L'espoir est un doute déguisé.

Une grimace irrépressible se fit en parlant de mes pièces d'origine. Quant on sait que j'ai perdu ma rate dans l'arène, il ne faut pas s'étonner qu'on m'ait remplacé d'autres parties. Et plusieurs fois même.
Devant son air de bien le prendre, je me sentais moins mal à l'aise d'afficher une telle indifférence à sa nature androïde.
Avec un peu moins de métal et un peu plus d'eau il aurait été enregistré chez K'ouen sans problème. Il ressemblait tellement à un humain.

Le Cyliong essayait de repousser ma main et du museau tentait presque de me renvoyer au fond du ruisseau. Une claque sur la tête plus tard il s'ébroua le nez pour retrouver les sensations de ses moustaches et je le prévins de me laisser faire ou bien nous ne serions plus amis longtemps.

-Je crois que je n'ai plus d'excuse pour éviter de retourner au temple, fis-je l'air maussade et pas très engagé.

mon tee-shirt plaqué contre ma peau me faisait frissonner. L'eau était juste assez froide pour un gars élevé en plein air.
Je finis par enlever le tissus et le jeter sur le rivage. Il s'échoua comme une pierre en une masse compacte. A demi sérieux et demi-souriant, j'ajoutais :

-Bah ! J'ai oublié d'emporter du savon.

Comme si nous avions prévu ce détour dans la mission de reconnaissance initiale.

Je le savais bien, mon insistance à rester dehors était la conséquence de mon bien-être retrouvé depuis ce matin. Plus j'évitais de penser au Dieu -et par définition à un demi-dieu- mieux je me portais.
En fait, j'étais seulement terrifié à l'idée de retourner dans le temple et de voir cette journée tranquille se terminer. Je n'ai jamais su ce qu'était exactement des vacances, mais ça y ressemblait.

-C'est bon t'es libre !

Le faible courant du ruisseau avait fait le gros du travail et le plus compliqué était de démêler à la main les croûtes de terre et de nœud dissimulés sous l'épaisse crinière cendré. Un boulot que je laisserai à Ayame ou Lys en rentrant. Au moins ses poils courts n'étaient plus collés par des résines. Après avoir séché, il serait presque présentable.
Et j'éviterai une partie des remontrances du semi-elfe.

La monture se précipita sur la rive emportant avec elle plusieurs litres d'eau. Elle resta là, la tête dressée dignement vers la forêt à attendre que l'eau finisse de ruisseler.
Je regagnais le sol après elle et trouvait mon tee-shirt humide comme une éponge pleine. J'entrepris de l'essorer en me concentrant douloureusement sur cette tâche nouvelle, car il fallait éviter que l'essorage ne transforme mon vêtement en nappe ou bien en bouts de chiffons...

Ce n'est que lorsque Wergeld l'avoua en toutes lettres que Xénon réalisa que son ami fuyait sciemment le temple. Il en fut presque vexé, et dut se rappeler que Wergeld avait de bonnes raisons d'être mal à l'aise dans la maison de Ho'una. Tout de même, cela l'attrista. Quoique le Dieu ait fait, Xénon éprouvait une certaine sérénité à prendre soin de sa demeure. Il aimait le souffle du vent dans les couloirs de roche, les dessins que le sable traçait sur la pierre des murs ; même le bruit du ressac, malgré tous les mauvais souvenirs que cela ranimait en lui. Savoir que tout cela ne causait que du chagrin à Wergeld lui alourdit le cœur.

Il tourna machinalement la tête pour voir le T-shirt de son compagnon s'écraser à terre avec un son d'éponge mouillée.

"N'oublie pas de frotter derrière les oreilles," plaisanta-t-il sans grande conviction, plus pour couvrir son changement d'humeur qu'autre chose.

Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, curieux de voir les cicatrices que Wergeld venait d'évoquer. En effet, son torse et ses bras en étaient couverts. Les marques, un vrai camaïeu de teintes de rose, semblaient presque se mouvoir sur sa peau au rythme des muscles en action.

Le Cyliong jaillit du ruisseau avec tant d'empressement que Xénon bondit plus loin, inquiet à l'idée qu'il se secoue et lui envoie toute cette eau à la figure. Il n'allait pas fondre si une petite goutte le touchait, mais la bête était vraiment trempée. Mais non, elle resta stoïque.

"Je vais rester à l'écart de ta monture, si ça ne te dérange pas," dit-il, de peur qu'elle ne change d'avis au moment où il s'y attendrait le moins.

Il s'approcha de Wergeld tout en gardant un œil sur le félin. A présent que les choses étaient claires, il se sentait coupable de lui imposer un retour en territoire presque ennemi.

"J'aimerais te proposer un logement moins désagréable, mais la ville la plus proche est loin."

Il se frotta le cou, embarrassé.

Le Cyliong était immobile, son regard plongé noblement sur la forêt. Ses moustaches frémissaient, sa queue battait nerveusement la mesure et ses griffes rétractiles faisaient des va-et-vient révélateurs. En clair, il faisait preuve d'une force mentale épatante pour s'empêcher de se secouer.

-Va c'est bon, lançais-je à l'animal.

Il compris surtout l'ordre "va" qui avait la même signification que le "rompez" des militaires. Le Cyliong s'élança vers la forêt. Bien qu'il soit encore visible, il alla se coller à un arbre et commença à se frotter contre le tronc.
J'étais toujours épaté de voir ça. Un animal plus haut que moi en plein câlin avec un arbre. Jusqu'à ce que la monture décide qu'elle pouvait enfin se secouer maintenant qu'elle avait mis dix mètres entre elles et son public.

Bouche bée et les yeux rivés sur le Cyliong disparaissant dans les bois, je ne pris pas tout de suite la mesure des derniers mots de l'androïde. Mon tee-shirt entre mes doigts commençait à marquer certaines déformations à rester trop longtemps torsadé.
Ce n'est qu'en le dépliant que je sus où j'avais commis une erreur. La révélation me fit lever des yeux surpris.

-Non, non ! Le temple est confortable et bien plus calme qu'une auberge. C'est...

Seulement ma tête s'y sent à l'étroit. Plus les questions s'entassent et plus je manque de place. A l'extérieur, c'est un peu comme si j'envoyais tout balader pour faire quelque chose de plus important : survivre.
Je détournais la tête, ma phrase inachevée, je serrais les dents. Dans l'image du ruisseau j'espérais trouver quelque chose à dire pour remplacer les mots d'origines. Et puis finalement je me jetais à l'eau. (Façon de parler, j'étais suffisamment trempé comme ça).

-Je n'ai pas décidé si j’essaierai de parler à Ho'una avant de partir. Si je choisissais de laisser tomber...

Je n'ai aucun moyen de ramener Fafnir. Le dieu lui a parlé, je m'en souviens même si je n'entendais rien. J'étais sous le choc et c'est ça que je me reproche le plus. La douleur et les blessures ont mis mes instincts au repos ce jour là. Je les ai vu disparaître sans rien pouvoir dire, ni faire.

Je devrais peut-être lui avouer ce qu'était ce soi-disant commissaire.

-En quelque sorte il a mérité son sort, quoiqu'il lui soit arrivé.

Ce n'était pas une bonne personne. Mon discours était totalement décousu mais l'idée générale était seulement qu'il était temps que je lâche prise puisqu'il n'y avait rien à faire pour le ramener. Mais, plus encore, je ne devais pas me sentir responsable. Il serait arrivé un jour où il aurait fini achevé dans l'arène ou bien sous mes coups d'épée.
La fin était prévisible dès le départ.
Je l'avais déjà senti changer les derniers mois, après avoir entendu parler d'une mort suspecte dans le sud, d'une maison brûlée. Il avait repris ces vieilles habitudes, car c'était sa marque de fabrique : suspect mais aucune trace.

La fin était proche et ce ne doit pas être de ma faute.
Il ne sert à rien de cacher une évidence, c'est la solitude qui était le plus difficile à accepter.
Pendant une année il y a eut une personne capable de me suivre partout, une personne avec qui se lever le matin, une personne à rejoindre au retour d'une mission. Une personne qui comprenait ma façon de vivre et qui n'avait aucun problème avec ça.

-Je crois qu'il est temps de prendre une décision. Je ne peux pas continuer à perdre du temps là dessus, ils ont besoin de moi sur K'ouen.

Et en pleine forme de préférence.
Je ré-enfilais mon tee-shirt et allais chercher mes chaussures et ma veste tout en changeant de sujet. Je n'avais pas vraiment envie qu'on parle de ça. Je cherchais un sourire sur mon visage qui dirait : passons à autre chose.

Un jour je me rendrais compte que j'ai arrêté d'y penser puis j'oublierai.

-Dès que je retourne sur K'ouen je ferais réviser les plans du temple, tu n'as qu'une seule stalle et ça pourrait poser problème par la suite. Je pense qu'Ayame saura arranger ça, peut-être des écuries supplémentaires à l'extérieur... Enfin, je vais voir si on a le budget pour ça, il y eu des soucis à Lazareth ces derniers mois et je leur ai promis de trouver une solution.

Je l'invitais à reprendre le chemin dans les bois et à retourner au temple.
C'était plus sage que de rester dehors et trempé. De plus, je craignais qu'un nouvel orage n'éclate en début de soirée.
Parlant tout seul, je me laissais aller à penser à haute voix du rempart de bois de la ville arboricole, qui ne les protégeait pas du tout des prédateurs volant.
Xénon, d'expérience, devait savoir que la forêt Ing en était pourtant remplie.

Est-ce qu'il se rend compte que je me suis accaparé la parole ? Je craignais qu'il dise tout haut tout ce que je venais de penser, un truc dont Aya s'est fait l'expert et qui ne cesse de créer des conflits en l'elfe et moi.

Xénon écouta sans rien dire, attentif. Il avait le sentiment que Wergeld ne s'adressait pas vraiment à lui, qu'il cherchait surtout à mettre des mots sur un conflit trop longtemps resté intérieur. Il y avait toute une tempête derrière les yeux de l'humain, cachée dans les silences de ses propos saccadés. Mais ces quelques phrases sibyllines durent suffire à relâcher un peu de la pression qui couvait en lui depuis son arrivée au temple, car il sembla enfin trouver une conclusion à ses tourments.

Xénon le suivit du regard pendant qu'il se rhabillait. Que la décision de Wergeld soit la bonne, ou même définitive, ça ne regardait que lui. Xénon ne pouvait que se réjouir de le voir reprendre pied.

Il lui emboîta le pas pour s'éloigner du ruisseau, tout en cherchant machinalement le Cyliong des yeux.

"Rien ne presse. Le système D a bien marché jusque-là, et Pioche sait qu'il doit m'appeler en cas de problème. Un village de la taille de Lazareth est évidemment prioritaire."

Pas un mot ne lui échappa sur les problèmes personnels de Wergeld et ses bouts de confession voilée. Mais lorsqu'il le rattrapa pour marcher près de lui, il s'assura que leurs épaules se touchent quelques instants, presque comme par erreur. Quand l'attention de Wergeld s'arracha à son déluge maladroit d'observations sur l'architecture de Lazareth, Xénon lui coula un sourire amical. Il avait entendu, il avait écouté, il se souviendrait. Son rôle s'arrêtait là.

"Cerclon a des technologies qui peuvent remédier aux nuisances volantes, bien sûr," reprit-il ensuite comme si rien ne s'était passé. "Mais il faudrait un système qui ne risque pas de blesser les créatures conscientes."

Cerclon. Ce serait idéal si on pouvait exporter les technologies des remparts dans Ing. L'idée fit son chemin dans mon esprit à mesure que nous nous éloignions du ruisseau. Petit à petit on discerner le ciel gris entre les troncs d'arbre.
Il ne nous faudrait pas longtemps pour retrouver le sommet de la falaise.

-Et bien le bouclier de Cerclon marche pour ça, non ?

Privilégier Lazareth et ses invasions de tréants annuelles ou trouver quelques fonds pour aggrandir un peu le temple d'Ho'una.
Confiant, j'étais persuadé que Ayame trouverait du temps pour tout régler. Il adore les casse-têtes !

Ce qui me laissait penser que les autres temples devaient avoir le même problème que celui là. Celui d'A'vogenlhil en dernier puisqu'il n'est que très rarement visité du haut de sa montagne. En revanche celui du dragon et du taureau sont situés en plein sur les axes de commerce et sur les chemins sûrs qu'utilisent les aventuriers sans perçant.
Le problème a toujours été de conserver l'architecture intacte, les dieux n'auraient pas appréciés qu'on surélève les zones habitables pour protéger les voyageurs, notamment des inondations...

Lazareth pose le même problème. La cité située dans les arbres a toujours eut un regard mitigé sur les changements qu'on voulait y apporter. Pour un simple rempart au sol j'ai mis des mois à obtenir l'accord du conseil de la ville.

-Mais je ne suis pas certain que la ville accepte qu'on y apporte trop de technologies. Ils aiment leur cadre... Naturel et dangereux.

Avec le sourire c'est comme ça que je me souvenais du dernier conseil des maîtres.

-Au moins ils ne manquent pas d'animation !

j'y ai laissé de la sciure de bois et des échardes plein les beaux fauteuils de Tchen. C'est l'équivalent d'une arène annuelle, on sait à peu près quand elle va commencer et comment on va en ressortir.

Ils émergèrent des arbres et une bourrasque essaya d'envoyer les cheveux de Xénon dans ses yeux. Le ciel ne s'était ni dégagé, ni assombri pendant leur traversée de la forêt, mais le vent avait un peu forci. Il écarta machinalement une mèche de son visage.

"Tout le monde n'est pas fait pour le confort et la sécurité des technologies avancées, je suppose. Il en faut bien pour tous les goûts, ou il n'existerait que des techniciens et des courtiers en bourse et aucun chasseur. Si les attaques les dérangeaient tant que ça, j'imagine qu'ils déménageraient à Cerclon. Là, ils seraient tranquilles !"

A condition de ne pas se vexer des bruits de machinerie dans les couloirs, des pèse-personnes qui se permettent de commenter votre poids ou des voisins à la tronche de radiateurs. Ça lui manquait, à lui. Il aurait peut-être dû conserver son ancien appartement. La Res Publica, ce n'était pas pareil...

Xénon reprit la tête sur l'étroit chemin qui redescendait à flanc de falaise vers la plage. Un peu tard, il s'arrêta et demanda :

"Ça ira pour ton Cyliong, ce sentier ?"

La bête avait bien réussi à monter, mais aveugle et imposante comme elle l'était... Elle avait peut-être trouvé l'autre chemin ? Il s'écarta un peu de la falaise et aperçut la tête de la monture qui pointait, curieuse, au-dessus d'eux.

"Bien dressé..." murmura-t-il.

Wergeld laissait le Cyliong aller et venir complètement à sa guise. Il ne devait pas être si malheureux, même avec un maître passablement négligent, pour ne jamais avoir essayé de s'enfuir.

La diversion du Cyliong était bienvenue. Xénon le prenait bien, mais je doutais pouvoir exprimer l'idée que les gens de l'extérieur n'ont pas tous confiance en la technologie, sans vexer le maitre des hautes technologie dans la foulée.
Moi-même, j'ai mis des semaines à comprendre le fonctionnement du téléphone. La seule technologie dont je comprend le fonctionnement a deux roues et un potentiel de mort imminente assez élevé.

C'est dire que Xénon vu comme un être pensant est déjà compliqué à comprendre -ma vie social n'a jamais été très remplie- et si j'avais l'audace de le regarder seulement comme une machine très complexe et bien plus parfaite que je ne le serais jamais, je me risquais à une migraine coriace.
Même si ça ne me ferait pas de mal de prendre exemple sur lui.

J'ai regardé au ciel pour y voir le Cyliong se détourner. Xénon avait droit de voir sa tête, moi je voyais son arrière train... On dirait que la bête se venge à sa façon. J'affichais un sourire et me permis un haussement d'épaules qui en disait long sur mon retour à un état normal -normal pour moi.

-Il s'en sortira.

Je n'aurais pas dis la même chose si la descente était un escalier. La pente était étroite mais plutôt régulière. Il s'en sortira en se collant à la paroi. S'il a réussi à monter, il saura descendre. Ce chat là avait un peu plus de jugeote que ceux des villes.
Sinon un sarkina suffira à le motiver ou à régler le problème.

-Je vois pas en quoi il est si bien dressé, ce cyliong n'en fait qu'à sa tête en ma présence. Une vraie tête de mule !

Tel maitre tel cyliong ?

-Si ça t'inquiète il ne posera pas de souci aux visiteurs. Il va se trouver un endroit où dormir et se cherchera lui-même sa nourriture. Il éloignera les petits prédateurs pas sa seule présence.

A moins qu'il ne soit très fatigué ou qu'il pleuve, il ne reviendra pas au temple tout de suite. Je lui avais donné quartier libre, l'animal en profitera aussi longtemps que possible.
Il me ressemblait un peu pour ça. Si j'arrivais à me défaire de Ayame ou de K'ouen tout court pendant deux jours, je n'étais jamais pressé de les retrouver.

-Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de dormir la moitié du jour et de ne rien faire l'autre moitié !

Je dis ça en étirant mes bras au dessus de me tête. L'eau, le vent, rien de tout ça ne gênait vraiment. Dans quelques minutes je mettrai mes vêtements à sécher dans le temple, là dessous le vent ne disparaitrait jamais, c'était le moment de s'y faire et j'avais quelques jours à utiliser à ne rien faire.
Ou bien je rendrai service dans le temple. La vraie question est de savoir si je tiendrais longtemps à ne rien avoir à faire sinon regarder les mouettes voler.

Avec le recul, nous n'étions pas si éloigné du temple. Le relief faisait le gros du travail et la longue plage donnait l'impression d'être interminable. Mais l'entrée était pourtant bien visible depuis la descente de la falaise.

D'ailleurs...

-Tu as prévu de rester longtemps au temple ?

Il m'y avait invité mais rien ne disait qu'il resterait aussi longtemps que moi. Je n'ai rien contre Pioche, mais la présence du prêtre me donnait l'impression que je n'aurais pas l'occasion de m'ennuyer.

"Je ne m'inquiète pas."

Wergeld avait beau paraître très nonchalant envers sa monture, Xénon le savait assez responsable pour ne pas gêner autrui sans raison. Le Cyliong pouvait bien faire ce qui lui plaisait.

Mains dans les poches, Xénon donna un petit coup de pied dans le sable humide et le regarda jaillir en mottes compactes. Il coula un regard amusé à Wergeld lorsqu'il s'étira. Quelle surprise d'apprendre qu'il n'était pas habitué aux vacances. Celui-là, il était évident qu'il fallait l'attacher si on voulait qu'il se repose. D'ailleurs, Xénon réalisa que si son ami devait rester au temple un petit moment, ceci risquait de poser problème.

Wergeld sembla presque lire dans ses processus.

"Quelques jours," dit-il, mentant seulement à moitié (il avait prévu de repartir le jour même avant que la présence de Wergeld ne le fasse changer d'avis). "Et justement, en parlant de ça..."

Il s'interrompit et leva les yeux au ciel le temps de consolider l'idée qu'il venait d'avoir.

"Plus j'y réfléchis, et plus je me dis que je peux peut-être m'occuper de cette écurie annexe moi-même. Si on part sur un bâtiment extérieur... Il faudra du solide pour résister aux tempêtes, mais l'architecture, c'est une question de logique. Je dois pouvoir créer un plan de construction viable. Les matériaux, ça se récupère facilement en ville par Perçant." Surtout s'ils avaient deux Titres sous la main. "Je peux ensuite envoyer la facture à K'ouen, ce sera plus rapide que de passer par toute la paperasse pour démarrer le projet et embaucher les artisans."

Il se tourna vers Wergeld.

"Qu'est-ce que tu en dis ? Tu m'aides à démarrer ?"

Le temple n'avait pas besoin d'un hôtel 5 étoiles pour montures. Une annexe modeste suffirait, et à eux deux - leurs forces surhumaines, l'acharnement habituel de Wergeld et l'incapacité de Xénon à fatiguer - ils pouvaient avoir quasiment terminé avant de devoir tailler la route. Ça tiendrait Wergeld occupé et hors de danger... du moment qu'ils limitaient les gros bruits près de lui les premiers temps.

Le bricolage, c'était plus ou moins le genre d'activité que je préférai laisser aux experts. Mes compétences étant plutôt destinées à couper du bois ou à casser des murs plutôt qu'à fabriquer quelques chose...
Impossible de dissimuler mon expression mitigée à sa proposition. Il avait certes raison, en plus j'aurais bien du mal à contredire la raison d'une créature aussi logique, mais ce n'est pas l'idée de passer quelques jours à bricoler sous la brise marine qui me convainc, c'est l'argument qui m'annonçait de la paperasse en moins.

En réalité, c'est presque vrai. J'aurais certainement refilé les dossiers à Ayame ou aux gratte-papiers du bureau. Travailler avec Xénon avait un attrait tout particulier.
Je ne saurais dire lequel, mais passer quelques jours à faire quelque chose d'utile et pratiquement sans danger avec l'androïde me semblait être excellente idée.

-T'as sûrement déjà une idée de comment on va s'y prendre pour cette annexe, je t'écoute !

Dur de savoir si c'est le fait d'avoir trouver de l'occupation qui me mettait de si bonne humeur ou si c'est l'impression de faire quelque chose d'utile sans risquer ma peau...
Il va falloir que je pense à me sécher et à changer mes bandages avant de commencer. Je peux travailler dans n'importe quelle condition, mon seuil de tolérance à la douleur fait friser les médecins de la capitale, mais elle a ses côtés pratiques.

-On pourrait se fournir en matériaux à Garbel ou Simola...

Pour Garbel suffit de savoir leur parler. Je sais chasser et d'ordinaire ça me donne un droit de passage et de séjour temporaire chez eux en cas de besoin. Ils ne m'estiment pas autant qu'ils estimaient Caleb, mais jusque là ça a suffit. Sinon, il y a Simola. On y trouvera sûrement une scierie.

C'était faisable. Tant que Cyliong resterait ici, je pourrai utiliser le sarkina pour du transport de marchandises.

-Tu as des outils au temple ou il faut prévoir de s'en trouver aussi ?

Xénon lut la réticence sur le visage de Wergeld et attendit sa décision avec une certaine déception. Aussi fut-il agréablement surpris quand son compagnon reprit du poil de la bête et l'invita avec bonne humeur à développer. Xénon sourit, soulagé.

"Laisse-moi calculer tout ça et ce sera fait en un rien de temps !"

Première étape : les fondations. Les yeux de Xénon scannaient déjà la plage autour de l'entrée, cherchant l'endroit où la couche de sable serait la plus fine et le sous-sol le plus approprié à une construction stable. Tandis que son processeur digérait avec joie le problème et débattait du pour et du contre des différents matériaux auxquels ils avaient accès, il posa une main chaleureuse dans le dos de Wergeld pour l'inviter à gagner l'intérieur du temple. Ses vêtements étaient toujours humides sous sa paume.

"On a le strict nécessaire ici : marteau, levier, scie, quelques planches et des clous... Ça ne va pas suffire."

Ils croisèrent un des voyageurs que Xénon se souvint à peine de saluer d'un hochement de tête, absorbé par ses réflexions. Il s'arrêta devant la chambre de Wergeld.

"Change-toi et rejoins-moi dans la cuisine, qu'on commence une liste ? On pourra choisir le terrain aujourd'hui et s'occuper des emplettes dès demain matin."

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