[Libre] - J'en parlerai à ma fontaine.

Ciel.

Si un voyageur ailé arrivait à proximité de la ville, aurait probablement le souffle coupé en la découvrant soudain au détour d’un nuage, éclairée par le coucher su soleil. Car dans l’air au-dessus de la grande cité, Ciel la Blanche semble appartenir à un monde complètement différent de sa grande sœur, qui s’étend sous elle. Les parvis blancs, les colonnades de marbre flottent inexplicablement dans l’air, comme contenus dans une bulle de savon. Des ponts aériens, élancés, relient les différentes îles volantes, et la plus humble des maisons semble être un palais de légende.

Et quelque part dans ces palais, Vaïna chantait.

Il se trouvait au milieu d’une vaste cour couverte, soutenue régulièrement par des piliers de pierre. L’endroit n’était pourtant pas sombre, car il n’y avait ni meubles ni murs pour arrêter les rayons du soleil couchant, qui passaient horizontalement entre les piliers, teintant d’or tout ce qu’elles effleuraient.

[Libre] - J'en parlerai à ma fontaine. 100702112425707613

Le Cristal flottait près de la seule chose animée de cet endroit : une vasque de marbre d’où sortait un jet d’eau. L’eau … elle fascinait Vaïna. Cette chose qui tintait, qui brillait, capable de jaillir et de rebondir, sans jamais conserver un instant la même forme. Rien ne différait plus du monde immobile où il était né. Captivé par le bruit de l’eau sur la pierre, il était resté là une bonne partie de la journée, indifférent au passage des gens. Il était si joli, ce bruit, jamais une seconde le même – sûrement la fontaine tentait-elle de raconter quelque chose.

Car bien que les Animés (ainsi nommait-il tous ceux à deux jambes ou plus qui vivaient ici) lui aient répété bien des fois le contraire, Vaïna n’avait jamais pu se convaincre que l’eau n’était pas vivante. Il était resté toute la journée, lui tenant de grands discours musicaux. Plusieurs fois, il avait cru entendre une réponse, mais ce n’était qu’un hasard dans le bruit des gouttes. Finalement déçue, la pierre émit une série de tintements désolés, sa lueur oscillant doucement entre le vert et le bleu. Bien que cela, il le savait, ne l’empêcherait pas de recommencer la prochaine fois qu’il rencontrerait une cascade…

Un bruit de pas…

Vaïna ne se retourna pas – car il n’avait pas vraiment d’avant ou d’arrière. Il n’avait pas davantage d’yeux pour voir, mais point n’était besoin de cela pour savoir que quelqu’un approchait. Pas réguliers sur les dalles de pierre. Souples, tranquilles, assurés. Ils étaient une autre belle musique pour Vaïna. Il se laissa bercer par leur rythme. Quelqu’un arrivait, forme noire sur le brasier du soleil couchant. A sa rencontre il flotta, entouré des quelques rubans lumineux qui dansaient toujours autour de lui.

« Salutations, Animé » tinta le Cristal avec politesse, se conformant aux coutumes qu’il avait péniblement apprises.

"Salutations, Animé."

La voix était pure à mon oreille. Lisse et douce comme la surface d'un lac qu'aucune ride ne vient troubler, aussi claire et forte que du cristal. Pourtant, en ce lieu, il ne se trouvait personne d'autre que moi, j'en avais la quasi certitude. Je m'étais rendue dans les quartiers commerçants de ciel pour y acheter de la nourriture, et peut être un livre à la librairie ; ce genre d'échoppe était nouveau pour moi qui était habituée aux rouleaux de parchemins s'entassant dans des coffres et à écouter les ménestrels chanter les balades de leur pays. Lire des livre était courant à Tern, beaucoup moins dans les autres quartiers.

Je m'immobilisai, tournant la tête à droite, puis à gauche. Autour de moi, les colonnes traçaient des raies d'ombre sur le sol qu'éclairait le soleil de cette fin de matinée. L'air était frais, le capuchon de ma cape me couvrait la tête et je transportait un panier plein de fruits et de légumes ainsi que de pièces de viande rouge. Face à moi, quelque chose flottait au dessus du sol ; un cristal s'avançait vers moi, scintillant, porté par quelques forces que je ne pouvais deviner. Je tendis l'oreille plus attentivement mais dus me rendre à l'évidence que j'étais seule face à ce minéral, et que la voix que j'avais entendu il y a quelques secondes de cela provenait de cette entité luisante et violacée. Ou alors je m'étais trompé dans les herbes de ma tisane de ce matin. Sceptique, je m'avançai vers ce que je pensais être un objet ; je ne l'avais jamais vu à cet endroit, par ailleurs.

"Bonjour..." bredouillai-je d'une voix à peine perceptible.

*Je suis en train de parler à un cristal qui flotte... Je me croyais encore jeune pour une Druchii...*

Ces dernières années passées en Entre-Monde m'avait fait voir plus de choses que je pensais impossible qu'en plus de 70 ans de meurtres et d'espionnage en Nagarithar. Peut être étais-je tout simplement en train de faire l'expérience de la discussion avec les rochers.Ne sachant que répondre, et ne voulant pas attirer d'éventuels regards sur moi au cas ou je m'adresserais à un cristal inerte, je repris à mi voix, m'approchant un peu plus du minéral et me penchant vers lui. D'aussi près, je pouvais contempler la multitude des nuances de pourpre qui se reflétait en lui. Mon oeil ne pouvait se détacher de cette merveille de la nature, et mon esprit cupide se demanda immédiatement combien pouvait valoir une gemme précieuse de cette taille à l'hôtel des joailliers des Fumeroles.

"Je... Que puis-je pour vous ?"

Le cristal émit un doux tintement et un scintillement léger, ce qui équivalait sans doute chez lui à un sourire. Les Animés communiquaient avec leurs visages, mais seules les couleurs et les sons permettaient à Vaïna d’exprimer ses sentiments. Si sa luminosité virait au rouge, cela signifiait qu’il était contrarié. Le bleu était la curiosité – sa couleur presque permanence – l’orange la méfiance ou le vert la peur. Flottant devant le nouvel arrivant, il hésita un instant, tentant de se faire une idée à la voix de celui qui lui parlait.

Une voix particulière que celle-ci. Elle sentait l’ombre et le secret. La voix de ceux qui ne savent pas seulement agir en public, mais qui ont aussi l’habitude d’en infléchir à volonté les accents, pour rester à la fois distincte et étouffée. Infiniment sensible aux sons, Vaïna perçut facilement la surprise et le scepticisme de son interlocuteur – en revanche, la petite trace d’avidité qui passa et disparut au fil des mots, lui échappa totalement. De toute manière, l’avidité est quelque chose qu’il ne pouvait connaître…

Toutefois, malgré tout ce qu’une simple voix pouvait apprendre au Cristal, une information tout à fait évidente lui manquait. Il émit une longue modulation pensive, puis finit par se décider.

« Êtes-vous un homme/mâle ? »

Prudemment, le cristal avança un filament de lumière, qui effleura les oreilles du Drow. Il perçut la vibration particulière du métal accroché à la chair, et elle lui plut. C’était un matériau très pur, qui renvoyait harmonieusement les sons et la lumière. Il s’attarda un instant dessus, ravi par cette nouvelles vibration qu’il ne connaissant pas, puis retira tranquillement ses filaments. Vaïna tourna à demi sur lui-même avant de répondre à la question posée.

« Dans mon cas, la question/interrogation n’est pas pertinente. Les vôtres me nomment seulement Vaïna. Mais les caractéristiques de votre race/espèce me sont inconnues. Il ne m’est pas possible d’identifier quel pronom/dénominatif utiliser pour vous désigner… »

Comme en réponse à ma question, ou simplement parce que je lui adressais la parole, le cristal scintilla et un joli son se fit entendre. Il y avait eu une interaction, j'en restais sidérée.

"Êtes-vous un homme/mâle ?"

Je me faisais parfois la réflexion que je pourrais me farder et prendre un peu plus soin de mon visage, mais je pensais que mes formes naturelles et mes vêtements ne laissaient aucune place au doute quant à ma féminité. Mais était-ce cela qui me surprenait le plus ou de devoir justifier mon appartenance à la gente féminine à un cristal ?

"Dans mon cas, la question/interrogation n’est pas pertinente. Les vôtres me nomment seulement Vaïna. Mais les caractéristiques de votre race/espèce me sont inconnues. Il ne m’est pas possible d’identifier quel pronom/dénominatif utiliser pour vous désigner…"

J'avais maintenant la certitude que cette pierre s'adressait à moi. Je me demandais si quelqu'un n'était pas en train de me jouer quelques tours grâce à quelques chimères illusoires, mais écartais vite cette hypothèse. La perception que j'avais du cristal était trop réelle pour n'être que le fruit d'un tour de magie et j'avais beau m'évertuer à déceler des failles qui montrerait un décalage avec la réalité, je n'en trouvais aucune. J'entrepris donc de continuer la conversation avec Vaïna, puisqu'apparemment, les miens l'appelait de la sorte.

"On me nomme Ravëfanwen, et je ne suis ni un homme, ni un Homme." dis-je d'une voix posée, comme si je m'adressais à un enfant à qui je devais enseigner une leçon. "Je suis une Druchii, et comme beaucoup à Entre-Monde, je viens d'une contrée au delà du miroir de K'an et que nous autres nommons Nagarithar."

Je me surprenais à m'épancher sur ma vie devant quelqu'un. Ce n'était pas arrivé depuis un moment, et je mis cela sur le fait qu'inconsciemment, je ne m'adressais pas à une personne mais à un caillou. Je devais me rendre compte bien assez tôt que j'avais à faire à une créature pensante et intelligente, sans doute plus que bien des humains qu'il m'avait été donné de rencontrer. Je me sentais un peu mal à l'aise devant cette entité inconnue et ressentis le besoin d'en apprendre un peu plus.

"C'est la première fois que je tiens un discours à un cristal. Est-ce là votre véritable aspect ou êtes vous une créature prisonnière d'une enveloppe de roche ?"

J'avais encore du mal à accepter le fait que ce que j'avais toujours considérer comme de la matière inerte puisse posséder une volonté propre et une intelligence suffisamment développée pour évoluer en société.

« Druchii Rawëfanwen de Nagarithar » répéta doucement le Cristal, en appuyant chaque mot d’un tintement ravi.

Il adorait les noms. Surtout les longs. Ils avaient une sonorité et une saveur très particulière. Et puis, il ne comprenait pas comment les Animés faisaient pour différentier deux êtres qui portaient le même nom. Si un Animé s’appelait Al et un autre Al aussi, il pouvait différencier les deux au son de leur vois ou de leur pas. Mais quand ils n’étaient pas là ? S’il devait parler de Al et non pas de Al, comment faisaient ils pour comprendre qu’il parlait de cet Al-ci et non pas de cet Al-là ? Parce qu’il pourrait parler de Al comme il parlait de Al, et puis encore de Al ou bien de Al, sans oublier Al.

C’était compliqué. Très compliqué. Mais « Druchii Rawëfanwen de Nagarithar », ça, c’était très simple (en tous cas du point de vue d’un cristal habitué à parler en séries de sons d’une demi-heure). C’était simple parce qu’il n’y aurait pas deux. Ce Rawëfanwen-là, il était sûr de s’en souvenir. Et voilà qu’on lui demandait à son tour plus de détails sur lui-même. La question l’étonna un peu. Il y avait donc des Animés prisonniers d’autres enveloppes ? Mais lui, il était juste lui, n’est-ce pas ? Juste Vaïna. Enfin, plus exactement

Vaïnamöinenirelidanooredansyyrëlinsaarandrersservilynvërderanalmathiklöveenuelslieansraadi…

– heu bref !! A moins d’avoir quelques heures à dépenser, autant simplifier les choses ou on n’était pas sortis de la coulée de lave.

« Je suis… » émit le Cristal avec lenteur, comme s’il tentait d’expliquer quelque chose de difficile dans un langage qui ne lui était pas familier. « Je suis Vaïna. Ceci est moi. »

Incapable d’exprimer davantage, la créature minérale se contenta de s’indiquer elle-même avec un de ces filaments de lumière, dans le même geste qu’un humain utiliserait pour se tapoter la poitrine.

« Mes frères/congénères/semblables dorment dans la roche/père/ matrice … derrière Touen. Désormais ceci est mon monde comme le vôtre. A Ciel vous demeurez donc, Druchii Rawëfanwen de Nagarithar? Si aucune affaire ne vous presse/hâte, puis-je vous inviter à mon repas? »

"Je suis Vaïna. Ceci est moi."

Je supposai devoir me contenter de cette réponse et que l'être que j'avais en face de moi m'avait répondu le plus sincèrement qu'il put.

"Mes frères/congénères/semblables dorment dans la roche/père/ matrice … derrière Touen. Désormais ceci est mon monde comme le vôtre. A Ciel vous demeurez donc, Druchii Rawëfanwen de Nagarithar? Si aucune affaire ne vous presse/hâte, puis-je vous inviter à mon repas?"

Mon interlocuteur était né de la roche et il existait nombre de ses semblables quelque part sur un monde auquel le miroir de Touen était relié. J'avais encore du mal avec cette vision des choses, mais je ne pouvais que me résoudre à l'accepter, d'autant plus que le cristal m'invitait à déjeuner. A quoi pouvait bien ressembler un repas en compagnie d'un minéral ? Et que pouvait bien manger un de ces êtres ? Je trouvais l'idée d'en savoir plus sur Vaïna et les siens séduisante, et réfléchis à mon emploi du temps de la journée. Je devais mettre à jour la liste des gladiateurs du lendemain, préparer les papiers pour les remises de récompense et m'occuper d'un duel au sabre en fin d'après midi. J'avais donc un peu de temps à accorder à la découverte d'une nouvelle espèce, d'une nouvelle forme de vie.

"J'en serais honorée... " J'hésitai soudain, réalisant que je ne savais si Vaïna était un ou une, ni comment je devais l'appeler et quel titre il ou elle possédait. "J'ignore tout de vous, je ne sais comment m'adresser à vous. Excusez mon importunité, mais dois-je vous considérer en tant que dame ou en tant que sire ?"

J'espérais seulement que ma question soit assez compréhensible. Je progressais à l'aveugle, prudemment pour ne pas froisser le cristal, nos relations s'étaient bien engagées, c'est du moins ainsi que je perçus les choses, il ne s'agissait pas de faire basculer le tout.

"Je vous suivrai à votre repas." Dis-je sans pouvoir masquer entièrement ma perplexité face à ce qui m'attendait prochainement.

Une ondulation bleue parcourut Vaïna, tandis qu’il réfléchissait aussi vite qu’il en était capable (ce qui restait à peu près aussi rapide qu’un débile profond chez la plupart des races). Voyons. Etait-il il ou elle ? Cette question revenait de manière assez fréquente chez les êtres dont la langue ne permettait pas l’emploi de pronoms neutres pour s’adresser à quelqu’un. Pour être honnête, il n’y avait pas vraiment de raison de pencher pour l’un ou l’autre. Il était une pierre, mais aussi un cristal, un être, mais une forme de vie, un reproducteur mais une reproduction. Toutefois, la nuance paraissait être importante pour les Animés, aussi avait-il pris l’habitude de faire un choix.

« Ceci a peu d’importance pour moi, mais votre langue/sémantique comporte un usage/choix plus fréquent du mot il. Si cela vous met à l’aise, n’ayez pas d’embarras/difficulté/retenue à me nommer au masculin. Car l’honneur, Druchii Rawëfanwen, est pour moi. Un instant. »

La lumière émanant de Vaïna vira lentement au blanc. Les tintements qu’il émettait s’allongèrent, se fondirent lentement en un accord complexe mais très pur, qui se prolongea plusieurs secondes. Rapidement, la luminosité autour du cristal changea. L’aura lumineuse, obéissant à sa volonté, cessa de le nimber de blanc et se dirigea vers le sol, où elle s’étala comme une flaque lumineuse, parfaitement ronde, autour des pieds de la femme à la peau sombre. Elle ne laissait pas d’impression de chaleur, juste une légère sensation de vibration. Le chant de pierre changea de tonalité, et la lueur diminua lentement. Quand elle se dissipa complètement, elle avait laissé place à un large et épais disque de verre, de forme ovale, où deux légères dépressions permettaient de caler les pieds.

« Accrochez-vous à moi » conseilla Vaïna, qui avait retrouvé sa couleur bleu-vert.

L’indication ne tarda pas à trouver son explication. Dans un silence total, le disque transparent se souleva du sol, emportant Rawëfanwen avec lui. Vaïna lévitant exactement à leur côté, tous trois flottèrent tranquillement vers le plafond, passèrent par une des ouvertures découpées dans le plafond et se retrouvèrent à planer au-dessus du bâtiment. Lentement, ils s’élevèrent au-dessus de la partie inférieure de Ciel, longeant la cascade de murs et de colonnades blanches. Sous eux, la capitale d’entre-Monde était déjà baignée d’ombre. La nuit montait. Mais plus ils grimpaient, plus ils rattrapaient le soleil : il faudrait encore une heure ou deux pour que les dernières flèches brillantes de Ciel s’éteignent à leur tour.

Il régnait là un silence étrange. Vaïna n’était tu, n’émettant plus qu’une infime vibration très grave, nécessaire pour les maintenir en vol. Il n’était pas capable de voler très longtemps, ni très haut, mais il pouvait facilement emporter la charge légère d’un humanoïde pendant quelques minutes. L’effort restait modéré, et il profitait à sa manière de ce moment. Bien sûr, il n’était pas capable de « voir » les colonnes blanches de Ciel scintiller, les oiseaux passer loin sous leurs pieds, encore les nuages. Ni de sentir la caresse fraîche de cette petite brise qui descend des montagnes, le soir. Mais il percevait d’autres choses – la richesse de cette lumière de soleil couchant, la qualité du silence qui les entourait, la sensation de liberté que possédaient ceux qui volaient.

Sans bruit, ils longèrent les toits, sans trop s’en éloigner. Vaïna les dirigea doucement vers un endroit précis. Quelque part dans le dédale de colonnades et de coupoles, un petit renfoncement s’était développé, à la faveur d’un mur écroulé. Aucun escalier n’y menait, et peu d’habitants de Ciel avaient le courage d’escalader leurs coupoles pour s’y rendre. Et pourtant, c’était un endroit dont émanait un charme tout particulier. Un peu de terre avait fini par s’y déposer, autorisant quelques graines de vigne à s’y développer. Face au couchant, elles arboraient leurs grappes, lourdes, sucrées. Quelques abeilles y bourdonnaient, mais elles s’éloignèrent rapidement, effrayées par la vibration de l’air qui accompagna l’arrivée des deux voyageurs.

« Bienvenue » tinta le Cristal. « Puisse la vue/horizon vous faire oublier que le menu n’est pas très divers/varié, je le crains. J’ai identifié ces fruits au marché/halle/carrefour d’échanges de cette cité. Ils sont donc assimilables/comestibles pour les vôtres… n’est-ce pas ? »

S'il m'était arrivé de planer dans le ciel en faisant usage de la magie, je n'avais jamais fait l'expérience de la lévitation. Je suis encore surprise de constater qu'après tant d'années passées à arpenter Nagarithar et Entre-Monde, on découvre encore des choses dont on ne soupçonnait même pas l'existence. Vaïna le cristal m'offrait une promenade atypique autour des îles volantes de Ciel, une promenade aérienne qui me donna une vision différente de celle que j'avais au quotidien et qui ne fut pas sans me rappeler mon arrivée en bateau volant le jour de ma prise de fonction au Colisée. Cependant, contrairement à cette approche à l'aeroport de Ciel, Vaïna me conduisait parmi des endroits qui étaient inaccessibles et dont l'intérêt architectural ou culturel pouvait paraître limité, mais qui conférait à ces lieux un calme et un aspect unique le la cité des cieux. Entre tous ces endroits, un en particulier était comme un refuge, un ermitage perdu au milieu de la roche et des fondations de Ciel, ouvert sur un océan de nuages blancs que le soleil couchant teintaient d'or.

"Bienvenue. Puisse la vue/horizon vous faire oublier que le menu n’est pas très divers/varié, je le crains. J’ai identifié ces fruits au marché/halle/carrefour d’échanges de cette cité. Ils sont donc assimilables/comestibles pour les vôtres… n’est-ce pas ? "

Je tournai la tête pour contempler les grappes de raisin. Leur peau d'un noir bleuté montrait toutes les caractéristiques d'un fruit bien mûr, et je ne doutais pas qu'ils fussent gorgés d'un jus sucré et savoureux. Je n'avais pas imaginé faire mon repas de ces grelots exquis, mais envisageais la perspective d'un bon oeil à présent.

"Effectivement, j'en ferai mon repas. Merci pour cette promenade, vous m'avez permis de découvrir un aspect de Ciel que je ne connaissais pas."

Arrangeant ma cape pour pouvoir m'assoir par terre et m'isoler du sol légèrement terreux, je me laissais aller contre le mur en pierre qui restituait la chaleur qu'il avait emmagasiné plus tôt dans la journée. En tendant le bras vers le haut, je décrochais une grappe de fruit et levai le regard vers le cristal qui flottait devant moi. Quelques rayons de soleil venaient se mêler dans les chatoiement de couleurs qui ondulaient autour de la pierre, et faisaient brillé la surface de Vaïna ; je le trouvais magnifique.

"Que mangez vous, sire Vaïna ? Votre repas ne doit pas se composer de fruits, de viande, de céréales ou de légumes, comme mes semblables et moi même, du moins je l'imagine. Mangez vous d'autres pierres ?"

Mangez-vous d’autres pierres ?

Vaïna émit une série de tintements, et les rubans de lumière qui l’entouraient se changèrent soudain en losanges multicolores. Ils sautillaient au rythme des tintements, évoquant assez précisément un rire. La voix synthétique resta pourtant la même, car le Cristal ne savait pas encore précisément comment moduler ses inflexions pour exprimer l’amusement (il avait essayé une fois de monter aussi fort que possible le volume de sa voix, mais son interlocuteur s’était très vite bouché les oreilles, ce qui avait convaincu Vaïna que ce n’était pas la bonne façon d’exprimer vocalement la bonne humeur).

« En fait, peut-être pourrais-je absorber/assimiler ce que vous nommez ‘diamants’, car notre nature/forme/réseau est proche et eux ne savent pas chanter. Mais je n’ai jamais essayé. »

Tout en parlant, il diminua la force de la vibration qui le maintenait en lévitation. Son corps brillant descendait peu à peu, et finit par venir se loger dans un interstice du mur qui épousait parfaitement ses contours, à un mètre à peine de Ravëfanwen. Ce n’était pas le paysage ni la présence de la vigne qui l’avait motivé à choisir cet endroit comme salle à manger. Mais bien ce trou exactement proportionné, qu’il avait mis plusieurs jours à trouver. Que voulez-vous, quand on n’avait pas de mains, il était difficile de se fabriquer soi-même un siège confortable, n’est-ce pas ? Il fallait le trouver, et il avait parcouru Ciel dans tous les sens jusqu’à trouver l’endroit parfait. Bien calé, en plein soleil, il pouvait commencer son repas à son tour.

« Les miens se nourrissent directement de la chaleur/calorie/énergie qui voyage loin sous terre. Quand nous sommes à la Surface/Extérieur/Monde, vos soleils/étoiles/astres de première grandeur nous fournissent assez d’énergie pour la remplacer. »

Comme pour illustrer ses propos, Vaïna changea à nouveau ses losanges de lumière en filaments, et les lança droit en direction du soleil. Les filaments dansèrent et se perdirent à demi dans la clarté. Puis le Cristal commença à virer au jaune-orange. Ou plus exactement, il ne prit pas réellement de couleurs – il se mit simplement à refléter la nuance exacte de la lumière du soleil qui baissait. Réglé exactement sur la même longueur d’onde, il absorbait son rayonnement, depuis la chaleur jusqu’au léger champ magnétique, en passait par les ultra-violets et une partie de la lumière visible, ce qui expliquait que la lumière qui se reflétait sur lui semblait ternie.

« Mais ce n’est pas aussi savoureux que ce que vous appelez aimants/électrogénérateurs. Les trimagnets gyroscopiques à champ de Cerclon sont un régal/délice. Mais… » - Vaïna émit une longue note plaintive, « ils n’en donnent pas souvent. Ils disent qu’ils sont pour les navires/vaisseaux/nefs. C’est très, très regrettable. Vous devriez vraiment essayer/goûter une fois, Druchii Ravëfanwen. Allez-vous parfois à Cerclon ? »

J'observais avec attention le spectacle étonnant qui s'offrait à mes yeux. Ce dont j'étais témoins, je gage que peu de gens auraient pu le décrire, et même après avoir contempler le phénomène pendant plusieurs minutes, les mots me manquent pour décrire l'infinie variation de reflets de lumière qui parcouraient ces filaments, et la douce luminosité qui s'échappait de Vaïna, cachée dans cette niche rocheuse pour ne pas choir.

"Mais ce n’est pas aussi savoureux que ce que vous appelez aimants/électrogénérateurs. Les trimagnets gyroscopiques à champ de Cerclon sont un régal/délice. Mais…"

La tonalité de la voix varia légèrement et devint plus triste.

"ils n’en donnent pas souvent. Ils disent qu’ils sont pour les navires/vaisseaux/nefs. C’est très, très regrettable. Vous devriez vraiment essayer/goûter une fois, Druchii Ravëfanwen. Allez-vous parfois à Cerclon ?"

"Merci pour cette proposition, mais j'ai bien peur de très mal digérer les aimants."

L'idée me parut saugrenue, et je m'imaginais presque en train d'avaler l'une de ces petites pierres noires que l'on accroche sur les surfaces métalliques. Je commençais à comprendre que la force que recelait ces pierres, bien que je n'en compris pas le fonctionnement, pouvait servir de nourriture à Vaïna aussi bien qu'elle pouvait se servir de la lumière du soleil. Je trouvais les diamants un peu luxueux comme repas, pour finir.

"Rarement. Je me rends de temps à autre à la Bibliothèque, mais peu de livres sont écrits en runes de Nagarithar, et je ne puis lire beaucoup d'autres alphabets. "

Vaïna était-il seulement familier du concept d'alphabet ? Savait-il lire ? Il pouvait voir, entendre et apprendre, cela suffisait pour apprendre la lecture ; puis je songeais qu'un cristal devait être incapable de tenir un livre ou même d'en tourner les pages. Les bibliothèques ne devaient pas représenter un grand intérêt pour lui ; quoi que s'il était en admiration devant une fontaine, pourquoi pas une étagère de livres ?

"Cerclon est un endroit trop... moderne, pour moi. Je suis habituée à une façon de vivre plus... "

Je cherchais mes mots, comme si je m'adressais à un enfant à qui je devais parler en termes simples.

"Plus rustique, peut être. Mon peuple ne possédait pas toutes ces technologies récentes."

Je mangeais quelques raisins tout en continuant de regarder Vaïna déguster le crépuscule. Nous vivions un instant isolé, hors du temps et coupé du monde, et cette semi-solitude m'était agréable. Je me perdis dans mes pensées, le goût des raisins faisant remonter en moi celui du vin servi à table lors des banquets dans la Grand Salle de la citadelle de Cahernas. J'étais alors enfant et suivait les instruction de mon père pour devenir une parfaite assassine au service de la famille régnante et ne pus m'empêcher de sourire en me revoyant couper les bourses à la ceinture des nobles pour me faire de l'argent de poche.

Je revins à la réalité.

"Vous semblez aimer Cerclon, les remparts de la ville présentent un tel intérêt pour les cristaux ? "

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