Pèlerinage improvisé

La créature semblait nerveuse et ses gestes furent précipités lorsqu'elle me donna des outils de jardinage, dont un seau que, si j'avais bien compris ses mouvements, je devais remplir de la terre qui se trouvait dans le sac en toile.

Cette hypothèse fut confirmer quelques instants plus tard lorsque Karan nous rejoint.
- Bonjour, dis-je enjoué à l'égard du prêtre, j'ai pour habitude de peu dormir, j'ai cette chance de vite me remettre d'une dure journée. Il faut dire que le bain d'hier soir a été salvateur.

Je suivais l'homme et me mis au travail. Faire le jardin était quelque chose de réellement plaisant et cela faisait de longues années que je n'avais pas manipulé la terre.

Remplissant mon seau à proximité de Karan je répondais à son inquiétude :
- Oh oui ne vous inquiétez pas, j'ai connu bien moins inconfortable que vos couches, j'ai très bien dormi.

Le voyant s'étirer après quelques grimaces je le questionnais :
- Êtes-vous blessé ?

Je m’attelais à ma tâche, mon esprit vaquant à droite et gauche :
- Vala semble apprécier cette partie du temple, elle aurait adoré vivre sur Ark, dis-je pensif. Vous auriez vu les parterre de fleurs sur ce monde, à en faire pâlir un arc-en-ciel !

Je vidais mon seau près des trous qui devaient accueillir les cactus.
- Je tapisse le trou du mélange terre-sable ? demandai-je. Je n'ai jamais été fin jardinier mais cette activité reste apaisante.

Ma curiosité naturelle reprenant le dessus je questionnais à nouveau Karan :
- Avez-vous toujours était aveugle ? Hier vous sembliez voir en forêt jusqu'à ce que la pénombre envahisse les arbres ... Comment faites-vous ?

Une fois mon travail effectué j'allais chercher un cactus pour le planter dans le premier trou.
- Si mes questions vous importunes n'hésitez pas à me le dire. Je comprendrais parfaitement que vous vouliez jardiner tranquillement dans la quiétude de ce lieu.

Karan se portait comme un charme. Ses muscles étaient réticents au travail. Réticences vites balayées avec un peu d'échauffement. Le prêtre ramassa son seau lorsqu'il fut plein et alla le vider dans l'un des trous de Vala.

-Oui, elle l'aurait sûrement aimé. Faites comme moi, ne tassez pas trop la terre, les cactus devront respirer.

Vala revint quelques instants plus tard, poussée dans le dos par Sinmora qui revenait vers son maitre. Le loup tout excité par les jeux avec Vala et il était le seul à voir ça comme des jeux, il s'allongea de tout son long au milieu des trous. Chassé aussitôt par Vala qui n'en pouvait plus de ce loup joueur.
Karan les entendait lui tourner autour. Amusant au début et rapidement exaspérant pour un aveugle, il appela son loup d'un ordre doux. Le loup vint s'asseoir à côté de lui.

-Laisse-la donc tranquille.

Avec un sourire entendu et Vala assise en tailleur non loin de moi pour se contenter de me regarder travailler :

-Le jardinage c'est plutôt mon passe-temps. Vala est en revanche une excellente gestionnaire. Sans elle, ce temple n'aurait pas grand chose à servir à ses résidents...

Elle avait les yeux rieurs, Karan également. Avoir de la compagnie pendant son travail n'était pas désagréable.

-C'est vrai que je ne vous ai pas parlé de mon pouvoir. J'ai toujours été aveugle, depuis le tout début de mon existence. En même temps, avant l'Entre-Monde je n'avais aucun souci pour voir. Un peu différemment du reste des gens, certes. Ici, je vois selon les événements. Je ne me sépare jamais de ma canne, il n'y a rien de pire pour une personne atteinte de cécité de devoir se débrouiller sans outil pour se déplacer.

Le jardinier passionné qu'il était commença à répartir les cactus. Vala les avait étiquetté selon les couleurs que donneraient les fleurs. Karan, par malice, ne prévint pas Ayren que s'il restait quelques jours, il ne serait pas déçu de voir les plantes parfaitement mâtures avant son départ.

-Vous ne semblez pas si débutant que ça.

Il observa les plantations du jeune forgeron.

-Qu'en penses-tu Vala ?

Karan ne fut pas surpris de la voir baisser les yeux et regarder ses pattes poilues. Elle n'aimait pas attirer l'attention. Mais sa tête bougeant en cadence signifiait qu'elle était satisfaite également de la disposition.

Je faisais tout comme Karan, ne tassant pas trop les trous, puis attrapant les cactus je les plaçais dedans. Je défaisais un peu les racines pour qu'elles puissent s'étendre sans difficulté dans le mélange terre-sable.

J'écoutais Karan me parler de son pouvoir, et je devais avouer avoir du mal à visualiser, sans mauvais jeux de mot, comment il fonctionnait.
- Tu vois selon les événements ... Comme avec l'ours ? Tu as décelé ses déplacements ?

J'observais Sinmora toujours assit près de son maître. Et Vala qui nous observait, sans jamais croiser mon regard directement. Je souris lorsqu'elle baissa son regard gêné que le prêtre lui demande son avis. J'en profitais pour glissais :
- Donc si je comprends bien Vala est le chef d'orchestre de toute cette belle symphonie ?

Je fis mine de caresser ma barbe naissante :
- Chapeau bas l'artiste. Enfin les artistes. Il fait vraiment bon vivre ici,
et je vais peut-être rester un peu plus longtemps. C'est une très belle découverte ce temple.

Je me sentais serein, libéré même. J'avais l'impression d'être dans un autre espace temps, j'oubliais le passé, le quotidien, le futur. J'étais dans une bulle, et malgré la mésaventure de la veille mes pensées vaquaient aux fleurs, à l'air sain, à l'apaisement.

- Y-a-t-il une bibliothèque ou un lieu de lecture ? J'aimerais bien connaître la légende du Dieu de ce temple. A moins que vous ne souhaitiez me la conter pendant que nous continuons à embellir ce lieu.
Je ne voulais pas embêter mon hôte avec mes questions mais ma curiosité l'emporter, encore une fois.

Je plantais mon dernier cactus, je n'étais pas peu fière de nous. J'osais parler directement à la créature espérant ne pas la faire fuir.
- Vala ? Y-a-t-il autre chose que je puisse faire pour t'aider ?

Tous trois aimaient se sentir utiles. Il y avait de la bonté en Ayren autant que pouvait le voir le prêtre. Pour ce moment de simplicité, l'ancien soldat ne faut pas d'avoir abandonne la condition des dieux. Cette vie serait plus courte et mieux remplie.
Il chercha à taton sa canne posée au sol. Sin l'avait trouvé avant lui et la fit rouler jusqu'à ses doigts. L'animal était debout, calé contre sa cuisse. Sa fourrure rugueuse le démangeait agréablement.
Karan se releva et étira son dos.

-Malheureusement, je n'ai aucune salle de lecture à disposition. Il y a quelques ouvrages dans mes quartiers, ce ne sont que des divertissements...

L'aveugle glissa sa canne sous son bras et tendit la main devant lui.

-Je vous montre l'autel, un livre sur un pupitre relate quelques éléments d'information sur Na'keisärin. Ou bien, vous pourriez explorer le dôme. Tout autour de nous, vous verrez des œuvres sur les murs ou cachées par la végétation. Elles ont aussi quelques histoires à raconter.

Karan pensa alors aux Galeries non explorées, au delà des murs des bains. Vestiges du Temple que les bâtisseurs n'avaient conservées pendant la restauration des principales salles du Temple. À dessein, supposait-il, car les couloirs n'étaient pas sûrs et trop difficiles à remettre en état.

Des vestiges à découvrir ? Mon cœur s'emballait. Je me découvrais historien amateur, adepte de ruines et autres décombres, reflet présent d'un passé oublié.

Je me dirigeais vers l'autel que m'indiquait Karan et y trouvais le livre dont il me parlait. Il n'était pas bien épais, et la légende qui entouré le Dieu Na'keisärin, signifiant "celui qui vient de la terre", occupait à peine plus d'une page. Une carte dessinée montrait un monde plat et uni en une seule terre. De par les aléas de mère Nature une nouvelle carte fut dessinée, fragmentée, en relief.

Une montagne représentait un dragon de pierre, le Dieu de ce temple sans nul doute. Un Dieu n'est du choc entre deux plaques terrestres.

Je fus surpris de découvrir que ce Dieu était celui du Miroir de Souen. Je savais que le dragon représentait mon Miroir, mais de savoir qu'il s'agissait d'un dragon né de la Terre ... Le Destin m'avait mené ici, un temple loin de ce que je connaissais, loin de mes pratiques ... Un Temple qui raconte les origines de mon Miroir. Belle découverte !

Je continuais à feuilleter les pages du livre avec délicatesse, avide d'en connaître davantage sur ce Dieu et ce Temple mais la légende décrivait avant tout la naissance du Monde et s'attardait quelque peu sur le peuple des hommes.

Je partais alors à la découverte du dôme et de ses secrets, profitant de l'ambiance de ces lieux si sereins. Je me baladais au gré de mes envies, laissant mon regard fureter ci et là. Je ne découvris que quelques, ce qui semblait être, peintures primitives. Dont une représentant la naissance du dragon Dieu. DU moins c'est ce que je supposais.

Cette chasse archéologique me ravie, et le temps fila sans que je ne m'en aperçoive. Je retournais auprès de Karan lui expliquant mes découverte. Un creux dans mon ventre m'indiquait qu'il était temps que je mange. Et à contre-cœur j'annonçais à mon hôte que je resterais encore cette journée mais je repartirais à l'aube le lendemain. Sans les pèlerins je pourrais mettre Ice au galop pour retrouver la forge au plus vite.

- Avez-vous des activités de prévus pour cet ... Je doutais de l'heure et n'avais aucun repère temporel pour m'aider. Après-midi ? Fin d'après-midi ?
Je doutais que la soirée ne soit déjà entamée cependant.

Karan, sous la supervision de Vala, réparait un banc abîmé par les allées et venues des voyageurs. La petite créature n'était pas bricoleuse, elle compensait par son efficacité à remplir de café la tasse du prêtre.
Sinmora dormait dans un coin et le réfectoire était vide. Les occupants étaient pour partie à l'extérieur et le reste du groupe dormait dans le dortoir.
Le vieux soldat avait presque terminé de réparer le banc quand Ayren revint de son exploration du dôme.
C'était le moment parfait pour tester la solidité de ses réparations. Karan eut la satisfaction de ne pas finir les quatre fers en l'air. Le banc tenait bon sous son poids.
Il fut glisser une tasse fumante vers Ayren.

-L'après-midi, dit-il. Que diriez-vous de m'aider à ramasser du bois ? Ils annoncent de la pluie pour plusieurs jours et rien de tel qu'un bon feu pour chasser l'humidité des murs. Et puis, vos animaux pourraient apprécier une balade avant la tombée de la nuit.

Le prêtre récupéra un chariot que Vala avait préparé.

- Sinon, je vous laisse aller récupérer les livres dans mes quartiers. Je ne connais pas vos goûts en matière de roman, mais l'un d'eux pourrait vous plaire.

Sans hésitation aucune j'acceptais la mission du Prêtre. Il avait raison, Ice pourrait ainsi se dégourdir les pattes et chasser.

- Tans que nous ne rencontrons pas d'ours. Dis-je en riant. Peut-être vous emprunterai-je un livre pour la nuit, cela m'aidera à trouver le sommeil.

Armé de ma bonne humeur je pris la direction de la sortie sans vraiment demander mon reste. Une fois dehors Ice rugit dans un bâillement avant de s'élancer à la poursuite de je ne savais quelle proie.

- Vous préférez de petites ou grosses branches ? Ou les deux ? demandai-je en m'éloignant un peu du sentier avant de commencer mon ouvrage.

Je ramassais donc le bois sous la direction de Karan pendant un long moment, nous devions refaire les réserve du Temple pour être en paix les jours de mauvais temps qui allait se profiler sous peu d'après les dires du jeune homme.

Un bruit vint caresser mon tympan, lorsque je tendis l'oreille seul le vent dans les feuille se fit entendre. *Sûrement ai-je rêvé* me dis-je à moi même.
Mais la symphonie repris quelques minutes plus tard, un chant cristallin, l'eau le vent qui glissaient à mon oreille en une mélodie enivrante. Un récital de la nature !
- Qu'est-ce donc que ce son ? demandai-je à mon hôte.

Je fermais les yeux pour savourais cette musique lorsque le silence repris son droit. Je me retournais alors pour réitérer ma question :
- Karan ? Il n'étais plus là, j'étais seul dans le silence de la nature. M'étais-je trop éloigné ?

- Karan ? redemandai-je plus fort.
Aucune réponse ... Je fronçais des sourcils, le chant magnétique reprit.

- Ice ?! Appelai-je avec force. Mon Sampal arriva quelques minutes après en rugissant. Le chant se mua en complainte assourdissante avant de se stopper net une nouvelle fois.

Allons bon que se passait-il encore ?

Il ne l'entendit que lorsqu'il fut trop tard. Le soldat découvrit la voix avec effroi, la magie tiraillait sa conscience. C'est à cet instant qu'il se retrouva seul. Sin était là comme toujours le visage paniqué de son maître déclenchait chez lui une routine automatique. Le loup se glissa contre sa cuisse et dressa les oreilles.

-Sin. Cherche Ayren et Ice.

Le loup cybernétique s'élança quelques mètres devant eux et le robot enfouissant son nez dans les feuillages et la mousse. Un grognement métallique prévint Karan que l'animal avait trouvé une piste. Le prêtre tendit une main bientôt posée sur le harnais du loup.

-Bon chien. Maintenant, on y va.

Le chant n'était pas toujours audible. Le voyageur avait le temps de se perdre avant de se rendre compte du subterfuge. Les deux hommes avaient leurs compagnons pour les guider et la musique recommença sans réussir à le perdre à nouveau.

- restons sur nos gardes.

Le loup reconnu un mot clef et se fit très attentif.

- Évitons de rentrer blessés...

Karan lâcha le loup et découvrit sa vision. En noir et blanc la forêt était un spectacle qui ne le lassait jamais. C'était un de ses jours où tout bascule aisément aussi il dégaina l'épée dans sa canne.

-Qui que vous soyez, dit-il au vent, nous ne serons pas faciles à tuer...

Spoiler:

Je continuais à marcher, Ice sur les talons. Des bruits de fougères me stoppa. Je sommais mon sampal de s'arrêter d'un signe, ses oreilles on avant il humait l'air la gueule ouverte.

Très vite je compris en voyant apparaître le museau de Sin.
- Karan ! m'exclamai-je soulagé.

Je rejoignis l'aveugle avant de lui demander :
- Sais-tu ce que c'est ?

Le chant reprit, et la complainte cette fois était plus claire. Un appel à l'aide. Ice gronda, visiblement agacé par cette plainte.

- Okay allons par là, désignais-je l'endroit où Ice feulait.

Je m'y dirigeais prudemment, lorsque le bruit de l'eau finit par se faire entendre.
- Il y a un lac ici ?

Je continuais mon chemin, pour finir devant un petit cours d'eau. Le chant y était doux, mélancolique. Une nymphe fit son apparition, translucide, mince, chantante, larmoyante.
- Voici d'où vient le chant, marmonnai-je subjugué par la créature.

J'avançais jusqu'à mettre les pieds dans l'eau, le chant se mua une nouvelle fois en plainte assourdissante me vrillant le tympan. Je reculais d'un pas avant de trébucher, tombant dans l'eau. Le cours d'eau n'était pas profond au contraire, pourtant l'eau commençait à me recouvrir, le courant s’accentuait glissant sur mon torse, jusqu'à mon cou où une prise sembla se resserrait. Ice rugit, je le voyais se débattre du coin de l'oeil contre des bras d'eau.

Je regardais Karan, la panique me prenant, incapable de prononcer un mot, l'eau me bâillonnant la bouche.

-Je n'en ai aucune idée.

Ice la trouva avant eux, le sampal n'avait pas rencontré de difficultés pour découvrir une nymphe et ses eaux.
Karan et son bois sous le bras aurait préféré retourner au temple. Il savait d'expérience que tout créature qui veut vous perdre, a des raisons très spécifiques pour s'y essayer. Parce qu'ils étaient dans Ing, forêt aux mille monstres, il retint au bras Ayren avant que ce dernier n'entre dans l'eau. Ne sachant quoi dire pour justifier son geste, il le laissa faire.

-Il nous faut être prudent, Ayren.

Le chant couvrit sa remarque alors Karan contre son gré s'approcha du bord de l'eau. Ses yeux distinguaient les détails de la nymphe et les remous du cours d'eau. Le chant devenu un cri d'angoisse, le soldat s'élança dans l'eau.
Il leva sa canne, épée rengainée et frappa la nymphe. La créature prit la fuite sous les yeux du prêtre. Les bras d'eau faiblir. Plongeant les siens vers Ayren, Karan se fit aider de Sinmora pour le ramener sur la rive.

Donnant de son bras à Ayren pour l'aider à se relever, Karan saisit son épée dans l'autre et la brandit comme une menace devant eux.

-Sin, garde !

Le loup campé sur ses pattes grognait contre le ruisseau.

-Je suis désolé de vous dire que notre promenade n'est pas aussi calme que je l'avais imaginé au départ.