Duel : Xénon vs Wergeld

Les grandes portes de l'arène s'ouvrirent. La clameur des gradins qu'on entendait jusque-là confusément enfla et gagna en intensité. Xénon s'avança, passant de l'ombre des coulisses au plein jour du centre du Colisée. Ses capteurs optiques compensèrent automatiquement le changement de luminosité. Il aperçut son adversaire à l'autre bout de l'arène et s'approcha.

Xénon ne portait ni arme, ni armure, rien d'autre que ses vêtements de tous les jours et une paire de chaussures rendues souples par de longues années de bons et loyaux services. HK avait voulu l'armer jusqu'aux dents, mais HK voulait toujours l'armer jusqu'aux dents. Il avait fallu que Xénon lui assure que les grenades étaient interdites dans les duels pour qu'il renonce, offusqué par tant de vulgarité et de manque de pragmatisme. Maintenant, Xénon savait pourquoi son assistant ne venait pas passer ses nerfs ici. Trop civilisé pour lui.

L'androïde s'immobilisa non loin du centre de l'arène. Le coin de ses lèvres se souleva en guise de salutation à son adversaire. Un éclair d'humour traversa ses yeux. Dans les gradins, le public était surexcité. Ce n'était pas tous les jours qu'ils avaient l'occasion de voir deux Maîtres se taper dessus.

Xénon reprit son sérieux et se mit en garde : le pied droit en retrait, les deux poings levés devant son visage ; position classique de boxe, exécutée avec la précision minutieuse d'une machine.

Il fait sombre sous l'arène, l'hypogée s'agite de l'intérieur. Le vrombissement des poulies, le clapotis étouffé des turbines hydrauliques et la nervosité gagnant un échelon de plus indiquaient qu'un match se terminait juste au dessus.
Lorsque les hegmata grinçaient contre la pierre en redescendant un compétiteur par le réseau d’ascenseurs, un courant d'air frais à l'odeur de sable et de sueur se faufila dans les étroits couloirs. A ce moment précis, j'inspirais profondément.

-Wergeld, c'est ton tour !

La bestiole m'avait gratifié d'une claque dans le dos, elle me bouscula vers les escaliers. Une fontaine circulaire était aménagée avant la première marche. L'eau était sombre et épaisse, semblable à de la boue. Une terre rouge et noire.
Je la dépassais ne regardant plus que les deux hautes portes qui s'ouvraient lentement à quelques mètres de là.

Lorsqu'on marche sur le sable, le pied ne s'enfonce pas. Le sable est dur au dessous, assez pour supporter mon poids. Je peux sentir le tremblement des poutres de bois qui constituent le socle du vaste terrain.
La foule en haut s'agite désespérément, depuis la plage immense je distingue des cris mais rien de compréhensible.
Au milieu du terrain, devant les gradins qui s'élèvent haut vers les nuages, je me sens minuscule.
Une impression qui s'envole au moment où je repère mon adversaire.

Sur le coup, je pensais retenir mes coups. D'ordinaire j'évite de frapper trop fort les choses trop fragiles pour ma poigne. Je me souviens alors que sous sa peau il y a du métal, il est trois fois plus lourd que moi et plus méthodique.
Je ne retiendrai rien du tout.
ça me rassure de le voir sourire. Je sais maintenant qu'il ne m'en voudra pas si je déplace un boulon de trop.

Moi, en tout cas, je le remercierai si je termine à l'hôpital.
Je crois bien que je commence à être dépendant à la morphine...

Mes mains hors des poches, je me positionne de biais. Un poing fermé près de ma mâchoire, l'autre légèrement en retrait. Je veux être prêt à parer et à frapper.
Les jambes écartées, je choisis sciemment d'équilibrer mon poids en préférant mon appuis sur la jambe gauche.
Mes coups sont meilleurs du pied droit.

Le jeune homme s'avance entre les deux combattants qui, déjà, semblent vouloir se dévorer l'un l'autre. Il se place au centre et commence à énoncer d'une voix forte les règles de l'arène.

- Tout d'abord vous disposez d'une semaine, jusqu'au 27 octobre, pour vous taper dessus, ce délais passé, chaque coup donné ne sera pas compté. De plus, à la fin de la semaine, un vote sera mis en place pour déterminé qui sera le vainqueur. Ce vote durera une semaine également.

Il inspire puis donne la suite du règlement:

- Les règles sont inchangées : fair-play et entente entre les joueurs pour les blessures graves. Ne faites agir que votre personnage et non celui de votre adversaire, sauf s'il vous a donné son accord par MP ou autrement au préalable (peut être serait il sage de le préciser pour éviter qu'un modérateur tatillon ne vous accuse à tort de prendre trop de liberté).

Silence.

- Faites en sorte de ne pas trop abîmer l'arène sinon vous pourriez le regretter, je ne fais là qu'énoncer les paroles d'en haut. Une dernière chose, à la fin du suffrage, le gagnant du combat pourra frapper une dernière fois pour achever son adversaire ou bien le narguer. Ce n'est pas un match à mort même si cela aurait été plus divertissant.

Il soupire puis rajoute:

- Bien, que le combat commence, attendez juste que je parte, et que le meilleur gagne ! Tapez vous bien dessus surtout, fini-t-il en déguerpissant, peureux de perdre ses plumes.

Xénon accorda à peine un regard au jeune homme venu énoncer les règles du duel. Il garda les yeux fixés sur Wergeld, calculant le meilleur angle d'attaque.

A vrai dire, il était nerveux. Il n'avait que très peu d'entraînement au corps à corps, ayant toujours préféré travailler sa maîtrise de l'épée et son adresse au tir. Lorsque ses armes lui faisaient défaut, il comptait généralement sur sa force pour le tirer d'affaire. Son passage dans l'arène était une expérience à bien des points de vue. Le fait que son adversaire soit un humain n'arrangeait rien. Bien que Xénon ne soit pas soumis à la première loi de la robotique d'Isaac Asimov, il rechignait à utiliser sa pleine force contre une créature aussi... fragile et facilement abîmée.

D'un autre côté, appeler Wergeld Ulsarys "fragile", c'était pousser le bouchon un peu loin.

Il n'avait jamais vu le Maître de K'ouen se battre à mains nues non plus. Il avait besoin de plus de données sur ses capacités avant d'oser attaquer de toutes ses forces. Dès que l'annonceur se fut éloigné de quelques pas, Xénon lança un coup de pied fouetté vers le flanc de Wergeld. D'une force similaire à celle d'un humain musclé, l'attaque était conçue pour tester... même s'il craignait que sa circonspection lui coûte cher.

Je ne regrette jamais ce que je casse. La force de l'habitude. Toute règle à ses exceptions, le jour était peut-être venu de commencer à avoir des regrets.
Si je le casse, est-ce que je vais m'en vouloir ?
Le discours se terminait sur une note maussade, dans le potiron vide qui me servait de tête je tentais de remplacer mon adversaire par un visage qui me donnerait envie de frapper.
La dernière personne a avoir autant attiser mes instincts primitif avait des os en téflon et un caractère mariné dans le vinaigre. Si je pouvais me convaincre que j'avais un autre Ken devant moi, ça pourrait marcher.

Et bien entendu j'ai tout oublié. Il s'offrait le privilège de porter le premier coup. Cela me fit l'effet d'une sonnette d'alarme. J'ai été trop distrait.
Il était trop tard pour balancer mon poids et bloquer du bras. Machinalement, je chassais sa jambe de l'avant bras.
Le choc fit remonter une sourde douleur dans mon épaule. Surpris je recule aussitôt d'un pas.

Si ma force est la source du choc, mes muscles absorbent l'impact. D'ordinaire je ne sens quasiment rien.
Mais si ma force n'est pas à l'origine du coup mes os vibrent comme des maracas.
Et cette fois ils ont dansé la polka sans prévenir.

Ce genre de force, je la retrouve sur des types deux fois plus larges que l'androïde. Autant dire que je suis perdu. Je n'arrive pas à évaluer le genre d'adversaire qu'il serait.
Je m'attendais à une résistance certaine et surtout à sa lenteur du fait de son poids. Au final, j'ai pris un coup imprévu et il a plus de force que je ne m'y attendais.
Dépourvu de solution alternative, je permutais mon poids sur ma jambe gauche et tentais un coup de pied frontal.

S'il pare, il me sera possible d'enchainer avec un coup de poing direct. S'il recule, je saurais qu'il est plus rapide que moi. Dans ce cas, ça fera du travail surprise pour mon dentiste.

Devant le mouvement de recul de Wergeld et l'éclair de surprise dans ses yeux, Xénon prit note de ne pas dépasser la puissance qu'il avait mise dans son coup d'essai. Évaluation de son adversaire réussie, calcul terminé, il eut à peine le temps de reposer sa jambe à terre avant de devoir parer à son tour.

Le coup de pied percuta son avant-bras et il ne dut qu'à son poids de ne pas trop vaciller sur ses appuis à peine retrouvés. Son processeur fut aimablement informé que le choc venait d'abîmer un de ses servomoteurs. Belle performance. De toute évidence, Wergeld, lui, avait décidé qu'un adversaire androïde nécessitait sa pleine puissance. (Il avait bien raison.)

Le coup de poing qui suivit ne lui laissa que peu de temps pour se ressaisir. Xénon pivota maladroitement sur le côté en déviant l'attaque du plat de la main. Le bras correspondant, puisque déjà touché, laissa échapper un audible vrombissement de protestation contre la nouvelle secousse. La vibration lui remonta dans l'épaule et compromit son équilibre.

Xénon y remédia en se laissant tomber sur un genou, lançant son autre jambe en arc de cercle vers les mollets de Wergeld dans l'espoir de balayer ses appuis.

Je déteste quand ils attaquent pas en dessous !

Jusque là très fier d'avoir réussi à placer un enchainement, je changeais vite d'avis en observant la réaction de Xénon.
Il voulait tout simplement me faire tomber.
Tout animal veut voir sa proie sur le dos. A la manière des tortues, on y est plus vulnérable.

Le problème évident qui se pose : comment éviter de goûter le sable ?

En réalité, à l'intérieur de mon crâne ça s'est passé beaucoup plus vite que ça. La prise de décision était automatique.
Je me sentais léger sans mon épée. Ce n'était pas qu'une impression, il m'était impossible d'esquiver. Sa jambe faucha mes appuis, la seconde qui suivis je chutais en présentant mon épaule vers mon le point d'atterrissage.

Les bras serrés contre moi, je basculais dans ma chute et je roulais sur le dos.
Dans mon élan, je fis un tour complet et me relevais sur les genoux.
Dans une action mimant celle de Xénon, je tentais de placer un coup de pied au raz du sol. Évidemment, je ne voulais pas le faire tomber mais plutôt lui retourner la carrosserie.

Qu'est-ce qu'on fait avec un adversaire à terre ? Le module de boxe basique intégré à l'encyclopédie de Xénon suggérait de l'y clouer et d'attendre que la victoire lui soit accordée. Mais ce n'était pas un bête match de boxe et Wergeld resta si bien en mouvement que si Xénon tentait une chose pareille, le combat dégénèrerait en empoignade dans le sable. Son processeur était trop logique pour un combat de chiffonniers ; un humain aurait forcément le dessus sur lui à ce jeu-là.

Xénon passa en position accroupie et s'apprêtait à se relever lorsque la jambe de Wergeld fusa vers les siennes. Son bras se souvenait encore du dernier coup qui avait porté. Il ne voulait pas imaginer terminer ce combat avec les deux mollets abîmés. Il produirait un concert de grincements digne d'un opéra en quittant l'arène !

Xénon détendit les genoux d'un seul coup et se propulsa en salto arrière. Il atterrit lourdement deux mètres plus loin. Les poutres du plancher vibrèrent sous ses pieds et il perdit du temps à retrouver son équilibre.

Mon épaule était engourdie par la douleur d'un coup et d'une chute. Autant dire que voir Xénon faire des acrobaties m'a donné une bonne raison de laisser tomber les techniques traditionnelles d'une rixe entre ivrognes.

Il s'était bien assez éloigné pour m'offrir du temps libre, aussitôt mis à profit pour me remettre debout. Je délassais les muscles de mon avant bras d'une brève traction du coude.
Mon poing serrait parfaitement contre ma paume, alors j'étais capable de lui donner des coups des deux mains. Je n'avais pas besoin de beaucoup plus.

Deux pas vers l'avant, j'approchais prudemment. A la distance d'un bras et demi, je plongeais vers l'avant, cherchant à user mes poings sur les parties molles.
Sauf qu'un androïde n'a pas de démarcation entre la partie solide de la cage thoraxique et le ventre plus souple.
Je suis censé cogner où dans tout ça ?!

Maigre consolation, il ne possédait pas de blindage dans les bras. Sauf qu'on n'assomme pas quelqu'un en lui cassant un bras... Encore moins un robot.
Tout ça semble dépasser mes capacités.

Si encore je pouvais me contenter de foncer dedans et de m'acharner sur un seul point plus ou moins solide. La technique a déjà fait ses preuves sur l'os frontal d'un tauracle. Et si ça marchait sur un Ken ?
Ce serait sous-estimer sa force et son intelligence. Je n'ai pas envie d'inverser les rôles parce qu'en fait, je n'ai jamais voulu essayer de me mettre à la place des monstres dont je m'occupe.

Wergeld connaissait mal son anatomie et les points faibles de sa construction, cela jouait en sa faveur. Xénon ne possédait pas de côtes, son torse était uniformément protégé des clavicules jusqu'aux hanches. En revanche, un peu plus haut... Si Wergeld avait visé juste un peu plus haut, au niveau du cœur d'un humain, sa force d'ours aurait risqué d'endommager la batterie lovée dans ses entrailles. Xénon aurait été forcé de parer le coup, car il ne pouvait pas se permettre de recevoir de pareils dégâts, l'équivalent d'un poumon perforé.

Au lieu de quoi, il choisit sciemment d'encaisser l'attaque. Tout juste pivota-t-il légèrement pour diminuer l'impact, qui résonna dans ses systèmes. Un rapport d'alarme lui signala aussitôt que sa prise de chargement, située à son nombril, n'avait pas résisté. Il allait devoir la faire remplacer.

Qu'à cela ne tienne, Xénon agrippa d'une main de fer les poings de Wergeld et lança un sévère crochet vers sa mâchoire.