Que les voiles de la nuit s'étendent sous nos pas

La recherche ne fut pas des plus aisées. Un aquarium, ce n'est pourtant pas compliqué à indiquer ! Certes Eydel n'employait peut-être pas les termes adéquats pour demander un renseignement et les humains, de plus, se faisaient rares dans cette partie de la ville. Et s'ils n'étaient pas rares ils étaient loufoques...
Après ses péripéties matinales un transgenre finit par lui indiquer un bar avec un aquarium à l'intérieur nommé l'Avalon. Mais un aquarium à Cerclon certainement pas lui répondit l'extravagant en se moquant. Frustré et coléreux d'être autant ridiculisé depuis le début de la matinée le jeune homme décida d'apaiser sa colère sur ce qu'il y avait encore de charnelle sous ses mains. Le maquillage sera du plus bel effet maintenant.
Il se rendit à l'endroit indiqué et s'installa à quelques ruelles dans des poubelles pour se reposer et éteindre la flamme qui l'animait.

La nuit tomba et Eydel sortit de sa torpeur. Il grimpa sur les toits, le meilleur point de vue que la ville peut offrir. Ses yeux étaient rivés sur le bar à l'enseigne criarde, il regardait les entrées et les sorties des êtres qui franchissaient la porte. Tout était si bien programmé, pas de vol, pas de fuite, les pas étaient rythmés : comme des androïdes. Aucun sanctuaris.


- Que des robots... Souffla-t-il.


Sa voix était las. Il savait ce que signifiaient les robots et relata sa faiblesse, ses poings se serrèrent, encore irrités de sa confrontation matinale. Il inspira profondément et commença à activer sa matière grise pour pouvoir un jour gagner contre cette lacune. L'électricité ? Les courts-circuits ? Il n'en savait pas assez sur la robotique. Le peu de culture que les livres ont pus lui inculquer était pauvre. Ses réflexions lui firent passer le temps jusqu'à l'arrivée de Jarr'hal.
L'anti-héros à la cape le sortit de sa torpeur. Il le vit pénétrer dans le bar.
Eydel rejoignit alors tranquillement les sentiers battus. Son cœur accéléra, plus il se rapprochait du lieu du rendez-vous, plus il devait paraître « ordinaire ». Au seuil de la porte il se remémora l'explication rationnelle.


Bar : Lieu de boissons où les hommes, humanoïdes, androïdes, entités chelous se tiennent devant un comptoir... Ok.


Encapuchonné comme à son habitude, les mêmes vêtements que la veille, il inspira et poussa la porte pour entrer. Le spectacle qui s'offrait à ses yeux l'émerveilla, il resta au seuil de la porte.Il n'avait jamais vu de telles couleurs, ni de poissons, ni de coraux, ni d'eau si pure, ni cette sensation étouffante.

A s'être arrêté si vite, des êtres vivants pénétrèrent dans le bar et le bousculèrent. Eydel se retourna, prêt à une offensive après ce genre d'acte. Mais il n'en était rien les robots le regardèrent, choqués qu'il se soit trouvé là. Le jeune homme se souvint de sa faiblesse, il se détendit et les ignora pour partir à la recherche de son objectif. Il balaya du regard le bar et les tabourets. Aucun d'eux n'affichait Jarr'hal. Pourtant dans le comptoir... Il sentait son pou accélérer, il conservait une allure tranquille et regarda plus loin pour voir des banquettes. Il le repéra à « admirer » ? l'objet même de la contemplation d'Eydel.


- Vous cherchez quelque chose ?


Eydel faillit sursauter mais resta stoïque, il se tourna mécaniquement vers l'objet de sa frayeur, le blond le dépassait d'une tête. Le toisa. Sentit un sourire se dessiner sur ses lèvres. Son visage caché dans l'ombre de sa capuche n'inspirait pas confiance.


- J'ai trouvé ce que je cherchais.


Le sourire n'était pas vraiment adressé au serveur mais plutôt au fait que c'était un être humain. Il tourna les talons sans demander son reste et se dirigea vers l'androïde.
Il s'installa à côté de lui, silencieusement et contempla la magnifique prison aqueuse.


Et si j'avais eu ce genre de vie, aurais-je cherché à m'enfuir ?
Oui.


Il posa ses mains sur la table, jointes. Attendant une sentence ? Il n'était pas à l'aise mais restait calme, ne cherchant pas, profitant de cette paix. Devant lui l'imaginaire se déployait mais il savait que la réalité allait le rattraper.

Eydel n'adressa pas un regard au serveur qui avait déposé un peu plus tôt la carte, ni même à celle-ci. Son but était le droïde "humanisé". Ses yeux contemplaient l'extraordinaire mais il était tout ouï envers son compère, qui souhaitait connaître explicitement la raison de sa venue.

- J'ai perdu mon arme dernièrement... Il repensa à la scène, un combat plutôt mal engagé. Je pense que les sanctuaris l'ont récupérée, mais il est possible que le groupe Lôm'es l'ait déjà volé.

Ses paroles étaient franches, sans détournement, son intonation ne montrait pas de perturbation, son objectif était clair. Il se tourna légèrement vers Jarr'hal, et le fixa de ses yeux bleus pénétrants.

- Je veux récupérer cette dague.

Le silence s'installa à nouveau entre eux, mais non pesant, pas dérangeant, il laissait le temps à la réflexion et surtout à l'humanoïde de revenir vers eux. Philosopher's stone en main, il le déposa. Eydel n'y prêta pas attention, mais il leva son regard vers le serveur qui semblait attendre une suite.

- Votre choix ? Annonça-t-il.

Eydel n'avait pas regardé la carte, et n'avait pas l'argent de se commander quelque chose de toute façon. Il ne répondit pas, laissa le serveur avec son air constipé et hautain le jauger. Il daigna fixer de nouveau son regard sur lui voyant qu'il n'était pas décidé à partir.

- Je ne prendrais rien.
- Chaque client doit consommer, c'est la règle ! Tonna le serveur.

Il baissa les yeux sur la carte, cocktails, aphrodisiaques, alcools forts, tous semblaient là pour échauffer les esprits et les papilles. Il croisa les mains sous son menton, laissant apercevoir ses mains et avant-bras blessés. Il appuya son regard glacé sur l'humain. 

- Donnez-moi quelque chose qui me permette d'éviter de revoir votre sale face.

Offusqué, le serveur repartit en bredouillant, allait-il apporter la boisson la plus immonde à Eydel où informer ses supérieurs de la tournure des événements ? Celui-ci espérait avoir eu le résultat escompté : la paix. Il sait se montrer dissuasif, de plus ses marques ont tendance à écœurer les simples d'esprit.
Eydel se concentra de nouveau sur l'Objet de sa venue.

- M'aiderez-vous ? Je ne vous demande pas de vous battre, juste de trouver cette information.

Gagner ? S'il avait l'espoir de gagner une réputation auprès d'Eydel, elle serait pire que mauvaise. Il tourna son regard vers Jarr'hal, fixant ce qui pouvait sembler être des yeux mais ne sachant pas trop ou arrêter son regard.

- Gagner ? Soyons sincère vous aurez tout à perdre en traînant avec moi, surtout si vous, vous voulez vous ranger.

Dans ses souvenirs avec Jarr'hal, lors de leur première altercation verbale celui-ci ne voulait pas d'esclavagisme, il ne semblait pas pour un d'échange de bons procédés, mais finalement... Eydel comprit qu'il avait sûrement un objectif à atteindre s'il voulait une compensation. Il marqua une pause assez longue, réfléchissant à ce qui pourrait intéresser cet être différent. Il ne le savait pas.

- Qu'est ce qui vous intéresse ? Je ne pense pas avoir d'informations intéressantes à vous donner, à part pour notre mission.

Il hésitait, devait-il révéler son seul atout ? Il a tellement été l'esclave de son don qu'il préfère attendre le moment propice, peut-être se révélera-t-il de lui même au moment opportun. Si c'est une vie il la prendra. Ce n'est pas sa conscience qui en souffrira, c'est l'abus qu'on pourrait vouloir de lui. L'azur de ses yeux se perdit dans l'immensité de l'aquarium, il joint les mains sous son menton. Dubitatif.

- En tout cas, révélez-moi quel acte je dois accomplir pour bénéficier de votre aide. Votre prix sera le mien.

Il était déterminé, et continua dans sa lancée pour avouer ses connaissances sur le groupe Lôm'es.

- Je peux vous donner toutes les informations du groupe Lôm'es, son boss, ses subordonnées, leurs dons, leur planque... Enfin, ils ont sûrement changé d'endroit, mais ce n'est pas un problème. Rien n'est recensé informatiquement, ni par écrit. Chez eux, seul l'oral compte. Il marqua une pause, repensant à la deuxième étape du plan de Jarr'hal. Du coup, pas besoin du système de vidéosurveillance, les sanctuaris s'ils ont récupérés cette arme l'auront notifiés dans leur base de données. Sinon ce sera ce cher Erzan qui la détiendra.

Eydel abaissa sa capuche et se passa les mains dans les cheveux, puis se les frotta énergiquement. Il resta planter là, quelques secondes, tête dans les mains, doigts crispés accrochés à sa chevelure blonde. D'un œil cerné, il dévisagea discrètement son compagnon, on pouvait presque lire la honte dans ses yeux.

- Cela fait à peu près un an que j'ai perdu cette arme... Je doute que les sanctuaris l'aient encore en leur possession. Il marqua une nouvelle pause, baissa ses prunelles. S'ils me voient, ils feront tout pour m'enfermer et... il chuchota à lui-même, je confesse l'envie de leur faire payer... A tous...

Si une lueur de honte avait adouci sa vue un instant ; ses yeux fixés sur la table, sa voix chevrotante, ses cheveux en épis, ses mains froides et tendues étaient l'expression de la folie.

Perdre ? Plus jamais.

- Vous avez peur ?

Sa voix retentit comme le glas, il était une goutte d'eau qui venait remplir un vase. Étroit, dure comme le métal et long comme le chemin qui se dresse devant eux. Chacun est une information, un sentiment. Liés dans cette même jarre, à échelonner cette paroi, grandir, faire de ce contenu un océan rugissant et écrasant.
Il pointe une pupille sur lui du coin de l'oeil.

- Avez-vous peur que je vous fasse faux bond ? Croyez-vous qu'un « contrat » par les êtres que nous sommes serait une preuve suffisante de notre engagement. Soyons honnête.

Il relève le buste, s'ajuste à la hauteur de Jarr'hal, pose ses mains précautionneusement sur la table, son regard cherche l'affront de celui du robot. Il est fier, prêt à prouver qu'un papier n'est rien et que sa parole vaut mieux.

- Sachez que ce n'est pas une feuille qui fera de nous des « collaborateurs ». Tout se trouve là !

D'un geste rapide il vint poser sa main sur le « cœur » de Jarr'hal. Son regard, toujours aussi solide.

- Je prendrais part à votre combat si vous m'aidez dans le mien. J'm'en moque le sens où c'est exécuté, mais sans arme je ne vous serais pas utile. Si vous souhaitez passer en premier, ok.

Eydel se détendit légèrement, et pensa qu'il était nécessaire d'ajouter qu'il avait une autre carte dans sa poche, en toute sincérité. Il ne savait pas comment celui-ci allait le prendre, mais c'était vrai, il avait déjà été utilisé pour cette raison.

- Après si vous souhaitez séduire des femmes, je sais que je peux réussir...

Oui, il était gêné de l'avouer, mais son « collaborateur » méfiant ne lui avait toujours pas avoué ce qu'il voulait de lui. Les choses étaient claires, le jeune blondinet a des points faibles et des points forts. Après il ne connaissait ni les goûts et les couleurs d'un robot, d'ailleurs... Avait-il un sexe ? Une identité sexuelle ? Son regard restait droit et franc, malgré toutes les interrogations naissantes qui se formaient dans son esprit.

Un verre vient brutalement se poser sur la table, le gringalet et impoli jeune serveur revint avec une boisson fumante et verdâtre. Pas une politesse, pas un mot. Eydel arqua un sourcil dubitatif, il l'avait sorti de ses pensées pour cette je-suis-un-poisson ? Il n'allait pas en rester là. Son poing se serra légèrement, mais pour l'instant il ne bougerait pas. Il retourna à son occupation majeure : Jarr'hal et ses ambitions _ _ _ _ _ _ _ _ _ .

Tous ont un rôle, l'oiseau chante, s'égaie. Il égaie nos sens, respire la liberté. Le poisson lui apaise notre colère, il noie nos égards, nous libère de cette prison. Était-ce l'exécution de Jarr'hal ? Il était une silhouette, une masse sombre qui empêchait la lumière de l’océan d'arriver au jeune blondinet.
Qui son regard à lui, froid comme la neige, ferait fondre le métal de colère, se perdait dans le tableau noir de sa cellule. Habituellement il est aussi vierge qu'une page blanche mais là c'est un livre ouvert ivre de colère . Silencieusement il se leva, bruyamment il s'annonça :

- Sale robot de m*rde !

Son niveau sonore était aussi violent que la chaise qui vint s'écraser contre le haut du corps de l'androïde.

- Tu t'prends pour qui ? Dieu ? Bah bouffes la chaise !

Des débris de bois jonchaient le sol, l’assise, elle, avait atterrie sur une table voisine, choquant sûrement leurs attenants. Le tumulte causé commençait à attirer les regards et l'attention du gérant de ce bar. Eydel jeta avec férocité le pied qu'il lui restait dans la main en direction de l'aquarium. Un bruit sourd retentit et la fameuse lance de bois tomba au sol sans une égratignure sur la toile . Le jeune homme se positionna devant le robot, en appui sur une table en face. Il le pointa du doigt à son tour, grondant ce dernier.

- Tu t'plains toi ! Et tu m’juges ! Comme un homme... Un sourire mesquin se dessina sur son visage, y avait-il pire insulte ? Il reprit d'une voix plus calme Je vais finir par croire que vous êtes plus mon égal que vous n'voulez le paraître ! Je suis pas Dieu et je le serais jamais. Je créerai ni humain, ni robot.

Le provoquer ? Et alors ? Il avait compris un important problème avec cet être, peu importe ce qu'il pouvait dire, peu importe ce qu’il pouvait faire son image ne correspondrait pas. Il lui parlait de respect alors qu'il en était incapable avec lui. Eydel avait beau être faible face à un androïde il n'était pour autant pas prêt à lâcher le morceau. Comme un loup vorace et affamé il userait de son pauvre savoir pour arriver à sa faim, la réussite sera en elle-même une fin. Il croisa les bras sur son torse, son air torve s'affirma quand le serveur s'approcha d'eux.

- Casses-toi le serveur !

Il s'arrêta net ne voulant sûrement pas prendre un coup dans la bataille. Quelques groupes commençaient à s’amonceler autour d'eux, s'exclamant, encourageant tantôt le gamin, tantôt le robot. Eydel n'y prêta même pas attention, l'habitude sûrement. Il regardait Jarr'hal, son regard reprenait son ambition du départ, son visage se fermait à toutes émotions, aux aguets du moindre geste, mais prêt à dialoguer.

- Alors, vous avez toujours envie de faire la mission Ô Seigneur ? Il marqua une pause, essayant d'apercevoir une réaction de cet être. Je vous apprécie pour ce que vous êtes, réellement, même si vous êtes spécial. Je ne vous demande rien en échange, à part une once de confiance, sinon comment voulez-vous qu'on travaille ensemble ? Vous voulez toujours pas me parler de votre mission ? Un mot ? Au moins deux, que ça fasse une phrase qui veuille dire quelque chose...

Ils étaient comme une pièce de théâtre avec un jeu de mauvais acteur, celui qui ne veut pas rentrer dans son moule, qui vacille entre la haine envers l'homme et la raison. L'autre n'est que le fou, inconsidérés et inconscients de ses actes, celui qui n'a rien à perdre car il n'a jamais vraiment gagné au jeu de la vie. Bientôt nous pourrons entendre les 3 coups de bois. Les spectateurs se tiendront prêts, car « la levée de rideau » commencera.