Civet de basilic dans le désert [pv Abysse]

La réplique de Wergeld arracha un sourire à la valkyrie. Il l’avait prise au sérieux. Pour elle, il ne s’agissait que d’une expression viking. Elle n’avait pas réalisé que le jeune homme pouvait réellement la croire. Abysse jugea tout de même inutile d’en faire la réflexion au maître du miroir. Ils continuèrent donc d’avancer. Wergeld nous faisait la visite. Il semblait savoir où aller. Du moins, c’était l’impression qu’avait la jeune femme avant qu’il ne reprenne la parole. Son sourire s’effaça. Apparemment, il ne savait pas où ils allaient loger et encore moins où ils allaient pouvoir manger. Abysse ne reprochait rien au jeune homme. Son enthousiasme s’était juste un peu estompé. Elle éprouvait un grand soulagement d’être enfin sortie du désert et espérait qu’elle pouvait se jeter au plus vite sur un copieux repas. La traversée du désert n’avait pas été une partie de plaisir. La valkyrie n’était guère habituée à évoluer dans des milieux aussi arides. La chaleur y était étouffante et difficilement supportable, surtout pour une viking.

La faim lui tiraillait les entrailles. Abysse passa une main sur son ventre douloureux. Elle ferma les yeux l’espace d’un instant pour se concentrer sur autre chose et oublier momentanément son estomac. Des enfants vinrent alors bousculer le petit groupe. La jeune femme eu le temps d’esquiver au dernier moment l’un d’eux. S’il l’avait percuté, nul doute qu’il aurait eu mal et se serait mis à pleurer. Abysse détestait les pleurnicheries des enfants. En fait, elle supportait difficilement les jérémiades des êtres faibles. Abysse avait été élevée dans environnement où les plus faibles étaient systématiquement tués. Elle éprouvait donc un certain mal à tolérer la faiblesse des enfants, des malades et d’un tas d’autres gens. Elle avait été conditionnée ainsi.

Les rires innocents des enfants s’éloignèrent. Wergeld avait percuté l’un d’eux. Il se trouvait étendu par terre et son regard sombre ne signifiait rien de bon. Abysse connaissait suffisamment le jeune homme pour connaître ses terribles sautes d’humeur. Les joues de la valkyrie se creusèrent à mesure qu’elle crispait les mâchoires. Elle ne savait pas vraiment comment empêcher Wergeld de plonger dans une colère noire. Il lui en fallait si peu pour l’irriter. Elle avait peur d’aggraver la situation. Une femme vint alors à leur rencontre pour excuser le comportement des enfants. Abysse plissa les yeux. La pauvre, elle allait subir les furies de Wergeld. La valkyrie était bien obligée d’admettre que la colère de ce dernier était tout aussi redoutable que celle de ses congénères. Elle coula un regard en direction d’Ulrik. Le visage de ce dernier n’exprimait rien hormis une certaine dureté. Il vint croiser le regard de la jeune femme. Une étincelle amusée brillait dans son regard. Abysse en fut agacée. Ils n’étaient pas là pour apprécier le spectacle. Ils devaient réagir avant que la colère de Wergeld ne finisse par exploser.

Ayame eu alors la bonne idée d’intervenir et de répondre à la femme qui portait un panier de dattes. La valkyrie l’aimait bien. Le demi-elfe était vif et savait toujours retourner l’attention à leur avantage. Il connaissait le maître de K’ouen sur le bout des doigts et savait toujours anticiper ses sautes d’humeur. Il représentait tout le côté diplomatique que le jeune homme ne possédait pas. Légèrement soulagée, Abysse contint un soupir. Ayame finit par couler un regard suppliant à la valkyrie. Elle lui adressa un sourire rassurant avant de s’avancer vers la femme au panier. Elle la surplombait de deux bonnes têtes. Avec sa carrure de guerrière et sa taille hors-normes, il était certain qu’Abysse passait rarement inaperçu et avait tendance à en effrayer plus d’un. Elle força alors une expression rassurante et amicale sur son visage. Les relations humaines, ca n’avait jamais été son fort.

Après un moment de stupeur, la femme finit par reprendre sa respiration. Sous le coup de l’étonnement, elle avait retint sa respiration. Devant le sourire forcé de la valkyrie, elle ne pu que lui sourire en retour. L’étrange troupe qu’ils représentaient ne passait pas vraiment inaperçu. Ils avaient besoin de trouver rapidement un endroit où loger. Voyant le regard d’Abysse couler avec envie sur le panier de dattes, la femme en prit une et la lui tendit avant de tendre son panier en direction de ses compagnons.

- Tenez, prenez-en une.

Une fois que les jeunes gens furent servis, elle reprit la parole sur un hésitant.

- Je peux, en effet, trouver un endroit où vous loger.

Son regard semblait fuyant. On sentait qu’elle hésitait à continuer. Ses lèvres s’agitèrent un instant dans le vide. Elle cherchait ses mots.

- J’aurais pu vous accueillir chez moi seulement les derniers évènements m’en empêchent. J’ai quelques soucis de ce côté-là. Peut-être pourriez-vous m’aider et je vous logerais autant de temps que vous le désirez en retour ?

Elle jeta un regard suppliant à la valkyrie et à Wergeld qui se trouvait en retrait.

Wergeld avait fini par se calmer. Les jeunes gens avaient échappé au pire. Abysse ne put contenir un soupir de soulagement. Avec le temps, elle avait bien du reconnaître que les colères du jeune homme étaient parfois aussi redoutables que celle des valkyries. Le maître de K’ouen, sous ses airs bourrus et peu agréables, était tout de même un jeune homme charmant. Il était rare qu’Abysse place autant de confiance en quelqu’un en dehors de son second, Ulrik. Elle devait bien reconnaître qu’elle appréciait la compagnie de Wergeld et Ayame. Elle aimait bien d’ailleurs partir en mission avec eux. L’aventure à leurs côtés promettait toujours d’être enrichissante et divertissante. Même loin de son navire, Abysse se sentait d’excellente humeur. Il s’agissait là d’un cas extrêmement rare.

Abysse jeta un regard en biais à son second. Ce dernier semblait apprécier le voyage malgré l’étouffante chaleur. Il fallait dire qu’Ulrik n’avait jamais été un grand amateur des terres arides et chaudes comme celles-ci. Il était issu d’un peuple de montagnards. Il n’était guère habitué à supporter de telles températures. La jeune femme lui tendit sa gourde d’eau. Elle avait remarqué que celle du lycan était vide depuis longtemps. Il n’osait tout simplement pas lui en demander. Il possédait un peu trop de fierté pour le faire. Ulrik se saisit de l’outre et la remercia avec sourire timide. Abysse n’eut pas le temps de trouver une réplique ironique à lui répondre que la femme au panier les invitait à la suivre.

Sans un mot, la valkyrie lui emboita le pas. La situation ne s’annonçait guère brillante. Méfiante au possible, Abysse sentait venir le coup fourré. Et, bien entendu, elle ne fut pas déçue lorsque la femme les emmena à sa demeure. La valkyrie n’écouta d’ailleurs que d’une oreille indiscrète ses explications. Elle était bien trop occupée à fixer avec stupeur l’amas végétal qui couvrait la petite demeure. Abysse n’en revenait pas. Elle n’avait jamais vu une plante aussi gigantesque. Quoique, la jeune Calliope avait fait de sacré miracles avec ses petites graines. Abysse fronça les sourcils, sceptique. Ainsi, la femme voulait que les jeunes gens la débarrassent de ce fléau végétal. A en juger par la taille de la plante et le temps relativement court qu’elle avait mis pour croître ainsi, s’en débarrasser n’était pas à la portée de tout le monde.

Abysse n’eut pas le temps de se demander s’ils allaient réellement accepter de faire un sort à la plante qu’Ayame se trouvait déjà ligoté par celle-ci. La jeune femme poussa un soupir. Ils n’avaient plus le choix désormais. Wergeld s’empressa d’aller dépêtrer son second. Abysse acquiesça et s’emprit de défaire sa cape et le chèche qui dissimulait son visage. Elle resserra sa prise sur Dejarin, son bâton, qu’elle tenait plaqué derrière son bras. Ce dernier semblait s’aggrandir à vue d’œil tandis qu’une lame recourbée venait de naître à l’une de ses extrémités. La hampe se couvrit de multiples petites lames acérées. La valkyrie tendit Dejarin devant elle, désormais, il était une immense faux. Il s’agissait là de l’arme idéale pour faire un peu de jardinage. Quant à Ulrik, il s’était déjà élancé au cœur de l’amas de lianes, son immense épée en main.

Sans plus d’hésitation, la jeune femme s’élança à son tour. Elle esquiva habilement une liane qui s’approchait dangereusement de son visage et s’accrocha à une en tirant de toute ses forces. Elle l’arracha sans trop de difficulté. Abysse entama alors une danse endiablée dans laquelle elle esquivait les différents assauts tout en faisant virevolter sa faux. Cette dernière fendait férocement les lianes. Abysse se servait de la force centrifuge afin de conférer une forcee phénoménale à chacun de ses coups. Son visage trahissait une rage sans fin. Désormais, elle était la valkyrie, la guerrière. Un éclat farouche illuminait son regard et défiait la plante géante qui se débattait avec force. Abysse jeta un regard vers Ulrik. Elle eu à peine le temps de le percevoir qu’il venait de se faire engloutir par un amas de lianes. La jeune femme poussa un cri. Elle voulut s’élancer au secours du lycan mais elle n’en eut pas le temps. Elle perçut un terrible grondement. La boule végétale sous laquelle il était enfoui trembla. Une énorme main s’en extirpa et battit furieusement l’air. En réalité, il ne s’agissait pas d’une main mais plutôt d’une patte sertie d’immenses griffes.

En moins d’une seconde, la boule végétale était éventrée et laissait apparaître l’imposante silhouette d’Ulrik. A présent, il était un immense ours blanc. Une fureur animale brillait dans ses yeux. Il battait furieusement l’air de son immense épée pour se débarrasser des dernières lianes. Abysse croisa son regard. Elle sourit. Tous deux s’élancèrent au cœur de l’immense plante. L’un se traçait un chemin à travers la végétation avec ses griffes acérées tandis que l’autre s’était créé une lame d’air pour trancher ce qui s’opposait à elle. La plante n’avait qu’à bien se tenir. Quant à la femme au panier, elle avait eu une judicieuse idée d’implorer l’aide des jeunes gens. Elle allait être servie.

Et c’était reparti pour un tour. Après un bref temps mort afin d’élaborer une stratégie bancale, la troupe de valeureux guerriers était repartie pour tailler de la fougère. La femme au panier, quant à elle, avait réussi à trouver le courage pour fuir à toute jambe et trouver une boite hermétiquement fermée afin d’y enfermer les résidus de plante. En attendant, Abysse et ses compagnons devaient se charger de lui donner une taille suffisamment raisonnable. Pour ce que la Walkyrie en savait, ils n’avaient plus qu’à tailler dans le tas jusqu’à parvenir au centre du tronc principal. Le « centre nerveux » du végétal devait s’y trouver. Sans quoi, ils étaient plutôt dans le pétrin.

Ne voulant pas envisager le cas où son plan tombait lamentablement à l’eau, Abysse se mit en tête de l’appliquer soigneusement. Vidant son esprit de toute pensées parasites, elle se saisit de son arme qui pour la n-ième fois emprunta la forme d’une faux. Il était temps d’entrer en action et surtout de se montrer efficace, enfin. La valkyrie crispa les machoires. Ses joues se creusèrent. Son regard se fit plus dur. Un vent frais, léger comme une brise matinale vint l’entourer l’espace d’un instant à la manière d’une douce étoffe. Elle ferma les yeux, quelques secondes. Le vide s’opérait en elle. Elle perçut un grognement sur sa droite. Ulrik ne l’avait pas attendue et avait déjà emprunté sa forme la plus dévastatrice. Il était devenu l’animal, l’Ours enragé. Toutes griffes sorties, sa lame aussi large qu’un tronc brandie bien haut, il défiait la plante dans un terrible râle. Abysse sentait le sang battre à tout rompre dans ses tempes. Son rythme cardiaque s’était considérablement accru sous l’effet de l’adrénaline. Son corps anticipait déjà le combat à venir. Elle sentir venir en elle toute la rage et la hargne qu’elle avait accumulé durant tant d’années. Elle avait beau le renier. Elle était une guerrière. Elle avait ça dans le sang. Immanquablement, sa nature la renvoyait aux combats et à la destruction. Elle était une dise liée à la mort des plus valeureux guerriers. Elle était le destin qui survolait les batailles. Elle incarnait chacun des combats les plus âprement défendus. Elle était la guerre. Le carnage. Le sang. La mort.

La mort. On lui avait retiré ce droit il y a bien des années. Elle ne saurait se souvenir de l’époque exacte. Plus elle remontait le temps et plus les souvenirs se faisaient flous. C’était comme regarder à travers le carreau sale de la mémoire, abîmé par les années. Les contours se faisaient de plus en plus abstraits. Abysse ne saurait dire depuis combien de temps elle errait ainsi, depuis combien de temps on lui avait ôté toute raison de vivre mais surtout toute raison de mourir. Le Ragnarök ne l’attendrait jamais. Jamais elle ne combattrait aux côtés d’Odin et des plus valeureux guerriers du Walhalla. Cet honneur lui avait été retiré. A présent, elle se tenait là, immobile et insondable, fantôme impénétrable. Elle n’était plus que l’ombre d’une guerrière déchue. Elle ne représentait plus rien. Et pourtant, elle continuait à combattre. Etre révolté, elle n’abandonnerait jamais. Tant qu’un souffle de vie brûlait en elle, elle se relèverait et affronterait le destin qui la fuyait. Abysse rouvrit les yeux. Wergeld se trouvait en retrait, la panthère dans ses bras. Enfin elle devait plutôt dire sur son bras. Le jeune maître de miroir avait laissé la main à son compagnon, Ayame. Quant à Ulrik, il se battait comme un fauve et causait de terribles dégâts à la plante. Cela ne suffirait pas pourtant. La valkyrie devait les rejoindre. Il était temps.

Armée de son bâton enchantée, la jeune femme s’élança dans un cri de rage. Au moment même où elle entrait dans ce combat, elle était bien déterminée à en finir. Et c’est avec la férocité d’une lionne qu’elle se jeta à corps perdu dans la bataille. Cette mauvaise herbe n’avait qu’à bien se tenir.