Les chiens de Mirinar

Uriel faillit faire un bond mémorable en voyant la créature émerger. Déjà que sentir quelques poissons lui frôler les jambes en repartant n'avait rien de rassurant après cette démonstration de leur appétit, mais là c'était le pompon. Mais quelle pauvre tâche il avait été, aussi, d'aller à la flotte avec les autres au lieu de s'envoler une fois sorti des arbres !
Et là, juste comme ça, le type le plus costaud du groupe se tira. Bizarrement, ça ne le rassura pas du tout.

Mais bon, ils n'étaient enfoncés que jusqu'aux genoux, la créature ne pouvait pas s'approcher plus sans ramper... pas vrai ? D'ailleurs elle n'avait pas l'air agressif et... encore mieux, elle était douée de raison !

"Oui, pas d'ici" répondit-il, poussé par la curiosité. "Euuh... vous connaissez bien le coin ?"

Ils pouvaient peut-être obtenir des renseignements, non ? Bon, évidemment, rien ne disait que la pseudo-sirène ne manigançait pas un plan tordu pour les attirer dans le lac et les dévorer, mais entre les fourmis et discuter avec elle, hein, il n'y avait pas photo dans sa tête.

Mais tout ce que la créature fit fut de glousser, exsudant au grand dam d'Uriel une nouvelle vague de puanteur, et d'exécuter une torsion gracieuse avec sa queue pour expulser dans sa direction une belle gerbe d'eau. Nerveux comme il l'était, il sursauta, trébucha et s'étala sur les fesses, complètement trempé.

"Hihi ! Connaître bien ici. Maison !"

Spoiler:

Je vote pour sortir de l'eau. Discuter avec les poissons, très peu pour moi. Soare a bondit de la poche d'Ayame, l'eau lui donne des sueurs froides, elle préfère de loin se cramponner à mon épaule.

-Demande-lui si elle sait où se trouve notre chien noir !

Aussitôt dit... La sirène, si on peut l'appeler comme ça, s'est hissée hors de l'eau sur plus de la moitié de son corps de poisson. Elle un air de ressemblance avec les méduses, ou les poissons abyssaux. Même si je n'ai encore jamais été chasser sous l'eau.

Je trouve étrange qu'elle sache à peu près parler notre langue. Mirinar n'a pas vu d'âme de notre gabarit depuis... depuis on ne sait quand.
Elle pointe du doigt à l'exact opposé de la fourmilière. C'est à dire, de l'autre côté du lac.

-Vous. Il attend.

On est bon pour contourner le lac ou le traverser. J'ai pas prévu de bateau...

Uriel ne demanda pas son reste avant de suivre Neythen. Il s'était extirpé avec plus ou moins de grâce du lac et avait déployé ses ailes - comme s'il allait marcher jusque là-bas, et puis quoi encore. Tout le temps que les autres passèrent à rejoindre l'autre côté avec leurs pauvres petits moyens de créatures terrestres, il le passa à bouder en l'air, piquant des sprints de gauche à droite comme un frelon timbré et projetant des gouttelettes en contrebas à chaque fois qu'il battait des ailes. Il était plutôt évident qu'il était vexé.

Il atteignit la lisière avant les autres et se posa sur une branche pour les attendre, la mine peu amène. Ken était à peine arrivé qu'il se rendait déjà utile (preuve qu'il y en avait qui servaient à quelque chose, eux, et cette pensée contribua vraiment à le mettre de bonne humeur...). Avec un soupir de diva, il tourna les talons et sauta quelques branches dans la direction indiquée, histoire de voir s'il apercevait quelque chose. Il s'était à peine éloigné qu'une secousse impressionnante fit vibrer les arbres.

"Hé !!"

Perché sur la mousse glissante, il vacilla et dut encore saisir le tronc à bras-le-corps pour ne pas faire un plongeon vers la terre ferme. Il jura. Pourquoi est-ce qu'il passait son temps à se casser la figure, dans cette histoire ?!

A cet instant, il aperçut une grande forme sombre qui bougeait non loin, et faillit en avaler sa langue.

Grande forme sombre ? C'était peu de le dire, la créature semblait aussi large que le lac.
Un losange rougeoyant comme la flamme d'une bougie semblait encastré dans son poitrail et ses yeux luisaient de la même lueur dans la nuit. Il était habité d'ombres. Tout autour de lui, elles le grossissaient, le prolongeaient jusqu'à la cime des arbres.

Je m'étonnais moi-même d'avoir pris mon épée en main. L'instinct de survie.

Une patte, pas besoin de dire qu'elle semblait dix fois plus large que ma tête, s'échappa de l'ombre, s'enfonça dans la terre meuble aux abords du lac. Il était deux fois plus lourd que je ne l'imaginais.
Oublions d'office de lui prendre son cœur par la force.

-Approchez et j'écouterai votre requête.

La voix emplit l'air tout entier et les intonations battaient sous ma peau comme les notes sourdes d'une batterie à pleine puissance.
Avancer jusqu'à lui n'était pas une mince affaire. Ayame me suivait trois pas derrière, courageux mais pas téméraire. Et le chien nous regarda tour à tour.

-Approchez. Tous.

Il s'était expulsé tellement vite des arbres qu'il avait dû y laisser une traînée de plumes. Uriel devint tout pâle en mesurant la véritable taille du "chien", et il faillit oublier de battre des ailes en l'entendant parler. Cette voix lui vibrait dans la tête et dans les muscles et il se sentit devenir tout engourdi, mais d'admiration ou d'horreur, il n'aurait su le dire. Il serait bien resté en hauteur, en parfaite position pour la fuite, mais il n'était pas fait pour le vol stationnaire, et il risquait d'énerver la créature à force de voleter à droite à gauche. Sans compter qu'il n'osait pas monter plus haut que son poitrail, et c'était perturbant de faire face à cette espèce de gemme luisante. C'était quand même pas ça qu'ils étaient venus chercher ?

La bête leur demanda une seconde fois d'approcher, et Uriel atterrit dans la seconde suivante près de ses comparses, bien sagement. Pour un peu il se serait agenouillé par terre et il aurait attendu qu'on lui tape sur les doigts. A défaut, il préféra suivre la tendance générale et se planqua derrière K'ouen.

"On te couvre" dit-il en toute mauvaise foi, prenant une expression d'innocence pas très convaincante, surtout quand ses genoux jouaient encore des castagnettes.

Sourire d'Ayame... Ils se sont tous planqués derrière ou quoi ?
Coup d'oeil derrière.
Oui.
Poltrons !

Et le chien nous regarde en silence. Il attend gentiment qu'on lui soumette le contrat : On prend ton coeur on s'en va et tu ne nous coures pas après.

Caleb n'avait pas dit "prend son coeur" mais "demande lui son coeur". Et quand Caleb parle, il faut se souvenir de la formulation exacte. J'en déduisais automatiquement la marche à suivre.
Je range mon épée, en prime j'invite les comparses qui se cachent derrière à aller voir ailleurs si j'y suis... Regard désespéré pour Uriel. Il me couvre ou je le couvre ?

On m'aurait dit qu'un chien pouvait faire preuve d'impatience je ne l'aurais pas crû, ça doit faire des siècles que personnes ne lui a rendu visite, dix secondes d'attente de plus ou de moins il en mourrait pas.

-Alors ?

Est-ce que les autres se sont aussi rendus compte que notre ami à fourrure était assit et non debout ?

-Nous venons te demander ton coeur.

Silence. C'était peut-être pas la bonne formulation. Dommage pour lui, je n'ai pas l'âme d'un poète. Le plus étrange de tout, si c'est encore possible, le chien ne dégageait aucune chaleur. Contrairement à la bête en pièces détachées dans la forêt, aux fourmis et même aux poissons.