Pour un Noël et un sommeil plus légers

Cela faisait une éternité et demie que je n'avais pas fait le chemin jusqu'à l'épicerie, et pourtant tout me restait familier. Je me demandais déjà si Leiline n'allait pas me remonter les bretelles pour mon absence dernièrement. Mais Alchimiste, c'était aussi un travail de terrain, partir à la recherche de nouvelles plantes, parfois aux quatre coins de... Nan mais tu t'écoutes, Richye, partir en excuses et prétextes, tu as été mauvais, voilà tout.

C'est avec une certaine émotion, mêlée à une pointe d'appréhension, et de nostalgie qui montaient en moi lorsque je vis apparaître le bâtiment en face de moi. J'étais impatient de revoir Leiline, mais redoutait potentiellement une remontrance salée quand à mon absence de nouvelles.

Néanmoins, ce n'était pas en restant les bras croisés que j'allais arranger les choses, et surtout j'avais des cadeaux de Noël à préparer, c'était la meilleure des occasions pour revoir mon amie. Prenant mon courage à deux mains (j'en aurais bien eu besoin de deux de plus pour le soutenir, mais les êtres humains sont ainsi fait qu'ils n'en ont qu'une paire), j'ouvris doucement la porte, et ne m'y glissa qu'à moitié.

- Bonjour... Leiline ?

Alors, oui, mon assurance elle, avait déjà pris la poudre d'escampette.

L'Epicerie est habillée aux couleurs de Noël : quelques guirlandes suspendues au plafond et un grand sapin à côté du comptoir, des faux cadeaux au pied en guise de décoration. Elle n'a peut-être pas son stand du Marché de Noël cette année mais Leiline se refuse de ne pas mettre son commerce dans le thème des fêtes à venir.

Zéphyris est même déguisé pour l'occasion ! Portant toujours fièrement son collier reçu l'année dernière, il porte aussi un bonnet de Noël adapté à son crâne pourtant très petit. À cette première rencontre, l'animal fait sa révérence habituelle pour accueillir l'inconnu.

- Bonjour Monsieur et bienvenue à l'Épicerie ! Dame Leiline est à l'extérieur. Je vous l'appelle tout de suite.

Il tire vigoureusement sur la petite ficelle mainte et mainte fois mordue par son bec, faisant résonner les clochettes dans la cours extérieur.

Dans les coulisses, l'hybride assiste ses deux collaborateurs dans la gestion des cages et des enclos en tant de grand froid. Leiline avait tout prévu courant de l'année : cabanes et autres enclos couverts pour les animaux ne supportant pas le froid, chauffages intégrés et bâches coupe-vent. Cela demande tout de même plus de précautions pour venir nourrir les petits locataires, mais avec une armoire à glace comme Romàn, même les plus grand familiers ne font pas les malins.

L'oreille féline de la gérante - celle non couverte d'un bonnet de Noël - se tourne en direction des doux sons de cloches, lui indiquant que quelqu'un l'attend au comptoir. Souriante, elle laisse les deux compères finir de s'occuper des dernières cages, sautillant presque pour retrouver la douce chaleur de son fief.

À l'intérieur, elle se défait de sa cape noir couvert de quelques flocons par-ci par-là et l'accroche à un porte-manteau avant de dévisager son client. Son sourire joyeux laisse place à une commissure. Richye, en personne. Elle hausse les sourcils et les mains dans un geste d'incompréhension.

- Oh ! Un revenant !

Bien qu'outrée intérieurement, elle reste contente et soulagée de le voir - semble t-il - en pleine forme. Elle croise les bras sur son comptoir, fixant l'Alchimiste du regard.

- Tu comptais me donner des nouvelles l'année prochaine ?

Certes, cela relève du sarcasme, mais l'un comme l'autre ont leurs obligations et leurs responsabilités. Et ça, Leiline le comprend. Elle reprend progressivement son sourire.

- Plus sérieusement, tu vas bien ? Ça fait vraiment plaisir de te revoir enfin. Je commençais à me demander s'il t'étais arrivé quelque chose.

Déjà que son quotidien de fin d'année à été chamboulé suite à la récupération d'un Morgan complètement dévasté dû à l'assassinat de sa compagne, il ne manquerait plus que Richye aussi ai des problèmes ... Elle le regarde, un air plus grave sur le visage.

- D'ailleurs ... Tu es au courant pour ce qui est arrivé à Morgan ?

Je fus accueilli par un oiseau majestueux qui me salua par une révérence, et me demandais d'attendre un peu car il allait appeler la jeune féline. Je m'inclinais en retour.

- Salutations... Et merci beaucoup.

Leiline avait donc recruté un mangoustan pour que l'épicerie tourne au mieux ? C'était compréhensible, après la forte impression qu'elle donna au marché de Noël l'an passé, son commerce doit connaître un franc succès.
Je n'eût pas à attendre longtemps avant de voir l'épicière en personne.

- Bonjour Leiline !

Évidemment, petite pique bien envoyée de la part de la Li. Et honnêtement, je le méritais. Cela faisait quasiment un an que je m'étais un peu éloigné, sans donner beaucoup de nouvelles. J'imaginais dans sa remarque que mon absence a dû peser sur elle. Je m'inclinais devant elle.

- J'entends demande pardon. Ces derniers mois ont été... particuliers. J'ai pris un peu de temps pour refaire le point avec moi-même, et je n'ai même pas pris le temps de te donner quelques nouvelles... Je suis vraiment un ami terrible.

Je me relevais enfin. Le sourire revint sur le visage de la féline me rendit plus serein. Malgré le temps passé, Leiline était restée aussi enjouée que lorsque je l'ai connue.

- Mais ne t'inquiètes pas, tout va bien pour moi. J'avais juste besoin d'un peu de recul. Et je suis très heureux de te revoir également. Je vois même que tu t'est entourée d'aide de qualité pour tenir l'épicerie.

Mais là vint un regard qui ne m'inspira rien de bon. Elle me demanda si je savais pour Morgan.

- Heu...non...

Si l'angoisse pouvait revêtir un visage, nul doute qu'elle aurait le mien actuellement. Que diable s'était-il passé ?

Leiline se pince l'arrêt du nez, reprenant aussitôt Richye sur sa remarque.

- Cesse de te rabaisser à ce point Richye. Tu es un très bon ami. Preuve en est : tu viens me voir et tu t'excuses même !

Et là, vient la partie la plus délicate de la conversation. Comment trouver les mots pour expliquer toute l'horreur de ce qu'a pu vivre Morgan à ce moment là ? La main sur la bouche, l'hybride note l'absence de client - autre que l'Alchimiste, bien évidemment.

- Allons dans mon bureau, je ne veux pas que cette histoire se répande telle une trainée de poudre. Elle lève un doigt en direction du volatile sur son perchoir. Zéphyris, prévient moi s'il y a un autre client qui arrive.

Le gentleman à plume se courbe et Leiline ouvre la porte de son bureau, invitant son ami à y entrer. S'installant à la place du chef, elle lui propose le siège tout aussi confortable en face d'elle, séparé par son bureau. Elle pose ses coudes dessus et joint ses deux mains entre elle, le regard baissé.

- Comment t'expliquer tout ça ...

Il fallait un début, un souvenir agréable pour préparer à la suite.

- Lors du Speed Dating de l'année dernière, tu te souviens que Morgan avait trouvé quelqu'un. Une femme : Lya.

Le reste de l'histoire reste encore flou. Leiline n'a pas encore osé demander à Morgan de tout lui raconter dans le moindre détail, ce serait lui enfoncer le couteau dans la plaie.

- J'ignore ce qu'il s'est précisément passé mais ... Un ancien prisonnier que Morgan a envoyé au trou est ressortit et les a agressé en guise de vengeance. Morgan avait été kidnappé, et ...

Moment de silence. Ne pas aseptiser la chose et le dire tel qu'il est.

- Lya a été assassiné devant lui. Elle est morte dans ses bras.

Une larme coule le long de sa joue. Ce constat lui serre la gorge, d'autant plus que trône sur son bureau - visible uniquement d'elle - un cadre photo d'elle et de Corben. Un coup d’œil furtif dessus et des scénarii de quelques millisecondes suffisent à engendrer plus de larmes sur son visage. Sa voix se fait plus tremblante et son regard encore plus bas.

- Sans savoir ce qu'il se passait, j'avais essayé de le joindre par téléphone pendant ette période, mais sans succès. C'est sa grand-mère qui a débarqué en trombe chez moi pour me demander de l'aide. Quand je suis arrivée chez lui, c'était l'horreur. Morgan avait tout cassé, il voyait Lya partout, dans la moindre ombre, dans le moindre draps volant dans un coup de vent. Il avait complètement pété les plombs.

À juste titre, selon hybride.

- Je ne pouvais décemment pas le laisser chez lui, seul. Ayant récemment déménagé dans une maison bien plus grande à Northrives, j'ai pris la décision de l'héberger. Qu'il ai de la compagnie en permanence et du soutient, surtout.

Elle laisse un bon moment de silence à Richye pour digérer les informations, tout en se pinçant les lèvres. Tentant de calmer ses larmes, elle lève la tête pour enfin croiser le regard de l'homme blond et prend une grande inspiration.

- Notre Morgan a besoin de nous, plus que jamais.

Elle venait de prévenir Zéphyris, son oiseau, de garder la boutique le temps que nous allions discuter dans son bureau. La tension qui semblait s'installer ne me rassurait guère. Pourquoi ? Bon, je ne pipais mot et la suivais jusqu'à m'installer dans ce gros fauteuil.
Elle commença à me reparler de la rencontre de Morgan au speed dating, puis elle me déroula toute l'histoire : le couple de Morgan, un ancien bagnard revenu dans un dessein de vengeance, la mort de la compagne de Morgan devant lui. Lui qui a craqué suite à ce traumatisme. Et Leiline qui a couru à son chevet pour ne pas qu'il se risque à faire une grosse bêtise. Et cette Lya, était-ce celle que j'avais croisé lors de la fête de Northrives ?
Le décès de Lya, l'affliction que devait ressentir Morgan, mon sentiment d'impuissance, cette colère contre moi-même d'avoir été absent au pire moment, tout formait au fond de moi un maelstrom qui me déchirait intérieurement.
Entre tout cela, et voir le visage de son amie grimé du masque de la tristesse, je ne pouvais que mettre ma main devant mes yeux pour les masque, geste bien inutile car les larmes roulaient déjà sur mes joues.

- Et tu penses vraiment que je suis un bon ami, si je n'ai même pas pu être là pour lui, pour vous, en ce moment-là ?! Tu le penses vraiment ?!

Cette phrase, j'aurais pu la dire, la hurler si fort, envers elle, mais surtout envers moi, si la dernière phrase de mon amie féline ne me tira pas de ma torpeur, comme un appel. Et perdu dans mes propres tourments, la seule chose qui émana de moi fut un long moment de silence, ponctué par quelques sanglots.

- ...

Allez, Richye, Morgan, Leiline ont besoin de toi.

- ... °snif° Tu...

Si tu n'étais pas là à ce moment, au moins maintenant, tu pouvais agir.

- ... Tu as °snif°... Tu as raison... Il a besoin de nous... Nous devons rester soudés.... °snif°

Je tentais de regarder mon amie dans ses yeux, et de calmer les flots de larmes qui rougirent les miens.

- Je... pardon, le coup de l'émotion, j'ai... °snif° j'ai un peu de mal à encaisser tout ça, mais... je vais me reprendre... je vais me reprendre.

Je pris une profonde inspiration. J'avais rarement vu Leiline aussi bouleversée, mais les nouvelles que je venais d'apprendre m'avaient bouleversé tout autant.

Ce sujet de conversation n'est pas des plus adapté pour des retrouvailles. Mais pour Leiline, il lui est important de lui en parler le plus tôt possible. Elle essuie ses larmes, voulant encourager son ami à en faire de même.

- Ne t'inquiète pas, prend ton temps.

Il semble aussi boulversé qu'elle ne l'a été lorsqu'elle a retrouvé Morgan la première fois après le drame. Bien que, récupérer l'aveugle à la truelle a été certainement le plus douloureux, même pour elle.

- Je me doute que tu n'es pas venu pour ça à la base mais ... Je te propose d'aller le voir à la maison, après que je me sois chargé de ta demande.

Un léger sourire s'affiche enfin sur son visage.

- Ne t'inquiète pas pour la gestion de l'Epicerie, mes collaborateurs pourrons très bien s'en occuper en mon absence. En attendant, qu'est ce que je peux faire pour toi ?