Civet de basilic dans le désert [pv Abysse]

Soare tremble de tous ses membres, une vraie trouillarde, on échange un regard entre panthère apeurée et maitre blasé... Je tente de la rassurer en lui caressant le dos, ses griffes restent planter dans mon bras, du sang commence à teinter le pelage blanc au bout de ses pattes et ma patience commence à s'épuiser.
Sous mes yeux, un ours blanc qui nous déchiquette une plante deux fois plus grand que lui, à ses côtés Abysse, je la reconnaitrais entre mille, une grande blonde visible à un kilomètre à la ronde dans un endroit comme celui ci. Et Ayame, il a franchement l'air de s'amuser, mieux que dans une fête foraine.

Il s'échappe de la prise traitresse d'une lianne à ses pieds et tend le bras avec une grâce que je serais incapable d'imiter. Il tire, fais mouche et recharge son arbalète. Dans le feu de l'action, en chargeant son arme il est frôlé de peu par une épine plus grande que sa main, il l'évita et son carreau échappé de ses mains et propulsé dans tous les sens par son arme siffle à côté de ma joue. Ma patience à ses limites. Je hurle.

-Fais attention sale blond ! J'ai failli finir borgne !

Mon épée dans la mauvaise main, secouée dans tous les sens comme un drapeau de mauvaise augure. Une liane fonce droit sur moi, elle m'a prise pour une menace jusqu'à ce que je l'enterre dans le sol en y plantant ma lame. Elle se contorsionne pour se libérer, je la tranche nette et Soare est partie se planquer sous mon blouson, formant une bosse à ma hanche au dessus de la ceinture qui ferme la veste sur mon ventre.
Froussarde. Je réprime l'envie de renifler en fronçant le nez, et Ayame hausse les épaules l'air de dire "c'est pas moi, je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler"... Il a un don, il m'exaspère même quand il fait son boulot. J'ai repris mon épée dans la bonne main, et je me sens déjà en meilleur forme rien qu'à sentir le cuir sous mes doigts. Elle va morfler.
Dans un cri de rage je coure vers la plante, mon épée fend l'air de gauche à droite, j'ai mal calculé la force émise dans le coup, un morceau de plante et plusieurs bras tombent sur le sol, inerte. Abysse avait raison, il y a un centre nerveux quelque part, sinon, les bras de la plante seraient autonomes. Et à réfléchir de trop je ne me suis pas mis à l'abri, une liane m'attrape au cou et me soulève du sol. Je suffoque, mes mains se portent sur la chair de la plante et l'arrache à coups d'ongles. La sève me coule dessus et je retombe comme un sac de patates sur le dos. Soare s'échappa de ma veste et fila dans la maison, la porte béante claqua derrière elle. Je l'ai appelé, je ne voulais pas qu'elle aille de ce côté, la plante la tuerait ou elle se ferait ensevelir rapidement. Non, elle a foncé sur ses petites pattes droit dans la maison et venait de s'y faire enfermer. J'ai rampé une seconde jusqu'à ce que le bras d'Ayame me soulève de moitié, il me flanque mon épée dans la main et me pousse vers la maison sans ménagement.

-On te couvre !

On ? Qui ça "on" ? Abysse et son acolyte font des dégâts considérables, je n'aurais pas envie qu'elle me coiffe... Mais "on" quand même alors je fonce vers la porte, elle est coincé, je tire sur la poignée qui me reste dans la main. Tant pis, je l'enfonce d'un coup d'épaule. Je n'ai pas senti le bois éclater, mais j'ai entendu un miaulement apeuré de "ma" panthère miniature. Là bas, dans l'ombre son regard gris comme deux petites lunes me regardent sans savoir si c'est moi ou la plante le grand méchant loup. Trois pas, je l'attrape et en me retournant j'ai vu l'enfer. Comme une marée de lierre bloquant la porte, les fenêtres et toutes les issues. Nous étions enfermés et à mesure que les secondes s'égrenaient, la nuit la plus totale s'abattit sur nous. Pour une fois depuis... depuis longtemps j'ai paniqué. Je n'aime pas le noir, je n'aime pas ce genre de créatures et je ne voulais pas me reprocher d'avoir embarquer l'animal dans ce voyage. C'était vraiment une mauvaise idée.

Spoiler:

Le jeep s'arrêta, ses lourds pneus n'en finissaient plus de s'enfoncer dans le sable, la voiture bondissait alors par dessus les crêtes ensablées et normalement nous devions arriver à Sierra rapidement. Rapidement étant un terme tout à fait relatif aux yeux de mon chauffeur qui conduisait pour la toute première fois un tel enfin dans le désert de Munghor.
La nuit tombait quand je descendis du tout terrain, et il semblait contenir autant de sable qu'il y en a dans le désert, mais je dois remercier ce voyage : je n'ai jamais autant aimé un paysage que celui-ci. Aucune vie à perte de vue, seulement le sable beige et le ciel magnifique au dessus. Une puissance incarné dans cette poussière de quartz agglutinée sous le soleil infernal de la région.
Le tout bien au frais dans une voiture sur équipée.

Un large chapeau blanc sur la tête, je ne dérogeais pas à mes coutumes vestimentaires je faisais office de rayon de lune parmi les tentures colorées et les capes sombres qui déambulaient dans l'oasis.

-Où est-il passé ?

Mon chauffeur revint une minute après avec quelques informations. Il m'entraina en périphérie de l'oasis, là bas du grabuge se faisait entendre, des coups d'épées et quelques cris de rage. Un léger sourire effleura mon visage, une boule sombre se faisait enfermer sous mes yeux et les autres cherchaient à tailler en pièce une plante très envahissante.
Je retroussais les manches de ma robe, la plante commença à flétrir à l'instant où je posais la main sur une liane enchevêtrée autour d'un immense dattier. Comme je le pensais sa croissance rapide me permit avec une petite quantité de poison à coloniser l'intégralité de son corps. Paralysée, la toxicité de mon semi métal finit de la détruire petit à petit. Déjà elle séchait alors que j'insufflais dans ses bras encore vivant quelques grammes de plomb et d'antimoine. Elle blanchit et en quelques minutes les menaçantes lianes chutèrent sur le sol en un amas de cendre froide. Ni arme ni feu.

La femme, à l'évidence la propriétaire de la maison, revint avec un panier ciré, elle nous regardait tous tour à tour, un peu perdue. Où était passé l'affreuse plante ? Nulle part. C'est une bonne réponse. Mon chauffeur, homme à tout faire aussi, l'entraina à l'écart, loin de mon sourire de grande gagnante de ce combat, loin de la rage d'un ours-garou et d'une valkyrie, loin de l'arbalète d'Ayame et d'un couple insolite encore dans sa maison dévastée par l'affreuse plante.

-Tout ce grabuge pour un peu de jardinage. Les désherbants efficaces ne sont pourtant pas couteux.

Mais non il ne s'agit pas d'un meurtre de sang froid. Ce n'est qu'une plante et il se trouve que je n'ai pas une âme de paysagiste. Je préfère les jardin zen.
Avant que quelqu'un ne pose la question, je justifiais ma présence. Comme si c'était parfaitement évident, comme si rien ne pouvait être autrement.

-S'il faut faire parler d'autres dieux, je suis après K'ien la mieux placée pour cela. Laissez-moi donc me charger de ce basilic, je vais lui offrir un voyage au pays de l'inviolable, du silence et de l'éternelle résistance. Osiris et ses pairs nous attendent déjà.

Soare tremble dans ma main, la pauvre bête va finir traumatisée. Quand elle sent que le danger est passé, elle cherche à se pelotonner contre moi. C'est vexant, elle me prend pour sa mère... Nous quittions la maison ensemble. L'horreur des lierres nous emprisonnant à l'intérieur s'était subitement dissipé. La plante semblait avoir perdu toute vie en quelques instants ; mais en apercevant Dinu Mihai devant la porte, elle et son grand chapeau, une grimace de dégoût chercha à se dessiner sur mes traits. Je ravalais mon animosité envers la déesse en faisant mine de remettre mon épée sur mon dos et Soare dans une poche.

La panthère miaula, pas très convaincue d'être en sécurité avec la dame blanche à nos côtés. Nous abandonnions Abysse et son second. Ayame leur expliqua seulement les quelques mots de l'ordre de l'évidence.

-Des sanctuaris ne devraient pas tarder, accompagnés de commissaires de K'ouen. Expliquez-leur la situation, ils comprendront et si vous souhaitez toujours continuer l'aventure, rejoignez-nous au temple. Ce sera toujours moins drôle que de participer, mais voir Dinu Mihai en action pourrait être un joyeux divertissement.

Et pendant ce temps je suivais la banquière. Mieux armée que quiconque sans pourtant posséder la moindre arme. L'elfe nous rejoint au pas de course et se positionnant à un pas derrière moi je sentis toutes les ondes sournoises qu'il dégageait. À quoi pensait-il c'est une excellente question, et j'avais beau la lui poser du regard il m'ignorait sans scrupule.

J'ai suivi cette femme pâle comme une lune isolée au travers de la ville, nous nous sommes éloignés dans le désert au beau milieu de la nuit. Sur l'horizon de crête découpée sur le ciel nocturne, un temple, un magnifique temple se dressait de son imposante façade de pierre. Quelques torches illuminaient les peaux cuivrées des gardes à l'entrée. Nous sommes allés jusqu'à eux.
Il m'était impossible de savoir ce dont pouvait bien penser la déesse, mais je devinais en revanche toutes les appréhensions d'Ayame. Il sentait le danger comme on flaire le fumet d'un cadavre, ses sourcils froncés, son oeil bleu teinté de rouge devant les torches. Ça ne me disait rien qui vaille. Je me suis avancé jusqu'au garde le plus proche, il me toisa depuis l'altitude qui l'atteignait... Je relevais le regard sur lui sans ciller, qu'il fasse un commentaire sur ma taille qu'on puisse rigoler...

-Dis à tes maitres que le maitre de la zone du dehors veut s'entretenir avec eux.

Il me toisa l'air de parler à un moustique. Lui rentrer dedans me démangeais, mais il parla. S'en était presque épatant de voir cette montagne de muscles et de peau tannée par le soleil être capable d'ouvrir la bouche pour prononcer une phrase intelligible. Les préjugés ont la vie dur.

-Qui t'accompagne, maitre Wergeld ?

Bon point, il sait à qui il a à faire. Parfait.

-Dinu Mihai et Ayame.

Il acquiesça et disparu dans l'entrée. En espérant qu'il aille chercher un dieu solide sur lequel je pourrais aiguiser mon épée.
En regardant la déesse pendant les quelques minutes d'attente j'en suis venu à me rebiffer intérieurement contre elle. Moi et Abysse avons parcouru le désert en bravant les éléments... Elle, elle s'était juste pointé en voiture. Ça me flanque la migraine. Je soupirais comme un homme aigri par tout ce qui bouge et je me repositionnais face à l'entrée. Les mains dans les poches dans ce pesant silence.

Il revint avec une haute torche à la main. "Suivez-moi" fit-il d'une voix grave d'outre tombe. Ils se donnaient tous un genre très agressif, comme ce soleil qui pleure ses rayons toute la journée durant dans la région. Il est rèche sous mes yeux, brutale quand il claudique sur ses jambes. Il nous entraine dans ce fameux temple, de l'extérieur je le trouvais raisonnable, dedans, dans les minuscules couloirs destinés sûrement à ce qu'on y passe de profil (ces égyptiens...) c'était une autre impression. Les pierres très épaisses, la nuit totale si ce n'est l'espace lumineux que dévore la torche de notre guide et l'odeur de poussière et d'encens de myrrhe qui me chatouillait les narines. Nous avancions dans un tombeau de momie encore sur pattes, je peux y remédier, mes embaumements sont réputés éternels...
Je pensais m'enfoncer dans le sol ce ne fut pas le cas. La sentinelle fit grincer une porte émaillée d'or, il s'inclina à peine sur notre passage et nous retrouvions le ciel étoilé et une piste ensablée aussi large d'un terrain de Tennis.

-Bienvenue au temple des exilés de Sierra. Wergeld, Dinu Mihai et Ayame.

Celui qui parle à une fausse barbichette ridicule et un haut chapeau tissé de blanc et orné d'un serpent doré. Osiris je présume. Il y a une femme à ses côtés, les hanches rondes et parées comme une reine. Isis. Sans aucun doute possible.
Je garde le silence, comme statufiée.

-Je vous croyais muet.

Il me toise. Je pensais qu'ils étaient deux, mais non. En réalité derrière les colonnades, dans l'ombre frémis les corps d'autres créatures. Des hommes dont les visages sont recouverts de larges casques à l'effigie de différents animaux. Faucon, Ibis, serpent, chacal, lionne... Le panthéon zoophile le plus réputé que je connaisse. Les dieux grecques avaient des défauts mais pour leur avantage ils ont vite laissé de côté les traditions animistes.

-Dinu Mihai de Welgaia. Je connais le nom de la déesse du métal.

-Je peux vous offrir une médaille pour ça. J'en ai plusieurs en stock.

Une mimique amusée sur mon visage, la neutralité impassible du sien.

-Où est votre créature que je m'en occupe une bonne fois pour toute ?

Son faciès change d'humeur. Il sourit, amusé. La fusion d'un coq et d'un serpent, le basilic vous pétrifie d'un regard comme la gorgone en son temps. Créature mythique à sa façon, il est né dans les légendes. Peut-être qu'un coq s'est un jour trimballé au mauvais moment au mauvais endroit et la rumeur naquît.
Les cliquetis d'une lourde chaine, les rouages d'une grande grille nous assourdissent quand la cage s'ouvre. Qui tire sur les chaines ? Aucune idée, il fait nuit noir sous l'au-vent du temple. Une tête énorme s'arrache à l'ombre du temple sur le ciel étoilé. Un cou long et épais comme un chêne centenaire se découpe alors en dessous. Des ailes battent furieusement l'air et pourtant l'animal ne décolle pas. Lui as-ton coupé les plumes ? Le sol tremble sous nos pieds et bien que j'ai conscience du pouvoir de ce monstre grandeur nature, je ne baisse pas les yeux.

Je connais Dinu de réputation et pour l'avoir croisé une ou deux fois. Par exemple, je sais de source sûr qu'elle déteste qu'on l'appelle Dinu. Son prénom complet est Dinu Mihai... Les gens n'aiment pas trop se retrouver devant cette femme si charmante au premier abord qui soudain se met dans une colère noir incarné de patience pesante lorsqu'on écorche son prénom.
Mais c'est la première fois que je l'entends faire preuve d'humour. Les autres en face semblent formatés pour ne pas montrer l'entaille dans leur égo. Une déesse contre des dieux égyptiens, elle a su marquer l'Entre-Monde de son emprunte, pas eux... C'est sûrement un motif suffisant pour qu'ils la détestent et souhaitent sa disparition.

Je sais qu'elle ne me laissera aucune chance de me battre contre ce basilic. Je suis fort mais je ne sais pas combattre en aveugle, Ayame le pourrait mais ses flèches auront bien du mal à atteindre la bête. Il me bouscule légèrement en reculant, je le suis. Nous filons sous le temple. Nous n'avons plus qu'à suivre le match en pensant à fermer les yeux pour éviter d'être pétrifié sur place.

Dinu Mihai contre le basilic. Ayame a le sourire, il ne me dit pas lequel des deux combattants est son préféré, mais il sait aussi bien que moi, que derrière la douceur de cette femme habillée de blanc, il y a la banquière d'Entre-Monde, un requin comme on en voit rarement.

-Tu paries sur qui ?
-Dinu.

Je parie sur la déesse. Elle a toute ses chances de gagner, à mon avis.

-Je suis forcé de parier sur l'autre alors... Dur de perdre avant même que la course ne commence.

C'est qu'il s'amuse bien. Soare bouge dans ma veste, elle s'arrache à ma veste et escalade mon épaule. Elle cherche juste un peu de réconfort en se frottant contre mon cou. Ce n'est pas une panthère c'est un vulgaire chaton...

Tous s'éloignèrent, dieux comme humains. Au coin de ma vision, ils reculaient derrière les colonnades, là où l'ombre les dissimuleraient totalement à la vue du poulet à queue de serpent qui me faisait face. C'est bien la première fois que j'envisage de plumer un oiseau...
J'arrachais le collier suspendu à mon cou, l'objet chuta avant d'être stoppé dans sa course. La main dressée dessus, les mailles métalliques se liquéfièrent, s'aplatirent. Elles s'unir en un disque fin comme un cheveux et solide comme la pierre. Brillant comme un miroir.

L'oiseau, sur deux pattes avançait en équilibre précaire sur le sable. Il me regardait, je pouvais sentir la brûlure de ce regard pétrifiant. Je me hissais sur mon disque de titane, le bec de l'animal plongea, il s'enfonça dans le sable dans un nuage de poussière quand je décollai sans attendre. Je m'éloignais de plusieurs mètres au dessus de lui. S'il regardait le ciel, les autres en bas ne risqueraient plus grand chose. Et s'ils ne veulent pas se faire écraser qu'ils s'éloignent encore !

Je toisais l'animal. Observant son poitrail immense, la queue de serpent traçant de larges sillons sur le sol et ses grandes ailes pourtant trop petites pour supporter le poids du semi-reptile.
Observant mes propres pieds sur le métal, je tirais sur des sangles qui se formaient lentement en réduisant la surface du disque. Elles fixèrent mes pieds et je basculais dans le vide, mon miroir face au regard de la bête.

Que croyais-je ? Que ça le tuerait ? L'animal reçu comme un coup en pleine tête, il tituba et se redressa plus furieux que jamais. Il n'avait vu que son propre reflet. Je me laissais regagner le toit de pierre du temple. Mon disque métallique ayant prit la forme d'une boule à peine plus grosse qu'un œil de rat. Si je ne pouvais le pétrifier je devais y aller par d'autres moyens plus... efficaces.

La sphère se désagrégea dans l'air, une pluie de fils coupant échouèrent sur la pierre, je levais une main, l'un des fils se mouva dans l'air, scintillant, il tinta comme une minuscule cloche avant de fouetter l'air. Je sentis une perle de sueur glisser sur mon front, je l'essuyais du revers de ma manche, le regard déterminé posé sur la crête rouge de l'oiseau mythique.
Il hurla de plus belle, tituba une fois encore, bâtit des ailes en soulevant encore plus de poussière, une marque sanglante léchait son plumage à la base du cou.

Il craignait la douleur, une très bonne nouvelle. Il pouvait saigner du peu que j'en voyais sa blessure était réelle. Elle ne guérirait pas en quelques instants, une autre bonne nouvelle. Les guérisons instantanées étant monnaie courante chez les déités et leur progéniture, j'appréciais l'absence même de l'essence divine dans cette vulgaire volaille. Elle n'avait que le mérite d'avoir un regard pétrifiant et une taille qui donnerait faim à un dragon.

La poussière se dissipait dans l'air nocturne. K'ouen n'interviendrait pas, il s'agissait d'un duel, je devais terrasser la bête pour obtenir le droit de poser toutes les questions qui me passeraient par la tête à cette bande d'imposteurs qui se font passer pour des dieux.
J'étais distraite. L'animal avait sauté sur la pierre, avant qu'il ne glisse piégé par l'attraction terrestre, il bâtit des ailes. Je levais les yeux sur lui pour ne voir que le flou d'une montagne de plume brasser l'air et m'expulser hors de mon perchoir.
À mon tour d'être rappelé à cette bonne vieille gravité. Je m'étais rattrapé de justesse à la bordure supérieure d'un large bloc de pierre calcaire, les pieds battant dans le vide en quête d'un appuie pour me hisser hors de porté du bec qui cherchait à m'engloutir.

Il croassait des hurlements mi-grave, mi-aigües, ses ailes ne cessait de fouetter l'air inutilement cherchant à le porter quelques centimètres plus haut pour m'attraper. Je haïssais cet instant de distraction et me laissais tomber droit dans la gueule de l'animal.

Ce qu'il se passa ensuite ?
Il chercha à me gober purement et simplement ne pouvant pas réellement mâcher. Au milieu de sa gorge, enfermée d'une sphère de titane recouverte d'une couche de potassium, je le laissais saliver sur le métal alcalin quand ses muscles cognaient sur la couche brillante.
Le potassium réagit violemment avec l'eau. Le potassium réagit aussi quand on tape dessus... La couche explosa tranchant dans un geyser de rouge la tête de l'animal qui s'effondra parcourue de tremblements nerveux.

Ma petite cage de titane déformée par l'explosion ricocha sur quelques mètres sur le sable avant de se désagréger en poussière pailletée.

Le corps tremblant, je me rendais compte à quel point l'exil était dur à vivre, privée de ma toute puissance divine, j'aurais pu être dévorée par un poulet. À quatre pattes puis sur mes deux jambes, je respirais bruyamment, essoufflée et en sueur. J'allais jusqu'à me laisser glisser contre une colonne de pierre, cherchant de l'air dans la poussière ensablée qui retombait sur l'arène. Le sang de l'animal coulant jusqu'à mes mocassins, dessinant des fresques brillant, coagulant et collant le sable en des roses grotesques.

-J'aurais dû commencer par ça.

Ayame fut plus rapide que moi, comme toujours, il agrippa la manche de mon blouson et tira sèchement dès que l'explosion retentie dans l'arène. Des gerbes de sables mélangé au sang de la bête tapissaient les colonnes et à l'exacte opposée de notre position, une forme blanche, marquée de l'ombre des taches rouges sur ses vêtements titubait vers l'abri sauveur du temple.
Un sifflement. Ayame s'était avancé jusqu'au corps qui finissait de trembler nerveusement. Les ailes immenses parcourues de quelques spasmes dessinaient des arabesques sur le sol et les pattes étaient retombées inertes non loin de la tête défigurée en quelque sorte.

-Impressionnant. La gorge a explosée de l'intérieur...
-Efficace.

Je commentais sans vouloir regarder le carnage. Le rouge de nuit fait comme un tapis brillant qui sèche rapidement sous les yeux, mais là... L'énormité de la créature qui se vidait sur le sable transformait en boue le sable de la dune applatit sur laquelle reposait cet endroit. Nous n'étions pas les seuls à nous étonner de la prouesse, le mystère de l'explosion resterait entier pour nous tous, les explications techniques attendront que la déesse se relève. L'archer sauta par dessus la patte de la créature et gagna en quelques enjambées le jeune femme mal en point. De l'autres côtés, les dieux à têtes d'animaux s'extirpaient de l'ombre les uns après les autres. Nombreux comme tout un village. Des têtes parfois nue présentant des faciès colorés ou tout simplement bestiale, parfois recouvertes de casques, de couronnes, de bijoux et de perruques. L'un d'eux leva la main au dessus du cadavre de la créature. Sous nos pieds roulèrent les grains de sables et les carapaces de créatures étonnantes qui filaient depuis les sous-sols droit sur leur proie. Des scarabées, innombrables, noires comme la nuit et brillant comme des pierres polies se ruèrent sur le festin, ils le désossèrent en quelques instants sous nos regards médusés. Quand Aya s'approcha jusqu'à mon épaule pour me réveiller, m'arracher au spectacle hypnotique du corps disparaissant comme si de rien n'était, ne laissant que des os bien vites réduits à un rien.

-Wu ?
-Dix ans que je parcoure ce territoire et j'avais jamais vu pareille chose.

Horrifié ? Non, pas tout à fait. Ces créatures innombrables ne résisteraient sûrement pas à une poussée de mercure ou de feu de la déesse - même si elle n'avait pas l'air en mesure de recommencer l'expérience... dommage c'était distrayant - quoiqu'il en soit les scarabées ne me faisaient pas plus peur qu'un rhinocéros en pleine charge ! Mais les voir grouiller comme une colonnie de fourmis géantes travaillant à faire disparaitre une créature aussi énorme. C'était indéfinissable tant ils m'impressionnaient.
Aya sourit. De ce sourire compatissant, celui qu'on offre à un enfant distrait alors qu'il ferait mieux de se concentrer. J'y répondis d'un haussement d'épaules. Habituellement c'est lui qui s'émerveille sur tout et n'importe quoi. Soare sauta à mes pieds et alla jouer avec un scarabée désorienté quand j'approchais Osiris. Celui qui me faisait le plus penser à un chef dans toute cette colonnie.

-Vous disiez savoir des choses à propos des catastrophes que nous avons essuyé. Parlez.
-Nous savons beaucoup de choses sur elles. Veux-tu tout entendre ? Tu ne vivras jamais assez longtemps pour tout écouter et tout retenir.
-Allez à l'essentiel, je veux savoir ce pourquoi je suis venu jusqu'ici.

Elle était sensuelle et vivante comme un flamme dans la nuit, la femme à peine habillée qui vint se placer aux côtés du dieu.

-L'oiseau est en colère. Lumière veut dire son nom. Premier né aussi. Il est furieux. Si nombreux dans l'Entre-Monde ceux qui l'ont oublié. Qui les ont tous oublié. Tu devrais te faire du souci pour eux si tu veux vraiment protéger l'Entre-Monde.

-C'est tout ? Cet oiseau en colère est la cause des fantômes lumineux ?

-Leur maitre. Ils sont ses messagers. Ils parcourent les cieux et répandent son message. Ils retournent la terre pour semer les graines de son souvenir.

-Qui ça !

Excédé. J'avançais d'un pas.Un homme à tête de faucon s'avança lui aussi l'air plus menaçant que jamais. Approche donc que je te plume.

-Un Dieu. Un vrai dieu de l'Entre-Monde. Premier né de toute essence divine en cette dimension. Tout premier a avoir posé son regard éternel sur la surface de ce que tu appelles Entre-Monde. Il est si furieux. Si triste. Il aimerait pleurer. Il voudrait que du ciel coule les larmes de son souvenir. Mais tous l'avez oublié.

-Apaise la colère du Premier né des dieux de l'Entre-Monde et les catastrophes cesseront.

Je pensais au moment présent. À l'urgence de l'instant quand Ayame pensa à ce qui adviendrait après.

-Qui sont les autres ?

-Les autres nés. répondit la voix sifflante d'un autre homme. L'oiseau de lumière, le dragon de pierre. Le cheval du mouvement, le tigre et le lion, le loup, le taureau et le requin.

Je me souvins de cette phrase qui disait :
Que les dieux ne nous haïssent d'avoir oublié leur nom.

La suite ? La suite est une énorme question avec un grand point d'interrogation. Le soleil s'est levé, l'estomac dans les talons nous nous sommes fais invité dans la première auberge venue pour y avaler notre poids en tout ce qui était comestible. Dinu Mihai mit quelques temps à se rétablir, mais nous sommes rentrés par voie express. Plusieurs commissaires sont venus directement de K'ouen pour nous chercher armés de titres de Perçant flambant neufs, ça allait encore être décompté de mon salaire... Je partagerais les frais avec Ayame tiens !

Des dieux. De vrais Dieux de l'Entre-Monde. Dont un Oiseau de Lumière plus ou moins en colère. Et comment on apaise la colère d'un Dieu ?
Je crois me souvenir que le type qui a précédé les esprits de lumière parlait de faire pleurer, ou peut-être était-ce pleuvoir. Cette histoire n'est pas prête de se terminer.

[RP expédié]