Golem recherche valise à pattes

En tant qu'esprit des montagnes, les forêts n'étaient pas le genre d'environnement que Voiz recherchait naturellement, mais l'esprit aimait bien s'y rendre. C'était là que son corps changeant accumulait le plus de locataires. Du lierre aux reptiles en passant par les petits rongeurs, tous trouvaient toujours une fissure dans le corps du golem à laquelle s'accrocher, ou des trous pour faire leurs nids.

Seulement, cette forêt-ci contenait bien plus de ronces que de lierre, et le feuillage y était si épais qu'il y régnait une obscurité quasi-permanente. Sans compter ce qui incommodait par-dessus tout l'esprit de la terre: une humidité typique pour la saison. La lenteur légendaire de Voiz était démultipliée par les énormes flaques de boue qu'elle devait traverser à guet, et il était à présent impossible de délimiter son corps de roche du terrain accidenté. De loin, on aurait dit qu'une sculpture de boue glissait sur le sentier.

Il était souvent arrivé à Voiz de traverser des forêts pour se rendre d'un point à un autre, mais jamais elles n'avaient été sa destination, et certainement pas lorsqu'elles avaient ce genre de profil. Jusqu'à ce que des fêtards costumés armés de citrouilles évidées soient venus à sa rencontre, et aient annoncé à Voiz qu'elle était l'heureuse gagnante de la chasse aux bonbons, et qu'elle avait droit à un prix pour les cinq friandises qu'elle avait ramassées durant les fêtes de Halloween.

L'esprit avait donc tiré un catalogue d'une des citrouilles grimaçantes qu'on lui tendait, et un article avait fini par attirer son attention: le Technomage, personnage mystérieux et insaisissable résidant dans les bois, avait à sa disposition de nombreux objets ensorcelés. Si l'on en croyait les rumeurs, il proposait une valise douée de vie, capable de contenir des objets de n'importe quelle taille.

Jusqu'à présent, Voiz avait toujours coincé les objets qu'on lui confiait entre ses plaques de roche, mais cela gênait les mutations de son corps. En outre, en tant qu'être de roc, l'idée d'un objet animé l'intriguait au plus haut point. Curieuse de rencontrer le fameux Technomage, elle s'était donc décidée à faire le voyage.

Seulement, songea-t-elle en parvenant devant l'imposant manoir, il était peu probable que le maître des lieux apprécie qu'un esprit couvert de boue vienne repeindre son salon. Qui plus est, Voiz avait entendu des habitants du village voisin murmurer entre eux, et à les en croire, le Technomage avait pour habitude de s'absenter pendant des périodes indéterminées. Malheureusement, lorsque l'esprit avait voulu leur demander s'il était possible de le rencontrer hors de chez lui, les villageois s'étaient enfuis en hurlant.

Mais au fond, Voiz avait l'habitude d'attendre, même plusieurs semaines de suite. Elle frappa trois coups de griffe à la lourde porte, se campa contre le haut mur de pierre noire, et attendit.

Avoir l'habitude d'attendre, c'est bien, surtout quand c'est le technomage qu'on veut rencontrer ! Une fois n'est pas coutume, le bonhomme en question était à la maison... ce qui ne l'empêcha pas de prendre tout son temps avant d'ouvrir la porte. Le jeune homme fut bien évidemment étonné par la présence d'un roc à sa porte mais ne sembla pas comprendre tout de suite que ce dernier était un être bel et bien vivant. Il pointa sa louche vers le golem et, visiblement en colère, s'adressa à l'ensemble des pierres tombales décorant son sinistre jardin :

- Bravo ! C'est malin ! Un menhir devant ma porte, quelle bonne blague ! Vous allez me virer ça tout de...

Mais il s'arrêta, se souvenant que la vie peut prendre des formes insoupçonnées dans l'entre-monde. Les morts-vivants résidant dans sa cour, aussi farceurs soient-ils, auraient-ils vraiment prit la peine de traîner un énorme rocher jusqu'ici pour l'embêter ? Non, ça ne leur ressemblait pas. Après toute une vie de travail et de contraintes, ils ne se seraient jamais donnés tant de mal : ces fénéants préféraient de loin passer des journées entières à moisir au fond de leurs cerceuils, n'en sortant que pour faire peur aux passants et rire un bon coup.
Visiblement calmé, il observa le roc aux allures humanoïdes tout en se tapotant les lèvres avec sa louche. Louche, parfaitement. L'artisan magique avait été interrompu en pleine cuisine, alors qu'il tentait de faire des crèpes ! Des crèpes, oui ! Douteriez-vous des talents culinaires de notre jeune homme, par hasard ? Certes, il en avait autant dans son assiète que sur les dessus poussiéreux de ses armoires, mais celles qu'il réussissait à rattraper avaient bon goût, quoi qu'on en dise ! En tout cas, cela expliquait pourquoi il était non seulement armé d'une louche mais également vêtu d'un magnifique tablier rose qui avait de quoi mettre sa virilité en doute.

Enfin bref... Rainer passa passa sa main libre dans ses cheveux et, l'air légèrement gêné, tenta de s'excuser, comprenant enfin la nature de son éventuel futur client :

- Hm... vous n'êtes pas un menhir, c'est ça ? Désolé !

Plus qu'à espérer qu'il ne se ferait pas engueuler pour sa méprise. Il en avait déjà assez de se faire tirer les oreilles par tous les objets animés de sa maison, il ne manquerait plus que les visiteurs s'y mettent aussi ! Pas de sa faute s'il avait tendance à faire des bêtises, ces dernièrs temps ! Ne laissant pas trop le temps à son interlocuteur de faire une réflexion, agissant en véritable môme hyperactif, il lança :

- Alors, qu'est-ce qui vous amène chez moi ? Ah, mais entrez donc !

Nouvelle tactique pour éviter de se faire gronder : changer de sujet avant qu'on ne le fasse ! Il s'écarta donc pour laisser son invité entrer, espérant que ses soudaines bonnes manières lui fassent gagner quelques bons points.

Un menhir... Tiens. On ne la lui avait pas encore faite, celle-là.

Mais Voiz avait depuis longtemps perdu le compte des différentes appellations qui lui avaient été adressées depuis son arrivée dans l'Entre-Monde. En revanche, la vitesse avec laquelle le fameux Technomage sautait d'une humeur à l'autre forçait l'admiration. Colérique, surpris, songeur, contrit, puis accueillant, en l'espace de cinq minutes à peine. Voiz ne distinguait pas grand-chose de son apparence dans la lumière du perron, mais elle espérait secrètement qu'il fut aussi excentrique que le timbre de sa voix le laissait suggérer.

Lorsque le mage l'invita à entrer, Voiz commença à tasser son corps sur lui-même afin de l'adapter à la forme de la porte. Le temps que la glaise cesse de se mouvoir, l'esprit tâcha de mettre de l'ordre dans les questions de son hôte:

- Je vous souhaite le bonsoir. Je ne suis pas un menhir, mais un esprit de la terre que l'on nomme Voiz Montis, ou simplement Voiz. Quant à ce qui m'amène sur votre porche, il se trouve que je suis en possession d'un coupon m'autorisant à demander un objet dans le catalogue de mon choix, récita Voiz en tendant le carton noir et orange orné de citrouilles, qu'elle tenait coincé entre deux griffes.

- J'ai également entendu dire que vous aviez à votre disposition des objets animés. Je me demandais s'il était possible de consulter votre inventaire, et d'emporter l'un de ces objets?

Cependant Voiz hésitait sur le pas de la porte, son regard allant du tapis rouge immaculé aux étagères décorées de crêpes. Difficile d'estimer avec ces deux éléments si le technomage avait quelque chose contre la boue sur son parquet. Faute de mieux, l'esprit entra en prenant soin de contourner le tapis.

Le technomage resta pensif devant le coupon que lui avait tendu l'esprit de la terre, se demandant quel genre d'objet magique ce dernier pouvait bien convoiter. Simple curiosité. Le fait de faire cadeau de l'un de ses articles, quand bien même ce serait le plus coûteux d'entre-eux, ne le dérangeant pas le moins du monde. L'argent, après tout, était bien la dernière de ses préoccupations.

L'esprit lui demanda ensuite à consulter le catalogue, espérant pouvoir faire son choix et emporter un objet. Le catalogue, hu... la politique de la maison se résumait à : peu importe ce que le client demande, c'est ici qu'il le trouvera. Le vieux catalogue qu'il distribuait d'ordinaire ne contenait qu'une toute petite partie des produits disponibles, c'est pourquoi notre technomage préféra emmener son client faire un petit tour.

- Pas de soucis, emportez ce que vous voulez ! Suivez-moi !

Et le technomage prit les devant, se moquant pas mal de ses tapis (ce n'était pas lui qui nettoyait, de toute manière, et avec les objets magiques qu'il créait, aucune tache ne pouvait lui résister). Il se dirigea vers les escaliers, bien décidé à emmener l'esprit dans son grenier où il stockait toutes ses vieilles créations. Il estimait que ce serait beaucoup mieux pour l'esprit de pouvoir manipuler, essayer les différents objets disponibles plutôt que de simplement regarder un vieux catalogue.

Une fois arrivés au grenier, un vaste choix d'objets s'offrit à leurs yeux. Le technomage s'avança vers son petit marché aux puces, tandis qu'une horde de sacs à vos, coffres et valises munis de pieds, de pattes et de mains vinrent à sa rencontre en sautillant, comme de petits animaux affâmés qui n'attendaient que la bectée.

- Alors... nous avons ici tout le troupeau de sacs, de coffres et autres valises sans fond à pattes. Il y en a d'autres sans pattes, là bas. Ici, des tapis volants ; là bas, des cordes sans fin. Oh, voici des boîtes à bonbons qui ne s'épuisent jamais et ce que vous voyez-là sont des bijoux qui éclairent les endroits sombres ! Nous avons bien sûr des armes enchantées, des gourdes qui ne se vident jamais, des boussoles qui vous montrent la direction dans laquelle se trouve ce que vous cherchez...

Il se retourna vers l'esprit, bras tendus de part et d'autres de son corps, sourire aux lèvres.

- Et bien d'autres choses encore ! Vous pouvez toucher tout ce que vous voulez, vous pouvez essayer autant que vous le voudrez... et si vous ne trouvez pas votre bonheur, je peux très bien vous créer ce que vous voudrez sur le champ.

Enfin... tant que ce n'était pas un objet capable de provoquer une explosion nucléaire. Il était soumis à des règles strictes, après tout. Les joies d'avoir un pouvoir assez particulier pour être mis sous surveillance !



HRP : tu peux décrire la valise de voyage de tes rêves, elle est là, elle t'attends ! Et si jamais tu as changé d'avis entre-temps, décris juste le genre d'artefact que tu veux, ce sera trouvable dans mon grenier et tu pourras l'emporter !

Voiz regarda arriver vers elle la meute de petits objets avec fascination. Ils étaient peu farouches, rebondissant avec insouciance contre ses larges griffes, et une chaussure vint même lécher les flaques de boue à grands coups de semelle.

Suivant l'invitation du mage, l'esprit en prit plusieurs délicatement, étirant les sacs avec précaution pour voir jusqu'où ils pouvaient s'ouvrir. Se prenant au jeu, plusieurs valises s'ouvrirent spontanément, et leurs congénères vinrent se jeter à l'intérieur en un jeu de poupées russes endiablé. Bientôt, les étagères labellisées "sacs, coffres, valises sans fond: ils vous accompagnent partout, et c'est eux qui portent tout!" furent complètement désertées.

Ou presque.

Un reflet orangé attira le regard de l'esprit. Tendant une patte avec curiosité, Voiz palpa le fond de l'étagère, noyé dans l'obscurité et les toiles d'araignées. Elle sentit une rangée d'écailles lisses, étrangement chaudes au toucher, qui tenta aussitôt de lui filer entre les doigts. Le golem parvint à l'immobiliser entre deux griffes, et tira la créature à la lumière.

Il s'agissait d'un sac de voyage d'une vingtaine de centimètres, noir tacheté de jaune orangé. A la lumière, les taches émettaient des reflets rouges. De part et d'autre du sac, quatre pattes de reptile s'agitaient furieusement. Une langue fourchue serpenta hors de l'ouverture avec reproche.

Voiz saisit l'opportunité pour ouvrir la gueule du reptile, qui servait manifestement d'ouverture au sac. Un sifflement indigné franchit les lèvres écailleuses, mais elles s'écartèrent sans effort jusqu'à atteindre cinq mètres de diamètre. Coincé contre le gosier sans fond de la créature, l'esprit aperçut une étiquette avec l'inscription suivante:

Peau de salamandre: très souple, à l'épreuve du feu, peut supporter de lourdes charges.
ATTENTION: mauvais caractère; conserver hors de portée des enfants

En soulevant l'étiquette, Voiz vit une légende relatant les origines de l'étrange sac. A en croire la notice, la peau provenait d'un esprit irascible qui, dans son monde d'origine, maintenait l'humanité à sa merci, en poussant deux peuples à se livrer une guerre perpétuelle. Tous les cent ans, la salamandre passait un pacte avec un humain de la tribu du feu pour lui conférer des pouvoirs infinis, et lui donner les moyens de réduire le monde en cendres s'il le désirait. Le pacte prenait fin au bout d'un siècle, et la salamandre trouvait alors un contractant de la tribu de l'eau, lui permettant de geler les cendres du monde assiégé et d'en reprendre le contrôle. La salamandre se nourrissait des morts de ces guerres.

Mais un valeureux dragon était venu à bout de la salamandre, et sa dépouille magique était miraculeusement arrivée entre les mains du mage de l'Entre Monde (secret professionnel, disait la notice), qui était parvenu à en faire un objet ménager aux facultés IN-COM-PA-RABLES, l'essayer, c'est l'acheter.

Voiz se sentit une bouffée d'admiration pour les publicitaires. Il fallait décidément une imagination fertile pour ce genre de travail.

Mais d'un autre côté, songea l'esprit en regardant le sac-salamandre darder de la langue d'un air furieux, on voyait tant de choses étranges dans l'Entre Monde...

- Je prendrais bien celui-ci, dit l'esprit en désignant le sac hargneux, à présent occupé à lui griffer les entailles. Son caractère risquait de poser problème, mais un sac à l'épreuve du feu était exactement ce qu'il lui fallait. Il supporterait non seulement la chaleur de la forge, mais aussi celle des volcans. Y a-t-il des méthodes pour le calmer? Dans le pire des cas, je peux toujours prendre le temps de l'apprivoiser.

L'avantage d'être un esprit de la terre, c'est que par principe, on avait toujours tout son temps. La compagnie de cette créature promettait d'être intéressante.

Spoiler:

Au moins, à la voir jouer de la sorte avec tous ces sacs, il était certain qu'elle appréciait un minimum l'endroit. Au fond, tout le monde aime les objets animés, surtout quand ils sont bien foutus. Ils ont leur petite personnalité bien à eux, vivent, peuvent même avoir une conscience de soi qui les transforment en êtres vivants à part entière, malgré tout ce que diront les biologiques et autres scientifiques ratés du coin. Ils sont vivants, les objets à Rainer. Ils s'adonnaient en ce moment-même à un spectacle amusant qui semblait captiver le client. Ça faisait plaisir à voir.
Ce qui fit beaucoup moins plaisir, sur le coup, c'est quand l'esprit fut attiré par le sac en peau d'lézard. Oui mais non, c'est pas le genre d'article qu'on recommande aux clients habituellement, parce qu'il a vraiment sale caractère et préfère la solitude. Les clients préfèrent généralement les objets amicaux, mignons, qui les suivront partout plutôt que d'essayer de s'enfuir pour aller pourrir dans un coin le reste de sa vie. Rainer n'avait rien contre le fait que ce sac-là en particulier soit acheté, mais il lui faudrait prévenir le client de ce qui l'attendait si il faisait ce choix, histoire de ne pas pouvoir être déclaré responsable si sa bestiole sans fond s'enfuit terroriser l'une ou l'autre tribu autochtone.

- Hum, c'est un choix étrange, vous êtes sûr de vouloir celui-là ? Mais bon, après tout, ce n'étaient pas ses affaires, hein, lui, tant qu'il refilait ses articles, il ne demandait pas mieux. Il se frotta le menton entre le pouce et l'index un moment avant de hausser les épaules et déclarer : Non, je ne connais aucune méthode pour le calmer, il est toujours comme ça et ses camarades ne s'intéressent même plus à lui. Je vous souhaite bien du courage si vous voulez l'apprivoiser, je n'ai personnellement jamais réussi.

Le manque de temps à lui consacrer, sans doute. Après tout, le technomage est toujours en voyage pour aller faire des bêtises aux quatre coins du monde, quand il n'est pas plongé dans on ne sais quelle expérience loufoque, alors, forcément, il n'a jamais eu beaucoup de temps à consacrer à l'éducation d'un sac sans fond en particulier. La science et la magie, ça le connaît, les sentiments et ce qui s'y rapproche, beaucoup moins. Bref. Il se frotta le cuir chevelu avant de finalement soupirer accéder à la demande de l'esprit.

- Bon, bon, d'accord, il est à vous, vous pouvez l'emmener, mais attention : je ne suis responsable de rien si votre petit monstre à écailles décide de vous filer entre les pattes et d'aller effrayer le peuple, nous sommes bien d'accord ? Bien, bien... sinon, si vous avez des questions concernant votre nouvelle acquisition, n'hésitez pas, je suis tout ouïe !

En somme, le marché était conclus, si elle n'avait rien à demander en particulier, elle pouvait emporter son article et aller frimer devant tous ses amis menhirs en l'agitant sous leur nez !

[HRP : encore désolé aussi pour le temps de réponse, j'avais promis de m'en charger la semaine passée mais j'ai eu quelques problèmes... toute cette attente pour un post minuscule, en plus ._. encore désolé !]

La vente conclue, Rain(er) fut soudain interpellé par un grabuge de tout les diables provenant très certainement du fin fond de son jardin... En théorie, les cimetières font d'excellents voisins : silencieux, jamais embêtant et surtout ils ne vous empruntent jamais une perceuse que jamais ils ne vous rendront.
Mais aujourd'hui, le petit cimetière de la propriété avait décidé de faire dans le gênant.

Heureusement, le voisinage marécageux était restreint.

Il salua Voiz et s'en alla de son côté, se disant que l'esprit sera tout aussi bien trouvé la sortie sans lui !