Embarcadère de Tern : voyage au pays des poulpes géants

Les poings fermement plantés sur les hanches, les pieds légèrement écartés, le buste haut et droit, Abysse attendait les voyageurs. Le navire était prêt depuis l’aube et n’attendait plus que les jeunes gens embarquent. La valkyrie n’eut pas longtemps à patienter pour que les premiers pointent le bout de leur nez. Elle les invita à la rejoindre d’un sourire. Habituée à ce genre d’affaires, elle se présenta puis leur décrivit rapidement le navire ainsi que le chemin emprunté afin de les rassurer.

Lorsque les derniers voyageurs furent arrivés, Abysse les salua, se présenta à nouveau mais ne prit pas la peine de leur redonner une description du voyage ou du navire. Les compagnons qui l’avaient entendue se chargeraient de leur expliquer. La jeune capitaine n’était pas spécialement pressée mais elle ne tenait pas à rester des heures sur l’embarcadère à rassurer tous les clients. De toute façon, elle ne pensait pas que ce genre de détail les inquiétait. D’après ce qu’elle avait compris, ils étaient partis pour une longue expédition qui se soldait par un combat avec un poulpe géant ou un machin dans le genre.

Abysse invita donc tous les jeunes gens à monter sur le pont grâce à la planche de bois qu’avait posé Ulrik. Elle leur présenta notamment son second d’équipage. Ulrik les salua d’un rapide coup de tête avant de partir s’occuper de l’équipage et du proche décollage. Abysse cru lire quelques mouvements de recul à la vue de son second. Il est vrai qu’Ulrik était le genre de personne à provoquer la surprise de par sa stature et son air un peu bourru. La jeune femme ne pu s’empêcher de sourire. Les voyageurs se rendraient compte tôt ou tard qu’il était en fait une vraie patte-molle.

Après avoir indiqué les appartements de chacun, Abysse leur décrivit l’organisation du navire et présenta aux voyageurs les principaux membres de l’équipage. Elle leur donna les heures de diner, la situation de son bureau et tous les renseignements dont ils avaient besoin pour le bon déroulement de l’expédition. Le voyage prendrait au maximum une semaine. Abysse ne jugea donc pas nécessaire de trop s’attarder sur les explications. Un seul mot d’ordre fut donné : les voyageurs avaient libre quartier sur le navire dans la mesure où il ne dérangeait pas le travail de l’équipage et le bon fonctionnement du navire.

Sur ce, la jeune capitaine se retira dans son bureau afin de donner ses instructions pour le décollage. Les moteurs qui ronronnaient depuis un bon moment déjà s’ébranlèrent et le navire fut prit d’un sursaut tandis qu’il s’élevait dans les airs. Lorsque le Fenrir eu prit suffisamment d’altitude, les voiles se déployèrent et les moteurs principaux furent coupés. Un vent de biais gonflait les voiles. A ce rythme, le voyage se déroulerait sans encombre. Il ne restait plus qu’à espérer qu’aucun oiseau vorace ou visiteur intempestif n’aient l’idée de les rejoindre en cours de route…

Contrairement aux idées reçues, posséder son propre navire ne signifie pas voguer sur les flots, fendre les cieux et explorer des terres inconnues. A son grand damne, Abysse avait vite compris la triste réalité des choses. Forte en désillusion, celle-ci vint lui rappeler la dose monumentale de paperasse en tout genre à remplir. Il existait toujours un formulaire à compléter pour la moindre action qu’elle voulait entreprendre. Finalement, être explorateur, de nos jours, ce n’était pas de tout repos. Le désir de liberté et d’évasion était bien loin dans l’esprit de la jeune femme alors qu’elle s’occupait de signer quelques paperasses. Son bureau était tapissé de papiers administratifs. On n’en voyait plus la carte sensée être placardée contre le bois massif. Abysse soupira, jeta un coup d’œil écœuré à la pile de papiers qui lui restait à remplir et se laissa aller contre le dossier de son fauteuil.

Depuis qu’elle s’était réfugiée dans son bureau, la valkyrie avait tout juste trouvé le temps de donner ses instructions à la salle des machines et de calculer les dernières coordonnées pour le voyage qu’elle avait du remplir au plus vite les formulaires pour quitter Tern et l’autoriser à voguer librement. Bien des préjugés pensaient que les cieux étaient encore le seul domaine libre de ce monde. Et bien ils se trompaient. En effet, même pour sillonner les cieux, il faut posséder une bonne douzaine de permis et autorisations. Ca en était plus que barbant.

Lasse et fatiguée de toutes ces tâches administratives superflues, Abysse s’autorisa quelques secondes de répit et ferma les yeux. L’espace d’un instant, elle laissa voguer ses pensées aux grès des vents. Elle se remémorait toutes les terres qui lui restaient encore à découvrir. Elle aimait à s’imaginer les créatures étranges qu’elle pourrait y rencontrer et tous les dangers qui parsèmeraient ses voyages. Bien évidemment, tout cela était loin, bien trop loin. Ce furent des coups frappés à sa porte qui la ramenèrent à la triste réalité. La valkyrie ne put s’empêcher de sursauter et de jeter des regards hagards autour d’elle. Elle venait de retomber dans sa cabine jonchée de divers papiers. Abysse soupira et invita l’inconnu à entrer d’un ton las. Elle ferma les yeux et attendit que l’on pousse la porte. La jeune femme pensait qu’il s’agissait d’Ulrik, son second, qui venait lui faire un quelconque rapport. Il s’amusait sûrement plus qu’elle en ce moment.

A sa grande surprise, ce ne fut pas son second qui se présenta mais un jeune homme dont le visage ne lui était pas inconnu. Abysse effaça alors toute trace de fatigue sur son visage et lui adressa un sourire légèrement forcé. Il s’agissait d’une nouvelle recrue. Cet homme là n’avait peur de rien puisqu’il s’était engagé à bord du Fenrir en tant qu’harponneur. Jusque là, Abysse n’avait eu droit qu’à une petite démonstration de ses talents mais elle avait pu juger qu’il s’agissait d’un homme remarquablement doué. Il lui semblait qu’il se nommait Arcanta. Si ses souvenirs étaient bons, il participait lui aussi à la chasse au poulpe géant.

La jeune femme se leva, l’accueillit d’un sourire plus sincère et l’invita à s’assoir en face de lui. D’une main désinvolte, elle chassa les papiers qui jonchaient son bureau.

- Et que me vaut la visite de l’Harponneur du Fenrir ?

Finalement, Abysse éprouvait un léger soulagement à ce que ce soit le jeune homme qui se soit présenté à elle. De cette manière, il l’empêchait de se replonger dans ses papiers, du moins, pour le moment. De plus, pour ce qu’elle avait pu discuter avec lui, elle avait trouvé le jeune homme fort intéressant. Elle se doutait bien qu’il lui réservait encore un bon nombre de surprises.