Petits boulots

Spoiler:

Etape première : se débarrasser des groupes encombrant.
Ceux qui taillent la bavette dans mon hall en parlant si fort qu'au tout dernier étage de ma tour on doit encore les entendre.
Ceux qui restent là, à attendre la saint glin-glin bien qu'ils aient déjà été payés.
Les autres, qui attendent sans rien faire, ni mission, ni rien, mais apprécient le confort des fauteuils du petit espace détente qui agrémente le hall. (Ils veulent du café et des gâteaux pendant qu'on y est ?)

Etape seconde : retirer cet air méchant et peu avenant de mon visage. Pour cela je commençais à invectiver de vive voix un être que personne ne pouvait voir (et pour cause il se situait au fin fond de ma propre conscience). Je suis Jeanne D'Arc sauf que moi j'insulte ouvertement les voix divines (enfin, dans mon cas elles sont plutôt lupines).

Dernière des dernières étapes, je me glissais derrière mon comptoir en terminant une tirade destinée à Carine qui sonnait comme "Puisque tu le prends comme ça, ce soir tu peux déjà oublier la promenade nocturne au bord du canal ! Ohé ! Arrête de hurler, c'est toi qui me torture n'inverse pas les rôles ! Sale clébard !"... Cet animal me rend folle, je m'en rends compte et je ne peux rien y faire.
La seconde étape était un échec cuisant.
De l'autre côté du comptoir je saluais le jeune homme qui me faisait face. Sans un mot je regardais la note signifiant : Bibliothèque surmenée, veuillez retroussez vos manches pour un salaire de misère.

-C'est fou comme les gens ont besoin d'argent en ce moment ! Vous êtes le troisième que je reçois pour ce travail. Heureusement pour vous il reste pas mal de travail !

Cette fois je souriais. J'étais certaine que le malheureux n'avait aucune idée du boulot à abattre en une journée.

Je sortais une tasse et j'interpellais Kip, le robot cubique aux bras articulés et depuis très peu de temps nouveau résident du miroir Ken. Le malade qui a inséré une conscience et une pseudo intelligence à ce robot devrait se faire enfermer pour crime contre l'humanité... Mais ce n'est qu'un point de vue.

-Kip ! Kip peut faire quelque chose Madame Eva ?
-Mademoiselle !

Mon ton acéré ne fit pas même trembler le robot. Exaspérée je lui tendis une tasse vierge.

-Va donc t'amuser à peindre.

Kip leva la tasse au dessus de sa tête et s'empressa de quitter le hall vers son petit atelier (mon bureau qu'il a mis sans dessus dessous). Je l'ignorai et me tournait vers le nouveau :

-Au fait, je suis la bibliothécaire Eva Carine, et la chose volante là bas c'est Kip mon assistant. Vous vous nommez ?

J'avais déjà baissé les yeux sur une fiche de mission que je remplissais du nom de la mission. Ne me manquait que son nom pour l'inscrire comme nouvel intérimaire de la bibliothèque.

Lorsque la bibliothécaire arriva, elle ne m'adressa pas un mot, regarda la note un instant d'un air assez surpris avant de me répondre avec un sourire vraiment étrange qui semblait me dire "Mon pauvre monsieur, si vous aviez su, vous ne seriez pas venu...", ce qui m'inquiéta assez car j'étais d'un naturel pas très travailleur, c'est le moins que l'on puisse sans être ouvertement vulgaire. :

-C'est fou comme les gens ont besoin d'argent en ce moment ! Vous êtes le troisième que je reçois pour ce travail. Heureusement pour vous il reste pas mal de travail !

Elle appela un petit robot qui arriva, elle s'adressa à lui quelques instants pendants lesquels je patientait en me dandinant sur place, et se retourna vers moi :

-Au fait, je suis la bibliothécaire Eva Carine, et la chose volante là bas c'est Kip mon assistant. Vous vous nommez ?

Elle dit cela en notant sur une de ses fiches le nom de la mission. Je me demandais si mon nom avait réellement une importance quelconque, mais, par souci de vérité, je dis :

-Je m'appelle Emile Ratone.

Puis j'ajoutais rapidement, pour me tenir au courant. Je me doutais bien de la réponse, mais il valait toujours mieux s'assurer d'une chose avant de la faire :

-Je commence quand ?

-Tout de suite si vous le pouvez, marmonnais-je en finissant d'écrire.

Je lui tendais le document afin qu'il s'assure de l'orthographe de son nom tout en lui disant :

-ou un autre jour, peu importe on ne manque jamais de travail.

Et comme je n'étais pas souvent là pour gérer les stagiaires et assistants d'un jour, je lui donnais immédiatement tous les détails de sa mission. Mon regard en disait long, ce gars là travaillerait avec Kip et rien que pour ça j'en étais désolée pour lui. Même si cela me garantissait la paix durant une journée.

-Nous venons de recevoir une très grande quantité d'ouvrages. Vous serez donc à la salle des réceptions, vous devrez trier les livres, ceux que nous avons déjà seront donnés à des écoles et d'autres bibliothèques, les nouveautés devront être enregistrés et préparées à être installées dans la bibliothèque. Pour ça, Kip vous aidera, il pourra vous indiquer au titre et nom de l'auteur si nous avons ou non le livre en question, de plus il vous donnera les références à enregistrer et la futur section où le rangerez. Nous avons une machine pour l'étiquetage et le puçage des ouvrages et documents rares, là aussi Kip vous servira de mode d'emploi -il sert le café et le déjeuner aussi- enfin quand le tri sera terminé et si votre journée n'est pas déjà écoulée, vous devrez aller ranger les livres dans les rayonnages ou dans les archives selon leur importance.

J'en terminais ainsi des explications que Kip revenait déjà avec la tasse du nouveau venu. L'encre séchait à peine. Une chose étonnante puisque le robot était parti avant d'avoir obtenu l'identité de son nouveau collègue.

-Kip, comment as-tu eu le nom de M.Ratone ?
-Kip ! Kip ne le savait pas, alors Kip a noté autre chose !

Il me montra la tasse avec en lettres capitales écrit ces mots : "Par Kip, de la Tour du savoir". J'en étais sans voix.

-Kip ! Kip est un artiste !

Rien que ça... Je soupirais longuement et récupérais la tasse d'un simple "laissez l'encre sécher avant de la remplir d'eau chaude". Et je quittais mon assistant et mon pigiste pour retrouver tous les squatteurs de mon hall d'entrée qui attendaient eux aussi que la bibliothèque leur donne du travail.
L'Entre-Monde aurait-il un taux de chômage si élevé que ça ?