Campagne de vaccination

C'est avec méfiance que Cygne poussa la porte de la Bibliothèque. Le lieu était familier, mais cette fois, il n'était pas venu emprunter des livres.

Ces dernières semaines, il avait épluché les petites annonces à la recherche d'un boulot qui lui ferait ne serait-ce qu'un tout petit peu envie. En vain. L'idée de s'enchaîner pour au moins plusieurs mois à des horaires fixes lui faisait horreur. Puis son casque avait rendu l'âme. Or il ne fallait pas compter sur ses parents pour lui faire une avance sur son argent de poche pour acheter de la technologie. Il lui fallait des sous, et vite. Supporter la maison familiale sans musique, c'était l'horreur.

La Bibliothèque lui était apparue comme son seul moyen de cheater. Mais vu les histoires d'horreur qu'on racontait parfois sur les missions du cru, ses parents seraient horrifiés s'ils savaient. Ce serait bien sa veine si un de ses frères et soeurs, qui ne mettaient les pieds ici qu'une fois l'an pour faire leurs devoirs, était présent et l'apercevait.

Coup d'oeil à gauche, coup d'oeil à droite. Il ne vit aucune tête connue dans les rayonnages. Il fila au panneau d'affichage des missions et se glissa devant un robot deux fois plus large et plus grand que lui. Le Ken ne réagit même pas. La tête de Cygne lui arrivait à peine à la poitrine, il ne risquait pas de lui boucher la vue.

Correctement camouflé, Cygne examina la sélection. Il n'avait pas les mêmes a priori que sa famille, ayant déjà vu une petite fille et autres individus d'apparence frêle passer par ici plusieurs fois. Mais la majorité des missions lui donna quand même des sueurs froides. Peut-être que la petite fille était une tireuse d'élite ou une déesse de la destruction, après tout. Rien n'aurait dû le surprendre dans l'Entre-Monde.

Il finit par tomber sur une requête qui, en comparaison avec les autres, lui parut remarquablement bénigne. Le parc zoologique de Tern avait besoin d'aide pour sa campagne de vaccination... Les plus : pas besoin de sortir de la ville, pas besoin de tuer des trucs ou de savoir faire léviter des rochers avec son esprit. Le moins : comment était-on censé amadouer les "grosses bêtes" quand on pesait 60 kilos tout mouillé ?

En désespoir de cause, il décrocha quand même la feuille du tableau.

Il est temps de briser la routine pour notre hybride et quoi de mieux – une fois de plus – que d'aller faire une mission ? Après la dernière escapade avec l'Alchimiste, elle souhaite pourtant prendre du temps pour se reposer. C'est sans compter qu'au hasard des discussions de rue, elle a eu vent d'une mission mêlant détente et intérêt : aider des soigneurs du zoo de Tern pour la vaccination des animaux.

Il serai dommage que l'Epicière officielle de l'Entre-Monde ne soit pas de la partie.

Après avoir préparé ses titres, son sac sans fond et son fouet – ne sait on jamais – elle quitte la maison pour se rendre à la Tour du Savoir, toujours le petit Alibert à ses côtés, content lui aussi de sortir de nouveau, poussant la jeune féline à lui dire deux trois mots à ce sujet.

- Tu as intérêt à te tenir tranquille cette fois. Il y a des animaux qui pourraient faire qu'une bouché de toi là ou nous allons !

Le Precious tournoi sur lui-même et se pose sur l'épaule de sa dresseuse.

- Ouais, je dois comprendre que tu vas en faire à ta tête comme d'habitude …

Ça ne terni pas le moral de Leiline pour autant et se dirige donc vers la bibliothèques avec entrain.

Arrivée dans la Tour du Savoir, elle se dirige rapidement vers le panneau des missions de sauvetage et de secours – comme à son habitude – et note l'absence de la mission en question. A t-elle déjà été prise ? De ce qu'elle a entendu, elle était encore disponible hier soir …

Un détour de tête et elle remarque un homme, une feuille à la main. Elle s'approche discrètement de ce dernier et repère le titre de la mission. C'est bien celle-ci, la campagne de vaccination. Elle se permet de s'adresser amicalement auprès de lui tout en arborant ce sourire qui la caractérise si bien.

- Bonjour ! Cette mission vous intéresse ? Je suis venue sur les lieux exprès après avoir eu vent celle-ci.

L'homme paraît calme, posé et possède un charme particulier qui n'échappe pas à la jeune hybride. Elle lui tend doucement la main.

- J'en oublie mes manières, Leiline Devalle, enchantée.

"Coup de bol !"

Cygne sourit largement à la nouvelle venue. Bon, il ne la voyait pas plus que lui dompter un rhinocéros ronchon, à moins qu'elle cache bien son jeu. Il la dominait de presque une tête, oreilles comprises. Mais si elle était venue spécifiquement pour cette mission, on pouvait espérer qu'elle n'était pas une touriste comme lui. Et que c'était une amie des bêtes, vu son tout petit compagnon.

"Cygne," se présenta-t-il en lui rendant une poignée de main ferme. "Ah, ça m'arrange. Ce sera plus convivial de courir après des bestioles à deux. Je me sentirai moins bête."

Il fit un tour sur lui-même. Le robot s'était écarté, n'ayant apparemment pas trouvé son bonheur. Cygne pointa vers les comptoirs à côté de ceux où il empruntait généralement de la lecture.

"Par là, non ? J'ai pas trop l'habitude." Il prit cette direction. "On se tutoie, ou bien ?"

Loin de lui l'idée d'être impoli, mais si elle insistait pour le vouvoiement, pendant toute la mission il allait sentir peser les années qui le séparaient encore de sa majorité. Il tournait encore la tête pour chercher son père quand on l'appelait "M. Cantharellus".

- Directement ? Je vois que nous sommes sur la même longueur d'onde, je vais vite t'apprécier toi.

Pour une fois que ce n'est pas elle qui insiste pour qu'on la tutoie elle ne va pas s'en priver ! Alibert virevolte autour de la tête du jeune homme pour l'inspecter mais Leiline le rappelle de suite à l'ordre. Il commence à devenir protecteur avec ça dresseuse en examinant les gens de la sorte, étonnant de la part du tel animal n'est t-il pas ...

- Et effectivement, c'est là bas.

Elle prend doucement la feuille des mains de son futur associé et commence à la remplir sur le comptoir.

- Alors comme ça, c'est ta première mission ? Si tu n'es pas habitué avec les animaux et que ça peut te rassurer, je possède deux titres, un pour calmer les animaux et un autre pour leur parler.

Au vu de son actuel métier, il valait mieux posséder ces deux titres. Gérer tous les animaux de l'épicerie n'est pas de tout repos. Elle finit de remplir la fiche et d'une une petite tape sur le comptoir.

- Voilà ! Maintenant il n'y a plus qu'à attendre que quelqu'un nous prenne en charge.

La question qu'elle se pose toujours à ce moment là c'est "Eva ou Kip ?", il lui arrive d'essayer de deviner la personne elle va voir.

Distrait par le truc coloré volant devant ses yeux, Cygne ne résista pas quand la feuille lui glissa entre les doigts. Mais il se pencha par-dessus l'épaule de Leiline, observant quels champs elle remplissait et comment.

"Des titres ? C'est ces espèces de parchemins magiques, là ?" Enfin, oui, c'était sans doute magique. Aux dernières nouvelles, la technologie n'avait toujours pas avancé au point de communiquer avec les animaux. Mais bon, si ça marchait, hein... Il n'allait pas cracher dessus. "Pratique ! Je vois pourquoi cette mission t'intéressait. Ça s'achète à la BCP, c'est ça ?"

La Banque Centrale des PIMs. Voilà une organisation dont Cygne n'avait jamais eu à se préoccuper jusque-là. Ses parents n'acceptaient de leurs clients que de la "vraie monnaie", métaux précieux ou autres espèces sonnantes et trébuchantes. Les pims, pour eux, c'était du vent. Le virtuel n'avait aucune valeur à leurs yeux.

Saisi par une réalisation soudaine, Cygne écarquilla les yeux.

"Je vais être payé en pims," dit-il d'une voix révérencieuse. "Je vais avoir un compte à la banque. C'est trop génial."

Et pour les dépenser, pas le choix. Il allait devoir aller dans les boutiques partenaires de la BCP. A lui le célèbre Laboratoire et ses rayonnages rutilants !

L'hiver venant Carine était en joie, pour ne pas changer. Il grognais par intermittence depuis la veille. Une sourde mais tenace migraine nous occupait tous les deux. Nous étions déjà trop nombreux pour une si petite boîte crânienne, cette fois c'était la goutte de trop.
Le rhume est une arme plus efficace que l'argent. C'est une louve-garou qui l'affirme.
Je relisais sans un "bonjour" la fiche d'inscription et me contentais d'éternuer dans un mouchoir saisi au vol en guise de discours de bienvenue pour le nouveau.

Malgré le tambour qui me rendait aussi sourde qu'une taupe grabataire, je pointais un doigt sur Leiline et le balançais entre eux en va-et-vient menaçant.

-N'allez pas vous faire tuer dans une mission en pleine ville. Compris ? Les autres aventuriers se chargent déjà de saper mes efforts et la réputation de tout le monde ici, pas besoin de rajouter une pépite comme celle-là.

Leur avouer que je tenais à mes aventuriers plus qu'à moi-même ? Même pas en rêve ! Récupérant quelques mouchoirs d'un mouvement vif vers le distributeur en carton, je m'éloignais d'eux en éternuant de plus bel.