Voleur de tableau

-ça faisait un bout de temps qu'on t'avait pas vu par ici !

La boutade venait d'un collègue dont la carrière n'était réussie que par le mérite de son équipière habituelle.
Elle je l'aimais bien, elle était droite, fière, intelligente. Lui, il se servait de cet atout pour gagner du galon.
Tout ça marchait très bien, il avait une meilleur paye que la mienne et une copine.
Mais je suis un cas à part, la comparaison est impossible. Je suis le droïde le plus malchanceux de la création ! J'ai rencontré Nini, j'ai précisément choisi d'enquêter en douce sur un dossier classé par les grands pontes. Bref, j'ai provoqué mon suicide professionnel en quelques faux pas.

Aujourd'hui je me rendais au grand panneau d'affichage. Le lieu de réunion favoris des sanctuaris qui travaillent.
Toutes les affaires courantes y étaient listées. Beaucoup de bonnes affaires avaient déjà trouvé preneur, mais pour moi toutes les affaires sont bonnes, tant qu'elles n'impliquent pas la mort d'un maitre ou d'un assassin mandaté par un maitre.
Donc ...

-Je m'occupe du dossier du voleur de tableau.

L'officier chargé de remettre les dossiers et d'inscrire tout ça dans son répertoire me désigna un poste informatique où je trouverai les informations nécessaires.
Avant d'y aller, je regardais autour de moi pour trouver un équipier potentiel dans la foule de petits groupes déjà formés.

-Je paris qu'ils sont tous déjà sur une affaire...

Ma réputation fait des ravages. On préféra faire comme si je n'existais pas plutôt que de me dire ouvertement que bosser avec moi c'était un risque trop grand d'être rétrogradés !

Le chômage, une réalité.

Au bout d’une large et épaisse sangle de cuir, il tenait Tree dont les yeux clairs fouillaient la foule, mauvais. D’humeur grincheuse, Ash devinait la hâte du chien à retrouver son quotidien pépère d’agent de sécurité. En vieillissant, l’animal devenait indéniablement flemmard. Du coup, le forcer à travailler ne faisait qu’émoustiller son humeur de chien : il était encore plus féroce et d’autant plus efficace.

Dépassant tout le monde de sa haute taille, le dieu-droïde fouilla le ras du sol de sa vue artificielle, à la recherche de la boule de peluche blanche qu’était Leaf.

La tronche ! Cette andouille, toujours en vadrouille !
Dans une des poches de son trench, il trouva ses cigarettes.
Dans une autre, une boîte d’allumettes : en la secouant il entendit leur cliquetis de bois. Ouvrit : encore cinq, quelle richesse !

Il écrasa légèrement le filtre de la cigarette, le coinça dans la fente qui lui faisait office de bouche, dissimulant la grille de son respirateur naturel. Alluma sa cigarette alors qu’il repérait un bout de queue ébouriffé filant entre les jambes d’inconnus.
Ash écarta un sanctuari, ou plutôt le poussa sans douceur pour dégager sa route : la ligne droite restait le chemin le plus direct. Il n’aimait pas faire de détours. Tree avançant contre sa cuisse, ils manquèrent d’écraser une ou deux autres personnes, en bousculèrent le double dans un sillage de fumée d’un blanc très pur.

Leaf bondit dans les jambes d’un gus qui attendait – seul.
Un mec robotisé : le chiot s’était planté de maître.

• Leaaf !

Un grognement d’une voix de basse, si grave qu’elle en était presque inaudible.
Un coup de sifflet en ultrason passa ses lèvres, le chiot dressa les oreilles.

Ash s’approcha du petit gars, baissa la tête – sa seule façon de pouvoir le regarder.
Il ronchonna de sa voix d’abysse :

• Je cherche du boulot bonhomme.

Tree se posa sur son céans, surveillant Leaf d’un œil mauvais.
Leaf fit quelques cabrioles autour de son maître chéri, avant de se poser à son tour sur ses petites fesses, la queue battante au rythme de sa joie.

Un chien. Un petit chien qui bat de la queue et fait du bruit en reniflant mes semelles.

-T'as pas intérêt à lever la patte...

Je l'ai regardé un moment, pressé de savoir si j'allais me faire humilier par une bestiole de trois centimètres de haut ou si ce chiot allait réussir à m'attendrir. Il me regardait aussi, comme si mes yeux cybernétiques lui semblaient être totalement inconnus.
Jusqu'à ce qu'un géant me regarde de haut.

Bonhomme...

Mais c'est totalement injuste ! Quand on m'a fabriqué on m'a filé des dimensions humaines, si j'avais su qu'on pouvait faire trente centimètres de plus j'aurais voté pour sans hésitation. Je suis prêt à parier qu'il vient d'une série plus ancienne de toute façon, vu sa carrosserie, il se rapproche plus du diesel que de mes délicats super-calculateurs miniatures...

Ce n'est pas exactement la première fois, pourtant lever la tête pour regarder la tête d'un gars, ça me donne envie de cracher mes boulons.
Jusqu'à maintenant, je ne m'étais jamais vraiment senti petit.

Un autre truc m'a sauté aux yeux, le deuxième clébard de mon nouvel équipier. Il les pond ?

-ça tombe bien, je cherche un partenaire. Voleur de tableau, escroc, il a l'air fluet et futé. Tu penses être à la hauteur ?

Si ses chiens peuvent le filer à travers la capitale, ça me va. Ce sera du travail facile !
Je n'attendis pas la réponse. Le voir assis me donnait l'impression de lui faire mon rapport... J'ai aussitôt tourné le dos pour gagner le poste informatique. J'y téléchargerai les données utiles.
Avec de la chance on aura un portrait robot de notre petite frappe.

Heureusement que le chiot n’était pas assez intelligent pour comprendre la langue parlée. Sans ça, il aurait été assez mauvais esprit pour faire ce qu’on lui demandait de ne pas faire.
Lever la patte.

Baissant sa tête métallique vers le sol, Ash toisa le jeune chien, s’attendant presque à ce qu’il lève la patte : sur lui.

A la hauteur ?
Ash intériorisa un haussement de sourcil : sans sourcil, on ne hausse rien du tout.
Il faisait plus de deux mètres, l’autre homme-machine faisait le quart de sa taille.
Alors si lui, il était à la hauteur, Ash l’était également !
C’était physiquement logique.
A moins que l’autre ne fasse allusion à ses capacités ?

Il maugréa une réponse évasive.

• Okay je prends.

Tree grogna tout bas, l’air de dire : « ON prend ! ».
Son maître robotisé ne releva pas, plia les genoux pour s’accroupir.
S’asseoir ? Non, il n’aurait pas pu garder la main sur le chiot. Or là il n’avait qu’à tendre le bras pour choper l’infâme petite boule de poils.

• T’as un portrait ?
  Des témoins ? Vidéos ?
  Une scène de crime ?

S’ils avaient quelque chose, ils n’auraient pas trop de mal à trouver cet escroc.
S’ils n’avaient rien, il allait falloir mener toute l’enquête… Ca n’était pas sa spécialité mais il n’était jamais trop tard pour apprendre !

Connecté au poste, la machine ne tenta pas de me suivre. Ma puissance de calcul étant mille fois supérieure à la sienne, l'écran n'affichais que du brouillard pendant que je fouillais les archives. Jusqu'à ce qu'un visage se fixe sur le verre.

-Mon grand je te présente Maximilien. Au fait, tu t'appelles comment ?

Je fis défiler des informations sur l'écran. Trop vite pour qu'un oeil non cybernétique ne puisse les déchiffrer. Il y avait dans les archives plusieurs vidéos sauvegardées, elles ne présentaient que peu de plans mettant en avant notre voleur. S'en devenait même compliqué de reproduire son visage.
Quelques empreintes et le mode opératoire suggérait qu'il s'agissait à chaque fois du même voleur.
Quant à ses autres méfaits, les archives étaient plutôt pauvres. Les personnes escroquées pouvaient le décrire mais elles n'avaient jamais aucune informations susceptibles de mener à lui.

-Je ne pense pas qu'on le trouvera en enquêtant sur ses escroqueries.

Les nombres ce n'est pas mon truc, ils ne sont pas assez bavards. Sans compter un petit détail qui a son importance. Pour obtenir des informations sur les transferts de fonds liées aux escroqueries il faudrait aller demander à la banque de nous laisser accéder à leurs données.
Si je n'avais pas le choix, j'aurais affronté sans hésiter les incarnations de la glace qui dirige le bâtiment. Mais cette fois nous avions le choix. Je me passerai de sentir mes circuits ralentir sous la pression du froid.

-Mais on a plusieurs tableaux de valeurs volés ces derniers mois. Une galerie à Northrives et une galerie de Tern. On peut commencer par là.

Soudain, écran noir. Le serveur venait de me lâcher entre les pattes. Plusieurs autres écrans disposés dans la pièce s'éteignirent quelques secondes plus tard. Des éclats de voix et des protestations fusèrent de toutes part.
"Qui est le malin qui a encore fait planter le système ?"

Elles sont quand même très sensibles pour des machines sensées épauler les sanctuaris. Je me déconnectais discrètement.

-C'est le moment d'y aller...