L'espoir est un doute déguisé.

Le rythme avait perdu toute cadence avec le coup de feu. J’aurais voulu l’empêcher de tirer, tout ce que je réussis à faire c’est pencher la tête et tenter de protéger mes oreilles. Le sifflement aigüe qui en résultat perturba mon équilibre et mon attention.

Si Xénon n’avait pas été là, le loup n’aurait eut aucune pitié.

Projeté au sol, je manquais de penser à respirer sous la choc.
Le ciel et la terre se confondaient. Mes paupières étaient parsemées d’étoiles.
Un temps infini fut nécessaire avant que je ne reprenne conscience de ma vision en deux teintes. Là bas, il y avait un équipier face à un adversaire très proche du vide.
Trop proche, même.

Derrière, les monstres préféraient se battre contre l’ennemi qui se défend plutôt que contre le cheval de trois qui n’irait pas loin avec une patte en moins. Déjà ils rebroussaient chemin pour nous encercler en bord de falaise.

-Derrière !

Première étape, nous débarrasser du loup placé du mauvais côté.
Je ne pourrais le nier, j’ai toujours rêvé de faire ça depuis que j’ai acheté une baraque au bord d’un précipice. Impossible de ne pas y penser. L’occasion était trop belle.
J’ai poussé sur mes jambes de toutes mes forces, mon épaule et la garde de mon épée s’enfoncèrent dans les côtes du loup qui s’envola pour un saut de l’ange.
Le loup gémis. Il disparu tout simplement de l’autre côté du relief.

Avec une telle force, on imagine rarement que ma propulsion va de paire. Je l’oubliais aussi de temps en temps. La physique me rappela une autre règle essentielle : Sans obstacle, ce qui est en mouvement reste en mouvement.

Le ciel s’ouvrait à quelques mètres sur la mer déchainé en contrebas.
Je fus emporté par mon élan.

Une prise maladroite m‘évita de plonger. Je terminais les pieds dans le vide et mon épée cherchant à tester les lois de la gravité. Se hisser sur la terre ferme finit de faire craquer mes côtes abîmées. Avec un grognement mécontent quand mes chaussures glissaient sur les appuis instables et ruisselant.

Essoufflé et endoloris de la tête aux pieds (notons que je ne raconterai jamais cette idée stupide à Ayame), je manquais de m’étouffer en récupérant une goulée d’air pleine de pluie.

Pour la deuxième fois en autant de minutes, Xénon cria le nom de Wergeld. Dire qu'il était alarmé aurait été un euphémisme. Il commençait sérieusement à se demander si le Maître de K'ouen n'était pas suicidaire, ou à tout le moins complètement inconscient. Insister pour sortir en pleine tempête dans son état de fatigue était une chose, mais voilà qu'il se jetait d'une falaise ! Il y avait des manières plus douces d'en finir avec la vie !

Seul le fait qu'il avait été construit pour être complètement incapable de ressentir la panique permit à Xénon de garder la tête froide. Le système de lien logique de son processeur ne cessait d'ouvrir ses souvenirs d'une autre falaise des années plus tôt, et d'un autre homme basculant vers la mer en contrebas.

Il se précipita vers le rebord, espérant contre toute attente trouver Wergeld vivant, mais il n'eut pas le temps de l'atteindre. Les loups trouvèrent que le dos qu'il leur tournait faisait une très belle cible. Il se retourna juste à temps pour en voir un lui sauter à la gorge. Il esquiva et dégaina sa grande épée à deux mains.

Wergeld n'avait cessé de raviver ses souvenirs du maître durant toute la soirée. Ne serait-ce pas merveilleusement ironique si leurs disparitions devaient être aussi similaires ? Cette pensée le mit tellement en colère qu'il frappa le prochain loup du plat de sa lame, si fort qu'il fit un vol plané et suivit son congénère par-dessus le bord de la falaise avec un geignement pathétique. C'est alors qu'il remarqua la grande épée et les mains qui luttaient pour hisser leur propriétaire sur la terre ferme. Le soulagement qu'il en ressentit suffit presque à noyer une nouvelle vague de colère. Mais pas tout à fait. Celui-là, quand ils auraient deux secondes pour discuter, il allait l'entendre !

Il couvrit l'escalade de Wergeld, trop occupé pour l'aider. Il tua un loup, un deuxième, récolta une longue griffure sur la cuisse. Les loups finirent par reculer en grondant, ré-évaluant la menace qu'il posait. Xénon en profita pour faire deux pas en arrière sans les quitter des yeux. Il empoigna Wergeld par son col et le hissa sur ses pieds.

"T'es complètement taré et je te renverrai bien par-dessus cette falaise moi-même !" lui cria-t-il.

Faux. Il l'étranglerait volontiers à mains nues, mais il avait déjà trop vu cette falaise à son goût. D'ailleurs, il ne put s'empêcher de tirer Wergeld loin d'elle avant de le lâcher.

Mince ! Un loup me dépassait peu avant que Xénon me tire pour me remettre sur mes pieds, lui il allait dans l‘autre sens, droit vers la place !
Ainsi relevé de force, je retombais en enfance. Il me tenait fermement par le col. Caleb l’avait fait si souvent les premières années… Quand rien n’allait et que tout était dangereux et terrifiant pour un gosse de neuf ans tout juste.
Le tonnerre engloutis quelques syllabes, j’eus un mal fous à entendre les menaces.
Un loup décampa sur le côté pendant la seconde interdite où je ne sus prononcer un mot.

Qu’est-on censé dire à celui qui vous sauve la peau ?
Il avait pris des coups. Des marques étaient visibles dans la lumière parcellaire.
Une suite d’éclairs déchira le ciel, comme en plein jour, je pus le dévisager. La tête assourdie, je n’avais que mes yeux pour absorber le choc. C’était incroyable de voir cette tempête et au milieu un visage ami.
Il n’y a rien de comparable à ce que l’on doit à celui qui se bat à vos côtés.

Les loups reculaient, ils se rapprochaient du cheval affalé sur le côté. Epuisé et blessé, il céderait la victoire à présent. La meute ne nous lâchait pas des yeux, nous étions un danger trop grand, mais ce cheval était une proie trop belle pour être laissée aux intempéries. Elle se déportait méthodiquement et très lentement vers l’autre côté de la falaise, là où l’animal gisait, encore visible dans la nuit seulement par sa respiration soulevant son ventre.

Je désignais la manœuvre des prédateurs d’un mouvement du menton, portant instinctivement une main sur le bras de Xénon.

Distraitement de l’autre main je m’assurais que la pochette en cuir dans ma veste était toujours là. Une bosse, je fus soulagé de savoir le Daya dedans. Sans lui je serais étalé au milieu du temple à attendre les secours arriver. Mais il n’y avait pas que ça, il y avait le titre qui amplifie les sons, et le Sarkina.
La meilleur invention du monde.

-J’ai toujours le sarkina, fis-je sans détourner les yeux.

Assez près pour qu’il m’entende sans que je ne hausse la voix.
Tant que nous gardions les loups à vu, ils n’oseraient pas charger. Ils auront besoin de temps pour achever l’équidé. Notre riposte les empêcherait d’obtenir leur festin.

-Il faut les repousser pour atteindre le cheval.

Car le titre ne fonctionnait pas à distance.

Spoiler:

A ce stade, Xénon aurait volontiers laissé la monture aux loups et ramené Wergeld au temple, par la peau du cou si nécessaire. Mais impossible d'oublier pourquoi ils étaient venus. Wergeld tenait encore debout, même s'il commençait à se demander si ce n'était pas de l'obstination pure. La chaleur de l'humain juste à côté de lui et la solidité de sa main sur son bras aidèrent ces maudits souvenirs à retourner d'où ils venaient, tout au fond de sa mémoire.

Repousser les loups pour utiliser le Sarkina. C'était un bon plan, et tant que la meute n'était pas trop affamée, ils avaient de bonnes chances qu'elle batte en retraite face à deux adversaires.

"C'est là que je regrette d'avoir laissé tomber mon pistolet," grommela-t-il. "Si tu le vois, récupère-le pour moi."

Lui était déjà heureux de distinguer ce qui bougeait de ce qui était immobile, avec tous ces éclairs. Il jeta un coup d’œil à Wergeld. Il avait beau savoir qu'il était un excellent chasseur et un très bon combattant, les procédures d'urgence de son processeur ne cessaient de le classer automatiquement en cible à protéger. Il renonça à les rectifier.

"C'est toi qui a le Sarkina, reste derrière moi."

Il prit d'autorité la tête et se dirigea vers le cheval, adoptant une trajectoire qui le placerait entre la monture et la meute. Les loups se tendirent en montrant les crocs. Certains se figèrent sur place, prêts à bondir, tandis que d'autres se déportèrent nerveusement sur le côté. Leurs grondements emplissaient l'air. Leur avancée s'était interrompue mais ils refusaient encore de reculer, guettant une faiblesse qui leur donnerait l'avantage. Xénon regretta un instant de ne pas avoir HK sous la main. Quelques salves de canon à plasma et il aurait vite fait place nette.

Spoiler:

Spoiler:

Allure lente, je voyais la meute se déporter lentement. Epaules contre épaules, les loups se serraient pour travailler en équipe. Ils se préparaient à charger.

Au loin, le pistolet, il avait glissé avec l’eau vers un relief dépassant du bord de la falaise. Si j’allais le chercher, je laisserai Xénon seul trop longtemps. A l’idée de dessouder notre duo, je renonçais.

-Il est trop loin…

Un coup d’œil sur le côté, les loups barraient notre retraite en se rapprochement lentement derrière nous.

-Et ils se rapprochent.

Je commençais à croire à une embuscade. Ce cheval faisait une belle proie pour une meute, mais avec un humain en plus. J’enviais Xénon de ne pas risquer de mourir dévorer.
Mais il pourrait vivre bien pire. Combien de fois une équipe m’avait rapporté le rapatriement d’une machine consciente coincée dans un marais ou dans un puits de sable mouvant depuis plusieurs années et encore capable de s’exprimer après tout ce temps ?

Un éclat de lumière réfléchit par mon épée, je serrais la poignée comme s’il n’y avait que ça pour tenir mes nerfs au calme.
Au fond de mon ventre un tremblement sourd se synchronisait avec l‘orage.
S’il s’échappait, je serais hors d’état de bouger pour un long moment. Inutile.
La falaise pourrait s’effondrer.
La surprise pourrait empêcher l’androïde de se défendre en cas d’attaque.

Un grondement, le gémissement d’un loup sonna comme le clairon d’une armée. Le premier loup se précipitait droit sur nous, les autres suivirent. Aucune hésitation. Ils tentaient le tout pour le tout.

Dos à Xénon, mon épée fila entre les gouttes de pluie. Il y eu un unique obstacle.
L’animal retomba sur ses pattes, se redressa, tituba et tomba, le ventre trop profondément entaillé. Le loup qui le suivait recula d’un bond devant mon arme. Il grogna en dévoilant ses canines en blanc sur son pelage de cendres.

Trop occupé à tenir en joug celui là, sur le côté un troisième se jeta sur moi. Je dressais le bras ne pouvant rien faire d’autre sinon protéger ma gorge et mon visage. Les crocs s’enfoncèrent dans ma peau et mon seul autre réflexe fut de coller l’épée contre son dos et de serrer.
La technique avait déjà fait ses preuves. La lame percée de trous était une arme à prises multiples. Un bras fiché dedans, je n’avais qu’à coincé l’animal contre mon torse et à forcer. Il se débattit. Les os craquèrent, il échoua sur moi de ses trente-cinq kilos trempés et morts.

La carcasse glissa sur le sol alors que je me relevais. Voilà que la meute hésitait à nouveau. Ils étaient moitié moins nombreux qu’au début de la chasse. Certains reculaient encore. Se disant que de toute façon ils avaient cinq cent kilos de viandes fraiche à portée de dents.

Voilà que je tremblais d’adrénaline et de froid. Je rageais en me présentant plus menaçant que je ne l’étais réellement. Mon bras serré contre mon ventre pour le protéger de la pluie glaçante et calmer la douleur lancinante qui assommait la moitié de ce qui me restait de raison.

-Le cheval !

Je mangerai cet animal moi-même s’il claque avant qu’on soit de retour au temple. Ils étaient trop proches de lui. La monture hennissait de terreur, cherchait à se relever. Le froid et la pluie faisait trembler ses appuis.

Spoiler:

Oh bon sang, il détestait ça. Il faisait confiance à Wergeld pour défendre ses arrières, mais ses routines lui hurlaient de se retourner pour vérifier que l'humain n'était pas en mauvaise posture. Un loup tenta de lui sauter à la gorge. Xénon se baissa et un coup circulaire de sa lame lui entama si bien la jugulaire qu'il tomba raide mort. Il en vit deux approcher simultanément. Il déboucla sa cape de pluie - il ne l'avait prise que pour convaincre Wergeld de faire de même, de toute façon - et la jeta à la tête d'une des bêtes ; le temps qu'elle se dépêtre du vêtement, l'autre gisait à terre, agonisante.

Il se débattait encore avec son dernier adversaire quand l'avertissement de Wergeld lui fit jeter un coup d’œil vers le cheval de Troie. Il était tombé tellement bas dans sa liste de priorités qu'il avait failli l'oublier. Le loup décolla du sol, fit un vol plané derrière le reste de sa meute et y rencontra un arbre. Xénon y gagna quelques secondes de répit face aux loups méfiants et les mit à profit pour évaluer l'état de Wergeld d'un coup d’œil par-dessus son épaule. Le cheval descendit encore dans la liste.

Objectif principal : ramener un humain blessé et épuisé au temple.
Objectif secondaire : faire entrer le cheval dans le Sarkina avant qu'il ne meure.
Ressources à disposition : deux épées et un allié en mauvaise condition.

Une IA sans subtilités aurait abandonné l'objectif secondaire et battu en retraite avec Wergeld, que l'humain soit d'accord ou non. C'était de la stratégie basique. Mais Xénon se souvenait du garçon malade. Ils étaient assez proches du cheval pour qu'il puisse voir les paquetages encore accrochés sur son dos. Pouvaient-ils sacrifier la monture aux loups, puis les récupérer ? Il l'aurait fait sans hésiter si la tactique avait été viable, mais la meute ne quitterait pas sa proie avant d'avoir mangé tout son soûl, et rien ne disait que le garçon pourrait attendre aussi longtemps. Wergeld ne le pourrait pas, en tout cas, et si Xénon prenait le temps de le ramener au temple, il risquait que les paquetages soient perdus pendant que les loups se nourrissaient. Il fallait aussi prendre en compte le risque que Ho'una n'apprécie pas une telle décision.

Il regretta encore plus vivement son mode course. Si seulement il avait pu se changer et emporter Wergeld sur son dos, ils auraient rejoint le cheval en un clin d’œil. Dans une situation pareille, il devait choisir entre courir jusqu'à la monture en laissant Wergeld seul, ou risquer de l'atteindre trop tard. Il fit sauter son épée dans sa main gauche et saisit le bras de Wergeld de l'autre.

"Vas-y, je te couvre !"

Wergeld tremblait sous ses doigts. Il le poussa vers l'équidé terrorisé, resta à peine un pas derrière et sur sa gauche. Il virevolta pour présenter l'éclat de sa lame à un loup qui renonça à l'assaut et bondit lestement plus loin, ses crocs luisant à la lueur d'un éclair.

La meute ne renonçait pas. La saison avait été si difficile que ça pour qu’ils soient prêts à tous se sacrifier pour que quelques uns passent l’hiver ?
Je tentais un regard vers mon bras, il saignait abondamment et chaque fois la pluie venait nettoyer les plaies. Elles me semblaient profondes, mais en serrant le poing je sus que rien de vital n’avait été touché. L’os était intact.

Encore une cicatrice de morsure. Bientôt, je ressemblerais à un patchwork raté.
Même en jetant quelques coups d'oeil à l'androïde, je n'arrivais pas à savoir s'ils souffraient d'une blessure ou de dégâts conséquents. Je le saurais bientôt, je pourrais voir la facture de cette soirée interminable.

Il fallait courir vers le cheval. Avoir confiance en Xénon n’était plus une question mais une habitude. Il m’avait sortit de situation bien pire que celle là. Il détenait les réserves de prudence qui me manquait.
Avec un tel équipier je vivrais plus longtemps !
Il se positionna et me laissa le champs libre.

-J’y vais !

Le tonnerre gonfla les nuages de lumière. Je partais au petit trot.

Si le cheval disparaissait, les loups abandonneraient. D’une chasse ils tentaient maintenant de protéger leur gibier. Du moins, je le pensais en traversant plusieurs mètres sans vraiment les voir.

Plus j’avançais et plus le sol était mou. En dérapant, je remarquais une épaisse couche de mousse et de lichens trempée. Voilà sur quoi le cheval s’était manqué plus tôt.
J’étais obligé de ralentir. Juste assez pour voir les loups s’alterner. Changer de place en nous suivant.
A ce rythme nous atteindrons le cheval en même temps.
Par chance, je n’étais pas le seul à manquer d’équilibre sur la falaise. Un loup dérapa à son tour, tomba sur le flanc et se redressa avec difficulté, ses griffes ne trouvaient rien pour s‘y accrocher.

Nous n’étions plus qu’à quelques mètres. J’appelais le titre sans succès, nous étions encore trop éloignés.
De notre position, je voyais le cheval trembler violemment. Il était glacé et terrorisé. Nous avions un point commun.

-Attention, je fonce !

Quitte à glisser, je ne devais faire qu’une demi douzaine de pas pour atteindre une distance suffisante pour le Sarkina.
Je m’élançais.
Trois pas, je dérapais. Mon élan m’emporta sur les mètres qui me manquaient. Je m’entendis nommer le titre en sautant sur mes pieds. Quand je fus debout, il y avait des loups inquiets mais plus de cheval nulle part.

Maintenant nous devions nous préparer à une attaque de groupe ou… Rien ? Dans l’idéal je souhaitais intérieurement qu’ils abandonnent.

Enfin, ce satané canasson était à l'abri ! Dans sa hâte de rattraper Wergeld après sa pointe de vitesse, Xénon s'arrêta près de lui dans un dérapage plus ou moins contrôlé. C'était toujours plus classe pour une moto que pour un bipède, mais il s'en tira avec un minimum de moulinets des bras. Il se remit en garde, guettant la réaction des loups. Ils reniflaient l'air avec insistance, comme pour s'assurer que leurs yeux ne leur jouaient pas de tours. Quelques instants s'écoulèrent pendant lesquels ils tournèrent autour de la scène, indécis, avant de se résigner à la disparition de leur dîner.

Xénon les voyait débattre de la sagesse d'attaquer les deux hommes armés quand la meute sembla réagir à l'unisson à un nouveau paramètre. Ils levèrent à nouveau les museaux en l'air, puis se mirent à grogner en direction de la forêt. En une poignée de secondes, ils tournèrent les talons et disparurent le long de la falaise où la nuit les avala bientôt.

Un instant paralysé par la surprise, Xénon se reprit.

"Je ne sais pas pour toi, mais ça ne me dit rien qui vaille," cria-t-il par-dessus les rafales de vent. "On ferait mieux de rentrer dare-dare au temple."

Il jeta des coups d’œil rapides autour de lui et finit par apercevoir son pistolet près du bord de la falaise. Il courut le ramasser. Alors qu'il se retournait, il les vit sortir de la forêt. Son encyclopédie intégrée le prévint qu'il s'agissait là de zombies, des créatures imaginaires principalement présentes dans les mauvais films d'horreur de son monde d'origine. Elle lui suggéra aimablement qu'il avait affaire à des personnes déguisées.

Depuis son arrivée dans l'Entre-Monde, elle avait souvent tort.

"Non, mais c'est une blague ?" s'exclama-t-il, incrédule.

Une nuit de tempête sur une falaise, des loups, et maintenant des zombies ? La seule manière de rendre ça plus cliché, ç'aurait été d'y ajouter une blonde hystérique. Ou de voir mourir un des personnages principaux. Et si quelqu'un devait mourir...

Ça n'avait rien de rationnel, et malgré leur nombre, les zombies avançaient trop lentement pour être une vraie menace, mais Xénon bondit vers Wergeld et le prit par le bras. L'humain ne pourrait pas mener une bataille pareille dans son état. Il l'entraîna d'autorité vers le chemin de la plage.

"On y va !"

A sa grande surprise, il y avait de la peur dans sa voix.

Spoiler:

On avait réussi. Notre dernier devoir était rentrer au temple en vie.
Ce n’est jamais simple quand les ennuis arrivent au même rythme que les gouttes de pluie.
Le loups partis, j’espérais rentrer en faisant attention à ne pas glisser à chaque pas, le plan changeait aussitôt mis en forme sur les lèvres de l’androïde.
Il regardait les morts se dresser devant nous. Trop nombreux pour croire qu’ils ne s’intéresseraient qu’aux loups.

La tempête dévora une exclamation qui se finissait en blague. L’Entre-Monde a beaucoup d’humour lui aussi.
J’étais résigné. Le terrain glissait comme un pain de savon, avec nos gesticulations la cape n’avait pas été en mesure de me protéger totalement de la pluie et maintenant il faisait froid. L’adrénaline ne suffisait plus.
Je défendrai chèrement ma peau. Loups, zombies, les tauracles et même les arcturiens ne m’auront pas si facilement. Mon épée tranchait encore et ma force existait toujours même amoindrie par la fatigue.
La main sur la garde de mon épée, je me cassais en deux quand Xénon m’emporta dans sa course. Tenir debout fut un exploit.
Un moment, j’eus l’impression qu’il me portait comme un cerf-volant.

Dans mon dos, un mort avait malencontreusement marché sur les grandes feuilles d’une plante vivace. Il glissa et fila plus vite qu’un gamin sur une luge vers le vide.
On l’a échappé belle : la chute était amusante vu de l’extérieure. La vivre… Non. Vraiment. Je passe mon tour.
Marcher vite suffit à semer un mort-vivant. Courir permet de le voir disparaitre. Le sol, sensiblement, se creusait en approchant du sentier. Ce n’est qu’à ce niveau là qu’il se brisait et basculait vers la mer.
La tête vide, le chemin défila à son tour, je ne dégageais pas mon bras. Un coup d’œil derrière, les goules suivaient. Trop lentes, elles rapetissaient là haut. D’autres tentèrent même de nous rejoindre en passant par le vide. Un craquement sourd vint de celle qui échoua devant nous, celle-là ne poserait plus aucun problème à personne.

On voyait de la lumière filtrer du temple, quelqu’un avait laissé la porte ouverte et maintenait une lanterne au dessus de sa tête. La clarté de la flamme dans la nuit laissa une trace transparente sous mes paupières.
Elle signifiait la fin du périple.

Je n’ai récupéré mon bras et mon souffle que lorsque la porte fut fichée dans son encadrement. On nous pressa de « alors ? » « l’avez-vous trouvé ? ».
Je donnais mon titre à la première rangée de doigts qui se présentait. Les yeux rivés sur Xénon.
J’ai compris : je ne suis plus en état de faire des conneries.
Une exclamation de joie venue de l’espace où se tenaient les chevaux confirma que l’aventure se terminait bien. Il y eut des « merci » et d’autres vœux de toujours nous être redevable.

En y pensant durant ces quelques instants désordonnés, ce soir j’ai eu l’envie de rester en vie. C’était plus que tout ce que j’avais ressentis ces derniers mois. Pour une fois j’ai oublié la solitude et la peine.
Pour la première fois depuis longtemps, j’étais passé près du vide et on m’avait rattrapé juste à temps.

Ma voix rendue rauque par le froid, je ne souhaitais savoir qu'une chose :

-Tu vas bien ?

Il était blessé. Il n’y avait pas de sang pour dissimuler les secrets de son corps. Mais il l’était. Ce n’était sûrement pas mortel, mais cela faisait naitre à mes yeux d’observateur indiscret une gêne. L’embarras d’en être peut-être la cause directe ou non. Et l’impuissance de ne pas savoir quoi faire pour l’aider à se soigner.
J’enviais le pouvoir de K’an, si j’avais pu, j’aurais tout réparé en quelques minutes. Moi qui aime tant ma force naturelle, je rêve de qu’elle disparaisse quelques instants.

Spoiler:

Comme les voyageurs essayaient de parler tous en même temps pour les remercier et leur demander ce qui était arrivé au cheval de Troie blessé et épuisé, Xénon eut bien du mal à les prévenir que les alentours du temple étaient tout sauf sûrs pour le moment.

"Je barricade la porte pour cette nuit," dit-il en joignant l'action à la parole, "plus personne ne sort avant demain matin. Si ces créatures sont encore là quand vous voudrez repartir, je vous aiderai à vous frayer un chemin. Au pire, mon Perçant sera rechargé vers la mi-journée et je vous déposerai quelque part."

Il n'y en eut qu'un pour l'écouter religieusement. Les trois autres étaient déjà partis s'occuper du malade ou de la monture. Xénon aurait dû s'inquiéter qu'il n'y ait eu qu'un jeune garçon pour entendre son avertissement, mais quand celui-ci le remercia encore et s'éloigna, il prit à peine le temps d'espérer qu'il préviendrait ses aînés.

Il était seulement soulagé d'être enfin seul avec Wergeld. L'humain donnait l'impression de n'avoir rien écouté du tout de ce qui s'était passé autour de lui durant les dernières minutes. Il était resté debout, immobile, dégoulinant de pluie et les yeux rivés sur Xénon. Il n'avait cessé de sentir ce regard intense sur sa nuque. Ce comportement ne le rassurait pas vraiment sur l'état de son collègue.

Wergeld lui vola les mots de la bouche au moment où il allait parler. Xénon le dévisagea, stupéfait. S'il allait bien ? Il jeta un coup d'oeil rapide sur son corps, même si le diagnostic système l'informait déjà qu'il n'avait rien d'autre que des déchirures mineures et un muscle de la cuisse légèrement endommagé. Même sa batterie était encore plus qu'à moitié pleine.

"Tu te fous de moi ?" s'exclama-t-il. "Je vais très bien !"

Du temps où il avait été chasseur de monstres, il avait eu plus d'un coéquipier qui n'avait pas hésité à lui faire prendre le gros de risques, pour la bonne raison qu'il ne ressentait la douleur que quand il le voulait et qu'un petit tour chez le réparateur suffisait généralement à le remettre comme neuf. Wergeld poussait un peu loin le bouchon vers l'extrême inverse.

Xénon passa un bras autour de ses épaules pour le soutenir, incapable de se départir de l'idée que son compagnon allait s'écrouler d'un instant à l'autre. Il l'entraîna vers l'intérieur du temple.

"C'est toi qui a l'air plus mort-vivant que ces saletés dehors ! Encore un peu et c'est un cadavre que j'aurais ramené. Fais un peu plus attention à toi ! Tu fais gueuler toutes mes routines de protection ! Si ça continue, je te garantis que tu vas te retrouver avec un garde du corps encombrant !"