Vagabondages [pv Abysse]

Gwendal n’eut pas beaucoup de mal à reconnaître l’endroit où ils venaient d’atterrir. La jeune femme pensait qu’il avait opté pour la première fenêtre ouverte afin d’effectuer son atterrissage en catastrophe. Visiblement, il avait bien calculé son coup. Bien sûr, il fallait omettre l’emplacement de l’armoire et la largeur de la fenêtre. A ces détails près, le plan semblait plutôt bien ficelé. Enfin, tout ceci, ce fut ce que pensa la valkyrie avant que les évènements ne s’enchaînent un peu trop vite. Avant cela, elle eu le temps de s’épousseter pendant que le jeune maître de miroir prenait son temps pour retrouver ses esprits et se remettre sur pied. Face à la ténacité de cette poussière blanchâtre sur ses vêtements, Abysse opta pour une solution plus radicale. Elle ferma les yeux et inspira profondément. Un vent impétueux s’engouffra alors par la fenêtre encore grande ouverte et vint s’enrouler rapidement autour de son corps. En quelques secondes, ses vêtements se trouvaient débarrassés de toutes ses poussières. Cette dernière s’en était allée en compagnie de ce vent visiteur et peu naturel.

Pendant ce temps, Gwendal était allé jeter un coup d’œil dans le couloir sur lequel donnait la pièce où ils se trouvaient. D’après ses dires, l’endroit était sûr. Abysse du admettre qu’elle restait légèrement perplexe devant ses connaissances du lieu. Il était certain que le jeune homme y avait mis les pieds plus d’une fois. De plus, d’après ses dires, il ne s’agissait par du genre d’endroit les plus fréquentables. Se sentant légèrement perdue dans ce bâtiment sombre et inconnu, Abysse concéda de le suivre en silence. C’est alors qu’un homme fit son apparition et braqua sur une une étrange arme. Abysse en avait vu quelques unes au cours de ses voyages dans l’Entre-Monde. Cela ressemblait à des bâtons de feu à ceci près que ceux là pouvait faire très mal. Elle en avait déjà fait l’expérience en recevant une de leur « balle » dans la cuisse droite il y a de ça des années. Abysse n’en avait pas gardé un excellent souvenir. Elle avait beau se trouver immortelle, elle n’était pas insensible à la douleur pour autant. Elle avait reçu un nombre incalculable de flèches et autres petites projectiles dans les membres mais ces balles que crachaient ces armes à feu étaient vraiment coriaces. La jeune femme opta donc pour garder profil bas lorsque l’inconnu les menaça avec. De plus, elle n’avait pas sur elle son bâton Dejarin. Elle ne portait que sa petite dague. Bien qu’elle sache manier à la perfection les armes blanches de petit calibre, elle doutait de pouvoir rivaliser avec un coup à bout portant de ce flingue.

Pour le moment donc, l’heure n’était pas à l’action. Abysse avait beau être née guerrière et avoir combattu toute sa vie, elle savait reconnaître les moments où il fallait se battre ou non. Pour l’instant, elle devait attendre son heure. Gwendal, quant à lui, semblait avoir opté pour la même résolution. Ainsi, les deux jeunes gens suivirent leur agresseur tandis que ce dernier prévenait ses compagnons. Hélas, trop sûr de lui, il tourna l’espace d’un instant la tête afin de s’adresser à ses compagnons. Abysse ne releva même pas son insulte qui visait à les comparer à de vulgaires vermines. Non, elle avait un tout autre plan en tête. En une fraction de seconde, elle se trouvait sur l’homme. Elle venait de dégainer sa dague. Sans un bruit, le coup fila. Elle lui tordit le poignet en une clé de bras particulièrement douloureuse tandis que sa lame venait se glisser le long de sa gorge. Pas à un seul moment la jeune femme n’avait hésité. A présent, elle pressait son corps tendu contre celui de l’inconnu. Elle vint alors lui susurrer à l’oreille quelques menaces.

- Ne serait-ce qu’un bruit et je t’achève sur le champ.

Un rictus de douleur déforma le visage de l’inconnu. Abysse venait de jouer un peu sur l’articulation de son poignet. L’homme acquiesça avec difficulté. Il avait saisi le message. La valkyrie plissa les yeux et jeta un rapide regard à Gwendal. Elle lui désigna le couloir des yeux. Elle ne connaissait pas les lieux. Elle resserra encore sa torsion sur le poignet de l’homme et ce dernier lâcha son arme. Abysse amorti sa chute avec la pointe de son pied avant de faire glisser l’arme en direction du maître de miroir. Maintenant, ils étaient armés. Le regard de la jeune femme s’était fait dur depuis qu’elle était entrée en action. Elle n’avait pas hésité et s’était jetée sur leur agresseur. Sûre d’elle, elle se savait entièrement capable de retourner la situation. Maintenant, la suite s’avérait plus compliquée. Elle ignorait combien d’hommes se trouvaient en bas et dans combien de temps ils auraient l’idée de monter pour jeter un coup d’œil. Elle ne savait pas non plus où ils devaient se diriger. En d’autres termes, elle avait su prendre les directives l’espace d’un instant. Désormais, elle laissait la main à Gwendal. Elle ne pouvait plus que lui servir de compagnon d’arme et de couverture tout au plus. C’était à lui de les sortir de ce pétrin. Abysse s’en voulait de se trouver aussi impuissante. De dépit, elle crispa les mâchoires. Inconsciemment, le fil de sa dague vint se rapprocher un peu plus du cou de sa victime. Cette dernière poussa un soupir un peu plus long. Abysse desserra légèrement son étreinte, consciente de se montrer un peu trop tendue.

Une fois de plus, la situation se renversa en un battement de cil. Abysse avait réussi à prendre le dessus sur leur agresseur et, maintenant, ses acolytes venaient de prendre le dessus sur eux. Retour à la case départ. La jeune femme du remettre à regret sa dague tandis qu’on pointait encore une de ses armes à feu dans le dos de Gwendal. Ce dernier, conciliant, lâcha aussi son arme. Les agresseurs étaient trop nombreux et trop bien armées. Il valait mieux faire profil bas. La valkyrie savait reconnaître lorsque le combat était perdu d’avance. Elle avait beau être théoriquement immortelle, elle n’était pas assez téméraire pour tenter l’impossible et être gratifiée de quelques trous dans la peau. Bien qu’elle demeurait un être banni et répudié des siens, elle tenait beaucoup trop à la vie pour prendre autant de risques. Ainsi, il était temps pour elle de baisser les armes et de s’avouer temporairement vaincue. Il valait mieux prendre son mal en patience afin de saisir un moment d’inattention pour inverser la donne.

On les conduisit jusqu’au reste du groupe. Au centre de la salle mal éclairée se trouvait une vieille table aux pieds massifs. Un homme releva alors la tête et leur jeta un coup rapide coup d’œil. Un bref éclat traversa son regard lorsqu’il vint croiser la silhouette de Gwendal. Il le connaissait. L’inconnu s’adressa alors au Maître de Tchen. Impassible, du moins en apparence, ce dernier lui répondit sur un ton grave et dénué de tout sentiment. Cependant, l’impertinence du jeune homme froissa un des hommes dans la pièce à en juger par le claquement sec d’un percuteur. Abysse demeura immobile. Cloitrée dans son silence, elle tentait de garder le calme et d’analyser la situation. Son regard se perdit un moment sur l’homme qui s’était adressé à Gwendal. Il n’était pas spécialement agréable à regarder. Les armoires à glaces qui l’entouraient ne l’étaient pas non plus à dire vrai. Avec une stature pareille, ils pouvaient rivaliser avec Ulrik, le second du Fenrir. Autant dire qu’Abysse n’aurait pas aimé se frotter à eux.

L’espace d’un instant, l’imposante silhouette du Fenrir revint en mémoire à la valkyrie. Elle l’avait abandonné tôt ce matin aux mains d’Ulrik pour s’en aller vadrouiller. Une sombre pensée traversa l’esprit de la jeune femme. Et si elle ne revenait jamais ? Que ferait Ulrik ? A dire vrai, Abysse connaissait déjà à moitié la réponse. Il était certain que si elle ne lui donnait pas de nouvelle avant la fin de la journée, il partirait à sa recherche. Et, le connaissant, il mettrait à sac le quartier pour la retrouver. Il se pourrait même qu’il remonte la trace de ses hommes. Alors, à ce moment, dieu seul saurait ce qu’il adviendrait d’eux. Un frisson parcouru son dos, Abysse chassa ses sombres pensées. Non, elle n’allait pas y rester. Elle rentrerait ce soir et prendrait le temps de raconter à son second sa journée, devant une chope d’hydromel. Ses joues se creusèrent lorsqu’elle crispa les mâchoires. La valkyrie peinait à garder son calme. Elle ne supportait pas la situation dans laquelle elle se trouvait et puis, elle s’inquiétait pour son navire. Il n’était pas dans ses habitudes de s’y absenter aussi longtemps sans une véritable raison.

Pendant ce temps, Gwendal venait de présenter la jeune femme sous un faux nom. Abysse du se concentrer afin de conserver son sérieux. Le nom dont il venait de l’affubler la fit rire intérieurement. Où avait-il pu trouver pareil nom ? Cela lui faisait penser plutôt à une jeune naïade ou une indienne égarée. Dans tous les cas, ce nom ne correspondait pas vraiment à la valkyrie. Cependant, Abysse avait compris le petit jeu auquel jouait son compagnon. Un clin d’œil de sa part la conforta et elle fit mine de jouer le jeu à son tour. Ainsi donc, elle s’appelait Naïtiri et lui Gérard. Toujours silencieuse, Abysse se contentait d’observer les échanges. Elle n’avait pas vraiment son mot à dire dans l’histoire. Elle ne les connaissait pas. Elle n’avait rien à leur dire. Et puis, Gwendal se débrouillait plutôt pas mal. Elle n’allait donc pas s’amuser à lui mettre des bâtons dans les roues. Une question vint effleurer l’esprit de la jeune femme : d’où se connaissaient-ils ? Abysse prit soin de retenir la question afin de la poser au jeune homme plus tard, pour un moment plus opportun.

C’est alors qu’un des hommes de main vint se placer près de la valkyrie. Il lui jeta un regard salace et la détaille de haut en bas. Abysse fronça les sourcils. Elle n’aimait pas vraiment le rictus intéressé qui défigurait la face de cet homme. Ce dernier s’adressa alors à elle sur un ton inquiétant.

- Dis-donc, elle est plutôt grande la demoiselle. Ce n’est pas courant par ici. T’es quoi au juste ?

Abysse haussa un sourcil. Magna était connu pour accueillir son lot d’anges, de démons mais aussi de créatures diverses et variées. En revanche, l’inconnu venait de marquer un point : il n’était pas courant de croiser des valkyries. D’ailleurs, si la jeune femme se contentait de lui dire ce qu’elle était, il y avait de grandes chances pour qu’il ne comprenne pas. Abysse aurait pu s’en amuser et l’envoyer sur les roses. Cependant, la situation était bien trop tendue pour qu’elle s’amuse à rembarrer un de ces hommes. De plus, elle n’avait pas spécialement envie de lui révéler ce qu’elle était réellement. Elle se contenta donc de lui répondre sur un ton légèrement distant :

- Une divinité mineure Viking.

Il s’agissait là d’une définition bien laconique pour la jeune femme. Elle avait voulu faire simple afin d’éviter de rentrer dans les explications. Il y avait peu de chance pour que cet homme connaisse les peuples scandinaves. En revanche, les vikings étaient des conquérants et d’explorateurs, il n’y avait aucun doute pour que quelques uns d’entre eux se soit forgé une petite réputation dans l’Entre-Monde. L’homme écarquilla alors les yeux et eu léger mouvement recul. Pour toute réponse, il se contenta d’émettre un long sifflement avant de s’effacer et de reprendre sa place initiale. Visiblement, la réponse de la jeune femme l’avait refroidi.