Hey-ho, Hey-ho, on rentre d'Arcturus

Les explorateurs d'Arturus avaient été retrouvés bien vivants, mais en piteux état. L'équipe de secours dépêchée au coeur du volcan avait dû déblayer les décombres avant d'atteindre le groupe, et les avait conduits tout droit à l'hôpital de K'ouen.

Voiz ne se souvenait pas bien du moment où leur mission avait tourné à la catastrophe. L'équipe d'explorateurs avait progressé jusqu'à une immense salle souterraine, à la température étrangement basse. Voiz et ses coéquipiers y avaient découvert six oeufs de pierre d'une taille démesurée. Leurs coquilles s'étaient craquelées, et puis...

Le reste s'était passé trop vite pour que Voiz comprenne la situation. Elle avait eu le temps d'apercevoir la sombre silhouette d'un long reptile, avant qu'une autre créature ne se jette sur elle et ne la plaque au sol. A peine l'esprit avait-il touché terre qu'un formidable éboulement s'était déchaîné au-dessus de sa tête, et c'est à travers la chute de pierres que Voiz avait vu six créatures escalader les parois du gouffre pour rejoindre la surface.

Le golem s'était retrouvé avec un nombre non négligeable de corps étrangers enfoncés dans sa carcasse. Au moment de remonter avec l'aide des secouristes, Voiz avait fait quelques détours et emmagasiné plusieurs couches de magma, et les fissures de son corps avaient commencé à se refermer pendant l'ascension.

L'esprit fumait à présent de partout, et se tenait à distance respectable de ses trois coéquipiers pour éviter de les incommoder par la chaleur de son corps.

- Sire Poh était vraiment hors de lui, se remémora-t-elle à voix haute. Il aurait sans doute été préférable de réunir davantage de volontaires, mais un tel développement aurait été difficile à prévoir. Je me demande ce que sont devenues ces créatures...

- En fait, je ne les ai pas bien vues, ajouta Voiz en se tournant vers les trois autres patients avec curiosité. Êtes-vous en état d'en discuter? A quoi ressemblaient-elles? Et comment vous en êtes-vous sortis?

Xénon avait rarement connu la peur, la vraie, ce courant glacé qui figeait les membres et l'esprit. Mais quand il avait vu ces six immenses créatures émerger des oeufs les unes après les autres, chacune d'entre elles assez puissante et assez agressive pour broyer tous les membres de leur expédition, il avait vraiment cru sa dernière heure arrivée. Dans l'éboulement qui s'en était suivi, il s'était retrouvé coincé sous des rochers et incapable de bouger. Il avait choisi de se mettre en veille et avait repris conscience sur K'ouen, entouré de techniciens qui s'étaient efforcés de sauver ses deux jambes qui avaient presque fini en bouillie.

Encore maintenant, alors qu'on l'avait jugé assez rétabli pour se réunir avec les autres, des couinements plaintifs résonnaient à chaque fois qu'il faisait un pas. Comme c'était un son très désagréable, il s'était pratiquement jeté dans un fauteuil dès qu'il était entré.

Mais il était heureux de revoir tout le monde. Voiz semblait se porter comme un charme, bien que la température de la salle ait grimpé d'au moins trois degrés depuis son arrivée. HK s'en était tiré avec de la tôle froissée et quelques servomoteurs endommagés, mais bien qu'il ait un air encore un peu cabossé, ce n'était plus qu'une question esthétique depuis son passage entre les mains des techniciens. Ils avaient même réparé son pied à demi fondu. Par contre, il s'était placé dos au mur de la pièce et s'agrippait à son canon à plasma comme s'il s'attendait à voir une des créatures débouler d'un instant à l'autre. Échapper de peu à l'annihilation était une expérience nouvelle pour lui.

Mais par-dessus tout, Xénon était surpris de constater à quel point il était soulagé de revoir Wergeld vivant. Il avait été le plus vulnérable d'entre eux sous cette montagne, et quand les monstres avaient creusé jusqu'à la cheminée du volcan, entre l'éboulement et la libération des gaz, Xénon avait été à moitié persuadé que c'en était fini du Maître de K'ouen.

Les monstres. Voiz posait une question. Xénon revint au problème du moment.

"HK et moi avons transmis tous nos enregistrements vidéo des créatures aux hommes de Wergeld," annonça-t-il. "Il y en avait six, dont quatre ailés... et toutes à peu près de la taille de cette île, je dirais."

Il adressa un regard interrogateur à Wergeld.

"C'est juste une hypothèse, mais je crois qu'on a merdé," dit-il, exceptionnellement vulgaire.

Contusionné de la tête aux pieds, Ayame d'un côté, une béquille de l'autre et un magnifique hématome s'étendant sur ma joue droite, je m'enfonçais dans mon propre fauteuil avec un grognement de plaisir. Si un coup du sort n'avait pas fait tomber un rocher de la taille d'un petit bateau pour me protéger du reste de l'éboulement, j'aurais sûrement fini en bouilli.
Mon ventre gronda dans le silence...
Lui, il ne perd jamais le Nord. Il alla même jusqu'à protester quand Voiz lança la conversation. Je pris la parole d'un :

-En beauté !

Voiz chauffait comme une pierre au soleil mais elle semblait en bon état. Tout comme les androïdes. Ils avaient l'air un peu rafistolés mais bien vivant. Les blessures, les dégâts, tout était réversible. Ils étaient en vie. Cela suffit à apaiser mon amertume.

-Mieux valait que ce soit nous que d'autres. Nous avons survécu. Et nous les chasserons.

Une rencontre potentiellement mortelle avec les monstres ne m'effleurait pas l'esprit.
On m'avait fait respirer de l'oxygène pendant tout le voyage de rapatriement. J'en avais gardé des couleurs sur les joues (si on oubli mon nouveau bleu bien douloureux) et les pensées chamboulées.

Ayame approcha un fauteuil et s'y installa souplement, croisant les jambes et les bras.

-J'ai envoyé des commissaires les traquer. Nous surveillons déjà leurs déplacements et...

Le téléphone sonna, il le souleva et le laissa retomber sans décrocher.

-Les rapports ne tarderont pas à affluer pour les décrire.

-Plus ils sont gros, plus ils sont faciles à trouver, fis-je en me tordant le cou pour tenter en vain de détendre les bandages qui m'étreignaient toute la poitrine.

Reportant mon attention sur mes alliés sous le volcan, je tentais un maigre sourire :

-La chance est de notre côté pour le moment, il n'y a eu aucun mort.

L'elfe profita de ce bref répit pour parler comptabilité.

-Vos primes ont déjà été virées sur vos comptes respectifs. Pour ce qui est de l'équipement, et bien...

Le voyant hésiter, je repris :

-Je vous laisse choisir ce que vous souhaitez garder ou obtenir. Avec ces monstres dans la nature, je préfère ne pas lésiner sur les moyens !

Spoiler:

Voiz acquiesçait aux paroles de Wergeld, sa tête oscillant avec frénésie sous l'impulsion du flux de magma dans son corps. Elle le vit raccrocher le téléphone avec regret:

- S'il sonne à nouveau, m'autoriseriez-vous à écouter l'un de ces rapports? J'aimerais bien savoir comment l'expédition avance.

Pour cela, le plus rapide serait bien sûr de traquer les monstres. Voiz se promit de faire un tour à la bibliothèque et de décrocher la première mission urgente qui attirerait son attention. Elle était en partie responsable, après tout.

Mais il lui faudrait attendre que son anatomie se stabilise, se rappela l'esprit en voyant quelques bulles de boue brûlante éclater entre ses articulations. Dans son état actuel, elle ne pourrait sans doute même pas toucher sa prime ou l'équipement sans les faire fondre.

- Je garderais bien deux exemplaires de ces oreillettes, ajouta Voiz en réponse à la question de Wergeld. Des appareils de communication pouvaient toujours servir en mission, surtout pour quelqu'un de sa lenteur. Et la Magnétite n'était décidément pas du tout adaptée à son espèce...

- Dîtes-moi, Xénon, avez-vous toujours vos enregistrements vidéos sur vous? demanda-t-elle en se tournant vers l'androïde, sa curiosité lui faisant perdre le peu de tact qu'elle possédait. Puis-je la voir aussi?

Par pure politesse, Xénon jeta un regard interrogateur à HK. Le droïde haussa les épaules à son intention, tout juste s'il ne leva pas les yeux au ciel. Non, rien de spécial ne le tentait parmi le matériel de la mission. De toute façon, il savait déjà ce que Xénon allait demander et avec quelle ferveur il aurait défendu son choix s'ils n'avaient pas été d'accord.

"Je garde la Magnetic," annonça Xénon.

"Je", oui. Pas besoin de s'encombrer de faux-semblants. Cette petite merveilleuse irait tout droit dans sa collection.

Il cligna des yeux, désarçonné par la demande de Voiz. Elle avait l'air sacrément motivé pour retrouver ces créatures.

"Euh, oui, bien sûr," bafouilla-t-il. "Enfin, c'est à dire que j'ai toujours les enregistrements en mémoire, mais tu remarqueras que j'aurais du mal à te les montrer sans un écran..."

Il réfléchit un instant, puis sortit de sa poche son baladeur subsonic et celui de HK, qu'il s'apprêtait de toute façon à rendre à Ayame. Il y avait un tout petit écran sur ces machines. La qualité d'image n'était pas terrible, mais il y avait assez de mémoire pour les enregistrements. Voiz pourrait toujours les transférer ailleurs pour les revoir en meilleure qualité.

"Je vais te les charger là-dessus. Comme ça, tu n'auras qu'à garder ces deux baladeurs-ci."

Il sortit un câble d'une autre poche, en brancha une extrémité à l'un des baladeurs et l'autre à la prise qui lui servait de nombril. En un tour de main, le transfert était fait.

Spoiler:

-Au téléphone on reçoit surtout les urgences ou les appelles de l'accueil, fis-je sans détour.

Ce à quoi ajoutait Ayame :

-Mais les rapports sont déjà en train d'affluer, les secrétaires pourront fournir des copies de ce qui a été reçu jusque là.

Brave elfe... Et braves secrétaires ! Ceux-ci ne manquaient jamais de travail mais lors des crises, c'était comme le rush. Le Noël des problèmes, ou des chasseurs. Les deux en font un sacré paquet de toute manière.
J'ai regardé en silence un androïde transférer ses souvenirs dans une autre machine qu'il donnait volontiers à un golem.
Il faut avouer que la situation avait atteint un certain niveau d'originalité. Et ma bonne humeur chimiquement instable eut pour effet de me faire vaguement sourire.

-Et qu'est-ce que tu conserves, Wergeld ?

Sortit de mes pensées, je regardais l'inventaire des éléments récupérés.

-Pas grand chose, on est déjà bien équipé...

Un regard de chien battu plus tard.

-Prend ce que tu veux, admis-je, en le voyant se procurer un joli jouet paralysant.

Sous mes yeux ahuris, il haussa les épaules :

-Au cas où.

Au frais de K'ouen.
Un coup d'oeil au reste de l'équipage d'éclopés.

-Il nous sera forcément utile... Si vous avez besoin de quoique ce soit, pour chasser ces monstres ou autre chose, vous êtes tous les bienvenus sur K'ouen !

Autrement dit, je suis la banque des chasseurs qui souhaitent se rendre utile. Et parfois aussi des autres. Même si j'hésitais à limiter mon invitation à Xénon et Voiz, oubliant clairement HK qui ne manquerait pas de tirer sur tout ce qui bouge, moi y compris, le jour où il en aura le droit ou par folie.
Un robot peut-il devenir fou ? Je devrais poser la question à Aliénor...

-J'espère juste que la prochaine fois nous serons en meilleur état !

Voiz bullait littéralement, je commençais à sentir des tiraillements des pieds à la têtes après des mois de surmenage, et les androïdes avaient besoin d'une révision des couches supérieures. Il suffisait de quatre imprudents pour libérer une horde de monstres géants... A voir combien ils seront à les remettre en cage !

Spoiler:

Voiz remercia Xénon et tendit une patte vers les baladeurs, mais se ravisa juste à temps. L'esprit pouvait voir les pans de boue incandescente glisser entre ses articulations. Pas question de toucher quelque objet métallique que ce soit avant plusieurs heures de refroidissement.

- Peut-on faire livrer ces objets à domicile? demanda Voiz. Dans mon état actuel, je crains d'endommager irrémédiablement le matériel en le touchant.

Une bribe des paroles d'Ayame détourna son attention du baladeur et de son contenu:

- "Pour chasser ces monstres"? répéta-t-elle. Sommes-nous donc désignés d'office pour cette quête? Non que j'y voie un inconvénient, mais dans l'intérêt de la mission et d'éventuels coéquipiers, peut-être serait-il plus avisé de nous reposer dans un premier temps.

Sauf peut-être pour le belliqueux HK, ajouta-t-elle après un coup d'oeil à l'androïde, qui s'agrippait à son canon comme s'ils s'étaient soudés dans la confusion. Pour ma part, je comptais de toute façon me rendre à la bibliothèque aussitôt ma température retombée sous les 90 degrés Celsius.

Ce qui rappela au golem qu'il était peu sage de rester au même endroit trop longtemps. Oscillant un peu, Voiz se déplaça lourdement de deux mètres sur sa gauche avant de s'immobiliser à nouveau, laissant une trace noire et fumante sur son sillage.

- Autant pour moi, dit Voiz, ses traits bouillonnants s'affaissant en une moue contrite.

Spoiler:

HK était belliqueux, certes, mais en l'occurrence il virait surtout lentement à la paranoïa. Xénon lui aurait débranché la carte mère plutôt que de le laisser partir pour une autre mission avant de s'être posé quelques heures et d'avoir fait un bon diagnostic système. Il hésitait déjà à lui retirer son fusil, mais le priver de son doudou risquait d'avoir des conséquences néfastes très immédiates. La meilleure chose à faire était encore de le ramener à Cerclon, où il ferait moins de dégâts si quelqu'un s'avisait de le regarder de travers.

"Je doute que Wergeld voulait dire qu'on nous obligerait à quoique ce soit, Voiz, si ce n'est peut-être par une obligation morale. Non pas que cela fasse une grande différence. HK et moi participerons aussi à la chasse, bien sûr."

HK eut un grognement dédaigneux au mot "morale", mais n'émit aucune protestation. Pour lui, c'était plutôt une question de fierté, mais Xénon savait très bien qu'il l'accompagnerait. Il se leva avec un couinement de servomoteurs qui le fit grimacer.

"Mais je pense que nous en avons fini pour aujourd'hui ?"

Spoiler:

Spoiler:

Je n'étais pas un androïde ni un golem en fusion, mais quelque chose me disait que mes articulations ne me laisseraient pas tranquille avant un très long sommeil.
Pour une fois, devant la perspective d'un congé et d'un repas copieux, je leur offris un grand sourire.

-On a fini.

Même si il résistait une pointe de honte d'avoir causé une telle catastrophe, j'étais fier d'en être sorti indemne et fier d'avoir été si bien accompagné tout ce temps.

-J'espère qu'on se reverra dans de meilleurs conditions.

C'est-à-dire une belle chasse ou un moment plus tranquille.
De son côté Ayame les salua en silence, alors qu'il coinçait le combiné du téléphone entre son oreille et son épaule. Ses doigts cherchant un numéro sur le cadrant. Le travail n'attend pas.