Retour de tempête

-Tu veux être payé, racheter un chapeau et te laver... Dans cet ordre ?

Toute la fine équipe venait de débarquer sur une plateforme perçant de Northrives. On ne pouvait pas faire plus éloigné que ça de la bibliothèque saut à apparaitre à la Porte Nord. Et il faisait nuit noire sur les canaux.

-Eva doit dormir en ce moment, je ne souhaite pas déranger la demoiselle. Ma maison n'est pas loin, allons nous reposer.

En chemin l'elfe demanda à Zed de ne pas faire trop de bruit en rentrant. Lys, sa fille, devait dormir aussi. Il espérait que leur arrivée au beau milieu de la nuit ne réveillerait pas la jeune femme. Peine perdue bien entendue, Lys avait hérité des félins une ouïe fine, bien trop pour dormir sur ces deux oreilles.
Elle se rendit utile en apportant, serviettes et changes quand ils apparurent dans l'entrée...

Après une nuit de sommeil bien méritée, Ayame ouvrit la marche vers la bibliothèque. Avantage indéniable de devoir traverser Tern, ils profitèrent du réseau de transport dense de la cité moderne. Jusqu'à atteindre le rempart, où des ascenseurs tatillons reprochèrent à leurs invités de s'être couchés si tard.
Cerclon...

Et la bibliothèque. A cette heure matinale, le Hall était quasiment désert. Tous deux se dirigèrent droit vers le comptoir d'Eva. Impatients d'en finir avec cette mission.

– Ne sous-estime jamais l’importance d’un chapeau.

Cette logique n’en avait que pour moi. Je n’allais pas non plus perdre du temps et de la salive à expliquer l’importance du chapeau haut-de-forme pour moi à un capitaine à 1h du matin.
Après avoir déposé les lézards dans une zone sécurisée –j’évitais de croiser le regard des forces de l’ordre qui récupérèrent les dévots-, Ayame me guida vers sa demeure. L’idée de passer une nuit chez un flic me plaisait moyennement, mais rentrer en pleine nuit, épuisé et blessé en plein cœur de Magna était aussi bon pour la santé qu’un saut à l’élastique avec une ficelle de cuisine.

La fille d’Ayame nous accueillit chaleureusement, mais je crus desceller dans le regard de celui-ci comme des avertissements paternels… J’empruntais à la famille un torchon vaguement pourpre en guide de protection anti-magie pour éviter de faire sauter les coussins du canapé sur lequel je m’étais écroulé.

Toujours est-il qu’au petit matin, un croissant au beurre et un café serré avalé sur le chemin, nous arrivâmes à la bibliothèque. Quasi vide, pour une fois. Les aventuriers ne sont pas matinaux.
Même si cette mission n’avait duré qu’à peine une semaine, j’avais l’impression de n’avoir vu la jolie bibliothécaire depuis des lustres. C’est le plus chaleureusement qu’il m’était possible de faire, sans chapeau et sans gants, que je saluais la demoiselle.

– Bien le bonjour ! Me voilà de retour, sans mes compères. Une histoire de convocation forcée, monsieur le capitaine de K’ouen ci-présent expliquera ça mieux que moi. La mission est effectuée ! -je précisais- Celle des esprits de l’air prisonniers. Ils sont libres !

Sous-entendu : « Passons à la caisse. ». Mais j’avais encore assez de tact pour ne pas le dire à haute voix.

-Corben ! Ayame ! Bonjour !

Le matin c'est le meilleur moment de la journée, Carine dort, Kip est encore en charge, il n'y a personne dans les rayonnages sinon de vrais lecteurs (et pas seulement ceux qui lisent le panneau d'affichage).
Le seul moment, aussi court qu'il soit, où la bibliothèque redevient une simple bibliothèque.

-Excellente nouvelle, dans ce cas je valide la mission.

Déposant les quelques dossiers que je tenais sous le bras, j'en profitais pour me servir un café chaud.
Car quand Kip n'est pas là, le café est chaud et les tasses restent en bon état. J'ai donc le temps de boire thé et café avant qu'ils ne finissent sur le sol.

-J'ai une note de la caserne me disant qu'ils récupèrent l'affaire, vous auriez rencontré des fanatiques... Ils pullulent ces derniers temps ! Alors, fis-je après une gorgée de café. Je vous partage 85 pims.

Me redressant, un coup de tampon sur la fiche retrouvée, je regardais Ayame et Corben avec un léger sourire.

-Le nombre étant impair qui veut le pim de rab ?

Ayame salua Eva de plusieurs sourires plus ou moins heureux ou innocents.

-Pour tout dire, je n'en sais pas beaucoup plus sinon qu'ils étaient tous deux obligés ailleurs. Au moins, l'un d'eux était recherché par les sanctuaris, il a disparu avant mon arrivée.

Lui et Zedd avaient eu leur part des faits illégaux durant l'aventure. S'il était encore sanctuari, il aurait dû se passer lui-même les menottes...
Il s'attendait à recevoir très bientôt quelques notes salées venant de la caserne. Pour une fois, il avait été aussi efficace que moi, aucune finesse et tout pour s'attirer des ennuis derrière.
Mais, au moins, cette histoire d'esprits était terminée.

-On a quand même de la chance qu'Entre-Monde soit si tolérant... Ou on serait déjà tous les deux en prison, dit-il en se tournant vers Zedd.

-Je te cède le pim en trop.

Rajustant sa redingote, il s'apprêta à partir avant de se retourner :

-Et si tu cherches du travail, passe sur K'ouen un de ces jours.

Un bref salue pour Eva, Ayame quittait la bibliothèque juché sur un grand lion.