Les chiens de Mirinar

C'est pas vrai, suffisait d'être dans la lune quelques minutes pour qu'une catastrophe se produise ! Lui avait suivi bien gentiment le groupe, sans ayant vraiment vu ce qui s'était passé pour qu'ils se mettent tous à courir dans la même direction. Il se creusait toujours le ciboulot pour trouver un truc qui soit susceptible d'intéresser une bestiole pareille. Parce que franchement, s'il y avait quelque chose qui puisse faire l'affaire à Mirinar même, le chien se le serait déjà procuré lui-même, non ? Ça devait faire un bail qu'il vivait là, et même la charmante créature qu'ils avaient croisée dans la forêt en venant n'aurait pas pu faire grand-chose pour l'empêcher de visiter.

Mais bon, le temps qu'il réalise que ses "collègues" avaient fini de se disputer, ils étaient déjà en train de disparaître dans la forêt. Il les suivit donc à petite vitesse, puisque ce n'était apparemment pas une question de vie ou de mort, et arriva à temps pour assister au départ de N. Oh, ben oui, cool, il n'avait qu'à tous se séparer, tant qu'ils y étaient, c'était pas comme s'ils risquaient de se faire attaquer (encore) par la faune locale ! Et même Uriko faisait mine de se tirer, bien ! Mais alors qu'il ouvrait la bouche pour suggérer que ce n'était pas la meilleure idée du monde, il eut soudain d'autres chats à fouetter.

"Ah ben bravo, super, K'ouen !" cria-t-il quand le sol se mit à s'enfoncer autour de ses chevilles.

Heureusement, il eut la présence d'esprit de ressortir ses ailes et se mit à les battre frénétiquement. Dieu, il n'était pas fait pour décoller d'aussi bas, ses ailes étaient trop longues ! Par miracle, le sol s'effondra moins vite sous lui que sous Wergeld et son acolyte, et il réussit à s'arracher à la terre... mais il eut à peine le temps de souffler qu'Uriko hurlait déjà un avertissement. Il suivit son regard, et en resta comme deux ronds de flan.

*... Mais qu'est-ce que je fous là, déjà ?!*

Ses yeux stupéfaits alternèrent entre les geysers qui approchaient dangereusement, et l'humain et le demi-elfe coincés en contrebas. Tout à coup il fut très, très content que Neythen et sa lourde carcasse ne soient plus dans les parages. Déjà rien que ces deux-là, il ne pouvait pas espérer les hisser hors de là à la force des ailes, même pas en rêve. Et évidemment, il n'avait aucune corde sur lui... mais il eut une idée pas trop conne et se mit à dérouler les bandages serrés autour de l'un de ses avant-bras. C'était une longue bande de tissu solide, et avec un peu de chance elle suffirait telle quelle, parce qu'il n'avait pas le temps de la tresser pour la rendre plus résistante. Il en jeta une extrémité à Wergeld et Ayame.

"Attrapez ça" cria-t-il par-dessus le grondement de la terre qui tremblait. "On va vous tirer !"

Et puis, n'avait-il pas entendu dire que l'actuel Maître de K'ouen avait un certain pouvoir sur la terre ? Avec tout ça, ils allaient bien réussir à les dégager. De quelques battements d'aile, il se posa sur l'arbre qu'Uriko avait choisi comme abri et se mit au travail.

J'attrape le bande et en tirant avec sur une racine proche j'arrive à dégager mes jambes de la soufflerie. Ayame a plus de mal, plus léger que moi mais plus enfoncé dans le sol, il perd des centimètres en se débattant. Système D. Le geyser s'apprête à nous souffler par le dessous quand j'agrippe ses épaules et le tire à moi. Nous basculons en arrière. Mirinar cesse d'expirer.

En tombant sur le sol, nous finissons de fragiliser la croûte de terre, elle cède pour de bon et nous glissons avec les jeunes arbres présents, et tout ce qu'il a autour, dans une fosse béante et remplie de vase.
Un truc nage dans le fond, un truc qui miaule et qui mérite une correction. Tiens, je suis presque sûr de la connaitre cette panthère...

Mon bras s'est emmêlé dans la racine. Je suis suspendu contre la paroi de la fosse, Ayame accroché à mon autre bras. Qui sait la profondeur que fait le trou, la quantité de vase qu'elle contient et... Tout ce qui peut s'y cacher.

La "narine", à défaut de savoir ce que c'est que ce trou, fait plusieurs mètres de diamètres, de ma position je ne vois pas grand chose. Ni Uriko, ni Uriel. Soit ils ont réussi à se mettre à l'abri à temps soit ils sont dans la vase ou accrochés à la paroi là où je ne vois rien.

-Tout le monde va bien ?

Tout le monde tout le monde... C'est vite dit.

Uriel vit Uriko sauter à terre avec une certaine dose d'amertume. S'ils avaient eu beaucoup de chance que leur arbre n'ait pas été aspiré avec les autres dans le second glissement de terrain, il n'en avait pas été de même pour toute la végétation à proximité... et lorsqu'un des arbres voisins s'était effondré, l'une de ses branches avait violemment percuté l'aile droite d'Uriel. Il avait retrouvé son équilibre de justesse, mais la douleur irradiait de son aile. Ce n'était probablement rien de cassé - il l'aurait instantanément su, si ça avait été le cas - mais l'articulation en avait pris un sacré coup. Bénis soient les félins et leur nonchalance, hein.

"Non, ça n'va pas du tout" grommela-t-il en réponse à K'ouen, mais pas assez fort pour qu'une oreille humaine l'entende d'en bas.

Ça ne servait à rien de râler, de toute façon ils ne pouvaient pas se permettre de traîner dans le coin. Il se redressa, testa son aile et tenta un petit vol. Houlà, mieux valait faire vite. Pâle comme un linge, il descendit illico à la hauteur de Wergeld et Ayame.

"Salut" dit-il d'une voix blanche. "Ceci est le dernier vol d'Air Uriel pour aujourd'hui, merci d'attacher votre ceinture et de ne pas fumer."

Ce disant, il saisit le demi-elfe aux épaules, grogna, et l'arracha tant bien que mal à la gravité. Lorsqu'il eut hissé Ayame hors du trou et assez loin du bord pour que le sol soit stable, il était si proche de l'évanouissement qu'il ne voyait plus rien. Il faudrait que Wergeld se débrouille tout seul. Lui s'effondra sans grâce et utilisa son collier pour faire disparaître ses ailes, priant pour que le sort n'aggrave pas sa blessure. C'était la première fois qu'il l'utilisait dans ce contexte, mais il ne pouvait pas se permettre de traîner une aile inutile.

Mon bras emmêlé dans une racine je me déboitais l'épaule en me retournant hissant pour sortir. La racine perdit quelques centimètres au passage... Je faisais deux pas en avant pour reculer de trois. Mes pieds finirons bientôt dans la vase avec Soare.
En réussissant à démêler mon bras des racines lumineuses, j'ai soudainement glissé. Ayame lui, reprenait ses esprits et remerciait Uriel avant de venir voir si je m'en sortais. Il n'aurait pas tendu le bras, ça ne servait à rien j'étais trop loin maintenant.

-Ce n'est pas une narine, fit-il en voyant la vase au fond. C'est un puits. L'île traverse constamment d'épais nuages à très haute altitude elle récupère énormément d'eau qui suinte vers le cœur de Mirinar. Je pense que l'île génère son propre champs de gravité donc son cœur doit être un truc en fusion juste assez compliqué pour que Neythen nous fasse un cours dessus plus tard. L'eau chauffe en s'enfonçant et finit par ressortir... d'où l'épaisse végétation de l'île et les geysers.

-C'est une manière de ma dire de ne pas plonger, c'est ça ?

-C'est ça, plus tu t'enfoncerais dans la vase et plus tu aurais chaud... vraiment chaud ! Uriko est-ce que tu vois des galeries sur les côtés ?

Des galeries ? Pourquoi faire ?
Parce qu'il y aurait bientôt une autre "expiration" de vapeur d'eau chauffée au fond du trou du... de notre île volante adorée. Et si nous voulions éviter d'être pris dans le geyser ce serait pas si mal si... nous trouvions des galeries "froides". J'ai tout compris cinq sur cinq elfe-de-mes-deux... Tu pouvais pas le deviner avant qu'on finisse dans le trou ?
Et pendant ce temps Soare ignorant superbement Uriko se hissait à la force de ses petites pattes à peines griffues sur une minuscule corniche dans laquelle elle disparue aussitôt.

-Elle a trouvé une galerie...

Uriel reprenait son souffle, encore prostré par terre, quand il se remit à prêter attention aux autres. Il saisit la moitié des explications d'Ayame et s'assit, alarmé. Surtout quand il entendit Uriko confirmer l'existence de plusieurs galeries. Il se traîna sur les quelques pas qui le séparaient du demi-elfe au bord du trou et le prit par le bras.

"T'es sûr que c'est une bonne idée ?! Au prochain geyser la vapeur s'engouffrera forcément dans les galeries, et pour peu que l'eau soit vraiment chaude, elle ébouillantera tout ce qui s'y trouve !"

Il n'ajouta pas qu'en tant que créature volante, il était vaguement claustro et qu'il était absolument hors de question qu'il descende dans ces trous minuscules. Surtout s'il courait le risque d'y crever. Mais apparemment, il n'était pas le seul décidé à imposer un veto à cette option, car il vit avec soulagement Neythen revenir avec une pleine brassée de lianes. Au moins, ils seraient deux dans le clan des gens qui ne descendraient pas sous terre.

Le sol recommençait à trembler sous leurs pieds, ils n'avaient plus beaucoup de temps. Il se hâta vers N. et se mit à démêler les lianes pour lui faciliter la tâche, ignorant la douleur de son aile fantôme qui s'était transférée dans son épaule et irradiait dans tout son bras droit.

Spoiler:

Pas le temps de finasser ! Le sol recommence déjà à trembler. En descendant je réussissais à m'accrocher à bout de bras à la galerie d'Uriko. Mon épée m'alourdissait, mais ce n'est pas ça qui me ralentissait, plutôt le souffle coupé de m'être si mal réceptionné.
Là haut Ayame me presse et entraine les autres à l'écart de la soufflerie.

-Il manipule la terre, ils s'en sortiront.

Je remonte, j'entre dans la galerie et rejoins Uriko. Le sol vibre de plus en plus. Mon souffle tressaute avec lui.
J'approche la panthère en courant et je l'entraine sans lui demander son avis, oubliant un instant Soare et son inconscience maladive. Je pousse la panthère dans une petite alcôve. Je referme l'ouverture, d'une couche de tourbe qui refroidissait juste assez la vapeur qui explosa dans la galerie. Nous étions trempés dans ce petit réduit, mais à l'abri le temps que l'autre finisse de se moucher... Et nous étions un peu à l'étroit aussi.

Le grondement s'estompe, et je fais effondrer notre porte de sortir en forçant dessus. Je bascule avec elle. Un peu groggy. Ma force ne me demande pas tant d'énergie. Et c'est toujours assommant, tout particulièrement ce genre d'exercice. Sur mes cuisses, une petite boule de poils noirs vient se rouler en boule, elle est parfaitement sèche et traine dans sa gueule un petit tube contenant un bout de soie roulé. J'ai la vision flou, alors en me levant, une main encombrée par Soare tenue par la peau du cou, je m'appuie sur la parois.

-Ce serait bien si on sortait d'ici maintenant.