Déambulation de deux maîtres [pv Gwendal]

Le lot quotidien, il faut pas pousser non plus. Même si les quelques lettres que j'ai reçu ne m'ont fait ni chaud ni froid. Nous n'étions pas du même gabarit, j'étais un mauvais type, il était un guérisseur, la différence est énorme ce n'est pas une simple nuance. Quelqu'un doit lui en vouloir personnellement.

-Reste prudent quand même. Nous sommes bien protégés mais...

Eternity me coupa brusquement d'un regard appuyé. Les murs écoutent et ne parlent pas c'est ce que je lisais dans ses yeux. Cette précaution que tout le monde observe dans ce quartier. Si nous voulions que les secrets continuent de pulluler sans se soucier de rien nous ne devions pas trahir la discrétion des ombres.
Je levais mon verre à sa suite et le bu d'une traite sous le regard de la demoiselle. Nous vivions une drôle d'époque, le temps des viking me manque (comme si je l'avais connu) où les femmes restaient à la maison et ne contre-disaient pas les hommes. Quoique ! J'aime son regard brûlant, à croire qu'elle a déjà préparé son fouet à mon attention. Outch.

-Magna. Elles te l'ont dit, ici les gens parlent car ils savent que rien ne peut leur arriver dans la sûretéqu'apporte les ruelles. Quand on y vit c'est qu'on en fait partie. Tous les secrets existent mais personne n'en parle. Si tu veux savoir quelque chose tu dois venir le chercher toi-même. Ce que tu sais personne ne te le reprochera, ce que tu dis peut t'apporter plus d'ennuis que tu n'en as déjà.

Je lui offrit un sourire les jeunes femmes avaient décidé de s'accompagner l'une l'autre aus sanitaires pour se "repoudrer". Phrase pleine de sens... Tant qu'il m'était impossible de savoir si elles allaient vraiment retoucher leur maquillage ou si elles avaient besoin de bavasser sans nos oreilles masculines indiscrêtes.
Elles filaient si vite que je ne vis que deux jolies courbes s'enfuir dans la salle du restaurant... Rapide comme des ombres.

-Renforce ta garde personnelle, si tu as une famille protège-la aussi. Le meilleur conseil que je puisse te donner en l'état actuel. Ce genre de mots arriveront nombreux et même si les passages à l'acte sont moins courant, il vaut mieux les parer avant de payer.

L'homme avait déjà songé à beaucoup de précautions, c'était un bon début. Je doutais que ce soit vraiment efficace, si son détracteur fait parti de son personnel.

-Nous régnons. Nous sommes nommés arbitrairement par nos prédécesseurs et nous n'avons pour seul but que de faire tourner cette ville. Impossible d'imposer un véritable gouvernement, pas d'Etat, pas d'assemblées. Parce que la ville est peuplée d'une trop grande diversités de cultures et de peuples. De gens venus d'ailleurs qui ont encore l'espoir de repartir un jour. Le meilleur moyen d'être servit efficacement est de changer de personnel, c'est la première chose que tu dois faire. Tu pourras évincer ceux qui étaient fidèles au précédent maitre K'an, et tu pourras t'assurer la loyauté de ceux à qui tu offres un travail facile et bien payé. Même la jeune Caliope est passée par cette case là. C'est obligatoire pour éviter les désagréments...

Coupé par l'arrivée des jeunes femmes, je les observais s'installer dans les frottements de leurs robes et l'odeur en-têtant de leur parfum mélangé. Un sourire échangé entre elles. Elles l'offrirent à K'an.

-La présence de deux parfaites incarnation de Magna auprès du maitre des fumeroles vous discréditerai, indiqua Taranee.
Et à Eternity d'ajouter.
-Nous viendrons, quand vous ne serez plus le nouveau K'an.

Le serveur revint et commença à débarrasser la table de nos assiettes vides et de nos couverts sales. Je l'invitais à apporter une autre bouteille alors qu'il se pressait pour trouver les cartes des desserts. Il n'était pas nécessaire de préciser à ce jeune maitre -en quelque sorte- que ni elles, ni moi n'étions inconnu aux fumeroles. Elles sont deux oreilles discrètes qui se faufilent n'importe où, et moi, et bien j'y avais travaillé il y a quelques années de cela. Le serveur déposa les cartes, la bouteille et disparu une fois encore. La fin du repas approchant, j'étais grisé par l'alcool et cette bonne compagnie. Le restaurant se vidait lentement ne laissant que deux maitres et leurs amies à une table éloignées des autres. Elles remplirent nos verres à nouveau, affûtant leurs sourires et laissant miroiter la peau claire de leurs poignets sous nos yeux.

-J'ai moi aussi quelques problèmes. Le marché noir est totalement hors de contrôle, une épine douloureuse fichée dans le pied, si tu veux.

Taranee afficha son plus éblouissant sourire de la soirée.

-On a découvert deux ou trois choses à ce sujet...

Elle risqua presque de m'appeler patron. On appelle pas "patron" la personne qui vous arrondis les fins de mois (de toute cette année là) en récupérant vos informations. Mal venu et trop risqué pour elle.

-Le marché noir est contrôlé par deux sorciers. Un duo. Je crois que le premier est un loup répondant au nom d'Urkain. L'autre un démon nommé Vishnu.

-C'est tout ?

-Patience ! lâcha Eternity en parcourant du regard la carte de sucrés qui la tentait à chaque ligne.
Si ça ne tient qu'à ça je peux commander la carte au complet. Sauf qu'elle me reprocherait de vouloir la faire grossir. Et qu'on le veuille ou non, son joli minois et sa taille fine font le plus gros du travail. On ne demande pas à une conquête d'un soir de ne pas répéter ce qu'elle entend. Elle entend et à Magna on suppose qu'elle se taira. C'est ce qui garanti l'équilibre de ce quartier. J'en profite bien sûr. Avoir un bon réseau d'information c'est la base pour diriger un tel quartier. Je haussais les épaules et terminerai par un café. Le serveur revint comme s'il nous surveillait de loin. Il reprit ma carte et prit son mal en patience alors que les autres choisissaient.

-Les femmes sont espionnes par nature, nous pourrions sonder le monde pour retrouver ce qui nous est cher.

Que répondre à cela ? J'ai bien vu ma mère retourner une ville entière en une vingtaine de minutes pour me retrouver moi et mon frère alors que nous nous étions cachés pour "faire une farce". L'apogée de notre plaisanterie aurait pu être le moment où moi et mon frère avons essayé de nous assoir sur le banc, à nos places habituelles pour le dîner. Seulement, nous avions sous-estimé la puissance de frappe de notre mère. Ainsi donc il fut difficile pour nous deux de rester assits sans grimacer durant tout le repas, et plusieurs autres lors des jours à venir... Mais non, le pire moment fut lorsque le lendemain elle nous fit exactement la même chose. Et tous deux, complètement paniqués nous mîment des heures à les retrouver... On nous avait passé l'envie de faire des blagues !

-Si les femmes excellent dans bien des domaines il y en a où elles n'ont jamais su se tenir.

Je glissais un mot au serveur, il sourit et en reprenant les cartes de ces dames s'en retourna avant de revenir l'instant d'après avec deux cocktail remplis à ras-bord.

-Cela fait longtemps que je ne suis pas allé aux fumeroles. J'y songerai, me cacher dans magna est bien plus facile que là bas, mais j'aurais l'avantage de la surprise.

Tout maitre digne de ce nom pense à un moment de sa journée à fuir les responsabilité durant une brève petite heure afin de se détendre. J'avais pris mes habitudes dans Magna, bien évidemment, et les quelques hommes doués qui devaient me suivre tels des chewing-gum collés à mes baskets savaient exactement où me trouver à chaque fois, si bien que l'heure à peine écoulée j'étais reconduit à mon bureau. Mais là, si je fais un détour par Magna, que je brouille les pistes le temps de disparaitre quelques minutes j'aurais rejoins les fumeroles sans que personne ne me remarque. Ce serait la sortie du siècle.

-Constitues ton propre réseau d'informateurs sûrs et fiables, c'est la clef d'un règne long et sans douloureux retournements.

J'avais insisté sur le "douloureux" quand un talon s'était enfoncé dans mon genoux. Et je remerciais les dieux qu'il ne se soit pas enfoncé ailleurs. Eternity souriait toute en joie son cocktail à la main... Une vengeance personnelle ?
Taranee s'était rapprochée de l'elfe avec la ferme intention de l'ajouter dans sa liste de contacts intéressants... Je sentais d'ici l'invitation à aller boire un verre chez elle après le dîner. Un véritable tombeur !

Elles sourient. Parce que la question relève de deux ordres évidents, suis-je potentiellement romantique et suis-je assez faible sur ce point ? L'information vaut ce qu'elle vaut peu importe où elle est dénichée. J'en veux à Eönwë de me poser cette question. Révéler à deux espionnes comme ces deux là que je pourrais avoir un coeur moins froid qu'il n'y parait serait comme leur donner le bâton pour me faire battre. En tout état de cause, il faut jouer profil bas, elles se délecteraient beaucoup trop si je disais la vérité.

-Des filles, il y en a eu tout un tas..

Un choc, un son mate, la table a tremblé et je grimace. Le talon d'une des deux vipères s'est enfoncé dans mon genou et rien qu'à l'idée qu'elle recommence je me ravise sur mes sarcasmes. Ou j'en garde quelques uns pour moi.

-Comme tu le vois...

Tout un tas, et pas toujours aussi caractérielle. En tout bien tout honneur qu'elles me répètent avant que nous cessions de nous voir car "ensemble" c'est un mot de trop. J'ai le sourire quand je dis ça même si... Même si j'envie Wergeld et ses amours de jeunesse parce qu'il a de la sincérité plein le coeur. J'envie Eönwë et sa famille nombreuse, il vit avec son temps.

-Ma vie n'a rien de concrêt avec la gente féminine. Elles vont elles viennent et moi de même.

J'évite un coup de talon aiguille supplémentaire. Une fois, pas deux. C'est déjà douloureux.

-Je laisse le mariage et toutes ces choses à des hommes comme toi. Il n'est pas nécessaire de porter une alliance pour embrasser ce qu'on aime.

Ça se voit que je tourne autour du pot. Mais la question est difficile et pleine de contentieux divers et variés. De bleus plein mes genoux et à d'autres endroits aussi. Je choisis de rester évasif pour cette raison. Si personne ne sait ce que je fais de mon existence, personne ne peut envisager de couper l'herbe sous le pied.

-Ne parle pas de malheur pas ce soir ! Rentre bien K'an !

Je saluais le nouveau maitre d'une main avant de voir les deux jeunes femmes se rapprocher de mon siège. La banquette grinça un peu quand j'appelais le serveur pour qu'il apporte encore une bouteille. Ma soirée ne finit pas sur la banquette d'un restaurant de Magna.
Ivres à nous trois, nous nous fîmes déposer devant un troquet destiné aux créatures de la nuit. Alcools et fumées, les bêtes et les jolies créatures se mouvaient dans la foule au son de plusieurs cithares et de tambours qui n'en finissaient pas d'hypnotiser les convives déjà somnolentes dans la lumière tamisée et la chaleur étouffante.

Il y avait une femme à la voix aigüe qui couvrait le brouaha incessant. Dans le moelleux d'une autre banquette, entre deux révélations chuchotées au creux de l'oreille, mes doigts caressaient la couture d'une robe coulant sur la peau d'une ex-prostituée qui ne vivait plus que par mes moyens.
Et j'écoutais les voix sifflant quelques nouveautés, quelques scandales latents. Ce qui fleurit à Magna mieux que toutes les autres drogues.

RP clos