L'arnaqueur arnaqué [PV Wergeld]

La route principale de la forêt d'Ing était derrière moi. La voix sinueuse et mal entretenue laissait place désormais au merveilleux spectacle d'un sentier encore plus sinueux et mal entretenu. Des herbes folles cachaient presque entièrement le tracé, des arbustes poussaient dans tous les sens et les arbres eux-mêmes tordaient leurs branches dans des positions pas franchement agréables à regarder. Toujours est-il que je poussais un peu la Magnetic pour quitter le "magnifique sentier boisé qui, par son ambiance sereine et relaxante, vous fera découvrir un peu de la beauté du manoir du Mage".

Super la promo. Je sais pas de quand date la brochure, mais ils ont un siècle de retard sur la vérité. Parce que si avec "beauté du manoir", ils définissaient « la vieille maison décrépie qui hurle quand le vent s'engouffre par les nombreux trous du toit » dont on m’avait parlé au village de Zosma, je fais demi-tour direct. Faut vraiment que j'arrête de me dire "bon allez, demain tu cherches du boulot, histoire de gagner convenablement ta vie". Avais-je vraiment bien fait de quitter mon monde dans lequel j’étais « aide-architecte des Dieux » si c’était pour finir par gagner le statut d’ « architecte-d’intérieur-de-maison-en-ruine »
Je gagnais déjà convenablement ma vie avec mes petites arnaques de bar... Mais bon, fallait avouer que cette histoire de paye mensuelle était alléchante. Et puis ça sera marrant de bricoler des trucs et des machins rien que pour le plaisir des yeux. Enfin si tout n’explosait pas. Et si la baraque me tombait pas sur le coin de la figure.

Je freinais progressivement alors que le sentier perdait en précision. Même en pleins phare, la pénombre de l’endroit semblait épaisse comme de la poix. Sérieux, l’ancien proprio ne faisait plus aucun effort sur le cachet de son lieu de travail. Alors que le moteur de la Magnetic ralentissait progressivement, je commençais à me demander si j’avais bien fait d’accepter de tenter de reprendre le poste. Va y avoir du boulot monstre avant de pouvoir profiter des lieux. Je stoppais la moto devant ce qui ressemblait à un immense mur végétal, et qui en fait n’était ni plus ni moins que le mur d’enceinte recouvert par le lierre, les ronces, les orties, etc.

- Même pas une petite fleur de bienvenue ? Vu l’état du terrain, je m’attendais pas à tomber sur des camélias, mais au moins une aubépine ou même un buisson sanglant et ses jolies fleurs rouges ?

Je fouillais dans le coffre sous-siège pour y récupérer une lampe de poche et éteignais le moteur de la moto qui se posa lourdement sur le sol. Fallait vraiment que j’investisse dans un sakrina… Je braquais le faisceau de la lampe vers le mur pour tenter de trouver une porte -ou à la rigueur un trou assez grand- pour pénétrer sur les terres du Techno.

Ma moto garée près d'un mur qui me semblait stable, j'avais tenté d'ouvrir la porte d'entrée sans succès. Depuis une heure je m'escrimais avec Murray (le heurtoir de la porte principal) qui refusait de me laisser entrer.
La tête de mort ne s'arrêta pas de parler jusqu'à ce que le faisceau d'une lampe le coupe dans un nouvel élan lyrique. J'ignorais le heurtoir depuis un petit moment déjà, les bras croisé, le dos calé contre un mur du perron. J'attendais les renforts promis.

-Corben Krayt ? Lançais-je à la cantonnade.

Si le timing était bon, je savais qui arrivait et ce dernier, futur propriétaire de la maison (si le destin l'aimait assez peu pour ça).
Il tombait bien, Murray recommençait son laïus :

-Vous vous rendez compte ! Parti comme ça et le premier venu devrait pouvoir entrer ? Hélen non plus vous laissera pas entrer. Et puis...

Il se mit à chuchoter terrifier.

-Il y a des choses qui se sont libérées...

-Hélen ? C'est le tableau-monstre ?

Un rapport de sanctuari m'avait confirmé la présence d'un tableau vivant dans la maison qui prendrait plaisir à nous arracher la tête.

Murray acquiesça en silence. Un miracle quand on sait qu'il vient de parler une heure sans cesse.

D'ailleurs, pourquoi suis-je ici ? Pour la simple et bonne raison que les médecins m'ont strictement interdit tout travaux trop dangereux tels qu'une chasse ou une virée dans la zone du dehors. Verdict, après avoir supplié Ayame, il m'avait montré cet ordre de mission et j'avais accepté d'y aller... Pour ne pas tourner en rond à ne rien faire dans une maison trop grande pour une personne seule.

Soare était là aussi. Ayant récemment atteint sa taille d'adulte m'accompagnait, elle se prélassait au bord de la terrasse, en chassant de son nez les quelques mouches qui osaient l'approcher.

Ca craint, ca craint, ca craint, ca craint… J‘ignorais si l’ancien proprio adorait le coté kitch des fêtes d’Halloween où si il se servait de l’ambiance glauque à souhait pour repousser ses clients et avoir ses journées tranquilles. Je ne savais pas trop quoi élire comme « élément de décor le plus antipathique de l’histoire » : Le portail grinçant en fer tordu ? La 30aine de tombes qui remplaçait les classiques plantations potagères ou le chemin de terre qui passait dans ledit cimetière ? Alors que je m’approchais du bâtiment, je perçu une première voix, puis une autre qui s’éleva quand la première se coupa net.

- Yep ! Content de voir qu’il y a d’autres âmes suffisamment folles pour venir tenter la chance. A moins que vous soyez l’agent immobilier ?

En mettant le pied sur le perron, je distinguais bien mieux mon interlocuteur. Et aussi le gros chat qui ronronnait non loin. Flûte, un agent du fisc…

- Mouuuais… nan. –fis-je en plissant les yeux- Z’avez trop la tête du K’ouen pour bosser dans la vente d’habitations.

La première voix se fit à nouveau entendre et je tentais d’en trouver l’origine. Le crâne sur la porte nous balançait des mises en garde. Je fermais à moitié un œil tandis qu’un coin de mes lèvres remontait légèrement. Je dus rester dans cette position, partagé entre l’incompréhension et la surprise, pendant tout l’échange entre l’homme et la porte.L’ancien Technomage avait vraiment eu un esprit tordu. Par contre s’il a pu inventer ça, il faudra à tout prix que je me bricole un distributeur de cartes lanceur de vannes…

- La porte parle… Attendez… Quoi ?

Un monstre-tableau ? Et il (elle ?) a un petit nom en plus. Merveilleux. La prochaine fois, c’est quoi ? Le service à thé qui fait des claquettes ?
Une forte odeur m’agressa les narines tandis que des râles lents s’élevaient du jardin derrière moi. Et maintenant ? Le service de garde ? En me retournant, je maudis mon sens de l’humour foireux, puisque des zombies de tous poils –Manchots, borgnes, rampants, avec ou sans dents…- s’approchait du perron.

- Eyh, le crâne, c’est normal ça ? Ou c’est juste le comité d’accueil ?


[HRP : Hum, comme je savais pas trop si les zombies conteront pour l’évent ou le RP, j’ai pas encore ouvert les hostilités. Si t’as envie de scorer, honneurs aux bourrins.]

Spoiler:

-T’as vraiment pas la tête d’un comptable.
-Je me disais aussi…

La crâne me regardait de la tête aux pieds, du moins dans ce qu’il arrivait à voir depuis sa position élevée.

-J’insiste. Tu es plus proche du sauvage que du…
-Continue et je te donne à manger à Helen.
-J’ai rien dis.

Le heurtoir commençait à me connaitre, nous tenions cette réunion depuis un bon moment maintenant.

-Corben, je te présente Murray. Murray, voici Corben, ton peut-être nouveau propriétaire. Soit gentil où je lui donne l’autorisation de te desceller. On t’installera dans la niche de Soare…
-Toujours des menaces, vous les chasseurs de monstres ! Incapable de penser avec autre chose que vos…

« J’ai rien dis » apparu dans le mouvement de ses lèvres avant qu’il ne clôture pour de bon ses deux mâchoires amovibles.
Les amis du technomages jusqu’alors cantonnés au jardin et à leurs soirées disco, déboussolés par son départ avaient opté pour ce qui leur restait d’instinct primaire : manger tout ce qui est organique dans la région.

Murray, toujours très poli, répondis à Corben avant que je n’ai le temps de lui ficher son heurtoir dans les dents.

-Non, bien sûr que c’est normal ! Des mort-vivant sans le techno mage pour les maitriser ! Mais vous attendez quoi pour vous occuper d’eux avant qu’ils ne me fassent du mal !

Devenu hystérique, le heurtoir manqua de pleurer des larmes de cire. Pour ma part, j’étais bien plus gêné de voir Soare aller se planquer dans un arbre… Saleté de panthère peureuse.

-Murray…
-Oui ?
-Ouvre cette porte ou je l’enfonce.
-A vos ordres mon seigneur.

La porte grinça, il ne restait qu’à s’engouffrer dans la vieille bâtisse.
C’est bizarre j’ai comme l’impression qu’on serait plus en sécurité à l’extérieure…

Apparemment, être technomage nécessitait de s’occuper de tout un cheptel de mort vivant de tous les horizons. Quand c’est pas dans la phase « braaiiiiiiiiiiins », ça mange quoi un zombie ? Et puis « s’en occuper » : Il est mignon le heurtoir –cette idée a quelque chose de dérangeant…- mais comment tu gères un troupeau de décomposés ? Tu les attaches aux tombes ? Tu es colles devant un cartoon, genre « Night of the Undeads » ? Tu jettes un habitant préalablement capturé ? Remarque… S’ils ont une once d’intelligence, je pourrais éventuellement leur apprendre à jouer au poker ?

- Euh… Pshhh, pshhh, vilains zombies, allez-vous en... Coucouche-cercueil ? Faites le mort ? Enfin, le vivant ? Enfin… Ah, et puis mince. Chui p’tet le nouveau patron, alors on se calme où je soigne le premier qui me touche !

J’ignorais si les zombies étaient sensibles aux menaces, mais ma tactique fonctionna pour le premier zombie, qui s’arrêta et émit un gémissement d’étonnement. Mais il fut rattrapé par ses compères et repris sa lente avancée. Est-ce que c’était moi ou il y en avait un avec une paire de lunettes de soleil en étoiles ? Je tapotais nerveusement sur mon chapeau et R.A.M. s’activa paresseusement.

- C’est le moment de te rendre utile, tas de circuit ! Ouvrir ‘réseau Entrenet’, recherche « zombies de l’Antre ». Priorité : haute !

//Recherche en cours… merci de patienter…… 654 Réponses couramment consultées pour ‘Zombies’ et ‘Antre’. « Attaques de Zombie sur l’entre-Monde [Informations] », « Dates de la tournée live ZombiNights [Loisirs]», « Le manuel de survie face à l’apocalypse [Littérature]», « Ossecour ya D zombi den la foré [forum] », « Billet de Rain(er) : Party hard ! [Site personnel] » , « L’amour est sous le pré [roman] »…//

- Rainer ? L’ancien Techno, non ? –Les zombies se rapprochaient toujours un peu plus- Ouvrir ‘billet de Rainer’ !

I//Ouverture…. Attention, ficher audio lié au texte. Voulez-vous vraiment ouvrir le lien ? Commande [O/N] //

-Faut vraiment que je te rebricole le processeur d’identité…Oui !

A peine l’ordre donné qu’une musique techno-rock-electro sortait des haut-parleurs du camitou, qui lisait le contenu du texte du billet.. Les zombies s’arrêtèrent progressivement, et commencèrent à lever les bras au ciel. Tous en même temps. J’avais cru atteindre un haut niveau d’étrangeté avec le heurtoir, mais tout bien considéré, je n’avais vu que la partie émergée de l’iceberg… La tête hochant en rythme, une main sur la hanche et l’autre dessinant des cercles, un doigt levé, j’assistais un peu choqué à toute une chorégraphie de zombies dansants.
Je posais R.A.M. sur la tête de Murray et lui donnait l’ordre de mettre le ficher audio en Replay. Je reculais progressivement, suivant K’ouen qui s’engouffrait dans le manoir. Et avant de fermer la porte, je souriais à Murray :

-T’inquiètes pas, on nettoie tout et je reviens. Et quand R.A.M tombera en rade de batterie, raconte-leur une histoire, ca les fera peut-être mourir –encore- d’ennui. Ou sinon, chante, ils ont l'ait d'aimer la musique.

La porte se referma sous les menaces de malédiction du heurtoir. Si je suis proprio, je lui offrirais une belle porte et un panneau « attention, heurtoir fatigué/ant » pour me faire pardonner. Sinon… Je lui taperais la causette à ma prochaine visite.

Le grand hall qui nous accueillait était sombre, mais les grandes fenêtres laissaient parfois passer un ou deux rayons de lune. Les meubles couverts de draps laissaient deviner un ameublement plutôt simple. La chose la plus inquiétante était les nombreux cliquetis qu’on pouvait entendre parfois, comme une armée d’araignée mécanique qui marchaient sur du parquet. Après les zombies, les robots tueurs ? J’avais a peine fait un pas qu’un dentier sur ressort traversa la salle en riant mécaniquement, trainant une étiquette signalant « Produit à l’essai : Le dentier antirides »

- Ok….. Donc, si je résume, je suis sensé ranger tout ça, m’occuper de cette charmante « Helen » et réparer les trous du plafond avant de pouvoir prétendre moi aussi inventer des dents qui sautent…

-T'as tout compris.

Je ressortais de la cuisine, un pouce levé par dessus mon épaule, je continuais.

-T'as une armée de malles sur pattes terrifiées dans la cuisine. D'ailleurs je crois qu'il y a un truc de vivant dans l'évier, on dirait que quelqu'un y a déverser des mois de restes de nourritures...

Dehors ça dansait le disco, et une ou deux reines étaient en passent de gagner le titre pour la soirée. Ne leur manquait que des costumes à paillettes et des coiffures bouffantes. Le problème des zombies étaient réglé pour le moment, une bonne chose de faite.
Les cliquetis allaient et venaient dans un sens et dans l'autre. Je soupçonnais le couloir de l'étage d'être le théâtre d'une défilé d'un genre nouveau.

-Avant de ranger, inspectons la maison, si on croise Helen mets-toi à l'abris, on m'a dit qu'elle avait une sacrée poigne !

Mais à quoi ressemble Helen au juste ? A rien. A rien que Septembre ai pu décrire avant d'avoir mieux à faire que de briefer un maitre mis au placard.

Je trainais un oeil dans le salon sans y entrer. Rien que ça suffit à me cogner le genoux sur une malle tremblante qui se mit à rentrer en boucle dans le montant des portes coulissantes prise de panique ou incapable de penser à faire autre chose que d'aller tout droit...
Un coup de pied et la valise trottante fila vers la cuisine rejoindre ses consoeurs.

-En dehors du tableau-monstre, le reste est censé être inoffensif.

Et je dis "censé" avec un regard qui en dit long sur mes appréhensions. Cette maison est hantée, j'en mettrais ma main à couper.
Aussitôt dit, je me dirigeais vers l'étage, évitant soigneusement la rambarde de l'escalier recouverte de pus gélatineux.

- Censé, hein ? Y’a pas à dire, cette baraque gagnerait sans problème un concours de maison hantée.

Avant que K’ouen se mettre à monter l’escalier poussiéreux, je jetais moi aussi un œil au salon, pour voir à quoi il ressemblait. Le même meublier plutôt simple, couvert de draps… Mais surtout au-dessus de la cheminée, une immense forme rectangulaire claire, le papier peint semblant moins abimé qu’alentour. Apparemment, la dénommée Hélen avait décidé que la vue du salon commençait à l’irriter. Une question se posait quand même. Comment un tableau pouvait se déplacer ?

Je rejoignais mon camarade d’infortune en haut des marches en jetant des regards moins rassurés dans la salle principale. A l’étage, de nombreuses traces dans la poussière indiquaient un passage important de toutes sortes de trucs et machins à pattes ou à roues. Je me dirigeais toujours armé de ma lampe torche vers la droite. Un rapide coup d’œil dans ce qui semblait être la buanderie, vu la quantité de linge miteux qui pendaient aux fils. La vision d’un mannequin manchot répétant les gestes mécaniques de laver dans un bac à lessive vide me fit froid dans le dos et je refermais la porte.

- Rien là-dedans… Chuchotais-je pour moi-même.

L’autre porte de ma partie menait à ce qui semblait être un genre de bureau. Ou alors, vu la quantité astronomique de papier sur le sol, une bibliothèque. Certains bouquins se lisaient tous seuls, les pages tournant par leur propre volonté. Au fond de la salle, un balais à bras donnait des coups vigoureux pour débarrasser le plancher des pages qui, une fois le balais retourné, reprenaient leur place. Je m’autorisais à rire sous le comique de la scène, et toutes les inventions se retournèrent vers moi avant de s’immobiliser.

- …Hum… Salut ? Hésitais-je.

A peine avais-je articulé ces mots qu’une tempête de paperasse se dirigea vers moi. J’eu à peine le temps de refermer la porte qu’un tambourinement se faisait entendre dans tout l’étage, les livres s’étant joint à la fête. Si jamais Hélen ne m’avait pas encore détecté, le monstre n’aurait désormais qu’à suivre l’origine des bruits. Je me dépêchais de parcourir les derniers mètres de mon couloir pour rejoindre K’ouen. Si jamais je suis suivi, on ne sera pas trop de deux…

De mon côté les choses ne semblaient pas aussi... farfelues. A moins que j'ai déjà vu tant de choses étranges que de voir une pieuvre faites de cravates recycler faire les poussières dans la seule pièce de la maison encore propre ne me fasse plus d'effet.
La créature leva sur moi deux yeux, deux gros boutons inégaux, je la saluais de la main et refermais la porte.

-Ici y a du personnel de maison en rab.

C'était bon à savoir après tout on devait sécuriser la maison et tout remettre en état... Une femme de ménage ne serait pas du luxe. Je ne suis pas fan du liquide vaisselle.
Corben était de retour, peut-être un peu plus pâle qu'au rez-de-chaussée.
Je me rengorgeais de ne pas être si impressionné par la vieille bâtisse délabrée et ses occupants bizarroïdes.

-Si tu es dignes du poste de Technomage tu pourras certainement désenchanter un certain nombre des objets qui trainent ici. ça t'aidera à ranger, j'imagine.

Ceci dit, une rangée parfaite de soldat de plomb traversa le couloir sans nous offrir le moindre regard. Ils étaient au moins une bonne centaine à longer le tapis en rang d'oignons.

-Je ne veux pas savoir à quoi ils servent...

Encore quelques pas de faits et nous arrivions à la dernière chambre du premier étage. Elle me sembla totalement vide. Pas un seul meuble ni figurait. Il y avait dans le fond quelques tableaux emballés dans du papier de soie les uns contre les autres. Les fenêtres ne laissaient filtrées presque plus aucune lumière tant elles étaient sales.

-Au grenier maintenant. C'était le laboratoire du précédent technomage.

Donc la pièce la moins engageante de toute la maison.
Un grondement sourd nous parvint. Il était impossible de dire s'il venait du rez-de-chaussée ou du grenier.

-Et je crois qu'on a réveillé Helen. Prêt ?

Moi, oui. Les monstres c'est tout ce qu'il me reste.

- Affronter un tableau qui pourrait potentiellement nous faire rejoindre les rangs des danseurs dehors ? Rappelle-moi pourquoi j’ai accepté le taf, déjà ?

Je jetais un dernier coup d’œil sur les soldats de plombs qui terminaient leur défilé par une haie d’honneur. Eux, au moins étaient sur de survivre ce soir. Quoiqu’après réflexion, les inventions du technomage étaient-elles douées de conscience ? Je tirais la cordelette qui laissait descendre l’escalier du grenier. La première chose qui me frappa fut les derniers barreaux brisés en leurs milieux. La seconde, c’est la taille de l’entrée. Si Hélen était si volumineuse, comment pouvait-elle passer cette ouverture de la moitié d’une porte ?

- J’aime pas ça…

Je montais prudemment les premières marches menant au laboratoire. J’étais assez haut pour passer ma tête, et je jetais un rapide coup d’œil par l’ouverture. Le laboratoire était poussiéreux, mais des instruments de tout genre trônaient çà et là. Des tournevis, des scalpels, des rouages, des bouquins, des alambics, des pompes à vide… Et des béchers ayant une affreuse teinte rougeâtre.

- … Sérieux, Rainer qu’est-ce que vous fabriquiez là-dedans ? Murmurais-je pour moi-même. Je cherchais Helen du regard, mais le grenier était vide. Je descendais deux-trois marches en ne quittant pas le grenier des yeux. Mauvaise nouvelle, elle est pas dans le gre…

Je coupais ma phrase, en tournant la tête. Dans l’escalier principal derrière nous, deux yeux jaunâtres en amande nous observaient. La tête était presque reptilienne, et le reste du corps, considérablement musclé pour une -apparemment- femme, était habillé d’un genre de mélange entre habit et toile : la robe miteuse se fondait en une toile de lin au niveau du bassin, lui-même fusionné avec le tableau qui trainait derrière. Je restais un moment interdit, les yeux grands ouverts, et levait lentement un doigt pour indiquer à K’ouen le spectacle.

« On ne montre pas les dames du doigt ! C’est impoli ! Qui vous a élevé, jeune freluquet !»

Le tableau-femme me hurlait dessus d’une voix à la fois féminine et grave, résonnante, comme si elle était prononcée par 4 personnes à la fois. Et avec une rapidité étonnante pour une créature de sa corpulence, et surtout uniquement avec un demi-corps, elle gravit les dernières marches qui nous séparaient d’elle et arma son bras pour venir briser le bas de l’échelle. Me jetant du mieux que je pouvais pour éviter de tomber sur le dos, je retombais non loin des soldats de plombs qui menaçaient désormais le tableau de leurs petits fusils.

- C’est une blague ?! C’est elle, Helen ?!! Mais comment on est censé calmer un truc pareil ?!!

« JE SUIS UNE JEUNE FEMME !!! JE NE SUIS PAS UNE CHOSE !! »

Les dents pointues et le regard de tueur de la ‘’demoiselle ‘’ n’aidant absolument pas à adhérer à cette hypothèse. Je reculais un peu et hésitais à me déganter. On m'avait spécifié "pacifier la maison", pas de se débarasser de ses résidents.

Spoiler:

-Madame ! Veuillez cesser je vous prie ! Ou nous serons dans l'obligation de tirer !

Le capitaine de la garde militaire venait de dresser son mousquet vers Helen. Ce qu'il faut savoir c'est que même une centaine de petits soldats de plomb, vaguement armés, ne sauraient faire le poids contre le monstre du tableau.
Elle daigna leur offrir un regard furieux en crachant un insistant et désagréable :

-MADEMOISELLE !

Dans l'escalier j'avais deux marches de moins que notre futur enchanteur-fou. En détruisant le seul accès au grenier, Helen m'avait fait retomber sur le tapis du premier étage. Réceptionné et collé à un mur pour éviter les débris de bois, je restais médusé devant l’attroupement qui nous séparaient du monstre.
Les petits soldats s'étaient placés en arc de cercle devant la créature.

Debout et bien tassé sur mes jambes fléchies et mon épée en main, j'étais plutôt heureux que la véritable action commence enfin. A tel point que je fis même de l'humour !

-Service d'expulsion !

Les soldats levèrent sur moi et Corben des visages neutres (bien peintes mais manquant cruellement de sourires).

-Le nouveau propriétaire n'aime pas les locataires encombrant.

Un rugissement plus tard. Helen se jetait sur moi, écrasant les petits soldats sur son passage. Je n'aurais pas dû me moquer de la place qu'elle prend...
En même temps, jusqu'à ce qu'un technomage reprenne l'affaire, je suis le propriétaire par défaut, non ? J'ai le droit de lui botter les fesses hors de la maison. On l'a donnera à manger aux zombies de la pop.