I'm singin in the Rain...

Wouah, le rire de la gamine dans les oreilles, carrément ! Loin de se vexer, Kallistrat n'y prêta pas de réelle attention et continua tout simplement son petit manège de grattouilles et de ronronnements. Cependant, son oreille pivota vers Caliope. Tiens donc, elle aussi ronronnait ? Il n'avait pourtant rien flairé de félin chez elle. Son odorat et son instinct lui joueraient-ils des tours ? Oh, il s'en serait bien inquiété, mais ça le démangeait là, entre les omoplates, et il devait absolument se frotter comme ça... ou non, comme ça... à moins que... hummm... excellent ! Mais le Chertan arrêta net sa séance de relaxation lorsqu'il entendit les explications d'Immacolata. Bon, ces histoires de Hi-boux ne l'intéressaient que vaguement. Après Fada, il s'attendait à peu près à tout de toute façon... mais la petite mise en garde concernant la faune locale sut éveiller sa curiosité. Roulant vivement sur le côté, il se retrouva accroupi, jambes écartées, prêt à un éventuel assaut. Ses pupilles fouillèrent l'obscurité alentour.

La minuscule petite Caliope s'était éclipsée avec Wergeld. Bon, pas d'inquiétude pour elle, Kallistrat avait pu se rendre compte de la valeur du maître de K'ouen lors du tournoi. Tant qu'il restait avec elle, elle serait en sécurité. Restait que Fafnir était partit chercher du bois, seul. Fallait-il le rejoindre ? Dans ce cas, la miss aux yeux en plastique se retrouverait seule... Dilemme. Le Chertan la jaugea un court instant et décida qu'il serait plus prudent de rester à ses côtés, plutôt que d'aller se perdre bêtement en partant à la recherche de Fafnir. Au moins il serait utile ici si quelque chose devait arriver. Alors il s'assit sagement, plus détendu après s'être généreusement roulé en tout sens, fatigué par le voyage, mais attentif tout de même. Quelques minutes passèrent ainsi, avant que le Chertan ne se décide à briser le silence. Curieux, sans méchanceté.

Ben quoi ? Fallait bien meubler...

Kallistrat tressaillit. Il n'aimait pas les armes. Qu'elles soient à feu ou blanches, de jet ou de poing, peu lui importait : il ne les aimait pas, et puis c'était tout. Alors autant dire qu'en voir une venir se planter juste sous son nez, ça relevait de la provocation ! Il fronça tout ce qu'il pu froncer dans une moue contrariée : les sourcils, les babines, le front... tiens d'ailleurs, ce n'est pas pour rien que l'on parle de la ride du lion, n'est-ce pas ? Magnifique pli de peau donnant à ceux de son espèce l'air toujours un peu féroce... l'air uniquement, dans son cas, mais ça, les petits enfants sages ne sont pas supposés le savoir. Bref. Contrarié, disions-nous, par l'arrivée impromptue d'une arme, et de son propriétaire qui jouait au funambule. Le bois s'échoua au sol dans un grand bruit d'avalanche d'objets lourds non identifiés, résonnant parfois lorsque deux bûches se filaient des coups en cherchant à rattraper leur chute... Et notre Chertan leva le nez vers Fafnir, magnifique vue sur son postérieur ! Et tout à coup, il entrevoyait vaguement pourquoi Wergeld l'avait traité ainsi quelques heures plus tôt... C'était l'un des grands paradoxes de Kallistrat. Il pouvait se montrer d'une patience quasi indifférente et sombrer dans une susceptibilité très prononcée sans autre sommation, la seconde qui suivait. Pour l'heure, à peine arrivé, Fafnir l'agaçait déjà. Bigre, c'était vrai qu'on avait envie de lui filer des trempes !

L'individu rejoignit le plancher des vaches en un bond, remettant à sa place cette arme que le Chertan avisait d'un mauvais œil. Bon. Il y avait du mieux. Il présentait même ses excuses. Pas mal. Peut-être pas un si mauvais fond, tout compte fait. Kallistrat se détendit et soupira, sans prendre la peine de dissimuler sa lassitude. Le voyage avait été pénible, et une bonne sieste n'aurait pas été de refus. Cependant, son estomac menaçait de les faire repérer à vingt lieues s'il ne le faisait pas taire... et en toute honnêteté, il ronflait plus fort que Kallistrat lui-même, ce qui lui interdirait à coup sûr de fermer l'œil. Alors autant dire qu'il épiait avec un intérêt croissant le retour des deux autres...

« Partis chasser. Par là. » Précisa-t-il en pointant un doigt griffu dans la bonne direction.

Il en profita pour jeter un œil aux lézards, regroupés pour une halte bien méritée. Celui de Kallistrat faisait une tête pas possible avec son sac ficelé sur le dos, et semblait encore en vouloir au gros matou de l'avoir traité avec si peu d'égards. À vrai dire, le Chertan s'étonnait d'avantage d'un instinct grégaire qu'il n'aurait pas soupçonné pour ce genre de bestioles. Puis son regard se reporta sur Immacolata qui n'avait guère eut l'occasion de lui répondre, et il hésita entre insister et passer à autre chose... bon, mais il n'hésita pas longtemps, tout compte fait. Il se tourna vers Fafnir.

« J'ai faim ! Ça vous dit, une partie de chasse ? »

Que ce ne soient pas toujours les mêmes qui s'amusent... même si, bizarrement, il regrettait tout à coup d'avoir demandé cela à Fafnir. À tous les coups, celui-là lui ferait perdre patience en moins de temps qu'il ne fallait à miss yeux en plastique pour sortir ses élytres...

Pour toute réponses aux nombreuses interventions de Fafnir, Kallistrat poussa un soupir à cheval entre le mépris et l'exaspération. On ne savait jamais trop avec les félins et leur fichue habitude de vous regarder de haut, comme s'ils vous étaient supérieur en tout. Arrogant, Kallistrat ? Vaniteux ? Méprisant ? Rien de tout cela ! Juste des expressions accrochées à son faciès, trompeuses la majorité du temps. Sa carrure faisait le reste. On le prenait pour un grand balèze un peu hautain là où il n'était qu'un lionceaux ignorant. Car sur l'échelle de longévité des Chertans, le nôtre n'en était qu'au cinquième de sa croissance... autant dire un adolescent ! Et puis à peine sortit du cocon familial et de sa forêt qu'il connaissait par cœur, le reste était nouveau pour lui. Les paysages comme les comportements humains. Et s'il se vexait somme toute assez facilement, il reprenait bien vite le dessus, considérant qu'il devait s'agir de mœurs auxquelles il était étranger... Le gros chat avait beau être impressionnant, il n'en était pas moins naïf...

Un léger grognement roula dans sa gorge. Le chasser lui ? Qu'il essaie ! Le reste des envois semblait d'avantage destiné à le rasseoir qu'à réellement engager un conversation agréable. Ça lui apprendrai à vouloir se montrer aimable. La prochaine fois, il restera silencieux. En fin de compte, la solitude n'était pas plus mal. Et c'est renfrogné contre Fafnir que l'homme-lion se leva, par pur effet théâtral – ou juste pour se donner contenance. S'il ne faisait pas quelque chose de ses pattes rapidement, il y aurait altercation à coup sûr. La question lui passa loin au dessus de la crinière, et il n'eut pas même envie d'y répondre. Lorsque Balban le provoquait et qu'il n'avait pas envie de se battre, il partait s'isoler, et s'il avait espérer que la vie serait différente une fois sortie de son village, il s'était manifestement leurré. En attendant, il alla rejoindre les lézards qu'il jugea de meilleure compagnie et s'installa tout près, comme un de ces gamins qui s'en va bouder dans son coin, sans même prendre la peine de répondre aux provocations de ses camarades. Une seconde, il pensa que Fafnir n'avait pas tort, il qu'il lui faudrait faire preuve d'une patience à toute épreuve pour le supporter, au moins lui, monsieur je-vole-et-j'envoie-mon-épée-se-planter-n'importe-où. Fafni était un nom qu'il n'était pas prêt d'oublier, du coup.

« Pourquoi pas ? »

Certes, ce n'était pas une réponse. D'un autre côté, la question n'en était pas une non-plus, et il n'avait pas envie de jouer à se faire chambrer toute la soirée, ou à se justifier de chacun de ses choix. Nulle part dans cette annonce il n'était indiqué qu'il devait fournir une explication à sa présence, d'abord. Pour la peine, il s'allongea, l'appétit coupé, prêt à s'endormir sans autre sommation jusqu'au lendemain.

Lionceau se retourna en entendant son nom, roulant comme une baleine échouée sur le flanc. Hummm ? Oui ? On me parle ? Il battit des paupières. Pour un peu, il se serait endormi pour de vrai. La pseudo remontrance qui fusa vers Fafnir lui fit battre si furieusement de la queue que l'un des lézards sursauta, croyant sans-doute à l'attaque d'un serpent plus petit que lui. Mais à peine le Chertan eut-il le temps de vraiment réaliser la situation – que sa soupe à la grimace rendait passablement ridicule – qu'il fut rejoint par la petite chose rose. Elle déposa, au creux des ses paluches immenses, quelques fruits fraîchement cueillis, avec son p'tit air d'enfant toute mignonne, faisant littéralement craquer l'homme-lion. Il hocha doucement la tête en guise de remerciement et s'assit, réconcilié en un clin d'œil avec l'expédition. Un regard vers Fafnir face à sa mauvaise foi lui fit froncer les sourcils toutefois. Peut-être était-ce une coutume dont il ignorait le sens ? Dans sa paume, les noix semblaient particulièrement petites, mais par politesse, Kallistrat se garda bien de reprocher l'inconsistance du repas pour un estomac aussi vorace que le sien. Et puis pan, de nouveau, Fafnir le fit tressaillir. Comment ça pas d'accord ? Il n'avait rien dit de tel. Non mais. Et au moment où il allait répliquer – bien que le pauvre n'ait jamais eu aucun sens de la répartie – un tison se jeta à la face du Souen, arrachant un éclat de rire spontané au Chertan. Le malheur des uns, comme on dit...

« Je prends le premier tour. » Fit-il lorsqu'il se fut forcé retrouver un semblant de sérieux.

Un lion qui se marre, ça le faisait vraiment pas. De toute façon il avait faim d'un bon gibier sanglant, et à moins de grignoter des cochonneries toute la nuit, ça ne lui passerait pas. Alors autant rester éveillé et cueillir lui-même de quoi calmer ses besoins physiologiques. D'ailleurs, il espérait à moitié se faire attaquer par il ne savait quelle créature, juste histoire d'avoir de la chair à se mettre sous les crocs. Et promis, il défendrait le camp silencieusement... pour pas avoir à partager sa pitance quoi...