I'm singin in the Rain...

Hummm...? Du mouvement. Kallistrat sortit de sa fausse torpeur pour observer la demoiselle aux yeux en plastique s'approcher de lui. Contrariée par la tournure qu'avait pris les événements, elle ne semblait s'intéresser à lui que par dépit, mais ça lui allait. Il serra – usant de mille précautions afin de ne pas la broyer – la main qu'on lui tendit, pas rancunier pour un PIM, et se présenta à son tour, le plus simplement du monde. Il s'appelait Kallistrat. Voilà. Tout était dit. Il hocha cependant la tête à chaque fois que la demoiselle lui révélait un nom, lui signifiant qu'il assimilait les informations. Mais il n'ouvrit pas la bouche, un peu intimidé et désireux de faire silence pour n'entendre que mieux les querelles distrayantes des autres. Pourtant, il délaissa son observation lorsqu'il entendit le nom de Wergeld. Hummm... les anciens du village lui avaient parlé de lui. Le maître des K'ouen. Ça l'avait bien fait rire à l'époque, quand son père avait lâché l'information au milieu du repas. Kallistrat avait juste compris « maître des couennes » et en avait été quitte pour un fou rire incontrôlable. De toute façon, un fou rire ne se contrôlait jamais. Bref, c'était la première fois qu'il voyait « son maître », et il ne savait pas bien quelle attitude adopter. À défaut de trouver, il fixa ses yeux verts sur l'individu, sa curiosité attisée. Et il ne sortit de son espèce de voyeurisme que lorsqu'il vit deux ailes translucides jaillir de sous les vêtements d'Immacolata, juste sous son nez. Sur le coup, il entrouvrit les lèvres, médusé. Ouah ! C'était bien la première fois qu'il assistait à ça ! Elles se défroissèrent en se dépliant, glissant de sous les élytres et laissant le soleil filtrer à travers la matière transparente et légère comme du papier de bonbons. Oui, d'accord, référence culturelle déplorable... Mais ça y ressemblait. Puis il avisa la queue, sans grand rapport avec l'insecte précédent. Ouh là... y'avait du monde sous le regard plastifié !

Kallistrat se décida à déplier les bras. Immhanneton avait raison – et en plus ça rimait – il était peut-être grand temps de se mettre en route. Ils pourraient tout autant s'entre tuer pendant qu'ils marchaient, lui, ça ne le dérangeait pas. Le Chertan n'était pas du genre à beaucoup causer, alors ils les laisserait faire la conversation et s'amuserait de leurs petits différents sociaux... Saisissant son sac – sans même savoir ce qu'il contenait d'ailleurs – il le jeta négligemment sur son épaule, renonçant à enfiler les bretelles, trop courtes pour ses bras malgré le dernier cran. Wergled avait justement sauté sur l'occasion pour se mettre lui aussi en mouvement et souffla la politesse à Kallistrat en emportant deux sacs à lui tout seul. En fait, bébé lionceau se sentit un peu bête de n'y avoir pas pensé... y'avait encore quelques notions qui lui faisaient défaut, et même s'il n'était jamais trop tard pour apprendre, ça l'embarrassait d'être à la traîne de ce côté là. Il soupira. Tant pis. Pour la prochaine fois. Il jeta un dernier coup d'œil vers les montures et haussa les épaules, jugeant que ce n'était décidément pas possible. Fléchissant les jambes, il posa les mains à terre. Ah, c'est sûr, il avait l'air beaucoup moins fier à quatre pattes ! N'empêche que c'était encore la position la plus adaptée pour voyager vite et loin sans s'épuiser. Et puis il n'avait pas l'air si ridicule – quoi que – avec son faux air de lion enragé. Quelques pas plus tard pour s'échauffer, il emboîta le pas de Wergeld, au petit galop, tranquillement. Mine de rien, ils avançaient vite ces lézards. Et ses oreilles restèrent pointées en direction du ciel, où volait sans discrétion Immacolata... la fille hanneton bizarre...

[HRP: Bon, j'vais couper court une partie du voyage pour qu'on arrivent aux choses qui bougent un peu plus ^^]

Le reste de la journée fut longue, surtout vers la fin. Le reste de la troupe ne tarda pas à me rattraper, les lézards se collant à ma vitesse de croisière. Il ne servait à rien d'accélérer comme une malade pour les perdre. Après tout, j'étais la seule à connaître l'intégralité du chemin grâce aux connaissances minérales. La troupe remonta joyeusement l'Arcos sur la majeure partie du chemin, tant que les rives le permettaient. Au premier pont, je leur conseillais de traverser. Nous devions continuer vers le nord. Il aurait été stupide d'attendre plus loin un hypothétique pont alors que nous en avions un sous la main. Sous nos pattes/ailes/pieds, les reliefs légers devinrent rapidement des collines qui laissèrent place peu à peu aux contreforts de la chaîne des montagnes nord de grâce.
Si le voyage journalier fut long, le temps s'y prêta allègrement. Un beau soleil à la brûlure tout juste amoindrie par une douce brise nous gratifia de sa présence des heures durant. Et l'humidité légère de l'Arcos finit de rendre le temps idéal. Oiseaux et insectes en tout genre nous gratifiaient de leur ode au printemps. On s'attendait presque à voir courir des fillettes un peu juste dans les champs fleuris.

Comme le soir tombait, nous étions déjà bien avancés dans les montagnes et la chaleur du jour déserta vite l'air pour laisser place à une fraîcheur sentant la neige qui couronnait les sommets au dessus de nous. Profitant d'un passage pas évident à prendre pour les lézards, une étroite corniche surplombant les flots ici glacés et impétueux de l'Arcos, j'en profitais pour demander aux pierres si elles connaissaient un vallon où nous pourrions camper sans s'éloigner de notre route. Quelques minutes plus tard, j'avais ma réponse et j'y guidais la petite troupe. Il fallait franchement le savoir pour trouver ce vallon parfaitement encaissé et isolé des vents par abords à-pics. L'étroit défilé qui y menait était caché derrière un bosquet de noisetiers, et c'est tout juste si j'avais la place d'y voler. Mon dos fatiguant sérieusement, je fus la première à m'asseoir en poussant un soupir de soulagement.

Une fois mes parts animales ravalées, je me sentais toute légère mais non moins épuisée. Et nous n'étions pas encore couché. Tout le campement reste à monter.

- Je crois qu'ici ça fera l'affaire pour la nuit. Quelqu'un se dévoue pour aller chercher du bois ? La nuit risque de ne pas être très chaude.

Ce disant, je tirais de mon sac un gilet de laine épaisse. Il ne serait pas de trop ce soir.

Bouarf, mauvais plan ! Kallistrat dû faire une halte au bout de quelques mètres, gêné par son sac. Tiens d'ailleurs, il ne savait même pas ce qu'il contenait. Un nécessaire de survie ? Pas besoin, il avait ses griffes, et ses crocs. Des couvertures pour se tenir chaud ? Il avait ses poils et sa bourre laineuse... Des sous-vêtements propres ? Il ne savait même pas ce que c'était... Ben non mais quoi, vous ne demandez pas à votre chat de mettre un slip quand il sort vadrouiller ! Pareil pour le lionceau, et n'allez pas me le traiter d'exhibitionniste ou de nudiste... c'est pas son genre, pauvre matou. Enfin bref, tout ça pour dire que ce sac commençait à lui taper sur le système à ne pas tenir à sa place. Il se redressa et failli tomber à la renverse lorsque l'un des lézards rata son dérapage pour l'éviter. Apparemment, il s'agissait de celui qui lui était attitré, et qui l'avait suivit comme un gentil toutou. Et inutile de vous dire qu'entre chien et chat...

Kallistrat saisit la bride au vol, et le saurien dû s'arrêter, la tête tordue du côté du Chertan. Il poussa un sifflement strident sous le coup de la douleur avant de s'immobiliser tout à fait, furieux, et le lionceau lui caressa le museau comme pour se faire pardonner de sa brutalité. Lorsqu'il fut certain que sa monture s'était calmée, il ôta le bagage de sur son dos – en plus ça le grattait à chaque foulée – et le ficela sur celui du reptile. Après tout il était là pour ça, alors autant lui faire comprendre qu'il était effectivement utile... Lorsqu'il relâcha les rênes, l'animal fila comme un gecko affolé, rejoignant les autres, déjà loin devant. Kallistrat s'étira. Débarrassé de son fardeau plus agaçant que réellement lourd, il se sentait libre et prêt à tous les exploits. Alors, ni une ni deux, il s'accroupit de nouveau et s'élança à la poursuite de ses compagnons de route. Il força l'allure, prenant plaisir à l'effort, déployant ses poumons dans un souffle puissant, et fut presque déçu de les avoir rattraper alors qu'il avait encore tant d'énergie à dépenser... mais il se rappela que la route serait longue, et il calma ses ardeurs au profit d'un galop plus léger, se forçant à l'économie. Ses yeux verts se levaient parfois vers Immacolata, et l'instinct de prédateur lui soufflait de saisir l'insecte au vol... ça devait chatouiller les coussinets, les élytres frémissantes, et être croustillant sous les crocs... Oh ! Du calme... on ne mangeait pas les guides, ce n'était pas poli. Enfin, Kallistrat n'en savait absolument rien, mais il devinait que ça ne devait pas faire partie des codes de bienséance. Alors il baissait les yeux, et continuait sa course.

Il admira le paysage, savourant le contact de l'herbe tendre entre ses doigts. C'était autre chose que lorsqu'il avait dû traverser le marais. L'air était bon à respirer, le sol agréable, l'eau chantante, le pont... uh... Très joli avant le passage de Kallistrat, un peu moins après qu'il en ait arraché quelques lambeaux torsadés avec ses griffes, sans le vouloir... Puis se furent les collines pentues à grimper, et le rythme se fit moins soutenu. Les lézards aussi fatiguaient dans les côtes, d'autant plus sous ce soleil presque cruel. Sous sa fourrure, Kallistrat étouffait, et la légère brise ne suffisait pas à l'aérer, si l'on pouvait dire. Il n'y avait pas à tergiverser, il préférait la fraîcheur des sous bois...! On n'avait pas idée de faire courir le roi des paresseux aussi loin... ça relevait presque du blasphème ! Et bientôt, ce voyage magnifique se transforma en marathon. Ouep, il avait eut raison de se montrer prudent et de faire preuve d'économie d'énergie (comme les ampoules, même si le lionceau n'avait rien d'une lumière). Certes, c'était joli, les papillons et les petites fleurs, mais lui préférait s'y vautrer joyeusement plutôt que de les admirer pendant sa course ininterrompue. Alors, lorsque le soir tomba – la chaleur avec lui – il retrouva un second souffle. Depuis quelques heures, le paysage avait beau être joli, lui, il en avait littéralement plein les pattes...

Fort heureusement, la suite du voyage s'annonçait un poil plus périlleuse et la troupe dû ralentir. Kallistrat se redressa sur ses deux jambes et s'étira comme s'il sortait d'un long sommeil. Époussetant ses paumes, il en profita pour se gratter derrière l'oreille, là où les puces le harcelaient depuis des heures, profitant de ce qu'il était occupé à autre chose. Ah ! Ça faisait du bien ! Et sans doute que la Calopsitte intercepta son geste, car elle se posa aussitôt sur son épaule, apparaissant comme par magie de derrière un nuage ou de sous une feuille charnue. Kallistrat s'engagea à la suite des lézard, soufflant bruyamment durant quelques mètres avant de retrouver une respiration plus régulière. Et puis enfin, il y eut une halte. Le Chertan jeta un œil alentours, par réflexe, s'assurant qu'aucun danger ne les guettait. Puis, sans demander ni prévenir, il se laissa littéralement tomber au sol, s'affalant comme un énorme lion paresseux. La poussière se souleva autour de sa masse échouée et il en grogna de satisfaction, se roulant comme un bienheureux. Têk s'était éclipsée, vexée.

Il écouta d'une oreille distraite le dénommé Fafnir se dévouer pour le bois. Tant mieux, lui était bien trop occupé... et d'une oreille toute aussi distraite, il entendit Wergeld parler tout seul, entre reproche et contrariété, peut-être même les deux. Ah oui, c'était vrai qu'ils étaient à deux doigts de s'entretuer ces quatre là... Le Chertan hésita à rouvrir les yeux et à observer, attentif aux relations humaines qui lui échappaient décidément. Et d'un commun accord avec lui-même, il décida d'ignorer parfaitement son entourage proche. Il verrait tout cela plus tard. En attendant, c'était plus fort que lui, l'herbe d'altitude était trop délicieuse et la rocaille grattouillait son dos dans les moindres recoins, c'était trop bon...! Les quatre fers en l'air, il se tortillait comme un asticot en grognant subrepticement, la langue à demi sortie de sa gueule se faufilant entre les crocs, et les yeux plissés en une expression d'extase... Raaah...

Il ronronna.

Quand Fafnir se décida pour le bois, je le laissais partir sans mot dire. Il fallait bien que quelqu'un s'y colle et il s'était proposé. Quoi rajouter de plus. Bien au chaud dans les bras chaud de mon gilet, je me laissais presque aller à la fatigue de la journée. Une furieuse envie de dormir commença à me prendre et je somnolais presque quand Wergeld m'apostropha d'un ton on ne peut moins amène. Un regard blasé vers lui et je me tournais vers mon sac pour y chercher une carte. Comme de bien entendu dans un sac de fille, elle se trouvait tout au fond et le temps que je la sorte, Kallistrat nous offrait un concert de satisfaction féline intense qui me tira un sourire attendri. Et la réflexion de Caliope de me faire rire. Plus détendue, je refaisais face à Wergeld en étendant entre nous la carte tirée des bibliothèques de Cerclon.

- Après certaines recherches personnelles, j'ai appris que les Hi-boux qui nous ont envahis ne l'ont fait que parce qu'ils ont été chassés de leurs aires naturelles par quelque chose apparemment rendu fou parce qu'un culte ne lui est plus rendu. De ce que j'ai appris, cette chose voulait entendre le chant de la pluie et...

Pointant mon doigt sur une zone que rien ne différenciait des autres alentours sur la carte.

... ici se trouverait, d'après les pierres, un temple où dans le passé on vouait un culte à la pluie par le biais de chants et d'un instrument capable de faire pleuvoir. S'il existe vraiment, je veux mettre la main dessus pour éviter que d'autres catastrophes comme celle des hi-boux ne viennent mettre en péril la ville. La piste est maigre mais c'est la seule que j'ai pour l'heure. Voilà pour le pourquoi de cette mission.

Je repliais la carte soigneusement. Certes je la connaissais par cœur mais bon, autant éviter de se perdre bêtement. Aussi la rangeai-je soigneusement dans mon sac.

- Faites attention si vous partez chasser, il parait que les environs sont fourbes et les pierres se sont montrées étrangement muettes quant à ce qui est de la faune locale. A croire qu'elles redoutent quelque chose.

Mes maigres recommandations fournies, je me tournais vers notre extatique chaton boosté aux hormones. Lui au moins semblait heureux d'être là. Et cette pensée en tête, un sourire tendre sur le visage, je recommençais là où Wergeld m'avait arrêté quelques temps avant. La tête dodelinante, je sombrais peu à peu dans le sommeil. C'est pas tout ça mais voler m'avait littéralement vidée de mon énergie.