Promenade de santé dans la montagne

La rivière, se dit Xénon. Oui, bon plan. Comme il l'avait déjà démontré par le passé, ses circuits vulnérables étaient protégés de l'eau. D'après son diagnostic interne, même sa fourche tordue n'avait pas entamé l'étanchéité de sa coque. Restait à parvenir jusque-là... Comment rouler dans les sous-bois sans produire un bruit ? Impossible !

Il se creusa le processeur pour trouver une solution. Il allait faire du bruit, c'était inévitable. Comment tourner cela à son avantage ? Pour finir, il ne vit qu'un choix possible.

"On se retrouve là-bas," murmura-t-il.

Puis il roula droit hors des buissons. Le Jinouga ne le remarqua qu'au bout de quelques mètres. Il regarda, perplexe, cette chose à l'odeur de métal qui avançait toute seule. Xénon fit les choses bien, évoluant à petite vitesse et droit devant, comme un rocher poussé dans une pente. Il traversa la clairière aussi loin que possible du Jinouga, vers le ruisseau. Il se laissa prendre de l'élan en descendant la rive et remonta de l'autre côté dans une gerbe d'éclaboussures. Je suis un objet inerte, se répéta-t-il, comme s'il pouvait en convaincre le prédateur par la pensée. Je ne sens pas la viande, je n'ai aucun intérêt.

Mais le Jinouga a plus de choses en commun avec le chat domestique qu'on ne pourrait l'imaginer. Poussé par la curiosité, il franchit le ruisseau d'un bond et le suivit.

Au moins, se dit Xénon, résigné, sa diversion avait encore mieux fonctionné qu'il ne l'aurait espéré.

Il accéléra progressivement, aussi discrètement qu'il l'osait. Le Jinouga se contentait pour l'instant de le talonner, produisant parfois un son qui n'était pas sans rappeler un miaulement inquisiteur. Mais quand son trot détendu ne suffit plus à tenir le rythme, Xénon vit l'instinct de la chasse s'allumer dans son regard. Même un chaton a le réflexe de courir après ce qui bouge vite.

Le Jinouga s'élança, et Xénon aussi.

Heureusement, les arbres s'éclaircissaient à cet endroit. Le félin rugit, mais même une bête aussi grosse ne pouvait rivaliser avec le moteur de Xénon poussé à plein régime. Il avala la distance qui le séparait encore de la rivière en un rien de temps, et son élan était tel qu'il décolla au-dessus de la rive abrupte et faillit franchir le cours d'eau d'un bond.

Faillit, car il atterrit dans l'eau à moins d'un mètre de l'autre bord. Le courant l'envoya aussitôt valser guidon par-dessus roues, puis le propulsa contre un amas de rochers où il resta coincé, un pneu pointant hors de l'eau comme le triste mât d'une épave.

Décidément, pensa Xénon, humilié et beaucoup moins fier de son plan que quand il l'avait conçu, pour impressionner un chasseur expérimenté, on repassera.

Dans ses membres tremblant, Wergeld ne distinguait plus l’adrénaline et la peur. Un Jinougat, se répétait-il en boucle dans ses pensées. Il gardait espoir que la rivière les sauverait. Xénon fila à toute berzingue sur ses roues, l’animal le poursuivit. Le jeune chasseur serait resté là si son cœur ne lui avait soufflé de courir. Il abandonna son baluchon et le sac de déchets avant de sauter dans la rivière, faisant un bien drôle de duo avec la moto qui, plus loin, faisait le même plongeon.
Le roulis des courants l’emporta vers l’aval. L’eau filait vers la ville, percée parfois de rochers et de bancs de sable. Wergeld avait la bouche pleine d’eau et de vase lorsqu’il réussit enfin à attraper les branches basses d’un saule alanguit au-dessus du torrent.
Xénon n’était pas si loin, coincé dans une position incommode avec ses pneus plein d’air.

La créature n’en avait pas terminé avec sa proie initiale, mais elle avait repéré un cas bien plus alléchant accroché à une branche. Si Wergeld ne l’avait pas déjà vu grimper sur son arbre, ce n’est que par la peur que la bête avec de la rivière. Les flots ne permettaient aucun passage à gué, sauf plus haut, vers la montagne. Ou en aval…

Par-dessus les flots, le bouillon absorbait sa voix. Il tenta plusieurs fois d’appeler son compagnon de route et plus il s’acharnait, plus il buvait la tasse.
S’en était trop pour lui. La peur fit place à de la colère, il se hissa à la force de ses bras, plus haut sur la branche. Priant par la même occasion pour qu’elle supporte son poids une fois sorti de l’eau. Avec trente kilos d’épée sur le dos, c’était un miracle qu’elle tienne si bien. Il était trempé et chaque pas libérait une marre derrière lui.

Le jinouga lorgnait après lui sur l’autre rive. Il devait récupérer Xénon avant que l’animal ne se décide à tenter de franchir les flots autrement que par le pont… Wergeld le voyait déjà évaluer l’élan nécessaire pour franchir la rivière.
Même trempé et interdit d’électricité, la créature n’aurait aucun mal à le dépecer le temps de sécher… Le combat serait d’autant plus amusant des deux côtés. Une part du chasseur espérait qu’ils en arrivent là. Une petite part à peine audible voulait tenter le pire contre un jinouga.

La berge était glissante, les galets polis roulaient sous ses pieds. Wergeld se précipitait jusqu’à Xénon et plongea les bras dans l’eau pour attraper le guidon.
L’eau le déstabilisait et le regard du monstre non loin précipitait ses mouvements. Moins précis, moins juste, il s’y reprit à plusieurs fois avant de faire bouger l’engin de quelques centimètres.

Les caméras et les capteurs de Xénon ne lui offraient que la vision et la sensation de l'eau bouillonnant autour de lui. Il n'avait jamais compris l'intérêt des humains pour les jacuzzis, et c'était encore plus vrai maintenant. Aveugle, à la merci du courant, avec seulement une mince couche d'isolation protégeant ses circuits délicats des dégâts de l'eau, il se surprit à regretter les heures qu'il avait passées la veille coincé au fond d'un ravin.

Enfin il sentit qu'on s'emparait de son guidon et qu'on tirait. Son soulagement fut double. Après tout ce temps, il avait commencé à craindre le pire pour Wergeld.

Il fallut un long moment à son compagnon pour l'extirper tant bien que mal de la rivière. Xénon était un parfait poids mort et la culpabilité le mordait à chaque fois que Wergeld trébuchait sous son poids et manquait se faire emporter par le courant. Enfin ils s'élevèrent assez sur la berge pour qu'il retrouve la vue. Il commença par évaluer l'état de Wergeld - à priori en un seul morceau, aucune blessure visible - puis examina les alentours. Un chapelet de jurons traversa son processeur quand il vit le Jinouga qui arpentait toujours la rive opposée, ses yeux posés sur eux avec une agitation visible.

Les roues de Xénon se mirent en mouvement, glissant un moment sur les galets avant de trouver leurs appuis et de l'entraîner jusqu'au sommet de la berge. Voyant que ses proies recommençaient à bouger, le Jinouga s'écarta soudain pour prendre de l'élan.

"Monte !" ordonna-t-il sèchement à Wergeld.

Pas le temps pour leurs hésitations à tous les deux, cette fois. La rivière les avait entraînés assez loin en aval pour que la forêt fasse place à une pente rocailleuse. Il pouvait foncer sans obstacle.

Wergeld se cramponna à la moto, assit sur un tel engin pour la première fois de sa vie. Son esprit sidéré réduit au silence, ses mains refermées sur le guidon et ses cuisses étroitement resserrées sur les flancs de Xénon.
Plus tard, il en rougirait, un peu. Se laisserait à taquiner son équipier dont la réactivité venait de leur sauver la vie à tous les deux. Au fond, il sentait la distance grandir entre eux et la bête, laissant place à un soulagement épuisé et le bourdonnement du sang dans ses oreilles.
Dans leur fuite, la course en forêt, la rivière puis cette plaine où la moto filait à toute allure, il avait tout laissé derrière lui. Quelque chose dans son barda devait être maudit car c'était la seconde fois que cet endroit lui causait autant d'ennuis. Cette pensée déclencha un rire, léger, un hoquet entrecoupé de ses efforts pour retrouver son souffle.
Quelles étaient ses chances de se faire attaquer par deux créatures aussi rares que les lions des montagnes et un Jinouga à son campement en moins de vingt-quatre heures ? Relativement nulle. Sans savoir pourquoi, il trouvait que c'était étrange et drôle à la fois.

La ville se dessinait à l'horizon, ils avaient mis assez de distance entre eux et le jinouga et Wergeld voulait descendre. La position lui était encore inconfortable par manque d'habitude, il s'éclaircit la voix, essayant de ne pas paraitre trop maladroit.

-Je crois que je peux descendre maintenant. Tu en es où de tes réserves ?

C'est en desserrant sa prise sur les poignées de la moto qu'il sentit comme il s'était crispé dessus. Ils n'étaient vraiment plus très loin et l'odeur humaine, typique des technologies dont les citadins sont friands.
Pensif quelques instant, Wergeld trouva le temps de sourire, libérant une pensée sincère :

-Je crois qu'on forme une plutôt bonne équipe, on a évité les lions et un jinouga. C'est un score honorable pour une première.

Pour un aventurier rencontré dans un ravin, Xénon était de bonne compagnie et créatif, encore fallait-il qu'il lui épargne le cri de wyvern pour quelques temps. Son coeur n'allait pas se remettre d'une nouvelle frayeur...

Le soulagement de Xénon était double : pour la bête dangereuse qu'il laissait loin derrière eux et pour la terre qui filait enfin sous ses roues. Progresser au ralenti sur un terrain escarpé et devoir dépendre de quelqu'un d'autre pour le sauver s'il perdait l'équilibre lui avait énormément pesé ces dernières heures. Dans cette course folle à travers la plaine, il retrouvait enfin son indépendance et sa raison d'être. Les grands espaces et la vitesse étaient une drogue après tout ce temps passé emprisonné dans son corps défectueux.

La voix de Wergeld le fit presque sursauter. A aucun moment Wergeld n'avait tenté d'utiliser les commandes, et le poids d'un passager silencieux était si familier qu'il avait failli oublier le chasseur sur sa selle.

"Oh..."

Il s'arrêta à contrecoeur, ses caméras fixées avec envie sur la ville. A présent qu'il la voyait, il n'avait qu'une envie : foncer retrouver la civilisation et se dénicher un réparateur. Mais Wergeld était plus pragmatique que lui.

"Ma batterie est basse," avoua-t-il dans un soupir électronique. Trop basse pour continuer à cette vitesse jusqu'à la cité. "Mais ça m'a fait tellement de bien de rouler enfin... Je n'avais pas envie de m'arrêter."

La remarque de Wergeld lui rendit sa bonne humeur. Il se rengorgea, et son phare avant clignota de fierté.

"Et tout ça avant même que je retrouve deux jambes et deux bras !"

Le soulagement fut vite remplacé par de l’inquiétude. Il regrettait son détour à son campement. Sans ça, ils seraient déjà en ville et ni Xénon, ni Wergeld n’auraient pris un bain. Le jeune chasseur frissonnait. La seule chose qu’il ne regrettait pas, c’était d’avoir vu un jinouga de près. Il ne pouvait s’empêcher de les apprécier. A condition de ne pas être au menu.

-Mettons les voiles vers la ville dans ce cas. Faisons réparer ta fourche et j’ai vraiment besoin d’un repas chaud maintenant.

Il oublia de parler de ses doutes à son compagnon de voyage, au fond de lui, il sentait bien que ce Jinouga sorti de nulle part n’était pas normal, ni cette ruée de lions. Quelqu’un essayait-il de tuer Xénon ? Par chance c’était le seul survivant de son expédition. Lui et ses compagnons auraient peut-être trouvé quelque chose dissimulé…

Il coupa court à ses idées sombres. Préférant avaler les kilomètres les séparant de la ville dans le silence.

Quelques instants plus tard, il quitta l’enclave de son esprit pour s’étonner de marcher sur un sentier. Des nuages menaçant à l’horizon, il accéléra le pas. Un bain par jour suffit ! La douche serait superflue, surtout qu’il avait presque terminé de sécher.

Ils entrèrent dans la ville, le soleil au zénith. Des miliciens en patrouille lancèrent quelques regards dans leur direction et les laissèrent passer sans les interrompre.

-Je crois qu’on a l’air de chasseurs qui ont vécu de très mauvais moments.

Jamais il n’était entré en ville si facilement, barda et épée comprise, sans faire lever quelques sourcils aux miliciens. En ville, on devait déjà avoir repéré les lions, sinon, pourquoi personne ne venaient s’informer sur la raison de leurs mésaventures ? Il trouva de bon ton de ne pas avoir à raconter l’histoire de Xénon et la sienne après coup pour justifier de regrouper des chasseurs. Tout le monde aura déjà à l’esprit qu’il faut s’occuper des lions. Tant mieux ! Mais d’abord…

-Il y a une antenne du sanctuaire… Enfin, je crois. Il y en a toujours une.

Wergeld inspecta les rues sans vraiment les reconnaître. Il pouvait deviner où se trouvait la taverne la plus proche, son lit et son futur repas chaud également, mais alors trouver le sanctuaire… C’était une autre affaire.

-Garde-le pour toi... En ville, j’ai un sens de l’orientation déplorable.

"Je ne suis pas passé par là pour accéder aux montagnes," avoua Xénon. "Et je ne vois pas de borne d'information..."

Il en demandait sans doute trop. Comme beaucoup de cités de l'Entre-Monde, celle-ci avait un air de bâtiments construits à la va-vite à partir d'une toute petite colonie faite de bric et de broc, comme un adolescent qui aurait grandi d'un coup après la fermeture des Miroirs. Bornes d'information et panneaux indicateurs étaient moins urgents que la nécessité de loger tous les nouveaux occupants de cet univers.

Il lui vint à l'esprit qu'il ne connaissait même pas le nom de la ville. Non pas que cela change grand-chose, vu qu'il avait très peu de cartes citadines en mémoire.

"Si j'extrapole sur l'emplacement des plus vieux bâtiments... une infirmerie aura été l'une des premières installations nécessaires à l'expansion... donc d'après la disposition des rues..."

Il prit la tête, les guidant à travers la cité à coups de devinettes et de théories. Il aurait été plus simple de demander leur chemin à un passant, mais à présent qu'il avait commencé, il était décidé à trouver le sanctuaire par lui-même. Son égo aurait mal toléré de renoncer devant Wergeld.

Ils débouchèrent finalement sur une artère et Xénon poussa un "Ah !" de satisfaction. Le signe d'une clinique se balançait au-dessus d'une porte ouverte. Il passa le guidon par l'ouverture.

"Excusez-moi... Auriez-vous un mécanicien ?"

La jeune personne gérant la salle d'attente eut l'air passablement surprise de le voir. Xénon s'y attendait, il avait croisé très peu de robots dans les rues.

"Ça... ça doit pouvoir se trouver. Laissez-moi voir un instant..."

Elle fouilla dans ses papiers quelques minutes. Comme il commençait à trouver le temps long, Xénon roula jusqu'à une prise au mur et se tourna vers Wergeld.

"Il y a un câble dans mon compartiment de rangement arrière... Tu pourrais me brancher ?" demanda-t-il d'une voix qui ne masqua pas tout à fait une certaine angoisse.

Son petit jeu de devinettes lui avait encore pompé de l'énergie, et sa batterie était dans le rouge. Il ouvrit la trappe qui couvrait sa propre prise. Une diode écarlate clignotait juste à côté.

La clinique en vue, Wergeld ne décrocha pas un mot de plus en entrant dans la bâtisse avec Xénon. Mal à l'aise, il aurait laissé Xénon se débrouiller s'il ne l'avait pas sollicité. Des pouces opposables lui étaient utiles, deux bonnes raisons de ne pas le lâcher d'une semelle.
Wergeld se demandait bien comment on ouvre ce fameux compartiment arrière. Essayant de ne pas abîmer un nouvel élément de la moto maintenant qu'ils étaient enfin dans un endroit où il pourrait être réparé.
Encore que, à y réfléchir sérieusement, c'était le meilleur moment pour être maladroit... Mais Xénon avait tout prévu. Le câble était là et les diodes rouges aussi, de quoi rassurer le jeune chasseur. Ce terrain inconnu, il avait le câble en main et observa la prise dans le mur. Ça ne pouvait pas être si compliqué. Des fiches, des trous, il se pencha et ficha l'un dans l'autre non sans provoquer des sons non rassurant dans le murs.

Il jeta un regard penaud à Xénon.
Après l'orientation en ville, Wergeld avoua en silence ne pas être le plus adroits lorsqu'il s'agissait de manipuler la haute technologie. Elle était assez "haute" pour être hors de la portée de son esprit simple et pragmatique. Il survivait très bien sans, il s'en passerait donc.

Se redressant, ses genoux craquèrent sans cérémonie. Wergeld s'affala dans une chaise inconfortable à la flexibilité toute relative. Son sac et son arme sagement allongés sur le carrelage usé.
Un long soupir se concluant d'un bâillement étouffé lui échappa. Il porta une main à sa bouche et n'alla pas jusqu'à s'excuser. Ses doigts sentaient la peau boursoufflée de la griffure qu'il avait au visage. L'index glissant dessus lui arracha une grimace. Puis il sourit.

-Pour une fois que ce n'est pas pour moi que je suis dans un endroit pareil. Je crois même que c'est la première fois que je m'assois dans la salle d'attente...

Un rien l'amusait, en réalité, il était perdu. Avec les détours faits par Xénon pour trouver la clinique, il lui était impossible, ou très compliqué, de retrouver l'auberge de voyageurs qu'il avait vu en arrivant. La faim lui arracha un frisson. Au moins, il avait, comme d'habitude, une furieuse envie de filer aussi vite que possible. Ce n'était pas le sanctuaire principal, ce qui expliquait qu'il soit encore assit à attendre sagement. Autrement, il aurait déjà passé la porte en quatrième vitesse.

Ils n'eurent pas longtemps à attendre, un robot approcha accompagné de la jeune femme de l'accueil. Visiblement "le mécanicien".
Wergeld bondit de son siège et se tint près de son compagnon, impatient de connaitre la suite des événements.

Xénon sourit intérieurement de la maladresse de Wergeld. En voilà un qui était clairement plus habitué à la vie en pleine nature. Mais malgré les grincements ronchons du mur, la prise fit son office et la diode de Xénon passa au orange clignotant, indiquant une charge en cours. Il se détendit en voyant le niveau de sa batterie se stabiliser.

"Merci," dit-il dans un soupir de soulagement électronique.

Maintenant qu'il était hors de danger, la tension retombait. Il n'osa pas demander à Wergeld si ses mots signifiaient qu'il faisait rarement équipe avec d'autres personnes, de peur qu'il réalise qu'il n'avait pas envie de se coltiner un débutant comme Xénon plus longtemps.

L'arrivée du mécanicien lui épargna de devoir trouver une autre réponse.

"Houlà, belle bosse," fit le robot en se grattant le crâne dans un geste très humain. "On va redresser tout ça."
"Les composants internes sont fragiles," se sentit obligé de préciser Xénon.
"Ah."

Le robot posa sa boîte à outils et se pencha sur sa fourche tordue. Xénon entendit un crissement, et après un moment d'effort de la part du mécanicien, il parvint à retirer le panneau de protection cabossé.

"Houlà !" répéta-t-il en avisant les composants internes dénudés.

Il s'était sans doute attendu à quelque chose qui ressemble plus à l'intérieur d'une moto classique.

"J'ai les plans de construction," offrit Xénon, penaud.
"Ah bah oui, hein, c'est mieux. C'est du métamorphe ?"

Il écarta un des câbles pour mieux voir, fasciné. Quelques minutes de bidouillage d'interfaçage plus tard, les plans sortirent sur l'imprimante rudimentaire de l'accueil. Tandis que le mécanicien les étudiait avec des "Houlà !" appréciateurs, Xénon se tourna vers Wergeld. Il n'avait pas envie de le voir partir, mais à sa connaissance le chasseur n'avait quasiment rien mangé depuis leur rencontre. Il était temps qu'il s'occupe de lui-même, plutôt que d'un parfait inconnu qui ne lui avait attiré que des ennuis.

"Ça risque de prendre un moment, tu n'es pas obligé d'attendre. Merci... de m'avoir amené jusqu'ici. Ton aide m'a été très précieuse. On se revoit pour la chasse aux lions ?" suggéra-t-il timidement. "Je devrais être fonctionnel d'ici quelques heures, si tu as besoin de moi."

Wergeld n'avait sans doute pas besoin de lui. Y penser avait quelque chose de déprimant.

"Il y a une auberge à proximité ?" ajouta-t-il à l'intention de la jeune femme de l'accueil.
"Oui, bien sûr. Vous prenez à gauche dans la rue, c'est la troisième à droite. Ah, mais attendez, il faut que je vous désinfecte ça !"

Elle prit le bras de Wergeld et fit mine de l'entraîner vers le comptoir.

Wergeld se crispa dès que la jeune femme voulu l'entrainer à l'écart. Il sentait l'odeur de l'alcool et la démangeaison typique de la compresse avant même que l'un, ou l'autre, ne soit en vue. S'il avait le droit de voter pour une solution, il préférait la septicémie.

-Non. Merci. C'est déjà en train de guérir. On va laisser faire la nature...

Elle ne desserra pas sa prise sur son bras et Wergeld, même s'il espérait protester, devait se rendre à l'évidence : elle avait déjà gagné puisqu'il la suivait.
Assit sur une chaise à côté du comptoir, elle dégoupilla une bouteille d'alcool. L'odeur lui monta au nez comme un spiritueux bon marché. Elle utilisa plusieurs compresses pour nettoyer la plaie. L'infirmière osa même se plaindre de lui, il était encore humide de la tête aux pieds, il avait de la poussière collée sur la peau et chaque fois qu'elle approchait de son visage avec la pince et la compresse imbibée de désinfectant, Wergeld se renfrognait. A la fin des soins, après plusieurs points de sutures et un pansement soigneusement collé à sa joue, le chasseur n'était plus qu'une boule de nerfs tendus.

-J'ai fini, vous êtes libre. Vous voyez que ce n'était pas si terrible !

Il en avait vu d'autres, d'abord ! Il avait subis plus de points de sutures qu'une tapisserie anglaise !
Wergeld bondit de sa chaise et se précipita vers la salle où le mécanicien travaillait à remettre Xénon en état. Sans un merci, sans un au revoir pour la jeune femme.

Une fois la moto et le mécanicien trouvés, il entra sans s'annoncer.
Le réparateur leva sur lui un regard surpris, Wergeld l'avait interrompu dans sa concentration.

-Vous n'êtes pas allé à l'auberge ?

Pour toute réponse, le jeune chasseur alla se chercher une chaise. Il se laissa tomber sur la première qu'il trouva, gardant en vue le réparateur et son ami du jour. Une jambe jetée par dessus l'autre, les bras croisés derrière la nuque, il était décidé à prendre du repos en attendant que la moto soit en état de rouler à nouveau comme un bolide.
Il y avait presque pris goût à cette vitesse.