Opération poulet. [PV : Uriel]

Super, encore une livraison en pleine cambrousse.

D'ordinaire, Uriel était plutôt satisfait de son métier, mais il y avait des jours où il aurait préféré rester au lit, avec ou sans charmante compagnie. Si seulement les factures avaient le bon goût de se payer toutes seules ! C'était pourtant une mission comme tant d'autres, juste un long vol au-dessus de terres plus ou moins sauvages, mais plus la journée avançait et plus l'humeur d'Uriel plongeait. Il avait mal aux ailes, mal à la tête, le soleil l'éblouissait, bref rien n'allait !

Mais à vrai dire, son seul véritable problème, celui qu'il refusait d'admettre, c'était qu'il s'ennuyait. Encore quelques mois plus tôt, il avait pu compter sur la présence de son envahissant animal de compagnie pour le distraire pendant les trajets. La bestiole n'était jamais à court de ruses pour faire tourner son propriétaire en bourrique.

Seulement voilà, Machin était mort. Et bien qu'il l'aurait nié jusqu'à ce que mort s'ensuive, Uriel ne s'habituait pas à sa solitude retrouvée.

Il vit enfin avec soulagement apparaître son village de destination. Pourquoi quiconque voudrait habiter dans un coin aussi paumé, ça, ça le dépassait. Il inclina les ailes et commença à perdre de l'altitude.

Alors qu'il s'approchait, un jet de flammes s'éleva soudain vers le ciel à quelque distance du patelin. Intrigué, il vira sur l'aile pour enquêter. C'est seulement là qu'il remarqua le groupe de saltimbanques qui se donnaient en spectacle, et parmi eux un cracheur de feu. Une bonne partie des habitants du village semblaient s'être rassemblés autour d'eux.

Après un instant d'hésitation, il se posa à contrecœur. Il avait apparemment autant de chances de trouver son client ici que dans le bled, et peut-être que les pitres pourraient un peu le distraire. Surtout s'il y en avait un qui se ratait. Là, on rigolerait !

Il se dégourdissait encore les jambes, lourdes de longues heures de repos, quand une jeune femme qui lui tournait le dos fit volte-face et le fixa avec insistance. Il haussa un sourcil. Elle était plutôt jolie, si on s'attardait sur la question – et Uriel s'attardait toujours sur la question quand il rencontrait une femme. Le chemin fleuri qui fusait droit du village jusqu'à ses pieds, par contre, c'était un peu bizarre... De même que le truc roux et poilu qu'il vit un instant s'agiter contre l'ourlet de sa robe. Ça criait l'amoureuse de la nature à deux kilomètres. S'il n'avait pas de bol, c'était peut-être même une donneuse de leçons qui s'apprêtait à lui faire des grimaces de chochotte pour sa veste en cuir. Tant pis pour elle ! Le cuir, c'était très pratique et très sexy.

Mais comme il ne réagissait jamais négativement à un regard féminin aussi flatteur (et pourquoi elle le regardait comme ça, d'ailleurs ? Son auréole manquante venait de se rallumer au-dessus de sa tête, ou quoi ? Qu'on le lui dise, histoire qu'il l'arrache au plus vite), il lui décocha quand même un sourire suggestif.

"Elle veut quelque chose, la jolie demoiselle ?"

Un spectacle d'acrobates venait de se terminer. Uriel les regarda ranger leur matériel avec un grognement de mépris. Ces gens qui faisaient des bonds et des cabrioles en l'air, ça l'agaçait autant que ça le faisait rire. L'altitude, c'était le domaine des êtres ailés. Qu'ils se fassent pousser des plumes s'ils tenaient tant que ça à la visiter ! Il ébouriffa les siennes avec vanité.