La guerre est déclarée [Conseil des Maîtres]

Le Tiers laissa les membres de cette assemblée s'exprimer. Ce débat était le leur, et lui marchait sur un fil. Il lui fallait être pertinent et convainquant alors autant ne pas parler de ce qu'il ne connaissait pas. L'un des hommes - un des dirigeants semblait-il - lui posa une question. Il fut imité par un aveugle. Mahaut garda le silence le temps d'avoir une ouverture dans le débat.


Mahaut fit une pause. L'Aîné ignorait s'ils étaient prêts à entendre ce qu'il allait dire, mais il serait direct et franc. Il n'était plus à un risque près.


Ces derniers mots firent monter la colère en Mahaut. Depuis des siècles ils s'acharnaient à trouver un moyen de contourner le serment. Ces faux-dieux méritaient bien pire que la mort. Pour toutes les soeurs et tous les frères tombés à cause d'eux. L'aîné ne savait que dire de plus. Qu'est-ce qui pouvait pousser les huit à vouloir contourner le pacte ? Non seulement, il ne le savait pas, mais il y avait eu bien trop de souffrances pour que cela l'intéressa. Quant à une solution...

l'Infini pourrait vous protéger, mais je ne peux parler en son nom et même dans ce cas vous encourez le courroux des huit. Si vous voulez une solution sans victimes je suis au regret de vous dire que je n'en voit pas. Il n'y a pas de guerre sans victimes et quelque soit le camp que vous choisissez vous êtes sur le point d'entrer en guerre.

Une nouvelle pause. Un soupire s'échappa des lèvres du frère de la Silnà.

N'y voyez aucune menace, mais si vous accédez à la requête des huit, sachez que nous nous défendrons.
J'espère que vous pouvez comprendre ça.

Mahaut croisa ses bras dans le dos. Il ne voyait pas quoi dire d'autre... si ce n'est... Il ne pouvait faire de promesses dont il ignorait si elles pouvaient être tenues.

Sur un carnet, la bille délicate d’un stylo en or blanc roulait avec précision. Dinu Mihai notait patiemment les arguments de chacun. Si elle avait été un jour assistante, elle aurait été particulièrement efficace dans ses comptes rendus.
Heureusement, elle n’avait jamais été assistante. Il ne manquerait plus que ça !

Elle se laissa cependant interpeller :

-Vous défendre… Vous vous cachez depuis des siècles, cela ne vous mets pas en position de force pour vaincre un territoire aussi vaste et puissant que l’Entre-Monde ! Militairement, nous n’avons rien à craindre de la Silnà.

Civilement, ces gens qui vivent dans l’ombre pourraient peut-être causer des dégâts. Mais Dinu Mihai se fiche bien des attentats, ce ne sont que des occasions nouvelles d’investir en des lieux d’ordinaires difficiles d’accès.

-Ce qui ne veut pas dire que nous pouvons nous permettre de refuser l’injonction divine.

Elle se mordit la langue avant de continuer. Voilà qu’il lui en coûtait sérieusement de dire ce qui lui semblait être une solution logique :

-Il nous coûtera moins cher en vies et en ressources de faire ce qu’ils demandent. Nous verrons bien où cela nous mène.

Elle notait en marge les quelques informations communiquées par inattention : l’impulsivité de Souen, la compassion déguisée de Tchen, K’ouen toujours aussi borné quand il s’agit de protéger les siens, à croire que l’Entre-Monde n’existe que dans la zone du dehors.
Mahaut. Son visage tout d’abord, sa posture, typiquement celle d’un soldat.

La Silnà se défendra. Ils ont donc encore assez de population pour cela. Quelles chances ont-ils ?
Ont-ils réussis à récupérer de l’armement de l’Entre-Monde ?
Ils bénéficient de la protection de l’Infini, il existe donc bel et bien un neuvième dieu. Un neuvième capable de protéger un peuple… 1 contre 8.

-Comment l’Infini a-t-il réussi à arracher un tel serment aux huit, n’est-il pas seul face à huit autres ?

Avait-elle envie de remettre en question son statut plutôt confortable dans l’Entre-Monde ? Non. Bien sûr que non. Mahaut avait soulevé des questions intéressantes quant aux alternatives qu’ils leur restent :

-Et vous nous dites que les miroirs appartiennent donc à l’Infini. Il se pourrait que cela soit la solution alternative demandée par notre prêtre de Na’keisarin… Leur extinction n’est peut-être définitive.

Qui mieux que la banquière pouvait envisager un projet aussi énorme que de réactiver les miroirs ? Personne. Elle était la seule en mesure de déployer des moyens efficaces pour trouver le moyen de les ré-ouvrir.
Et elle sera sûrement la première à quitter ce monde quand ce sera de nouveau possible !

Si Xénon avait eu un cœur, il aurait sûrement bondi dans sa poitrine. Rouvrir les miroirs ? Était-ce vraiment possible ? Mais non, non. Il força son processeur à ne pas s'emballer.

"Rouvrir les miroirs pourrait nous donner accès à de nouvelles routes commerciales, des armes, peut-être des alliances militaires avec d'autres mondes. Mais cela représente de nouvelles ressources, pas une solution en soi," répliqua-t-il à Dinu Mihai, d'une voix qui trahissait malgré lui son trouble.

Il jeta un coup d’œil en coin à Wergeld. Le voir assis à ses côtés calma un peu de son désespoir et raffermit sa conviction.

"Bien que certains d'entre nous n'hésiteraient pas à fuir ce conflit, d'autres ont bâti une vie, ici. D'autres y sont nés. Ils ne partiront pas. Avec ou sans les miroirs, il existera toujours un Entre-Monde, et tant qu'il existera un Entre-Monde, les Dieux attendront notre réponse. A moins que la Silnà soit prête à quitter cet univers si on lui en donne la possibilité ?" ajouta-t-il à l'intention de Mahaut, sans guère y croire.

Une autre chose le tracassait dans ce qu'avait dit Mahaut. Si les Dieux ne pouvaient toucher directement son peuple, alors Augure avait plus raison que jamais. Les Dieux leur avaient soigneusement ordonné de "livrer" la Silnà, mais même une fois ceci fait, ils ne pourraient les exterminer eux-mêmes. Le prochain ordre qu'ils donneraient à l'Entre-Monde était facile à deviner. On parlait bel et bien d'un génocide.

Et pourtant, ils ne pouvaient sacrifier tout l'Entre-Monde pour souscrire à la morale. La responsabilité des Maîtres portait avant tout sur leurs citoyens.

"Résister aux armées qui se pressent à nos frontières, c'est une chose. Nous en avons les moyens. Mais comment résister à 8 Dieux décidés à nous exterminer ? A l'heure actuelle, refuser leur demande ressemble à rien de moins qu'à un suicide collectif. Je suis contre l'idée d'exterminer votre peuple, Mahaut, mais si vous ne pouvez rien nous offrir en échange de notre soutien, je refuse de sacrifier l'Entre-Monde en vain. Rouvrir les miroirs, la protection de ce que vous appelez l'Infini... Il nous faut quelque chose."

Au paroles de Xénon mon cœur fit un bond, cette décharge d'adrénaline manquait de me faire sursauter sur mon siège. Quelque chose dans l'enchainement des évènements me sautaient aux yeux et personne autour de cette table ne semblait avoir compris la même chose.
Je me demandais si je ne faisais pas erreur tant j'étais pressé de trouver une solution qui contenterait tout le monde. Celle où nous n'aurons pas à tuer la moitié de leur population et la moitié de la nôtre.

Nerveusement, je triturais l'oreillette vacante du baladeur. C'était au tour d'Ambre de parler et... L'oreille n'était plus qu'un amas de plastique et de métaux entre mes dogits.

Mon adrénaline se changea en une autre sensation tout aussi familière. Jusqu'à maintenant, les piques lancées ça et là en plein conseil, par pure tradition, se voulaient plutôt sobres ; mais celles-là manquèrent de me faire m'étrangler tant je fis un effort au delà de mes réserves habituelles pour ne pas aller l'emplafonner.

-Ici, je ne vois pas beaucoup de gosses sinon notre représentante des sanctuaris, dis-je sévèrement. Pour un premier conseil, tu devrais commencer par apprendre à tenir ta langue quand le temps n'est pas à la plaisanterie. Ou bien as-tu seulement l'intention de nous faire perdre notre temps ?

Un luxe qu'aucun ne pouvait se permettre aujourd'hui. Déjà la frontière fourmillait et l'angoisse d'une guerre ouverte avec les dieux menaçait de faire imploser les quartiers.
Je serrai les dents en sentant une vague de colère tenter de s'échapper de mes membres. Ce n'était pas le moment de faire trembler le sol, encore moins celui d'une syncope même passagère.

En me tournant vers l'assemblée, je tâchais de reprendre un peu mon calme. Car j'avais peut-être la solution à tous nos malheurs.

-Je crains que notre débat ne mène à rien car nous sommes obligés de nous allier à La Silnà.

Cette annonce faite.

-Ce n'est qu'une solution temporaire et elle ne servira qu'à gagner du temps....

J'ai l'impression d'avoir découvert la formule pour changer le plomb en or.

-Les dieux nous demandent de livrer la Silnà parce qu'ils ne peuvent les trouver eux-même. Et si Mahaut dit vrai, ils ne peuvent pas non plus s'en prendre directement à eux... A moins que je ne me trompe, tant que la Silnà reste sur notre territoire, les dieux ne peuvent rien nous faire au risque de tuer par mégarde ceux qu'ils n'ont pas le droit de toucher. Surtout si notre propre population est susceptible de posséder des individus au sang mêlés.

A Mahaut, je parlais maintenant directement :

-Pour vous aussi, tant que la Silnà reste dans l'Entre-Monde, vous êtes protégés par le doute qui subsiste sur les origines des nôtres. Après tout, nous sommes un peuple de voyageurs, il sera difficile, même pour les dieux, d'enquêter sur ces voyageurs aux allées et venues nombreuses au cours des siècles pour déterminer qui partage le sang de la Silnà. Car mêmes ceux venus d'ailleurs pourraient avoir un ancêtre de votre peuple. Et il nous est impossible de savoir qu'elles ont été les unions faites dans d'autres mondes.

Cela nous permettait d'éviter la quasi majorité des catastrophes naturelles à risque... Tant que la Silnà reste, bien sûr.

-Et cela signifie aussi que pour notre survie à tous, nous devons nous allier. Je propose de nous décider une bonne fois pour toute. Nous avons suffisamment perdu du temps à étaler nos arguments respectifs.

En levant les yeux pour un tour de table d'inspection :

-Que chacun donne son avis : pour ou contre l'alliance. Mahaut, je vous invite à parler le premier.

- Contre.

Je ne lève pas la main, ni ne croise les bras pour m’enfermer dans un mutisme buté.

Ma voix n’est ni désolée, ni chargée de colère. Elle est posée. Je sais que je ne peux pas demander pardon à ce Mahaut. A ces yeux, je viens surement de vendre mon âme aux Huit. Et pourtant, je ne peux pas ne rien ressentir. Après tout, un peuple va souffrir. Mais le nôtre ne sera pas à l’abri.

- Toutefois, je veux préciser que je comprends votre demande, Seigneur Mahaut. Il n’est nécessaire de stigmatiser encore plus votre peuple. Si ce conseil officialise cette alliance, je voterais favorablement cette garantie.

Et si le conseil votre ce partenariat… Comment me présenterais-je devant le temps du Dieu Oiseau ?
Je ne peux livrer l’Entre-Monde à une guerre ouverte, et les préceptes Divins demandent l’obéissance. Nos Dieux sont certes colériques, mais ils sont Puissants. Je ne peux décemment pas simplement tourner le dos à ma croyance.

Étions-nous finalement ceux à qui cette alliance allait le plus coûter ?

Dans mon crâne fusaient déjà des tonnes de questions. De combien de réfugiés potentiels parlons-nous ? Comment allons-nous nous protéger de la colère Divine ? La dernière fois, les îles de Ciel étaient devenues de gigantesques épées de Damoclès.
Comment gèrerons-nous la situation ? Comment apaiserons-nous les révoltes ?

Et finalement… Est-ce que cette Silnà respectera notre alliance ? Nous ne savons toujours rien de ce peuple, son histoire, son origine…

Karan leva haut un sourcil surpris quand K'ouen énonçait ce qui ressemblait à un plan. Il connaissait le jeune homme pour son tempérament et ses talents de chasseur, tête brûlée même, mais pas pour sa vivacité d'esprit.

-Quand bien même les membres de la Silnà évacuaient discrètement notre territoire, le doute subsistera aux yeux des dieux. Ce qui revient au même...

Karan se redressa et :

-Je suis pour. J'ai cependant quelques doutes sur l'année qui nous attend. Tout comme Hüter je m'inquiète des conséquences sur le moral des croyants. Ils sont plus nombreux que vous ne le pensez. Xénon l'a soulevé avec raison, nous sommes habitués à la liberté, cette angoisse et de potentielles stigmatisations des Huit ne feront qu'accroître les tensions... Et puis, Les dieux ne pourront peut-être pas s'en prendre à nous en faisant tomber les îles volantes, mais il leur reste bien assez d'atouts en manche pour nous convaincre. La Silnà n'a-t-elle pas subie famine et exile pendant des millénaires malgré la protection de leur dieu ?

Karan se demandait ce qui obligeait les dieux à respecter leur serment coûte que coûte. Si la Silnà devait être éliminée par tous les moyens, le faire eux-mêmes irait bien plus vite. La perte des miroirs ne serait pas un mal si dur après tout.

Il se pencha pensif sur la table et questionna une nouvelle fois Mahaut, espérant que l'homme avait autant de réponses qu'ils l'espéraient tous.

-Pourquoi les dieux ne brisent-ils pas leur serment ? En quoi est-ce si important pour eux de conserver les miroirs ?

Nij balaya son regard sur l'assemblée avant de bailler et de croiser les bras, désintéressé. Il n'avait que faire de tous ces débats, il voulait de l'action, il voulait qu'on aille leur déclarer la guerre à ces foutus dieux de malheur et qu'on arrête de bavasser pour rien ! L'oiseau bailla à nouveau puis essaya de s'intéresser un minimum à ce qu'il se passait. On parlait quand même se la sécurité de l'Entre-Monde et aussi de son territoire bien que ce dernier soit en hauteur. Ce qui pour autant n'impliquait pas qu'il soit épargné par ces choses qui imitaient des dieux. Même de vraies divinités ne s'abaisseraient à des choses aussi... En faite si, ces créatures étaient capable de tout.

Il releva subitement la tête de sa longue contemplation des poissons dans ce bassin au centre de la table lorsque Wergeld énonça une idée qui pourrait raccourcir ce long débat et amener à enfin aller taper sur quelque chose. Parce que parler c'était bien, mais agir c'était mieux.
S'allier avec la Silnà... Pas mal comme idée, même très pertinente. Pour une fois, il reconnaissait que ce bourrin de maître avait eu une très bonne idée. L'oiseau écouta l'avis de chacun et lorsque ce fut à son tour de parler, il n'hésita pas un instant :

- Je suis pour, cependant je rejoins l'avis d'Augure, je souhaite savoir avec qui je fais alliance.

Il se tourne ensuite vers Karan:

- On s'en fout de ça, y cherchent à détruire l'Entre-Monde, la raison pour laquelle ils veulent garder les miroirs on s'en balance ! Bon, c'est quoi notre stratégie pour aller leur refaire le portrait ? dit-il en envoyant tout le reste du conseil d'un revers de main.