Chateau de sables et noix aux nems

Ah bah bien, bravo! Sa collègue nouvellement humaine subissait une déconvenue et lui, Septembre, pouffait de rire comme une lycéenne aux hormones en ébullition. Bravo. Franchement, félicitation. Il aurait tout de même pu compatir, ne serait-ce qu'un peu, au lieu de piquer un fou rire après avoir aperçu son visage. Voilà qui vexait Nini, sans compter qu'elle était peut-être un tout petit peu plus à fleur de peau dû à l'effet de la vodka. Il ne lui restait que deux choix possibles : bouder, ou contre-attaquer. Elle décida de contre-attaquer. Elle donna des coups pas très forts, pas vraiment convaincus à Septembre, lançant ses mains grandes ouvertes contre l'épaule du bougre.

-Mais! Arrête! C'est pas drôle!

C'est vrai ça, ce n'était pas drôle! Sauf peut-être pour un tiers qui aurait l'impression de voir deux grands enfants entourés de mets fins se chamailler. Nini laissa Septembre tranquille, le temps qu'il meurt de rire ou qu'il s'en remette. Dépitée, elle le regarda se tordre en deux et elle se promit qu'elle aussi, elle se moquerait et qu'elle aurait sa revanche. Amusant comment quelques cellules et un peu d'alcool pour secouer tout ça suffisait pour développer un peu de sa fierté et la pousser un faire un caca boudin. Les noizumènes agiraient-elles sur sa psyché et l'aideraient-elles à grandir en plus de lui donner un corps ne craignant pas l'eau? A voir...

Toujours en faisant la moue, elle accepta l'offrande que lui tendait le Sanctuari. Du bout de la fourchette, elle attrapa un morceau de viande bien cuite et piqua un morceau de bambou. Méfiante, cette fois-ci elle huma le plat avant d'y goûter du bout de la langue puis du bout des lèvres. Pour finir par mettre le temps dans sa bouche d'un air gourmand.

-C'est pas mauvais ce truc là! Qu'est ce que tu en penses?

Le regard de Nini sautait d'un plat à l'autre, ses yeux roulant dans tous les sens au fur et à mesure que des plats attiraient son attention. Finalement, après quelques hésitations, l'androïde pour le moment organique se décida à tester un nouveau plat. Qui était du coté de Septembre, celui où la jeune femme n'était pas installée. Et zoup la boum! elle plongea, la fourchette en avant, espérant avoir le bras assez long pour attendre un plat de poisson coloré. Et le lit étant par définition légèrement mou, elle perdit son équilibre et s'étala sur les cuisses de Septembre, son peignoir suivant presque fidèlement ses mouvements.Enfin, Nini ne resta pas déstabilisée très longtemps... Étalée de tout son long sur le jeune homme, elle tourna son visage vers le sien et lui sortit un "Désolée" en lui adressant un sourire pas très assuré. Pourtant, elle ne changea rien d'autre à sa position : là, elle était à la parfaite distance pour piquer un bout de poisson. Ce qu'elle fit. Et comme tout à l'heure, elle commença par renifler doucement l'odeur du plat, le chatouiller du bout de la langue et y tremper doucement les lèvres. Pas très convaincant, ce plat. Nini se redressa et avec un grand sourire, elle tendit la fourchette vers Septembre.

-Tu veux goûter?

Elle haussa très légèrement les épaules, d'un air interrogateur mais engageant pour inciter Septembre à manger ce qu'elle s'était servi. Après tout, c'est pas beau de gâcher, alors si ça lui disait d'essayer ce poisson... Ce petit geste eu pour conséquence de faire glisser légèrement le peignoir le long de son épaule, dévoilant un tout petit peu de sa peau claire et souple.

Elle frappait, je riais. Je tentais de goûter et soudain le corps raidi de la tête aux pieds je cessais de bouger.
Elle s'était vautrée -n'ayons pas peur du vocabulaire- prête à tout pour récupérer le butin qu'elle avait choisi. Quant à moi, les joues en feu, j'entendais mon cœur tout neuf battre un rythme endiablé.

-Non mais, dégage de là !

L'instinct de survie, ou simplement une faculté très humaine de cacher son embarras derrière une réaction agressive, je tentais vainement de l'éloigner du plat et de moi par la même occasion.
Tout ça en faisait beaucoup pour un si frêle jeune homme. ( On se remémore vite fait : je fais un bon mètre quatre-vingt et en humain je dois peser dans les quatre-vingt kilos. Et comme ma carrosserie étaient faites de belles courbes viriles, mon anatomie semble en avoir calqué les formes... J'ai l'air très fragile comme ça !).

-Comment ça "désolé", mimais-je un sourire attendrissant et peu convainquant, tu ne pouvais pas demander que je te le passe !

Je me sentais... Je crois que l'expression c'est "tout chose", non ? Et voilà que sans interface de décryptage pour capter l'humanité toute entière j'étais totalement démunie devant elle.
Robot en détresse.
Engouffrant le contenu de ma fourchette (qui menaçait de s'échouer sur le drap depuis l'aventure de Nini) je mâchais en détournant les yeux sur l'écran de télévision. Là, voilà que ma réaction, certes un peu exagérée, disparaissait de mon expression.
En fait, si je ne l'avais pas vu une heure plus tôt en tenue d'Eve, je n'aurais peut-être jamais eu cette réaction là.
Pardon, je ne suis qu'un mâle.

Tout ce temps Nini l'avait passé à renifler les victuailles. Alors quand je me retournais pour voir si elle n'était pas endormie dans un plat de lasagne, je la voyais fourchette tendue.
Pour la peine, je goûtais sans rechigner.
C'était mou, c'était un peu fade après le bambou salé, mais léger.

-ça va. C'est pas mauvais, me demande ce que c'est...

Debout, je cherchais les cartes ou la facture détaillant notre commande quelque part. Il n'y avait pas de facture mais bien les cartes. Et cherchant du regard, je trouvais plusieurs plats de poisson mais aussi.... De cervelle. Et la description du plat disait très clairement "aussi léger et frais que le meilleur des poissons d'eau douce"
Je lisais à haute voix les éléments quand cette fois je me souvins de l'autopsie du Ken précédent et de sa cervelle en bouillie rougeâtre dans le bocal du légiste. Je palis et me dirigeais sans plus de précautions vers les toilettes.
Aussi vite que mes jambes purent me porter !

Nini haussa les épaules. Ce que c'était, elle n'en avait qu'une vague idée. Elle n'avait plus aucun détecteur capable d'analyser ce qu'elle ingérai, à la place elle avait des papilles gustatives. Très sympa niveau sensation, mais pas pratique pour savoir si on mange un repas équilibré contenant les fameux apports journaliers recommandés par nos amis les médecins et les diététiciens. Assise bien droite maintenant qu'elle avait eu ce qu'elle voulait, elle laissa Septembre chercher sur le menu le nom du plat dont elle venait de le nourrir. Surprise, elle le vit pâlir et partir en courant jusqu'aux toilettes.

-Ca va?

Intriguée, elle attrapa la carte des plats et suivit le grand garçon plié en deux au-dessus de la cuvette. Un peu incrédule, elle lit en diagonal le menu : il n'avait pas trouver le poisson mauvais, et pourtant il rendait ce qu'il venait juste d'avaler. Ce ne devait pas être une allergie : les réaction allergiques ne se déclarent pas de cette façon. Et là, ting!

-Ne me dit pas que tu ne supportes pas l'idée de manger de la cervelle?

Un brin incrédule et un brin moqueuse, le jeune femme se mit à rire. Voir un grand et fort sanctuari choqué à l'idée de manger en peu de matière grise, voilà qui était amusant. Comme quoi, il n'était pas si endurci que ce qu'il voulait bien le faire croire! Nini lui frotta le dos gentiment, parce que tout de même vomir c'est pas quelque chose d'agréable d'après ce qu'on lui a dit, tout en ricanant. Bon, ce n'était pas forcément très réconfortant pour Septembre, mais ça l'aiderait peut-être dans cette dure épreuve?

-Attend, je t'apporte quelque chose à boire.

Elle tapota le dos du grand jeune homme qui lui faisait penser à un petit garçon à ce moment précis avant de retourner vers le buffet sur roulettes. Du revers de le main, elle s'essaya une larme apparue au coin de l’œil. Voilà, par pur hasard, elle avait eu sa revanche sur Septembre. Comme quoi, la Providence faisait bien les choses parfois. Elle attrapa une bouteille de thé au jasmin sucré dont elle rempli le verre à la moitié avant d'avoir une superbe idée. Elle reposa la bouteille et en saisit une autre : celle d'un whisky de qualité, 45° d'alcool. Avec un sourire de petite peste collé aux lèvres, elle versa le liquide ambré jusqu'à ce que les trois quarts du verre soient remplis. Et très gentiment, elle donna le tout à Septembre avant d'aller s’asseoir sur le rebord de la baignoire : parfait point d'observation pour se délecter de la tête qu'allait faire le jeune homme tout en étant suffisamment loin au cas où il recracherait le breuvage magique!

-Boit ça, ça va te faire du bien.

C'est ça apporte moi un truc à boire, pensais-je très fort. Tout sauf me souvenir encore de la bouillie qui remplissait le crâne du précédent maitre Ken après le passage d'une balle.
Trop tard, j'y ai repensé. Mon ventre se contracta et c'est comme si on m'avait rempli la bouche de mercure liquide. C'était lourd et plus aucun goût ne pouvait passer celui des fluides humains.

Sauf un peu d'eau peut-être.
C'était quand même un peu sombre pour de l'eau.
Le verre fut vidé en deux gorgées. C'était fort. Ça piquait la gorge et juste assez à l'intérieur pour déclencher une nouvelle remonté du barrage.
Un grand garçon comme moi penché sur la cuvette des toilettes pour un petit bout de cervelle... La prochaine fois je saurais : ne jamais commander toute une carte.

Jusqu'à ce qu'il n'y ai plus de saumon pour faire des sauts périlleux.

Lessivé c'était le mot. Elle m'avait refilé un tort boyaux plus qu'efficace. Assez pour cacher l'haleine âcre mais pas assez pour faire disparaitre la sueur qui me maculait le front.

-Tu n'es qu'un monstre.

Je lâchais un "Ah!" de bonheur quand mon dos rencontra le carrelage frais qui entourait la baignoire. Pris de légers spasmes et frissons je baissais la tête en signe de résignation. Il faut se méfier de l'eau qui dort, et de Nini encore plus. Voilà un dicton que tout bon sanctuari devrait connaitre.

Je manquais de vomir à nouveau. Hélas, mon estomac était propre comme un sous neuf. Si vide que mon ventre se contracta et je me contentais de pâlir.
Un doigt pointé vers les vêtements qui devait très certainement être recouvert de la même bouillie neuronale dont je venais de renvoyer les derniers envahisseurs, je demandais d'un ton suppliant :

-Faut brûler ces trucs...

Ni une ni deux, je poussais le robinet d'eau froide à fond, ma tête dessous c'était comme redevenir un robot. C'était froid et un système de protection inutile en tant normal venait de bloquer toute pensée parasitaire : de l'eau froide.
C'est magique.

Mouahahahahahahah... Le grand, beau, noble sanctuari était là, en train de rendre tout ce qu'il pouvait et même plus, plié en deux au-dessus des toilettes. Qui l'eut cru! Nini se découvrirait-elle un petit côté sadique? A la réflexion, non. Qui aime bien châtie bien, comme on dit. La (pour l'instant) jeune femme semblait apprécier de plus en plus son compagnon de chambre. Sans rire ouvertement, elle regarda le pauvre Septembre, victime malheureuse de ses caprices et expériences, convulser.

-Moi, un monstre? Jamais! Et je suis sûre que ça t'a aidé à chasser le goût de la bile.

Bon, ça se voyait qu'elle-même n'était pas entièrement convaincue par ce qu'elle disait. L'alcool qu'elle avait bu faisait effet... C'est beau, d'avoir un corps organique! Bref, Nini ria sous cape, observant Septembre qui de toute évidence était malade pour la première fois de sa vie et n'appéciait pas vraiment les sensations allant de paire avec sa nouvelle situation. Elle le laissait se passer la tête sous l'eau et se dirigea vers le lit. Elle débarrassa les plats et les boissons, les reposant sur les chariots. Elle replia les draps, dévoilant le matelas du lit, et arrangea les oreillers contre le mur. Une fois fait, elle retourna voir Septembre, dont la tête dégoulinait d'eau. Elle attrapa une petite serviette et s'employa à lui sécher les cheveux puis le visage, le cou et les épaules, frictionnant doucement le tissu contre la peau du sanctuari.

-Comment tu te sens? Ça va mieux?

Cette fois, Nini était réellement bienveillante.

-Aller, on va t'installer plus confortablement.

Sans la moindre hésitation, la jeune femme passa son bras autours de son patient et l'aida à se lever sans vraiment lui demander son avis. Elle l'aida à retourner dans la chambre et l'installa confortablement dans le lit. Elle alla chercher un gant de toilette qu'elle passa sous l'eau froide avant de le colle sur le front de son compagnon. Une fois fait, Nini appela la réception, demandant à ce qu'on leur apporte une bassine qui ne tarda pas à arriver et qu'elle posa sur la table de chevet la plus proche de Septembre.

-Tu as encore envie de vomir?

Doucement, délicatement, d'un geste réconfortant, elle caressa l'avant-bras du sanctuari malade comme un chien. Le voir plier en deux dans la salle de bain, c'était amusant, mais juste cinq minutes... Du coup, il fallait boire pour oublier l'état pitoyable de Septembre : et c'était parti pour un petit rhum-coca . Et un cuba-libre, comme dans les films, un!

Je hochais la tête comme un gamin pris en faute, parce qu'il faut savoir que la tête boudeuse ou la moue de "je suis malade fais-moi un câlin" sont les mêmes. Tout est une question de contexte. Adossé à un coussin avec une bout de tissus éponge sur le front, je me sentais un peu mieux.
Maintenant je comprends pourquoi on envoie les robots en salle d'autopsie et pas les organiques. Tout ça ne m'ôte pas la question principale : jusqu'à quand Nini sera gentille ?

Tant qu'elle l'est, faut en profiter. Je ramenais le gant sur ma tête, comme un bonnet trop petit. Un verre rempli de bleu et de vert, de glaçons et de citron en tranche, je restais assis sur le lit.
Pour lui répondre, je lui montrai le verre. Comme dans les films d'espionnages qui passe sur les chaines télévisées de Tern.

-Je me soigne.

Hop ! Ça file tout droit dans l'estomac.

Çà va passer ?
Attente prudente yeux fermés et lèvres scellées. Mon estomac n'était pas très heureux de la mésaventure. J'ai beau trouver l'humanité curieuse et attachante, mon blindage me manque.
J'ouvris les yeux, des petits éclats de lumières sur les rétines, mais sûr et certain que mon mélange tiendrait le coup à l'intérieur.

Les organiques disent parfois que l'alcool ça fait du bien. Ça conserve aussi, je n'ai jamais vu d'alcoolique battant le pavé qui ne sache pas résister aux chutes, au froid, à la maladie et aux roustes. Ce truc doit avoir des vertus divines cachées disponibles uniquement à ses consommateurs. Alors...

-A ta santé !

Mon verre fis "Ting!" en claquant contre le sien. Et v'là que la fin de mon mélange finissait de faire disparaitre les marques de mes faiblesses quand il s'agit de... Enfin de... Bref.

J'étais encore un peu sonné de mon passage aux oubliettes de la nature, mes gestes me semblaient ralentis, alourdis. Comme si le temps voulait me laisser un peu de répits. Juste un peu, trop prudent pour me sentir assez en sécurité à côté de Zombie-killer-Nini.
Je saisi un saladier dont la vue ressemblait fortement à des pomme-de-terre frites. Placé entre nous en équilibre sur la couverture plié et le drap du dessous (on se fiche des taches, dans deux heures nous serons de nouveau des boites de conserve).

-Tu veux goûter ?

Non pas les frites, mais l'alcool bleu dont la bouteille paraissait fluorescente à la lumière du téléviseur qui s'y reflétait.
L'alcool ne recelait aucun risque ou surprise gore et dangereuse pour un androïde nouvellement promu chez les humains.
J'en reprendrai bien un peu. Ce truc avait calmé l'aigreur dans ma gorge. De plus, un petit quelque chose inattendu se produisait ; mes mouvements étaient lents mais comme mon cerveau ralentissait aussi tout ça me semblait on ne peut plus normale.

D'un air dubitatif, Nini le regarda lever son verre contenant un breuvage d'une couleur douteuse et très certainement interdit aux mineurs. Elle jeta un coup d’œil à la bassine vide posée à côté de Septembre, se demandant s'il arriverait à y plonger sa tête à temps au cas où son système digestif se révolterait à nouveau. Enfin, elle était à portée de main : ça devrait aller, même s'il y avait urgence.

-Je vois ça...

Yeux fermés, lèvres pincées... Le sanctuari lui-même semblait avoir quelque dut quant à savoir s'il "se soignait". Appréhensive et se disant qu'elle espérait vraiment que Septembre ne retourne pas au-dessus des toilettes recracher ce qu'il venait d'ingurgiter (entre autres parce qu'elle avait la flemme de s'occuper d'un jeune homme souffrant d'intoxication à l'alcool), Nini observa le visage de son compagnon jusqu'à ce qu'il se décrispe. Ouf, cette fis, il ne courrait pas à la salle de bain!
Bon, par contre, il avait l'air un peu grogui. Mais vue l'état de Nini, la jeune femme ne s'en rendait pas vraiment compte. Et c'était pas plus mal : si elle ne réalisait pas dans quel état Septembre était, l'inverse devant également être vrai! Avec un peu de chance...

-A la notre. Santé!

Les verres tintèrent et Nini porta le breuvage sucré mais fortement alcoolisé à ses lèvres. Igloo, igloo, igloo. Elle but ce qu'il restait de son cocktail d'une traite, ce qui n'était pas forcément une très bonne idée. Un frisson la parcourut, une étrange chaleur lui brûla la gorge, et mordiller sa lèvre inférieur lui procura une étrange sensation... Les miracles de l'alcool!

-Hummm... Aller, sert moi un verre! Et puis donne moi des frites à grignoter aussi. A s'qu'i' parait, faut manger quand on boit.

Nini tendit son verre à son compagnon d'un geste impérieux, trinqua avec lui et goûta la boisson bleue forte intrigante mais pas mauvaise. Et zouh! On vide le verre en quelques gorgées entre-coupées de pommes de terre frites mâchouillées machinalement. Une douce torpeur commença à s'emparer d'elle, rendant ses paupières lourdes, tandis qu'une sensation de froid la recouvrit imperceptiblement.

-C'est pas mal ce truc. Qu'est-ce que tu en penses? Tu m'en redonnes?

Elle battit deux ou trois fois des paupières, ses longs cils recourbés projetant une ombre furtive sur ses pupilles brillant d'un éclat légèrement fiévreux, son regard planté dans celui de Septembre à qui elle tendait son verre. Un frisson la parcourut, elle se laissa aller contre la source de chaleur la plus proche d'elle : Septembre.

-Mange mange !

Je lui concédais la praticité de la rumeur : manger, c'est bon, manger, ça éponge. Pas tout.
Si tôt exigé, je lui fourrai le saladier sur les cuisses. Au moins les frites ne manquaient plus de glisser de nos doigts moins assurés et de tacher le lit.

C'était jusqu'à ce qu'elle commence à me coller. Si elle avait froid, j'avais chaud. L'alcool transformait mon visage en fournaise. A croire qu'elle s'était amusée à augmenter le thermostat du chauffage de la chambre. Mais non, en plein été les chauffages étaient aussi froid qu'on pouvait l'espérer alors...
L'alcool ça rapproche.
En remarquant la proximité qui ne laissait plus trop de place à un quelconque saladier entre nous ma réaction avinée était élémentaire :

-Tu connais la blague du type qui rentre dans un café et...

Ma frite m'échappa et tomba pile dans un récipient de soupe/sauce/liquide sentant le poisson. La patate émis un "plouf !" légèrement grave.

-... Tricheuse.

Parce que plouf dans le café. C'était un vieux collègue joviale mais un peu siphonné qui avait trop longtemps travaillé dans les sous-sols de Cerclon aux premières années de la capitale. Les court-jus à répétition ont mis à sac sa matière grise. Ce petit défaut qu'il communique à tout le monde dans la caserne en disséminant à tour de bras ses blagues les plus vaseuses.
Voilà comment un androïde qui n'a jamais eu de copine arrive à se remémorer les pires informations archivées.

Obéissant, je remplis presque à ras-bord le verre de la demoiselle. Ne me rendant compte de mon ânerie que lorsqu'il ne coula dans le miens que quelques gouttelettes de rab.
Bousculant tout notre petit mélange de corps chaud ou froid, les frites comprises, je me levais pour fouiner dans le bar. La bouteille entamée par Nini pour me nettoyer l'estomac était toujours là, prête à l'emploi si je puis dire.

J'ai regardé la bouteille. J'ai observé Nini et le lit. Conclusion faite, cet alcool méritait qu'on le finisse. C'est pas beau le gâchis.

Je revins m'installer toujours mes gestes bourrus et mon pas mal assuré. Le gant qui ornait ma tête trainait à présent sur les tapis.
Mon verre était plein et je m'en fichais car les goûts commençaient à ne plus avoir d'importance de toute façon.
Très franchement je ne savais pas qu'il existait dans la nature des systèmes capables de mettre en veille toutes les fonctions exaspérantes. Humain ou pas, l'alcool avait cet effet magique de tout supprimer, neurones compris. Il faudrait l'inventer pour les robots.

C'est sur ce sujet que je commençais à disserter, en lui désignant l'un bouteille de cette affirmation :

-J'ai trouvé le graal. Tends ton verre !