensait pouvoir contacter avec Ayame en pétard devant elle : Aliénor.

Doucement sur les bleus, je suis un garçon fragile ma jolie. Mais je ne souris pas. Je ne souris pour pas grand monde. Et ma liste s'arrête à... une personne. Il en a de la chance !
Me voir rire c'est parfois la signature final pour un plan d'assassinat.
Ou peut-être qu'il n'a pas tant de chance que ça.

Ayame de prévenu, il ne serait pas bien long à venir me faire ses vocalises dans les tympans. Pas de présomption d'innocence quand on s'appelle Fafnir.

Combien de temps ils vont mettre à le rafistoler ?
Un bout de scotch et c'est fini, n'est-ce pas ?

-Tu ne continues pas de t'occuper de Wu ?

Ça n'aurait échappé à personne alors pourquoi à moi ? Ils sont proches ces deux là ?
Ravi de créer des interférences dans vos histoires. Je le suis moins quand elle en crée dans les miennes.

Ses semelles martellent le sol, il avance aussi vite que ses jambes peuvent le porter. 23, 25, la main sur la poignée, il regarde dedans et ne voit qu'Aliénor de dos et quelqu'un avec elle.
Un moment il a espéré que ce soit moi, mais quand il referme la porte derrière lui c'est une masse de cheveux blond qu'il voit dépasser au delà du corps menu de la guérisseuse.

Il sentait gronder à l'intérieur. Il n'a pas hésité une seconde, il a parcouru les trois pas qui l'éloignait de l'assassin, il l'a soulevé par le col et leurs visages très proches, il murmura :

-Que lui as-tu fait ?

Moi dans tout ça. Je subissais la vision de me voir d'en haut à cause de la quantité faramineuse de médicaments, qu'ils m'ont injecté pour parer aux infections, et des anesthésiants.

-Je suis un demi-dieu, l'électrocution n'a pas causé de dégâts internes.

Ça coule de source ! Si j'avais subis des dégâts je l'aurais su, mon corps n'est pas humain, je suis une presque-divinité. Des examens... On verra ça plus tard. Maintenant que le demi-elfe était dans le bâtiment j'avais mieux à faire, il s'occupera de Wu et moi j'irais chercher mes affaires.

C'était sans compter la tête du molosse très, trop, proche de la mienne. Au moins, il sent bon, lui. L'après rasage avec une couche d'anxiété cachée dessous. Et puis cette colère. Grandiose !

-Rien, j'avais promis de ne pas lui sauter dessus. Lui n'a pas été aussi délicat.