Quand le loup n'est pas là...

19% de son autonomie. Et s'il est vide, ça marche comment ? Je n'ai pas la force de porter quiconque... Et Carine n'a pas l'allure d'une bête de somme. Etonnée par cette révélation, j'en grimaçais. LEs comparaisons s'arrêtent donc à des choses très superficielles.
Mon autonomie, je la quantifie en blessure évitée : je peux marcher, je peux parler. Je suis au top. Le marathon attendra quelques jours cependant.

-Ce sera au futur patron de Cerclon de me payer, s'il s'en souvient...

Xénon, il me paiera peut-être. Un autre, je n'en sais fichtrement rien. Ces pingres de l'administration pourraient m'opposer une incompétence en ma qualité de bibliothécaire et ajouter que je n'aurais jamais dû aider l'androïde.
Je cogitais et notre femelle bringuebalée sous les biscotos du futur Ken, se mettait à gigoter.

-Contrairement à toi, il est libre. Surveille ton langage ou tes moustaches y passent...

Elle cracha, mais su se taire. Un loup, un chat. Carine était absoluement heureux de s'imaginer la dépecer...

Exaspérée, je restais à bonne distance de Xénon et de son pâquetage. J'avais assez de griffures comme ça ! Mais ça ne m'empêchait pas du tout d'être aussi désagréable qu'elle. En fait, ça me défoulait. De lui dire que là, maintenant, elle était à notre mercie. Qu'on pourrait la jeter du haut de ma tour sans que personne n'aie à y redire.
Une ville jeune, une ville née de rien. Ce n'est pas étonnant que la loi soit si répressive. N'oublions pas de compter tous les crimes possibles perpétrables avec la magie, les technologies.

Je tendais le bras vers le panneau d'appel. Au moment d'appuyer sur l'interrupteur, la loupiote s'illumina et un "ding" singulier indiquait que du monde descendait à ce niveau.

-Doublée...

De quelques gestes bien humains, j'indiquais à Xénon de reculer.
Notre chance commune étant vraiment très réduite, inexistante. Ou en grève : Je craignais que ce soit encore de la mauvaise graine qui nous tombent, littéralement, dessus.

En serrant mes coudes contre mes côtes endolories, je ressortais l'arme du robot.
Comment marchais donc ce fichu truc, on vérifie s'il n'y a pas de balle chambrée, on enlève la sécurité.
Dans les films c'est une petite bouton, non ? Dommage pour moi, pas un seul bouton ne dépassait de l'engin. Je me contentais de le tendre à Xénon, un air mi-penaud mi-frustrée de ne pas savoir faire fonctionner la gachette...

-Si c'est encore des enquiquineurs, je me reconvertie bonne soeur chez K'ränessa...

Pour le côté flemmard.

Spoiler:

Ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Xénon nota consciencieusement dans son dossier de choses à faire : en cas d'accession au poste de Maître de Ken, penser à dédommager Eva. Priorité ? Haute. Il lui devait une fière chandelle, après tout.

L'ascenseur venait vers eux. Des renforts ? Il l'espérait ! Mais il n'était pas pour autant naïf, aussi recula-t-il quand Eva lui en fit signe, grimaçant. Amusé, il observa la bibliothécaire qui s'efforçait de comprendre le fonctionnement de l'arme qu'il lui avait prêtée. Il eut un rire bref quand elle abandonna et le lui tendit.

"Ce serait dommage, que ferait la ville sans sa bibliothécaire de choc ?"

Dilemme : la fille-chat, ou le revolver ? Il ne se posa pas longtemps la question. Il laissa tomber leur suspecte par terre comme un sac à patates et la repoussa derrière lui du bout du pied pendant qu'elle se contorsionnait et feulait, furieuse d'être traitée ainsi. Il récupéra le revolver dans sa main valide et le pointa sur la porte de l'ascenseur, reculant et s'agenouillant pour présenter une cible moins facile à atteindre.

Le bourdonnement de l'ascenseur cessa, indiquant l'arrivée de la cabine à leur niveau. Xénon resta tendu, les yeux fixés vers la porte, qui s'ouvrit enfin. Aussitôt fut pointé vers lui le museau d'un canon à plasma. Son revolver semblait soudain bien ridicule.

"... HK."
"Déclaration : Oh, c'est toi. Lamentation : J'espérais trouver quelques criminels en embuscade. Les décimer aurait été si drôle."

Pandore la cyborg sortit de l'ascenseur en bousculant HK-50, qui daigna seulement à cet instant baisser son arme. Elle était suivie de deux autres miliciens de Ken.

"Re-salut, Xénon. Et... madame la bibliothécaire ? Waouh, on dirait que vous avez été occupés !"
"Supplication : Pas trop, j'espère !"
"Désolé HK, j'ai peur de t'avoir piqué tout le boulot," dit Xénon en se relevant. "... Ah, mais il y aurait bien besoin de patrouiller dans tout ce fouillis ! Qui sait, on en a peut-être raté quelques-uns ?" s'empressa-t-il d'ajouter quand HK baissa les bras, profondément abattu.

Ce n'était jamais une bonne chose quand HK était déprimé. Sa seule manière de retrouver le moral s'intitulait "carnage et destruction". Heureusement, le droïde sauta sur la suggestion et disparut aussitôt pour une patrouille énergique. Xénon eut pitié de tout ce qu'il était susceptible de trouver. Pendant ce temps, il résuma ce qui s'était passé à Pandore et envoya les deux autres miliciens récupérer le corps de Chrome et le droïde qu'ils avaient trouvé plus tôt.

Pandore, elle, se chargea de la femme-chat et les entraîna vers l'ascenseur.

"On va au moins pouvoir interroger celle-là," dit-elle, sourde au grondement continu de sa prisonnière. "Et ce garçon ?"
"Lui aussi, il n'est pas vraiment blessé. La bête, par contre, a besoin de soins."
"D'accord. Et vous aussi, on dirait. Vous restez pour l'interrogatoire ?"

Xénon se tourna vers Eva, l'interrogeant du regard.

C’est vrai ça ? Que ferait-on sans moi… On rangerait la bibliothèque avec des robots et les aventuriers seraient certainement plus difficile à trouver alors qu’ils devraient aller d’un miroir à l’autre pour obtenir du travail.
Cachée dans mon coin, je sursautais quand l’ascenseur s’ouvrit. Un androïde trop bien armé repéra aussitôt Xénon… Une chance pour nous, ce fou dangereux était le quatrième membre de l’équipe de secours. Mais, avec de tels arguments, à lui tout seul ça se serait bien passé aussi…
Quoique…

Suivant le groupe, je me contentais d’ajouter des détails, ceux de ma vision, au récit de Xénon. Les informations données, nos paquets furent récupérés par les miliciens bien disposés envers une humaine au souffle court.

-C’est que…

Un interrogatoire ? Sincèrement, s’ils les torturent, je ne veux même pas imaginer comment ils s’y prendront. Je préfère les réponses facilement acquises dans les livres. C’est bien plus sûr.
On a pas idée d’envoyer une bibliothécaire chasser des bouffeur de métal.

-C’est possible de me trouver un guérisseur compétent avant ?

Je cédais à la tentation de voir comment se déroulerait l’interrogatoire…
Lentement relevée pour ne pas perdre l’équilibre, je me tenais les côtes et tentais un maigre sourire penaud.
Le loup ne se serait pas montré si faible.

Pandore, avec sous le bras une victime bien consciente des beaux draps dans lesquels elle s’était fourrée, nous céda la place dans l’ascenseur avant d’y entrer et de désigner un retour aux couloirs peuplés des remparts.

Revenir à la civilisation me rassura assez pour que j’inspire profondément avant de me souvenir que c’était une mauvaise idée. Toussant et jurant, je trouvais un guérisseur du sanctuaire déjà prêt à s’occuper des blessures d’une bibliothécaire casse-cou, accompagné d’un expert en technologie robotique.

-On vous attendra pour la suite des festivités.

C’est que signifia un milicien à notre duo emporté d’office dans une infirmerie pour les premiers soins.
Séparée de Xénon, je sortais de la petite salle avec un épais corset de gaze et de mousse autour du buste, et des pansements jusque sur le visage. Je sentais le désinfectant assez fort pour agacer l’odorat du loup jusqu’au fond de mes pensées.

-Oh ça va, fait pas ta chochotte c’est ta faute si je suis dans cette état… Quand on est pas sûr de gagner on prend la fuite, tu connais pas ce diction.

Parler toute seule ne m’aida pas à assurer mon état mental en quittant les lieux. D’ailleurs en approchant la sortie, un androïde se tint présent, il ne parlait pas beaucoup, ses seuls mots furent :

-On attend le patron et on rejoint Pandore.

Patron ?

Un des nombreux avantages d'être un androïde était qu'il pouvait désactiver les connexions nerveuses endommagées. Il évitait de le faire dans une situation de danger potentiel, de peur de ne même pas se rendre compte que quelque chose l'avait attaqué avant qu'il ne soit trop tard, mais c'était bien pratique quand quelqu'un lui enfonçait des pinces dans le bras pour remplacer les composants irréparables. C'était en quelque sorte un défaut de conception des humains de continuer à avoir mal même quand ça n'avait plus aucune utilité d’auto-conservation.

Le mécano soupirait et secouait la tête en voyant les dégâts, à croire que ce bras bousillé était plus un problème pour lui que pour Xénon. Pendant ce temps, une assistante posait des patchs de peau synthétique sur les déchirures mineures. Il faudrait une bonne heure avant que les patchs finissent de prendre la couleur de sa peau et de se fondre correctement avec le bord des plaies pour qu'il ait l'air comme neuf ; en attendant, il devrait se contenter d'avoir l'air d'un patchwork.

Enfin, l'homme reposa les tenailles et lui plaqua un gros patch sur l'avant-bras. On aurait dit un greffé de la peau. Xénon ouvrit et referma le poing, fit pivoter son bras, mais le diagnostic l'informa que tout semblait OK.

"C'est bon ?"
"Oui oui, filez !"

Le réparateur fit de grands gestes de la main comme pour le chasser. Le message était clair : "et ne vous avisez pas d'avoir besoin de revenir de sitôt" ! Les humains qui travaillaient dans la robotique pouvaient être si bizarres...

Haussant les épaules, Xénon le remercia et sortit. Il trouva Eva en compagnie d'un des miliciens, qui le salua d'un hochement de tête et se retourna pour leur montrer le chemin. Xénon sourit à Eva, soulagé qu'elle ait pu recevoir les soins dont elle avait besoin.

"Avec un peu de chance, ça ne prendra pas trop longtemps," lui dit-il.

Ils rejoignirent Pandore dans une des salles d'observation : tout un mur était un gigantesque écran qui retransmettait la vue d'une salle d'interrogation. On y voyait la femme-chat assise et attachée à une chaise soudée au sol, seule. Pandore se leva dès qu'ils entrèrent, un grand sourire aux lèvres.

"Te voilà, patron !"

Xénon haussa un sourcil, dépassé.

"Pardon ?"

Pandore rit.

"Il y a déjà des rumeurs qui circulent comme quoi tu es le favori des candidats pour le poste de Maître. La paperasse va sans doute prendre un peu de temps, mais pour nous à la milice, c'est comme si c'était déjà officiel !" annonça-t-elle fièrement.

Xénon sourit, touché.

"Merci... Je suis sûr que ça n'a rien à voir avec la demande d'augmentation avec laquelle tu harcèles Ken depuis deux ans," plaisanta-t-il.
"Ha. Ha," dit-elle, fronçant le nez dans sa direction. "Allez, finissons-en avec cette histoire !"

Toutes proportions gardées, les interrogatoires ne prirent effectivement pas si longtemps que ça. Juste un peu plus de deux heures. Bon, presque trois. Xénon avait envoyé quelqu'un chercher quelque chose à manger pour Eva bien avant la fin, pas vraiment dupe. Il espéra qu'elle n'avait rien contre la viande rouge, malgré le fait qu'elle se transformait périodiquement en louve, mais c'était une bonne nourriture pour quelqu'un qui avait souffert de blessures.

La femme-chat commença par se montrer agressive et refusa catégoriquement de coopérer, feulant et crachant à qui mieux mieux. Le garçon, par contre, se montra beaucoup plus facilement intimidable une fois réveillé et autorisé à voir son animal. Il raconta qu'il avait trouvé Toby errant dans Magna quelques mois auparavant, à moitié mort de faim. Toby n'était sans doute pas natif de l'Entre-Monde ; aucun fichier ne recensait son espèce. Il était possible qu'il soit venu par les Miroirs, avant leur fermeture, avec son propriétaire d'alors. Quand son ancien maître était mort ou l'avait abandonné, il s'était retrouvé seul et incapable de survenir à ses besoins. Personne à Magna ne voulait prendre la responsabilité d'une bestiole de cette taille à nourrir, surtout quand ce qu'il mangeait était aussi cher que du métal à haute densité.

Le garçon avait pris pitié de la bête et s'était mis à lui trouver de quoi manger, s'attirant sa profonde loyauté. Mais comme il n'était qu'un orphelin des rues, ce métal ne lui appartenait généralement pas et ils commencèrent à se faire remarquer à Magna. Pire (selon lui), ce qu'il pouvait dénicher était de trop mauvaise qualité et Toby tombait périodiquement malade. C'est alors que Chrome et sa complice les dénichèrent et proposèrent un marché au garçon ; tout le métal dont avait besoin Toby s'il les aidait.

A ce stade, la femme-chat comprit qu'elle était coincée de toute façon et finit par révéler le reste de l'histoire. Chrome était un espèce de religieux fanatique, et dans le monde d'où il venait, la technologie était considérée comme satanique ; il avait hérité de son nom par déshonneur pour une faute ou une autre qu'il avait commise, et depuis il haïssait tout ce qui était plus avancé que le feu et la roue. Il avait rongé son frein à Magna et avait sympathisé avec la femme-chat, qui détestait elle-même Cerclon et toutes les technologies intelligentes pour une raison qu'elle refusa de divulguer. A eux deux, ils avaient trouvé Toby et son maître et s'étaient dit que c'était la parfaite occasion de s'attaquer à Cerclon.

Les combinaisons d'invisibilité avaient été acquises au marché noir, et avec un peu d'insistance on parvint même à leur extraire le nom de leur fournisseur. Vu les circonstances, le garçon s'en tirerait sûrement sans prison ; Xénon s'attendait à ce qu'on lui demande de travailler pour Ken afin de rembourser au moins en partie les dégâts commis par sa faute. C'était sûrement une bonne chose : des scientifiques allaient forcément s'intéresser au métabolisme unique de Toby. S'ils offraient de prendre sa subsistance en charge, le garçon pourrait demander à travailler dans le même laboratoire et rester avec lui. Quant à la femme-chat, elle n'allait pas échapper à un séjour à la caserne.

Xénon régla les derniers détails avec Pandore, demanda à ce qu'on le tienne au courant de la suite, puis sortit avec Eva.

"Enfin," soupira-t-il, soulagé. "Merci d'être restée jusqu'au bout. Ce n'est pas la partie la plus passionnante de ce genre de missions."

Aujourd'hui encore l'Entre-Monde forçait bien des cultures et des communautés à jongler quotidiennement entre le passé et le présent. Les heurts étaient légions au tout début, avec le temps les gens s'y sont fait à cette ville et ses caprices. Mais pas tous...

-J'espère que tu veux rire... Que je corrigeais en un "vous" obséquieux et moqueur. Je préférais de loin cette partie là de la mission. Assise à découvrir, enfin, le pourquoi de cette histoire de fous. J'aime même eu droit à un encas.

C'était le passage calme. Il avait suffit d'attendre, de ronchonner entre deux bouchées. Tout en laissant les androïdes travailler. C'était vraiment le meilleur moment de toute la mission. Il n'y avait plus aucun danger. On arrivait à la fin du livre d'aventure, quand les méchants ont perdu et qu'ils passent à table.
Mais c'est moi qui ai mis les pieds sous la table. Carine en fut tout heureux de se repaître par Eva interposée.

-Donc la femme va finir chez les sanctuaris et le petit va s'occuper de son rat mangeur de métal dans un laboratoire...

En vidant un verre d'eau tiré à une fontaine, j'ai pensé aussi à ce qui arriverait à une femme qui se transforme en loup et qui tue des gens :

-Est-ce que... enfin, je n'aurais pas de problème pour Chrome, n'est-ce pas ?

Plaider la folie du loup ? La folie tout court.
L'importait était d'esquiver une visite des sanctuaris, mon casier était plus vierge d'un drap de soie blanc, il devait le rester. Je ne supporterai pas que ce loup de malheur m'attire des ennuis. Encore moins à cause d'un mastodonte dont les idéaux venaient d'un autre âge et d'un autre monde.
Mon côté Varvandel enrageait. Les miens étaient protégés des dieux et orgueilleux en raison de ce simple tout petit avantage. Fuir le volcan avait fait de moi une proie facile lorsque les divinité s'étaient détournées.
C'était un comble de finir dans une situation pareille !

Tout ce que je voulais maintenant c'était retrouver ma bibliothèque et les palabres incessantes d'une habituée des lieux.

Des problèmes ? Xénon n'y avait même pas pensé. Il cligna des yeux et y réfléchit.

"Les miliciens ont l'autorisation de tuer un individu qui se montre dangereux pour eux ou pour tout autre citoyen, même si seulement un dernier recours. Puisque tu n'avais pas un statut d'agent officiel sur cette mission, ça pourrait être périlleux, mais... Écoute, j'en prendrai la responsabilité dans mon rapport. Chrome était de loin l'adversaire le plus physiquement imposant de la bande, et il paraissait peu disposé à négocier. Si j'avais eu le loisir d'intervenir, j'aurais probablement dû le tuer à ta place."

Personne n'avait besoin de savoir que c'était Eva qui lui avait pris la vie. Les gars de l'autopsie sauraient que ce n'était sûrement pas Xénon qui lui avait déchiqueté la gorge, mais ses supérieurs comprendraient. Xénon ne leur avait jamais donné de raison de penser qu'il couvrirait volontairement un meurtrier sanguinaire.

"C'était de la légitime défense, de toute façon. Personne ne peut nier ça. J'espère que toute cette histoire ne t'a pas trop secouée ?"

Xénon avait vu sa part de morts depuis qu'il avait gagné l'Entre-Monde, mais tout le monde n'était pas aussi résigné. Il espéra qu'Eva ne s'en voudrait pas pour la mort de Chrome.

Il lui tendit la main.

"Je te l'ai déjà dit plusieurs fois, mais ton aide a été inestimable. Merci encore. On aura sûrement l'occasion de se revoir !"

Si Xénon devenait Maître et obtenait la gérance de Cerclon, Eva serait... quoi ? Sa locataire ? L'idée lui arracha un sourire amusé.

Une petite pointe de regret m’irrita la gorge. La façon dont il le disait… Devrais-je seulement penser à ma responsabilité dans le foutoir au sous-sol, ou juste songer à protéger mes arrières ?
Non, tuer ne m’avait pas perturbé. Pas le moins du monde même… Le poids de cette constatation suffit à me faire changer d’avis.
Tuer quelqu’un et ne pas se rendre compte du mal qu’on a fait, c’était exactement ce que je craignais de devenir. Une folle furieuse insensible, digne de Carine mais très loin de ce que devrait être une Varvandel.

Je marmonnais, la seconde phalange de mon index frottant ma lèvre inférieure en un signe évident de nervosité :

-S’il le faut, je pourrais assumer…

Du conditionnel. Cela me ferait mal que Xénon prenne à ma place… C’était tout aussi douloureux de m’imaginer derrière des barreaux.

Du sang et une cage.
Les évidences me pleuvaient dessus ; Carine avait investie l’espace ouvert de mes pensées et de mes émotions. Je le sentis comme on découvre la bête dissimulée dans l’ombre. Lorsqu’on voit enfin l’oiseau sur la branche…
Il était tout près, palpable sous ma peau.

Libérant mon index, je tendis la main droite à Xénon, un franc sourire masquait les remous de mes sentiments. Un combat furieux commençait à peine entre un être humain et son colocataire lupin.

-On se reverra certainement, Maitre Ken.

En regardant une horloge digitale au mur, j’ajoutais :

-Je dois retourner chez moi, ma bibliothèque ne survivra pas plus longtemps sans une experte aux commandes.

Au fond, j’étais surtout impatiente de tenir une longue discussion avec Carine. Si nous devions partager plus d’intimité, nous devrions établir quelques règles :
La viande rouge. Pourquoi pas.
Les morts. On oublie.

-Grâce à aujourd’hui je sais maintenant que je suis bien plus douée pour donner les missions que pour les exécuter !

Xénon lui serra la main avec un sourire franc, sans remarquer quoique ce soit des doutes intérieurs d'Eva.

"A chacun son boulot," dit-il en riant. "Ce serait dommage que l'Entre-Monde perde sa précieuse bibliothécaire pour une bête mission. Prends soin de toi !"

Il la lâcha et s'éloigna avec un sourire et un geste de la main. Eva avait mangé, à son tour maintenant. Son niveau d'énergie était tombé sous la barre des 8%, un seuil qui devenait vaguement inquiétant. Et puis, il voulait lancer un diagnostic complet de ses systèmes maintenant que les réparations avaient pris et que les patchs de peau synthétique étaient correctement intégrés.

Il se fondit dans la population hétéroclite et familière de Cerclon, en route pour son appartement.