Barboter dans les marécages ~ [Pv : Uriel]

Uriel rendit son sourire à Myra en s'approchant. Si on voulait jouer au jeu des 5 différences, il y en avait une notable à la ceinture à la jolie jeune femme, et Uriel espéra qu'elle savait s'en servir. Lui n'avait qu'une expérience martiale limitée, tout juste assez pour se servir d'une épée sans se transpercer le pied avec, mais il soupçonnait que les fouets et autres armes affiliées demandaient beaucoup de pratique. Il ne s'essaierait pas au maniement d'un truc pareil, c'était un coup à finir borgne.

"Alors on est parti !" s'exclama-t-il jovialement.

Il posa la main sur l'épaule de Myra, toucha délicatement la créature qui voletait près d'elle, et déclencha son Perçant sans autre forme de procès.

Ils atterrirent sur une plate-forme suspendue près du centre de Clodis. Uriel lâcha ses deux partenaires et jeta un coup d’œil sur son sac en bandoulière pour s'assurer que Machin n'avait pas été laissé sur le bord de la route. Mais non, la tortue était toujours là, un œil morne posé sur les environs. Uriel commençait à s'inquiéter que sa sale bestiole ait attrapé une maladie quelconque.

Uriel suivit Myra sur les ponts branlants, tout en s'occupant les mains à ranger Machin dans son sac plutôt qu'au-dessus. De toute évidence, le Hellors n'avait aucune envie de se mouvoir par lui-même, et à ce rythme il risquait vite de tomber. D'ailleurs, en parlant de tomber, ces passerelles balançaient horriblement. Une fois n'était pas coutume, il fut bien heureux de poser le pied sur le plancher des vaches.

"OK, alors allons-y" répondit-il, pivotant sur ses talons pour prendre la direction indiquée.

Il aurait pu choisir de partir en éclaireur en volant, mais il était de toute façon soumis à la vitesse de marche de ses compagnons. Ou de sa compagne, en l'occurrence. Prendre de l'avance et se retrouver seul devant un monstre était pour lui rarement une bonne idée, surtout dans un milieu comme celui où ils se trouvaient, où le ciel était bouché par des arbres qui gêneraient sa manœuvrabilité.

Clodis était posé juste en bordure des marécages, et il ne leur fallut pas longtemps pour commencer à patauger dans quelques centimètres d'une eau boueuse. Uriel fronça le nez, pas spécialement ravi.

"Hm, charmant. J'espère que mes bottes vont rester étanches, elles ne sont plus toutes jeunes."

Il commença à s'éloigner de Myra, jusqu'à avancer parallèlement à elle mais à une quinzaine de mètres de distance.

"On devrait couvrir le plus de terrain possible, j'imagine. Ça te va, comme ça ? Est-ce que ta, euh... ta copine peut nous aider à repérer la plante d'en haut ?"

C'était une "elle", ou un "ça", cette créature ? Amie ou animal de compagnie ? Dans le doute, mieux valait rester poli.

L'air humide était très désagréable sur sa peau. Il avait l'impression que ses vêtements se gorgeaient d'eau et qu'il commençait à peser si lourd qu'il lui serait impossible de s'envoler en cas de besoin. Il savait que ce n'était rien d'autre qu'une énorme exagération et qu'il ruminait des pensées négatives comme un gamin contrarié, mais les marécages lui déplaisaient énormément.

Entre les arbres, il pouvait voir Myra qui continuait à avancer, l’œil alerte, sa compagne ailée jouant avec... euh... une liane ? Uriel préféra se dire que ça devait être une liane.

"Toujours rien," cria-t-il en réponse. "Tu veux qu'on chante des chansons de randonnée ? On s'ennuierait moins."

Oui, bon, il n'avait aucune patience. A se demander pourquoi il préférait les missions pépères à celles qui étaient dangereuses. Mais juste comme il prononçait ces mots, il mit le pied là où il ne fallait pas : sans crier gare, un grand filet émergea de l'eau sous ses pieds, se referma sur lui et le propulsa à plusieurs mètres de hauteur, hurlant comme une fillette.

Quand il s'immobilisa, il se balançait dans un piège de cordes tressées accroché à une solide branche d'arbre, pâle comme un linge. Machin avait bondi de son sac comme un diable de sa boîte. Transformé en chat sauvage, il se gonflait et feulait à qui mieux mieux contre un ennemi invisible, ses griffes labourant les cuisses d'Uriel à quelques centimètres d'une partie de l'anatomie de l'ange à laquelle il tenait beaucoup.

"... A l'aide ?" suggéra-t-il d'une voix faible.

"Machin !" s'écria Uriel, scandalisé, quand son Hellors bondit sur la pauvre Myra et lui asséna un petit souvenir.

Maintenant que la bestiole ne lui déchiquetait plus les cuisses, il réussit à sortir un de ses couteaux de combat de sa botte et aida Fay à scier quelques cordes qui entravaient encore sa sortie, tout en pestant haut et fort contre l'imbécile qui avait installé un piège là sans rien mettre pour prévenir les voyageurs qui passeraient dans le coin. Il se hissa enfin hors du filet et faillit se vautrer dans la boue quand son pied resta coincé dans la nasse de cordes.

"Je suis désolé pour ça," dit-il à Myra en désignant vaguement les éraflures sur son visage. "Machin ! Reviens là, sac à puce !"

Le chat sauvage ne cessait de faire des bonds d'épileptique en scrutant les alentours, la fourrure complètement hérissée, et il émettait un miaulement strident dès qu'il mettait une patte dans l'eau. A l'appel d'Uriel, il fit un bond pour le regarder, les yeux grands ouverts et la queue si tendue qu'on aurait dit un bâton. Uriel aurait bien aimé rester sévère, mais Machin était si affolé que sa colère fondit. Saleté.

"Désolé," répéta-t-il à Myra. "Il n'est pas dans son assiette depuis ce matin. Hé..."

Au moment où il se retournait vers son Hellors pour essayer de l'amadouer, il vit une grande tête verte émerger des arbres juste au-dessus de Machin, les yeux tournés vers le savoureux petit en-cas qui ne l'avait pas vu venir.

"Hé, ça c'est mon chat !" s'exclama Uriel, indigné, en dégainant son katana.

Le serpent se tourna aussitôt vers lui, sifflant de colère, et Uriel réalisa un peu tard qu'il était énorme. Machin poussa un feulement paniqué et fila derrière un arbre, l'ingrat.

Uriel se jeta sur le côté pour éviter la première attaque du serpent qui voulait apparemment le gober tout cru. Il se hissa en catastrophe sur ses pieds et brandit son katana. En réponse, le serpent se dressa de toute sa taille avec un mépris souverain. Il avait bien raison : il était beaucoup trop grand pour qu'Uriel atteigne sa tête depuis le sol. Heureusement, l'énorme animal fut bientôt distrait par l'amie de Myra, qui avait l'avantage d'être rapide et de faire une toute petite cible.

Uriel n'avait pas honte de s'avouer qu'il envisageât de prendre ses jambes à son cou. Après tout, il avait un instinct de survie très développé, merci bien. Mais il se morigéna : il était pratiquement aussi bien équipé que n'importe quel chasseur de monstre, et cette bestiole se tenait entre lui et une récompense de quête. Profitant que la bête était distraite, il rengaina son katana et sortit son nouveau jouet : un petit canon à plasma tout neuf. Il visa avec ostentation, comme s'il était encore sur la piste de tir de l’Épicerie, et tira quelques coups. Deux atteignirent les écailles du serpent et y laissèrent des trous noirs et fumants.

L'animal siffla, furieux, et reporta aussitôt son attention sur Uriel, qui se disait qu'il aurait peut-être dû prendre le modèle plus grand, finalement. Le serpent voulut lui balancer un coup de queue. Les réflexes d'Uriel furent, dans l'ordre, de couiner et de lui lancer une salve de foudre. Vu la taille de la bête, cela ne fit que lui infliger un choc désagréable et elle secoua la tête, agacée ; mais ce fut assez pour qu'elle oublie Uriel quand Myra lui fit claquer son fouet sous le nez. Tiens, quand la jeune fille était-elle montée là-haut ?

Uriel assista, impressionné, à une séance de rodéo improvisé.

"Euh !" s'exclama-t-il, pris de court, quand Myra l'appela à l'aide.

Il jeta un coup d’œil à son pistolet. Quand bien même il aurait été assez puissant pour tuer la bête, il n'aurait jamais osé tirer à cette distance. Il n'était pas assez bon pour ne pas atteindre Myra. Il jeta l'arme et déploya ses ailes d'un coup, si brusquement que des plumes grises se répandirent partout.

"J'arrive !"

Il sortit à nouveau son katana, fendit l'air vers la grande tête qui se débattait là-haut et plongea la lame jusqu'à la garde dans la mâchoire inférieure du serpent. La bête se figea aussitôt, les yeux grands ouverts, puis s'écroula d'un coup. Uriel eut tout juste le temps de s'écarter et de tendre la main à Myra, espérant la rattraper avant qu'elle ne fasse le grand plongeon.