Attention, chutes de poules [PV Ryner]

Quand on est coursier, la curiosité est un défaut dont il vaut mieux savoir se passer, sous peine de ne jamais cesser de se demander ce que cette jolie dame mariée de Northrives peut bien écrire à ce garçon de ferme de la Zone du Dehors. C'était une règle qu'Uriel connaissait bien, et c'est pour cela qu'il ne connaissait jamais des colis qu'il livrait que leur apparence extérieure, et rien des secrets qu'ils contenaient. Mais le secret contenu dans ce paquet-là n'avait apparemment aucune envie de rester caché plus longtemps, et paraissait très décidé à le faire savoir.

La boîte avait beau être en bois solide, elle commençait déjà à céder sous les coups furieux de la mystérieuse créature enfermée à l'intérieur, laquelle feulait à qui mieux mieux. Une secousse plus forte que les autres faillit lui faire lâcher prise et Uriel dut se livrer à quelques acrobaties aériennes pour rattraper le colis ; il manqua s'encastrer dans un mur, emmêler ses grandes ailes grises dans une corde à linge, et eut toutes les peines du monde à reprendre un peu d'altitude. Pour finir il se posa en catastrophe sur le faîte d'un toit et fusilla le paquet du regard.

Beurk, en plus il fallait que ça arrive au-dessus d'Ordae.

Uriel n'aimait ce quartier que quand il le survolait de loin. Il y avait toujours des odeurs désagréables quelque part, de la boue dans les rues quand le temps était humide, et quand ce n'était pas le cas, trop peu de soleil qui filtrait dans les allées étroites. Sans compter les oiseaux. Il aperçut des déjections de pigeons près de son pied et amorça un pas de côté en fronçant le nez. Manque de bol, le colis s'agita à cet instant avec un feulement assourdissant et il perdit brièvement l'équilibre. Il se mit à jurer, sachant très bien qu'il devait avoir l'air d'une poule affolée à battre des ailes comme ça.

Il s'en serait sorti sans mal si une lampe à huile poussiéreuse n'avait pas surgi de nulle part, rebondi sur l'auvent d'un commerce en contrebas, cogné dans la queue en mouvement d'un dragon de passage, pour... "poc !"... finir sa course contre le crâne du pauvre livreur. Ange, colis et lampe, le tout bascula en arrière et dégringola du toit dans une grande envolée de plumes.

"AACK !"

Ce cri fut le seul avertissement dont disposèrent les gens en contrebas, mais ce ne dut pas être suffisant puisqu'Uriel atterrit définitivement sur quelque chose de vivant. Un peu sonné, il n'y prêta pas tout de suite attention et voulut vérifier l'état du paquet dans ses mains. Problème : la seule chose qu'il tenait à présent était une lampe qu'il n'avait jamais vue de sa vie. Il ne mit pas longtemps à lui attribuer la bosse qu'il sentait naître sur son crâne et se sentit décidément de très méchante humeur. Elle était toute sale, en plus, cette breloque ! Il commença machinalement à la frotter contre sa manche, puis se reprit et la jeta au loin d'un mouvement rageur.

"Si seulement c'était des Pims qui me tombaient du ciel sur le crâne !" râla-t-il sans regarder où elle atterrissait.

Puis il se souvint qu'il était assis sur quelque chose qui bougeait.

Des pims qui lui tombent sur la tête ?

...

De pims lui tombèrent sur la tête.
Vous savez ces petits gâteaux sur une génoise moelleuse, une fine couche de chocolat noir et dessous de la gelée de cerise, d'orange ou tout autre fruit dans ce goût là.

Et le génie s'en alla en se grattant le menton :

-Ils sont tous malade dans ce bled. Le désert c'est mort mais au moins des timbrés on en rencontre pas à tous les carrefours. Des pims... Et pourquoi pas des loukoums pendant qu'on y est !

Sauf que de pim à pims il y a une marge (un "s" pour être précis) et sur le compte en banque d'Uriel apparut quelques pims en plus. Le génie commence à ne plus totalement contrôler sa magie, ça sent le big bang !

Spoiler:

Spoiler:

On le poussa sans douceur et Uriel se retrouva assis dans la boue. Raaah, mais quel quartier de m... ! Ca y est, son pantalon était dégueulasse, et humide en plus. Sans parler de ses ailes trop grandes qui traînaient partout par terre. Il leva un œil contrarié vers le pauvre type sur lequel il avait atterri et essaya de ne pas s'énerver devant sa critique injustifiée de son sens de l'équilibre. Il avait des circonstances atténuantes, non mais !

Mais bon, c'était quand même par sa faute que l'autre s'était retrouvé aplati par terre et tout boueux, et ça méritait des excuses. Même s'il se serait exécuté avec moins de mauvaise grâce si le jeune homme n'avait pas semblé humain. (Décidément, les humains, on en trouvait partout. Il commençait à se demander si c'était fait exprès pour l'agacer.)

"Oui, bon" bougonna-t-il néanmoins. "Désol..."

A cet instant, une pluie de petits objets se répandirent sur son crâne et roulèrent tout autour de lui. Incrédule, il regarda les petits gâteaux qui lui tombaient sur les cuisses. Il ne chercha même pas à comprendre, son cerveau s'était débranché. Il se contenta de fixer le vide, traumatisé.

"C'est vraiment pas mon jour, aujourd'hui."

Puis, en désespoir de cause, il en saisit un pour croquer dedans, et en tendit une poignée à l'humain en face de lui.

"Vous en voulez ? Ils ne sont pas mauvais, pour une punition divine."

Uriel avait rassemblé les quelques gâteaux qui n'avaient pas roulé par terre et s'était mis en tête de se lever. Les gens s'imaginent en général mal la difficulté de la tâche avant d'avoir vu un des anges de son monde essayer, surtout si l'ange en question avait le malheur d'être assis par terre. Il hissa les ailes aussi haut qu'il pouvait, donna de généreux coups de coude parce qu'elles ne se pliaient pas comme il voulait et lui traînaient dans les jambes, et réussit à force de persévérance à se hisser sur un genou.

Il leva les yeux vers l'humain qui lui adressait la parole, étonné qu'il soit encore là. A prime abord son maintien, son expression et le ton de sa voix ne lui donnaient pas l'air très sociable. Il se serait plutôt attendu à le voir filer se changer, et il lui en aurait difficilement voulu - lui aussi en avait très envie. Mais après tout, il devait faire un spectacle assez pittoresque... l'ange terrassé par une lampe et des petits gâteaux à la cerise. Au moins ce Ryner avait-il un peu de sens de l'humour. "Malheur de bon goût", ha.

"Uriel" se présenta-t-il, essoufflé. "Et faut pas croire, d'habitude je suis moins empoté que ça."

Hypothèse intéressante, aussi, la foudre. Dans son ancien monde, la foudre aurait pu lui tomber dessus sans lui faire aucun dégât, mais elle n'aurait jamais osé. Et ici, qu'est-ce ça pourrait donner ? Il était assez curieux, mais pas encore assez pour tenter l'expérience.

Il se hissa enfin debout et essaya de ne pas se marcher sur les plumes.

"J'ai juste eu un petit problème de... oh merde" ajouta-t-il à mi-voix, soudain pâle. "... livraison. Euh, vous n'auriez pas vu une boîte en bois à moitié défoncée ? Et qui feule ?"

Se disant, il regardait de tout côté pour localiser le colis. Si la bestiole avait réussi à se libérer, furieuse comme elle était, elle aurait tôt fait de prendre la poudre d'escampette.

Uriel aperçut la bestiole en même temps que Ryner et manqua de peu l'arrêt cardiaque.

"... C'est vraiment, vraiment pas mon jour..." se contenta-t-il de déclarer pour sa défense.

Le "paquet" était aplati par terre près du tas de petit bois qui avait un jour été sa caisse de transport. Il jetait des regards mauvais aux passants qui faisaient de larges détours pour l'éviter, et grondait en essayant d'extraire ce qui devait être une écharde de l'une de ses pattes avant.

"Je me suis fait rouler comme un bleu sur la prime de risques" murmura Uriel d'un ton presque détaché.

Puis il s'aperçut que quelques passants avaient l'air d'hésiter à intervenir, ce qui n'était pas forcément une bonne chose s'il voulait pouvoir ramener la bestiole au client. Il en avait besoin entière pour menacer de faire un scandale s'il ne se faisait pas correctement dédommager, bon sang ! Mais bon, c'était plus facile à dire qu'à faire.

Il commença par activer son collier enchanté, et ses ailes disparurent si vite que le déplacement d'air agita ses cheveux et laissa quelques plumes grises s'échouer par terre. Il n'avait pas voulu le faire plus tôt pour gagner du temps et repartir le plus vite possible, mais là, au point où il en était...

"A tout hasard, vous n'auriez pas des compétences en dressage de grands félins, Ryner ?" dit-il en amorçant un pas chassé nerveux vers le Cirdan. "Parce que personnellement, les animaux ne m'apprécient pas beaucoup..."

Il réussit à contourner la bête pour essayer de la coincer contre un mur, mais elle le repéra et s'immobilisa, les yeux fixés sur lui. Il n'y avait plus que sa queue qui bougeait encore, battant lentement l'air, et ça ne fit rien pour le rassurer.

Uriel fut agréablement surpris de voir Ryner intervenir, mais il comprit vite d'où venait cette étrange bonne volonté quand l'humain mentionna les autorités. Il lui coula un regard perçant mais ne fit aucune réflexion. Après tout, les humains qui voulaient garder profil bas, il connaissait, et que Ryner ait des raisons légitimes ou illicites de se fondre dans la foule, ça n'empêcherait pas le livreur de dormir la nuit.

"Au moins, là on est d'accord" se contenta-t-il de marmonner.

Mais bien que Ryner se soit porté volontaire pour l'aider, il ne s'était pas attendu à ce qu'il prenne complètement la situation en main. Il avait donc l'air si peu dégourdi que ça ? Mais il ne pouvait nier que voir l'humain prendre l'offensive à sa place l'arrangeait bien. Puis le Cirdan bondit sur son acolyte et Uriel se tendit. La foudre vint crépiter dans le creux de sa main. Si la bestiole faisait mine de lâcher la main de Ryner pour viser sa jugulaire, il les grillerait tous les deux, décida-t-il. Ryner n'en ressentirait qu'une méchante brûlure, mais le Cirdan était assez petit pour perdre connaissance... et si Uriel n'avait pas de chance, il perdrait aussi la vie, mais c'était un risque à prendre.

Fort heureusement, l'humain réussit par un quelconque miracle à calmer l'animal. Uriel se redressa et relâcha son pouvoir, soulagé.

"Vous êtes sûr de ne pas vouloir vous lancer dans le dressage ? Vous avez l'air bien parti..."

Il fit mine de s'approcher, mais le nouvellement nommé "Tyso" lui coula un regard peu amène et sembla prêt soit à filer, soit à mordre. Aucune des deux alternatives ne l'arrangeait, et il s'immobilisa.

"Moi par contre, non. Mais c'est pas spécialement étonnant. Merci pour le coup de main, en tout cas, c'est très apprécié."

Tout en disant cela, il pesa un regard calculateur sur Ryner. Donner un nom à quelque chose avait généralement un certain poids chez les humains... et celui-là ne semblait pas très pressé de lui rendre la bestiole.

"Il faudrait trouver une nouvelle caisse..." dit-il, plus pour voir sa réaction qu'autre chose.

Et il fit mine de regarder autour de lui, vers les marchands qui pourraient peut-être lui en céder une.