Re: Vagabondages [pv Abysse]

Abysse haussa un sourcil. La réponse laconique de son compagnon l’étonna et attisa d’autant plus sa curiosité. Elle prit tout de même le temps de picorer dans son assiette avant de lui poser une nouvelle question.

- Toi aussi tu aimerais explorer l’inconnu ?

Une étincelle avide illuminait son regard. Personne ne saurait affirmer avec exactitude s’il s’agissait là de l’expression de son insatiable appétit ou tout simplement de son ardent désir de partir en exploration. La réflexion de Gwendal quant à l’étrange breuvage arracha un sourire à la jeune femme. Sans plus attendre, elle s’empressa d’engloutir le liquide brûlant. Elle sentit une douce chaleur envahir sa gorge tandis que son estomac s’apaisait peu à peu.

Elle posa ensuite le bol sur la table dans un bruit mat. La question de Gwendal lui arracha un sourire amusé. Visiblement, les ambitions de Wergeld avaient eu le temps de faire le tour de l’Entre-Monde. Après tout, ce n’était pas si surprenant que ça. Gwendal comme Wergeld étaient des maîtres de miroir. Ils devaient sûrement se réunir de temps à autre et de débattre sur autre chose que la vie et l’alimentation des cucurbitacées. Abysse posa un regard perçant sur le jeune homme tout en plissant les yeux.

- En effet, nous en avons déjà parlé. Cela me surprend un peu que tu sois au courant à dire vrai. Il me manque tout de même une bonne partie des subventions pour partir à l’aventure et puis, avec les récents évènements, l’exploration de la zone inconnue n’est plus vraiment à l'ordre du jour…

Le ton de la valkyrie se fit légèrement plus amer. A mesure que le temps défilait, elle voyait ses rêves s’éloigner. Les catastrophes qui avaient touchées l’ensemble de l’Entre-Monde avaient eu le don de retarder tous ses projets. A la place de partir en exploration, le Fenrir avait eu droit à divers transports relevant des médicaments à des matériaux de construction. Il n’y avait rien de bien intéressant là dedans. Par ailleurs, les attentions de Wergeld s’étaient surtout tournées vers le désert et l’apparition de ces mystérieux dieux animaux depuis quelques mois.

Abysse se mordit la lèvre inférieure. Elle chassa ses pensées d’un revers de la main et reposa un regard légèrement troublé sur le jeune homme. Sa compagnie était tout à fait charmante mais elle ne pouvait s’empêcher de ruminer son impatience et sa déception. A croire qu’elle avait vraiment du mal à digérer les derniers évènements. Avant d’être assaillie de questions déplaisantes, la valkyrie choisit d’en poser quelques unes à Gwendal. Autant elle n’aimait pas parler d’elle, autant elle raffolait des histoires de son entourage.

- Au fait, Gwendal, Tchen est le miroir qui accueille les anges, les démons et toutes les autres espèces de cet acabit non ? Tu es quoi, toi, au juste ?

N’ayant jamais fait dans la dentelle, Abysse ne comptait pas faire exceptions cette fois-ci. C’était donc avec une franchise déconcertante qu’elle entra dans le vif du sujet.

-Non, je n'ai pas l'âme d'un aventurier, mais je connais quelqu'un qui a cette même étincelle dans le regard.

Mon verre au bord des lèvres, je pris le temps d'observer son expression. Les rides farrouches qui donnaient de la profondeur à son expression, son sourire et son front déterminé. Une véritable chasseuse d'aventures, un genre d'aventurier de l'exceptionnel. Et ce visage me ramenait quelques temps en arrière, quand la vie était moins luxueuse et quand ma chemise propre me suffisait pour continuer d'avancer sans jamais regarder en arrière. Ce furent de bons moments.

-Wergeld te donnera l'argent qui te manque pour cette aventure. Je le connais assez bien pour savoir qu'il n'est pas un bon comptable mais un excellent compagnon. Je suppose que K'ouen se fera une joie de financer une telle expédition, pour la science en surface et pour le danger dans le fond. Je pense qu'au contraire, l'exploration de la zone inconnue est primordiale aujourd'hui. Ces êtres de lumière bien qu'ils soient apparus par les miroirs c'est dans la zone inconnue que cet oiseau a été aperçu. Sais-tu à quel point ce monde est gigantesque ? La majorité des créatures de l'Entre-Monde viennent de planètes cent fois plus petites, de mondes parfois minuscules. Il y a énormément à découvrir et l'apprentissage nous permettra de nous protéger contre ces évènements. Nous devons focaliser notre attention au delà de nos frontières avant que ce monde ne nous dévore par notre ignorance.

Je bus une gorgée et reposais le verre sur la nappe, laissant l'eau condensée dessus tâcher le tissus blanc.

-Si tu as su te faire d'un ami ce fonceur de K'ouen, tu as toutes les qualités requises pour survivre dans la zone inconnue. Les volontaires compétents seront plus difficiles à trouver que les moyens de partir à l'aventure.

Mon sourire allait aussi bien pour lui donner du courage que pour espérer que Wergeld aurait vent de la façon dont je parle de lui à l'extérieur. Qu'il est bon de pouvoir lui casser du sucre sur le dos. Ce doit être le maitre le plus actif et en même temps le plus critiqué de toute la ville. Je comprends qu'il déteste cet endroit, et pourtant il en fait beaucoup pour le maintenir sur pieds. Je me perdais en reflexion, peut-être devrais-je proposer à Wergeld quelques uns de mes meilleurs pour l'aider un peu dans cette aventure. Mais la politique veut que je le laisse demander le premier. On est toujours en meilleur position quand on permet quelque chose que lorsqu'on l'offre. J'avalais distraitement quand une drôle de question faillit me conduire à la noyade. Je toussais pour me libérer la gorge et lui répondit qu'après un certain temps d'agonie.

-Je suis quoi ? On ne me le demande pas souvent. Tchen ne recense que les anges et les démons. Les créatures approchant finissent chez K'ien et parfois Touen. C'est un miroir assez sélectif alors en voyant mes cheveux blancs et mes yeux clairs, je supposais que tout le monde me jugerait facilement. Je suis un ange. Mais pas tout à fait.

L'art et la manière d'en dire beaucoup pour au final en dire peu.

-Et je suis aussi un démon. J'ai de la parenté dans les deux sphères. C'est tout ?

Je suis d'humeur conciliante. C'est le meilleur moment pour poser les questions qui l'intéressent !

Les Hommes sont malheureux car ils ne sont jamais complètement dans le présent.
Pascal

La remarque de Gwendal lui arracha un sourire. Il est vrai qu’elle avait toujours eu du mal à contenir sa fougue lorsqu’on parlait de voyages, d’inconnu et d’aventures. Il s’agissait là du dernier rêve auquel aspirait la jeune femme. Elle avait perdu le goût pour les carnages, la mort et par extension des combats inutiles. Elle ne tirait du plaisir que lorsqu’elle s’imaginait voguer vers l’inconnu, tracer des cartes de ces nouvelles terres et découvrir de nouveaux horizons. Ce rêve était suffisamment vaste pour l’immortelle. La suite des propos de la jeune femme éleva en elle une certaine nostalgie. Evidemment, elle connaissait tout ça. Elle avait pleinement conscience de l’inconnu qui s’offrait à elle. Et elle rongeait avec impatience ses freins. L’argent en était un mais, comme le fit justement remarqué le maître de Tchen, l’absence de volontaires en était un autre. Par ailleurs, le Fenrir manquait cruellement de membres d’équipage. Pour s’engager dans une telle expédition, il aurait fallu doubler les effectifs.

L’éclat farouche qui brillait dans son regard s’estompa quelque peu. La triste réalité l’atterrait et lui rappelait toutes les contraintes qui s’offraient à elle. Cette expédition ne verrait pas encore le jour. Il fallait attendre, encore. Même pour une immortelle, cette attente devenait insoutenable. Elle rêvait que demain vienne toujours un peu plus vite. Elle ne supportait plus la dure réalité du présent. L’impatience la rongeait. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise. Partout où elle allait, son rêve ne la quittait pas et sa hâte l’empêchait de profiter du moment présent. Même ce repas là, elle ne savait en tirer un véritable plaisir. La compagnie de Gwendal était agréable. Pourtant elle n’arrivait à se défaire du mal qui la rongeait. Abysse jeta un regard sombre à son assiette. Elle avait presque terminé. Elle murmura, dans un souffle.

- Je le sais tout ça.

La suite des évènements tira la jeune femme de ses réflexions. Sa question l’avait tellement déstabilisé que Gwendal venait de s’étouffer en buvant. Loin d’en être inquiétée, Abysse ne put s’empêcher de rire. Il était amusant de voir le jeune homme ainsi troublé. La valkyrie avait visé juste. Sa réponse attisa un peu plus sa curiosité. Ainsi, il était issu de deux races antagonistes. Grandir en portant un tel fardeau n’avait pas du être simple pour lui. La valkyrie imaginait à quel point, le rejet et l’indifférence peuvent blesser un être. Consciente de toute cela, elle fit taire ses interrogations. Il est un moment pour chaque chose. Et, ce dont elle était sûre pour l’instant, c’était que Gwendal n’avait pas spécialement envie qu’on évoque ce sujet. Cependant, sa dernière question l’invitait à en savoir plus. Visiblement, il semblait d’humeur à répondre à ses interrogations. Abysse se mordit la lèvre inférieure, hésitante. Elle lui fit part de ses doutes.

- Je suis désolée, mes questions doivent te sembler bien indiscrètes. J’ai tendance à être un peu trop curieuse. Cela ne me gênerait pas qu’en retour tu me poses toi aussi des questions. C’est la moindre des choses.

Abysse termina sur un sourire qui se voulait amical. Ainsi, elle faisait momentanément taire sa curiosité. Elle lui devait bien ça. Ayant tout deux finit leur assiette, le serveur passa leur prendre et s’enquit de leur demander les desserts qu’ils désiraient. Les deux jeunes gens passèrent rapidement commande. Le repas touchait à sa fin. Abysse en était légèrement attristée. Elle avait bien envie de continuer à discuter avec le maître de Tchen. Sans vraiment comprendre pourquoi, elle était éprise du désir d’en savoir plus sur lui. Le mystère qu’il laissait planer au dessus de lui l’attirait et la forçait à vouloir en savoir plus. Une idée vint alors à l’esprit de la jeune femme. Elle détourna légèrement le regard, intimidée. Finalement, elle se décida à lui faire une suggestion.

- Après le dessert, cela te gênerait-il de me faire visiter Magna ?

Consciente de l’audace d’une telle question, la valkyrie enchaîna aussitôt, tentant vainement de se justifier.

- Je ne connais pas vraiment le quartier. Le découvrir au côté du maître de celui-ci me paraît idéal…enfin, si tu as d’autres obligations ou tout simplement pas envie, je comprendrais.

Et voilà que la jeune femme s’embarquait dans des explications sans queue ni tête. La gêne l’empêchait de s’exprimer clairement. Le trouble assaillait son esprit. Elle n'avait pas envie de s'en aller, ainsi. Elle voulait en savoir plus sur Gwendal. Elle avait besoin d'oublier, l'espace d'un instant, tous les soucis qui l'accompagnaient. Elle aurait aimé vivre un peu plus dans le présent. Elle en avait assez de se projeter vainement dans l'avenir.

-T'es questions ne me dérangent pas. En réalité, peu de gens s'intéressent à ma personne. On s'intéresse le plus souvent à la façon dont je fais mon travail.

Et le serveur revint vers nous un plateau et deux assiettes à dessert. Je vis arriver sous mes yeux un gâteau à l'architecture étonnante entre un pain de crème glacée une gennoise et je ne sais quelles autres étages de douceurs. Pour un homme je suis amateur de sucrés et le chef s'était surpassé pour me faire saliver comme jamais... Il devait vraiment apprécier que je vienne déjeuner chez eux.
En parlant de venir manger dehors plutôt que de rester sagement sur Tchen... Visiter Magna je veux bien, mais se trimballer dehors en étant aussi visible j'avais peur qu'en plus des commérages nombreux qui naitraient de cette entrevue, mes fonctionnaires ne me remarques que plus facilement. Pour faire court, je n'ai pas du tout envie de retourner de force à Tchen pour signer des papiers et répéter à je ne sais quelle banquière que non, une banque au beau milieu du marché noir ce n'est pas du tout une bonne idée à moins de la voir piller à chaque heure du jour que l'entre-monde veut bien laisser couler sur nous.

-J'ai d'autres obligations. répondis-je en souriant. Et pourant je suis venu déjeuner en bonne compagnie... Pour te l'avouer, je ne suis pas censé déjeuner hors de la res publica quand le travail ne manque pas, et même quand il n'y en a pas beaucoup, on apprécie me voir là haut. Et Tchen est loin de Magna, je trouve ça dommage alors je viens souvent pour me fondre dans la masse.

Mordant dans une cuillière de glace, je me gelais le palai et fermais les yeux. Une glace comme je les aime. J'étais habitué à ne plus manquer de rien, à manger ce que je désirais à m'habiller comme bon me semblait... Je pourrais même avoir toutes les maisons que je désire. Être maitre ça a du bon et avec ça, je ne cesse d'apprécier ces petits moments où je me rends compte du chemin parcouru et des biens que j'ai acquis.

-Mais je peux quand même te faire visiter le quartier. Seulement, si des anges ou des démons viennent me chercher soudainement, je serais obligé de t'abandonner dans les ruelles du quartier de l'ombre.

Et puisqu'il nous restait encore un peu de temps à passer dans ce restaurant...

-Capitaine Abysse... J'ai déjà vu ton vaisseau dans le ciel, toutes ses voiles et son allure imposante. Quel effet cela fait d'être au commande d'un si grand bâtiment ?

Pour que ta vie ne soit qu'un rêve

Abysse eu un sourire triste. Il ne devait pas être toujours plaisant d’être maître d’un miroir. D’un œil extérieur, on n’y voit que les avantages. Seulement, lorsqu’on fréquentait un peu ces étranges personnages qu’étaient les maîtres, on percevait leurs démons et les difficultés qu’apporte la gérance d’un miroir. Elle comprenait amplement, désormais, que Gwendal n’ait pas eu envie de s’étendre sur ses véritables activités. Il était venu ici pour y échapper alors elle pouvait bien le laisser tranquille de ce côté-là.

La jeune femme se mordit la lèvre, gênée. Elle se rendait bien compte de la bêtise de sa demande. Elle devait sûrement représenter une gêne pour Gwendal. Tout ce qu’il désirait, c’était échapper au responsabilité de la Res Publica. Elle lui en demandait trop, elle en avait conscience. Abysse se pencha légèrement et voulu s’excuser. Elle n’en eu pas le temps. Le serveur revint avec les desserts. Comme la valkyrie n’avait jamais été une grande gastronome, elle ne reconnut pas la moitié des aliments qui composaient son dessert. Cependant, à en juger par la présentation, elle devinait le soin qu’avait eu le cuisinier à les faire. Visiblement, il cherchait à impressionner le maître de Tchen. Ainsi, sa venue n’était pas passée inaperçu. Le jeune serveur avait du remonter l’information jusqu’à son patron. Abysse ne pouvait pas vraiment lui en vouloir mais elle pouvait comprendre la gêne de Gwendal face à un tel traitement.

Pour oublier son embarra, la valkyrie entreprit de finir son dessert. Elle planta donc sa cuillère dans la glace et la porta ensuite à sa bouche. Abysse n’avait jamais mangé de glace. Le goût et la texture de celle-ci eurent le don de la surprendre. Le froid remonta lentement des ses sinus, peu habituée. Elle plissa légèrement le nez et tâcha de ne pas trop montrer son trouble. Il fallait dire que ses voyages ne lui permettaient pas de transporter ce genre de friandises à bord du Fenrir. Et puis, les vikings n’étaient pas spécialement amateurs de cuisine glacée lorsque l’on sait qu’ils vivaient sur des terres perpétuellement enneigées. Abysse plissa les yeux un moment en attendant que la chaleur revienne lentement à son palais. Au moins, Gwendal pouvait se vanter de lui avoir fait découvrir un bon nombre de plats en l’espace d’un seul repas.

Abysse fut surprise d’apprendre que Gwendal acceptait tout de même de l’accompagner dans ses déambulations au sein de Magna. Elle haussa un sourcil. Il lui était difficile de dissimuler son étonnement. Elle avait renoncé depuis belles lurettes à espérer qu’il l’accompagne. Elle s’était faite une raison. Il avait ses obligations. Son statut ne lui permettait pas de tels vagabondages. La valkyrie fronça les sourcils et s’adressa à lui sur un ton grave.

- Gwendal, je ne tiens pas à ce que tu te forces pour accepter un de mes caprices. Je comprends tout à fait que tu aies d’autres choses à faire. Je ne veux pas te retenir ni même te gêner.

Son ton paraissait des plus sincères. La jeune femme s’était toujours montrée franche. Elle ne tenait pas à ce que Gwendal accepte par politesse. Il n’avait pas à se forcer pour elle. Abysse aurait très bien pu visiter seule. Elle comprenait tout à fait que ses responsabilités le retiennent. Elle-même n’avait pas grand chose à faire en ce lieu. Il lui restait encore une pile considérable de papiers administratifs à remplir. Etre capitaine d’un navire impose aussi un bon nombre de devoirs. Le plus barbant de tous était évidemment de s’occuper des papiers et autres procédures administrative. Dans ce monde, on ne peut voguer librement. Il existe toujours un formulaire pour vous en empêcher.

La question de Gwendal la surprit. Abysse ne s’attendait pas vraiment à ce que le maître s’en intéresse. Après tout, lui-même pouvait voler. La valkyrie l’enviait légèrement d’ailleurs. Lui, il n’avait pas besoin de gratter des papiers pour avoir l’autorisation de sillonner les cieux. Elle ferma les yeux un instant tandis qu’un sourire épanoui étirait ses lèvres. Elle essayait de se remémorer chaque instant lorsqu’elle naviguait. Elle ouvrit ses mains, paumes vers le haut. Sa cuillère tomba mollement sur le rebord de l’assiette et émit un délicat tintement. Abysse s’en contrefichait. Son esprit était ailleurs. Il se trouvait là haut, dans les cieux. Après être demeurée silencieuse un bon moment, Abysse reprit enfin la parole afin de lui répondre sur un ton calme où l’on sentait poindre le rêve et l’envie.

- J’ai l’impression d’être l’unique maître de ma vie. Je la dirige comme bon me semble, je suis libre, plus rien ne me retient sur ses terres. Je ne suis plus l’être banni et condamné à errer sur ses terres. J’ai l’impression de courir après un rêve et de le frôler du bout des doigts. Une douce fièvre s’empare de moi. Je sens le vent s’engouffrer dans les voiles. Il me rappelle que je suis bien vivante. Je prends conscience de mon corps et de l’être que je suis. C’est un peu comme si je communiais avec les cieux. Mon navire ne combat pas contre le vent, il l’accompagne. Et moi, je suis le médiateur d’une telle union. Je ne suis rien mais leur fusion est tout.

Après quelques secondes de rêverie, la jeune femme consentit à revenir à la réalité. Elle ouvrit lentement les yeux. Un éclat mélancolique et légèrement enfiévré éclairait son regard. Tout son corps lui criait une envie, une seule : voler. Elle jeta un regard interrogateur à Gwendal pour percevoir ses réactions. Elle se sentait étrangement calme alors qu’elle venait de lui confier un part d’elle-même. Abysse détestait particulièrement d’avoir à parler d’elle. Bientôt, elle sentirait la honte de s’être confiée ainsi. Pour le moment, elle se sentait paisible. Elle ne pensait plus à rien. Les dernières traces de rêves peinaient à se volatiliser et la laissait étrangement vide.

[ j'espère que ma réponse te convient. C'est bizarre, depuis un moment, je ne vois jamais quand tu me réponds. Heureusement que je vais jeter un coup d'œil au sujet de temps en temps xD ]

Passionnée du début à la fin. Je me demandais s'il y avait chez elle la moindre demi-mesure dans ses sentiments, dans ses actes. Curieuse à la limite de l'indécence, amoureuse de cette vie qui faisait d'elle le capitaine d'un grand navire. Comme si le mot hésitation n'existait pas dans son monde. Alors je souriais, sûrement car sous le drapeau de l'ombre le doute est une flaque perpétuelle qui vous tache le pantalon dès que vous y mettez les pieds. Et l'averse ne tarde jamais à reprendre, comme pour vous le rappeler sans cesse.

Pris dans mes pensées, je me levais sans un mot. Il était temps d'aller visiter Magna si nous ne voulions pas que cette visite se termine avant même d'avoir commencer. Il y a toujours des regards qu'il nous faudra esquiver, de ces espions travaillant pour là haut et qui nous observent depuis le début du repas, depuis que j'ai posé les pieds dans le quartier. Mon seul avantage est de les connaitre, de me souvenir de leur vrai nom, de leur vrai visage, de leurs méthodes. Sans cela, je serais pris au piège dans mon propre quartier, non ?

Le serveur s'avança vers nous. Il ne posa pas la question fatidique "à qui dois-je donner l'addition ?" je le suivais alors qu'il m'entrainait vers un comptoir où je pourrais payer sans qu'il ne manque de délicatesse. Et après avoir payé ce repas, je revenais vers la table retrouver la navigatrice.

-Allons visiter Magna, l'heure tourne et les chiens commencent déjà à nous tourner autour.

Ce que ces espions n'envisageaient pas c'est qu'une volée de vautours m'accompagnaient souvent où que j'aille. C'était cela Magna et Tchen. Un imbroglio de services et de bureaux et dans ceux là, un service inconnu des autres car perdu dans la masse. Un petit groupe d'anges et de démons qui me suivaient où que je puisse aller. Et quand nous sortâmes du restaurant, je distinguais leur silhouette dans la masse grouillante des habitués. Les chiens n'ont qu'à bien se tenir, il y a plus charognard qu'eux dans le ciel.

On devrait toujours être légèrement improbable.
Oscar Wilde

Courtois au possible, Gwendal n’interrompis pas les rêveries de la jeune femme et s’enquit même d’aller payer l’addition à l’écart. Abysse en fut déstabilisée. Il la laissa seule un moment et ses doutes ressurgirent aussitôt. Le jeune homme n’avait fait aucune remarque quant à sa réponse. Elle s’était à moitié confiée à lui et s’en sentait gênée. Elle le regrettait. La valkyrie n’avait jamais vraiment aimé parler d’elle et encore moins se confier. C’était surprenant qu’elle ait accepté en présence de Gwendal. Après tout, Abysse s’était montrée indiscrète à son égard. Elle pouvait bien accepter de lui révéler quelques secrets. Indécise et troublée, Abysse garda le silence un moment lorsque le maître de Tchen revint. Elle plissa les yeux et le regarda pendant un moment tandis qu’il l’invitait à la suivre. Le regard vide, la jeune femme semblait légèrement absente. Soudainement, un frisson la parcouru et elle fut extirpée de ses songes. Elle se redressa rapidement et s’écarta de la table, troublée par l’absence qu’elle venait d’avoir. Elle vint se placer à côté de Gwendal de telle sorte que les espions qui l’observaient ne puissent pas l’apercevoir. Elle aussi avait repéré leur présence depuis longtemps mais ne s’en était pas formalisée.

- Oui, j’avais remarqué leurs regards affamés.

Une lueur maligne éclaira fugacement son regard. Elle tourna légèrement le visage vers Gwendal tandis qu’un sourire étirait ses lèvres.

- Et que dirais-tu que l’on file à l’anglaise ? Histoire de les semer…

Il y avait bien longtemps que la jeune femme n’avait pas eu à semer quelques poursuivants. Les filatures et autres parties de cache-cache dans l’Entre-Monde lui manquaient. Maintenant qu’on avait oublié ses terribles méfaits, plus personne ne se soucier d’elle lorsqu’elle traversait la cité. Cependant, elle éprouvait désormais une envie mordante de déambuler à travers les rues et de semer ces observateurs. Non seulement, elle sentait l’adrénaline affluer en elle à mesure qu’elle imaginait leur fuite mais elle imaginait déjà l’exaspération de ses poursuivants. Sans plus attendre, Abysse coula un regard au maître de Tchen et effleura son bras afin d’attirer son attention. Elle lui adressa alors un clin d’œil et l’invita à le suivre. D’un pas mesuré et nonchalant, la valkyrie se dirigea vers la sortie, Gwendal sur ses talons. Lorsqu’elle déboucha sur la rue, elle obliqua soudainement sur sa droite et longea le mur. Des observateurs se trouvaient sur le toit du bâtiment et ne pouvaient donc pas encore les voir. Quant aux autres, ils étaient encore à une table du restaurant et s’apprêtaient à le quitter. Sans crier gare, Abysse saisit le poignet du jeune homme et le tira tandis qu’elle empruntait soudainement une ruelle peu fréquentée.

Abysse se fichait bien de l’utilité de ses actes. Une furieuse envie de jouer avec les nerfs de ces espions venait de la prendre. Peu importe si elle ne parvenait pas à les semer ou si elle arrivait à les excéder. Elle avait envie de jouer avec eux. La valkyrie se déplaçait d’un pas déterminé mais nullement pressé. Habituée à fuir des poursuivants, elle avait su développer diverses techniques. La première de toute était de ne jamais paraître fuir et donc de ne point courir. La jeune femme baissa légèrement la tête et remonta légèrement son col. Ainsi, les espions hissés sur les toits auraient plus de mal à la repérer. Sans se retourner, Abysse s’adressa au jeune homme. Elle n’avait pas besoin de lui jeter un regard pour vérifier sa présence.

- Tu peux toujours me faire visiter les lieux. Disons qu’on ira un peu plus vite que prévu !

Une lueur farouche éclairait le regard de la jeune femme. Elle n’avait pas pris le soin de demander l’avis de Gwendal pour quoi que ce soit. Assurément, elle devait paraître bien impolie et un brin capricieuse. Hélas, Abysse était particulièrement imprévisible et ce trait n’allait pas changer, même pour les beaux yeux d’un maître de miroir.

Spoiler:

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Ça ne m'étonnait pas vraiment qu'elle se charge de mener cette fuite, ruelles et col relevé elle s'enfonçait dans Magna là où même Tchen aurait du mal à nous poursuivre, mais elle ignorait comment étaient construits ces lieux et pis encore elle avait à faire à des professionnels qui me surveillaient sans cesse pour le bien du miroir. Un maitre mort fait toujours désordre et les chiens de gardes ont pris la facheuse habitude de me suivre partout quand bien même je fuis les hautes instances.

-Leur présence n'est pas censée nous gêner tu sais, ils sont là pour nous protéger en cas de pépin... Et de révéler où je me trouve aux bureaux histoire qu'ils viennent me chercher dès qu'ils en auront marre de bosser sans moi.

Je la suivais sans mot dire, nous nous enfonçames encore plus profondément dans les ruelles allambiquées du quartier. Encore un peu et nous serions en plein marché noir, là où rien ne saurait nous protéger des déments qui s'y trouvent. Mais elle avait décidé de semer ces gredins qui nous suivaient et ils étaient nombreux, déjà certains d'entre eux se glissaient sur les toits ou passaient d'une maison à l'autre en quelques coups d'ailes.

-Si vous permettez.

Je fis face à Abysse, lui passais une mains dans le dos et déployais mes ailes.

-Accroches-toi

Je battais furieusement des ailes au décollage. Soulever deux personnages c'était un exercice que je n'avais pas tenté depuis un bout de temps. Mais mes ailes étaient assez grandes pour nos poids réunis, du moins tant que je ne force pas pendant des heures.
Les ailes d'un anges ne permettent pas de voler à la verticale trop longtemps si bien que je fit pencher le poids que nous étions pour finir presque à l'horizontal. Et c'était partit pour foncer dans Magna laissant nos poursuivants loin derrière alors qu'il était hors de question qu'ils se révèlent aussi bêtement en nous prenant en chasse.
Le vol fut de courte durée, juste assez long pour passer l'arcadre d'une fenêtre ouverte et nous écraser dans une pièce poussiéreuse... Je n'ai jamais prétendu être digne d'une compagnie aérienne.

Spoiler:

Et voilà que les deux jeunes gens étaient partis dans une course effrénée. Leur but ? Fuir des poursuivants imaginaires…ou presque. A dire vrai, Abysse n’avait pas laissé le temps au Maître de Tchen de s’expliquer. Les observateurs qui ne cessaient de les suivre ne leur voulaient pas de mal. Ils assuraient simplement la protection de Gwendal. La valkyrie s’en contrefichait de toute façon. Elle s’était mise une idée dans la tête et il était particulièrement difficile de l’en défaire. Et puis, Gwendal n’avait pas besoin de protection tant qu’il était à ses côtés. La jeune femme savait parfaitement se défendre. Elle n’avait pas été une divinité mineure reliée à la guerre pour rien. Alors qu’Abysse continuait à tirer Gwendal à travers les rues de Magna. Ce dernier se rapprocha d’elle et passa une main dans son dos. La jeune femme stoppa aussitôt sa course, interloquée. Elle n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste ou de prononcer un mot qu’ils se trouvaient déjà à quelques mètres au dessus du sol. Abysse n’avait même pas eu le temps de saisir le sens de ses paroles. Gwendal l’avait prit dans ses bras et ils s’étaient envolés. La jeune femme ne perçut qu’un froissement d’ailes, un éclair blanc avant même de comprendre ce qu’il se passait réellement.

Abysse avait l’habitude de sillonner les cieux. Elle n’avait jamais éprouvé la moindre sensation de vertige même lorsqu’elle devait voltiger parmi les multiples voiles du Fenrir. Cependant, en ce moment même, elle ne se sentait guère rassurée. Cette fois-ci, ce n’était pas elle qui contrôlait la situation. Elle était entièrement à la merci de l’ange. Si ce dernier décidait de la lâcher, elle n’aurait aucun moyen de se rattraper. Au pire, elle pouvait amortir quelque peu sa chute grâce à sa maîtrise de l’air. Autant dire que cela ne l’aiderait pas grandement. Inconsciemment, la valkyrie s’aggripa au Maître de Tchen. Les doigts de sa main droite s’enfoncèrent d’ailleurs un peu trop profondément dans l’épaule du jeune homme. Sa tension était palpable. Abysse peinait à se détendre. Elle savait pourtant que s’il elle continuait à être aussi tendue, elle allait gêner l’ange dans ses mouvements. Un regard en contrebas ne fit qu’accentuer son malaise. La jeune femme retint un gémissement plaintif et ferma les yeux afin d’oublier la dérangeante situation dans laquelle elle s’était plongée. Tout ça, c’était de sa faute. Gwendal pouvait bien se rire d’elle désormais. Elle méritait bien tout ça. Elle avait voulu jouer les fortes têtes et maintenant, elle avait perdu toute contenance. Elle était bien fière maintenant la Valkyrie !

Quelques perturbations dans le vol de Gwendal indiquèrent à la jeune femme qu’il était bon pour elle de rouvrir les yeux. Le Maître de Tchen peinait à stabiliser leur position. Il lui était difficile de transporter une autre personne. De plus, Abysse n’était pas vraiment un modèle de légèreté et sa taille la rendait fortement encombrante. Evidemment, tout cela ne faisait rien pour arranger le malaise de la jeune femme. Elle avait conscience qu’ils devaient se poser au plus vite et que la suite des évènements n’allaient pas spécialement lui plaire. Finalement, l’atterrissage apparu bien plus tôt que ne l’avait espéré la valkyrie. Cependant, ce dernier ne la rassura pas pour autant. Les deux jeunes gens atterrirent en catastrophe en passant par l’encadrement d’une fenêtre un peu trop étroite aux goûts d’Abysse. Cette dernière eu même droit de se cogner la tête au passage. Elle retomba lourdement sur son derrière, quelques mètres plus loin. Légèrement sonnée, Abysse mis un certain temps à se remettre de l’atterrissage. Une fois qu’elle eu retrouvé ses esprits, elle grommela quelques insultes dans sa langue natale. Abysse rassembla ensuite ses jambes contre sa poitrine et posa ses mains au sol. Elle jeta un rapide coup d’œil autour d’elle. Ils venaient d’atterrir dans une petite pièce exiguë. La jeune femme ne saurait dire où ils se trouvaient exactement. Elle ne connaissait pas vraiment le coin.

- Tu n’as pas vraiment besoin de voler à bord du Fenrir mais tu aurais bien besoin de quelques cours de navigation à mon avis. Surtout au niveau de l’atterrissage…

Comme à son habitude, Abysse faisait preuve de sarcasme pour cacher sa gêne ou sa mauvaise humeur momentanée. On ne pouvait pas vraiment dire qu’elle avait apprécié le vol et encore moins l’atterrissage. Par ailleurs, elle se sentait gênée vis-à-vis de Gwendal. Il n’y avait aucun sur le fait qu’il avait ressenti son malaise lorsqu’ils volaient. La jeune femme en avait honte. Elle aimait jouer les dures et donner l’impression qu’elle contrôlait toujours la situation. Le fait qu’il l’ai vu dans un tel état le mettait encore plus mal à l’aise. Fuyant toujours le regard de son interlocuteur, elle reprit la parole d’un air plus détaché.

- Et tu sais où on est ?

A ce rythme là, les deux jeunes gens devaient avoir semé leurs poursuivants. Abysse ne jugea pourtant pas utile d’en faire la remarque. Elle avait plutôt honte de ce qu’elle venait de faire. Elle avait forcé Gwendal à fuir ses protecteurs. Il n’y avait rien de bien glorieux là dedans. Afin d’oublier toutes ses sombres pensées, Abysse voulu se relever et visiter les lieux. Cependant, elle oublia bien vite cette idée. Un profond vertige la prit et elle du se rassoir immédiatement. Par ailleurs, son estomac ne semblait pas avoir apprécié le voyage. Ce dernier éprouvait son mécontentement par de légers spasmes. Il est toujours déconseillé de voler après un copieux repas.

Je me relevais avec une douleur lancinante dans toute une moitié du corps, l'atterrissage forcé me coûtait quelques secondes de virilité... et je souriais jaune. Des cours de pilotage pour un ange, c'est presque vexant, mais je suis d'accord, j'aurais pu prévoir la présence de cette armoire, ou celle de la fenêtre.
Un coup d'oeil dans la pièce confirma mes soupçons, nous avions bien atterris et semer nos "poursuivant" ne tenait qu'à quelques ruses dignes d'un habitant de Magna. Je filais vers la porte d'entrée et l'ouvrait pour regarder dans le couloir. Pas un son, j'en conclue que la maison était vide aujourd'hui.

-cet endroit sert habituellement de lieu de rencontre à quelques magouilleurs.

*et j'en faisais partit avant d'être maitre*

-Elle est vide donc pas de témoin à abattre, plaisantais-je.

De la poussière sur tout le corps, il valait mieux qu'on en elève un peu si on ne voulait pas se faire remarquer par la couche de poudre blanche qui nous recouvrait, nous étions suffisamment visibles pour ne pas en rajouter.

On descend au rez-de-chaussée, il y a une trappe sous une commode qui nous conduira dans un réduit qui ouvre sur une porte défraichie de l'autre côté du paté de maison, y en a pour cinq minute. Et après nous serons assez invisible dans Magna pour être tranquilles.

Je tirais sur la poignée de la porte pour l'ouvrir en grand et fut le premier à me faufiler dans l'escalier. Malgré mes précautions, je me fis surprendre lorsqu'un homme apparu devant les dernières marches, un revolver braqué sur nous. La fuite était terminée et nous étions mal tombés. La chance ne nous aura pas sourit longtemps.
Penchant son arme il nous invita à finir notre descente, le regard vide, il avait plaqué son coude sur sa hanche si bien qu'il aurait pu nous braquer des heures durant sans que sa main ne tremble et d'autres voix nous parvinrent depuis le séjour éventrée de cette maison abandonnée. Des voix d'hommes ; à la question de ce qu'il avait pu trouver notre braqueur répondit :

-Des rats.