Le bouvier Arcturus

Il fallut une bonne demi-heure à Voiz pour se tirer de l'extase dans laquelle le contact de la boue en fusion l'avait plongée. Son noyau chauffait tellement qu'il paraissait se propager dans tout son corps, l'esprit étirait ses membres comme s'il se réveillait d'une longue léthargie. Il était devenu impossible de le distinguer du magma environnant.

Le contact de l'or contre ses tentacules lui rappela tout de même qu'il était censé accomplir une mission. Voiz s'étala un peu plus en quête de ses compagnons ou de ce qu'il en restait, mais ne rencontra que la parois surchauffée du tunnel. Apparemment, l'un de ses coéquipiers était parvenu à refermer la première porte. Il s'agissait maintenant de savoir ce que cachait la seconde.

En tâtonnant autour d'elle, Voiz sentit une bouffée de dioxyde de carbone. L'esprit s'écoula dans sa direction et se façonna une tête informe pour inspecter les environs. Si la porte d'or avait été condamnée par le magma, le liquide se faisait de plus en plus riche en matières minérales dans le reste du tunnel, et les masses de cailloux avaient fait un effet bouchon, protégeant l'autre extrémité du passage. De là où elle se trouvait, Voiz apercevait cinq couloirs adjacents disposés en rayons qui, à en juger par l'éclat doré qui s'en dégageait, se terminaient tous par une porte semblable.

- Sans doute des voies de secours, supposa Voiz à voix haute, bien que son oreillette ait été réduite à l'état de braise liquide. Je me demande si cet or qui orne leurs portes est lié au rituel dont parlait sire Poh. Ou peut-être y a-t-il une mine dans les parages?

Au centre du carrefour se trouvait un large gouffre. Un chemin rocailleux descendait en colimaçon dans les profondeurs et, en plantant sa sonde, Voiz confirma que l'air, étrangement, semblait se purifier à mesure que l'on descendait.

- La salle que nous cherchons doit se trouver en bas.

Voiz hésita. Leur mission consistait à explorer les souterrains en quête de cette fameuse salle, mais l'esprit éprouvait quelque réticence à l'idée de quitter le confort des restes de magma, ou de découvrir ce que renfermait la salle sans pouvoir assister à la réaction de ses compagnons.

Ses compagnons. Cela résolvait le problème: impossible pour eux de la rejoindre dans de telles conditions.

En attendant leur arrivée, Voiz s'appliqua donc à remplir la seconde partie de sa mission: sécuriser le passage. Pendant les heures qui suivirent, elle enterra patiemment le magma sous les tonnes de terre et de pierre que le couloir mettait à sa disposition.

Spoiler:

La porte était coincée. Xénon dut insérer la pointe de son épée dans l'interstice et jouer de la lame pour déloger un filet de magma qui avait coulé jusque-là et s'était solidifié contre la porte. Finalement, elle consentit à s'ouvrir, dévoilant l'antichambre qu'ils avaient fui quelques heures plus tôt. Autrefois plat et lisse, le sol tenait à la fois de la coulée de boue et de l'effondrement de terrain.

Il y avait quelque chose qui bougeait là-bas, près des grandes portes dorées. Xénon testa ses appuis d'un pied prudent, les trouva stables et de température acceptable, bien qu'un peu meubles. Il s'avança vers ce qu'il supposait être Voiz, bien que l'esprit ait pris un aspect un peu rougeoyant et... fumant. Il nota d'éviter les amicales tapes dans le dos à l'avenir.

"Hé, merci d'avoir dégagé le chemin, Voiz. Désolé de t'avoir enfermée, malheureusement ça semblait nécessaire."

Elle n'en avait pas souffert, en tout cas. Xénon jeta un œil à ses autres compagnons. HK-50 était derrière Wergeld, boitillant avec opiniâtreté. Xénon lui avait demandé d'assurer l'arrière-garde, ce qui semblait de toute façon approprié vu sa vitesse de déplacement actuelle. Il reporta son attention sur l'autre côté des portes dorées. Ce gouffre ne lui faisait pas vraiment plaisir, il lui semblait qu'ils s'étaient assez enfoncés sous terre comme ça. Mais c'était un peu tard pour les regrets.

"Bon, hauts les cœurs," soupira-t-il avec fatalisme.

Il s'engagea sur le chemin en colimaçon. Plus vite ils en auraient fini... La descente prit plusieurs minutes. En l'absence de module d'analyse de l'air, Xénon n'avait aucune idée de l'état de santé de Wergeld. En tout cas, il suivait... Abruptement, le sol redevint horizontal. Le fond du gouffre. Devant eux, une immense arche taillée dans la pierre les écrasait de sa hauteur. Xénon s'avança prudemment, tendu.

La salle était immense. Nous étions dans une ancienne chambre de magma, vide, la sol était noir comme la suie. La pierre volcanique lisse comme du verre. Les magnetic glissèrent dessus en silence. Le plafond invisible tant il était haut, tant il faisait sombre.
Des éclats de pierres phosphorescentes illuminaient quelques pans de murs, d'une clarté trop faible pour remplir la salle. Après la lave, mes yeux eurent bien du mal à s'adapter à cette quasi-obscurité.

-Qu'est-ce que c'est que ça ?

Je venais d'ôter mon masque. L'air était respirable, mais froid. Extrêmement froid. Mon souffle formait un nuage de buée devant mon visage.
Mais ce n'est pas l'atmosphère de cet endroit qui m'interpela.
Les roches lumineuses éclairaient à contre-jour des œufs immenses. Cerclés de chaines épaisses comme un homme, faites entièrement d'or pur.

On aurait pu croire au nid d'un dieu tant les œufs étaient immenses. Certains faisaient une dizaine de mètres de hauteur.
Et ils étaient une demi-douzaine dans la salle. Épais comme des maisons...

Nous approchions des œufs, révélant progressivement les symboles gravés sur la pierre, sur les murs, sur les chaines elles-mêmes.

Ce que nous ignorions c'est que quelques heures plus tôt, la température était encore plus basse ici. En libérant la lave des kilomètres au dessus, en ouvrant les portes les unes après les autres nous avions causé un changement dans le microclimat artificiel de cet endroit.
Et l'air avait commencé à se réchauffer...

Spoiler:

Vos nouveaux copains:

Arcturus était une cité.
L'une des toutes premières qui existât avant l'Entre-Monde, avant même les miroirs.
Le peuple qui l'avait bâtit n'était pas bien grand, pas bien puissant.
Ces gens vivaient de l'agriculture à flanc de volcan, de l'élevage des chèvres et grâce à la mine d'or qu'ils égratignaient avec raison et économie depuis des siècles.
Leur seul ennemi étaient des monstres. D'immenses créatures, uniques et quasiment invincibles. A chacun de leur réveil elles dévastaient des régions entières pour se nourrir, ou par leur seule fureur.

Jusqu'à ce qu'un arcturien aille les dénicher.
Nous l'appelions le Bouvier d'Arcturus.
Il chassa les bêtes, une par une. En commençant par la plus étonnante d'entre-elles : une dragonne aux écailles blanches, la seule douée de parole et de magie, la seule qu'il n'eut jamais à combattre.
Il s'allia à elle, promettant de ramener les bêtes les unes après les autres si elle concevait une prison qui saurait retenir ses congénères.
Elle créa les geôles, le bouvier y apporta les créatures.
Six monstres titanesques aux dents longues comme lui, qu'il plaça dans des oeufs de pierre noire. Qu'il enferma pour des millénaires durant.

Jusqu'à ce que la curiosité de l'Entre-Monde mène à leur rendre leur liberté...

L'air se réchauffait dans la salle. Juste ce qu'il faut. Réveillant peu à peu ce qui dormait dans les œufs.
La présence de l'humain, du robot et du golem finit de les sortir de leur torpeur millénaire.
Les œufs tremblaient, pulsaient d'une vie nouvelle. Les coquilles de pierre se fracturaient. Les choses à l'intérieur se contorsionnaient pour s'évader.
La lumière était faible. Elle disparue presque complètement derrière les masses imposantes. Des monstres immenses s'extirpaient des cages, brisant les chaines d'or qui les y avaient enfermé.

Mes frères sans âmes s'échappaient de la seule prison qui pouvait les retenir.

Des rugissements, sifflements et des grondements assourdissant firent trembler le sol. Les monstres ont été libérés.

Ceux qui pouvaient se soulever dans les airs gagnèrent le plafond, y creusèrent à grands coups de griffes, libérant la cheminée éteinte et les gaz qu'elle retenait. Ils s'y engouffrèrent, les uns après les autres, du serpent qui rampait sur les murs à la terrifiante lionne grimpant à la seule force de ses griffes les parois du tunnel.
Des morceaux de la montagnes chutaient derrière eux, écrasant la salle et manquant d'en faire de même de nos aventuriers. Jusqu'à ce que les monstres eurent finit d'ouvrir le volcan.
La lumière du jour s'écoula depuis le ciel... Libérant les créatures et illuminant la prison dévastée.

Les équipes depuis la surface qui surveillaient le volcan comprirent bien tard ce que signifiait les changements dans leurs appareils. Quand leurs yeux croisèrent l'image des monstres immenses sortant du volcan...
Les créatures s'enfuirent dans toutes les directions, ravageant sur leurs passages les tentes et mêmes les arbres qui ne cédaient pas la place.
Une équipe de secours fut aussitôt envoyée dans le volcan, trouver les vivants, et les morts, de cette triste aventure.

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