Le bruissement d'une feuille [pv Ama]

Trouver du bois n'était pas vraiment difficile, et creuser une cuvette encerclée de pierre non plus. J'eus terminé avant qu'elle ne revienne une pièce de viande dans la gueule. Ce serait un repas léger si nous mangions à deux.
Ma lame cylindrique dans la main, j'entrepris d'ôter sa peau à notre dîner, de lui extraire ces morceaux de chairs que je ne saurais digérer, peut-être qu'elle les mangerait, peut-être que non.

-Que manges-tu sur cet animal ? Dois-je faire cuir ta partie aussi ?

L'estomac des loups est bien plus acide que celui d'un homme habitué depuis des millénaires à vivre en ville. Nous n'avons pas un système digestif aussi performant l'un que l'autre. Alors je me questionnais sur ce qui serait à jeter ou non sur le lapin, et bien évidemment, comment elle se nourrirait.
Je tentais un sourire, le côté très salissant de la situation me faisait rire. C'était assez glauque au final, dépiauter un animal et discuter avec un loup. Il n'y a bien que dans l'Entre-Monde qu'on peut vivre des moments pareils !

Le cadavre de ma flûte désarticulée avait échoué près du feu et le métal brillant attira mon regard alors que je tenais encore et toujours le dîner dans la main. Le feu ronflait en face et l'air frais de la nuit se déposant sur nous me glaçait le dos quand mes mains chauffait dans la lumière.

La louve poussa une sorte de soupir bref, signe que sous forme humaine elle souriait. Elle leva son museau et regarda le titan droit dans les yeux.

-Mange tout ce que tu veux, moi je n'ai pas faim ce soir.-

C'était entièrement faux. Elle ne mourait pas de faim mais elle refusait de manger devant un inconnu, sous forme lupine ou sous forme humaine. Elle se sentirait trop mal à l'aise.
La louve blanche se releva et s'étira en baillant avant de s'ébrouer pour faire retomber la poussière accroché à son ventre. Par réflexe, elle scruta l'obscurité environnante, oreilles aux aguets et truffes au vent. Bien sur, il n'y avait rien dans le périmètre proche, le feu et le bruit faisant fuir tous les petits animaux. Rassurée, elle reprit forme humaine. Les détails se fondirent dans une sorte de clarté irréelle et sa silhouette passa d'horizontale à verticale. Les mains et les pieds apparurent à la place des pattes, le museau rentra et un nez et une bouche les remplacèrent. La fourrure devint un kimono blanc et sur la tête, une longue chevelure blanche comme la première neige de l'hiver cascadait le long du dos qui s'était redressé. Les tatouages avaient conservés leur place et soulignaient délicatement le contour des yeux bruns noisette de la déesse. Ama eu un sourire en coin un peu timide puis se détourna pour faire le tour du feu et s'installer tranquillement. Elle se mit à genoux, les mains sur les cuisses, le dos bien droit. Les flammes jetaient dans ses prunelles quelques éclats d'or et leur lumière relevait la blancheur de sa peau.

- Je ne sais pas si tu aimes la viande assaisonnée mais si c'est le cas, dis moi quelles herbes tu mets et je t'en procurerais. La viande non relevée peu parfois rebuter certains palais.-

Ce n'était pas pour se moquer du coté citadin du jeune homme qu'elle disait cela mais en connaissance de cause car elle même appréciait la viande bien assaisonnée. Quand on a un pinceau magique, c'est facile de faire pousser du basilic et de la menthe à volonté.
Sans attendre la réponse, une autre question lui vint et elle n'y alla pas par quatre chemins:

-Qu'as-tu dis après ma transformation ? J'ai vu tes lèvres bouger mais je n'ai pas entendu et j'ai eu comme l'impression qu'une certaine gêne t'habitais. Les animaux te rebutent ?-

Son expression n'était ni hostile, ni accusatrice, ni triste. La curiosité à l'état pure était peinte sur son visage. Au fond, elle sentait qu'elle déplorait cette réaction mais elle s'en intriguait surtout et ne se vexait pas pour si peu.

Spoiler:

Il découpait la viande et s'amusait à la piquer sur un bâton pointue pour la laisser griller au dessus du feu. Elle ne souhaitait pas manger alors il pouvait bien faire tout griller que ça n'aurait pas d'importance.

-Ne t'inquiète pas pour moi. Je peux manger une viande simplement cuite.

Ils (lui et ses frères) n'avaient pas vécu toute leur existence en ville, selon ses humeurs, selon ses envies, lui et Kaze avaient exercé différents métiers dont une bonne partie de leur temps comme mercenaire. Riku seul avait eu la chance d'une vie paisible en ville. Il était fait pour elle, pas eux. Lui, il aimait suivre les aléas du courant qui menait ses pas. Comme un noyé dérivant sous la crête des vagues.
Cette forêt, il l'avait foulée de long en large sans jamais la croiser, elle. C'est peut-être ça l'ironie dans l'histoire. Une telle rencontre si tardive. La viande sentait bon le grillé et échangeant les brochettes qu'il préparait plus pour s'occuper les mains (car il aurait bien plus simple de faire tout cuire d'un coup) que par manie de cuisine, il commençait à manger avant de lever un regard étonné vers la déesse. Il prit le temps de finir d'avaler, temps nécessaire à une courte réflexion.

-Je vais parler de moi quelques instants. Si je t'ennuie dis le. Il n'attendit aucune réponse et continua de parler, je ne connais ni ma mère, ni mon père. Orphelin j'ai été adopté dix ans après ma naissance par les parents de mes deux frères. Mais je ne suis pas comme eux. Dans le monde d'où je viens, les titans se sont liés avec les humains, beaucoup des nôtres ont le sang tellement dilué qu'ils ne possèdent aucun pouvoir, mais moi mon sang est plus pur, juste assez pour me permettre de manipuler un peu de magie. Je suis un demi-titan. Et mon sang me brûle quand je croise le chemin d'un dieu, pourquoi ? Je n'en sais rien, strictement rien. Alors, tu es une vraie déesse, et je suis un faux titan. L'impression double de devoir m'éloigner de toi, et celle de devoir continuer de te parler. C'est étrange, n'est-ce pas ?

Un léger sourire ponctua son monologue, il aurait pu soupirer, mais il préféra sourire. Calme et patient, comme jamais. Car cette déclaration était à mi-chemin entre une déclaration de guerre et une déclaration d'amour.

Spoiler:

La déesse écouta attentivement, enregistrant chaque information. pour une raison encore inconnue d'elle même, elle sentait que cela pouvait être important par la suite. Et puis, connaître un peu l'histoire d'autres créatures pouvait l'aider à se sentir moins perdue dans un monde qui n'était pas le sien. Elle hochait de temps en temps là tête, le regard perdu dans les flammes. La dernière phrase lui tira un sourire et elle se retint de rire, de peur que Nozomi ne prenne cela pour une moquerie. Mais il fallait avouer que c'était assez étrange comme déclaration voir comique. Comment prendre une phrase dans laquelle on vous dit qu'on vous apprécie tout en vous disant qu'on vous fuirai volontiers ? Ama préféra voir cela comme l'aveu d'une certaine sympathie à son égard. Elle voyait si peu de monde, elle n'allait quand même pas se mettre à dos le seule être à lui avoir adressé la parole.
Le sourire aux lèvres, elle aquiessa donc en signe de compréhension. Etrange que les Titans ne puissent supporter les Dieux. Du monde d'où elle venait, la jeune femme n'avait jamais vu de Titan et elle était presque certaine qu'il n'en existait pas. Il y avait donc des Dieux ailleurs que dans son monde. Intéressant.
Peut-être était-il temps d'être à égalité et de raconter aussi un peu sa vie ? Ama n'était pas sure que cela intéresse Nozomi mais comme il avait parlé de lui, elle se sentait un peu obligée de faire de même, comme pour lui rendre la politesse.

-Moi je suis née dans un monde très différent de celui-ci. Les dieux vivaient sur la terre des hommes et tout était au mieux. Un jour, notre propre monde, qui s'était écrasé sur celui des humains, s'est réveillé et à commencé à remonter dans le ciel. Nous avons abandonné les hommes pour retourner dans notre chez-nous. Je ne sais même plus combien de temps nous sommes resté sur notre monde, oubliant peu à peu ce qu'il y avait en bas. Et puis la terre où nous vivions s'est désagrégée. Comme par magie. Nous sommes tous retombé chez les humains et si nous nous les avions oublié, eux se souvenaient très bien de nous. Mais les choses avaient changées: certaines humains ne voulaient pas de nous et nous chassaient comme du gibier. Les petites escarmouches se transformèrent en une guerre ouverte. Les heures noires étaient arrivées pour nous, nous souffrions plus que les hommes car nous sommes moins...fertiles. Les plus jeunes sont mort les premiers puis ce furent ceux qui ne se cachaient pas assez et pour finir, les chasseurs sont allé jusqu'à nous chasser de nos demeures. Quand la nouvelle qu'un portail étrange s'était ouvert et donnait accès à un autre monde nous est parvenu, nous nous y sommes précipité. C'était notre dernière chance de salue. Mais on nous attendait et je suis la seule, à ma connaissance, à être passée. La seule car le portail s'est refermé, le miroir avait cessé de fonctionné.-

Le sourire qui avait illuminé les traits de la jeune femme s'était terni puis avait disparut pour faire place à un visage neutre, comme si la déesse avait été faite de marbre. Le ton de sa voix ne trahissait pas la douleur encore profonde qui était la sienne. Comme une plaie béante qui refusait de se refermer.

-Cela va faire presque 10 ans que je suis la gardienne de ces forêts. Elles ressemblent à celles de chez moi. La ville est pire encore que celles que je connaissaient. Les hommes d'ici me font peur. J'en voit certains chasser et je refuse de m'approcher. Je ne connais rien de ce monde mais si c'est pour apprendre qu'ici non plus les dieux ne sont pas les bienvenues, je préfère rester tapis dans les bois. Que tu fasses un rejet aux divinités est quelque peu rassurant pour moi: j'en venais à me demander s'il restait une goutte de sang divin dans mes veines.-

A plusieurs reprises déjà la jeune femme avait pensé à aller voir ailleurs mais les hommes l'effrayaient. Terriblement. Elle avait beau se dire qu'elle était plus puissante qu'eux, qu'ici bon nombre de créatures étaient acceptées, elle revoyait sans cesse les mêmes images et finissait toujours par fuir. Elle qui avait été si courageuse et si déterminée, elle se sentait comme une souris acculée par un chat et n'osait plus rien. Le cri d'un seigneur des ténèbres au moment d'une embuscade lui revenait toujours en tête "Ils sont trop nombreux et trop plein de haine." . Elle était seule et ils étaient des milliers, armés de nouvelles technologies auxquelles elle ne connaissait rien. Elle ne voulait pas mourir et laisser son sang et son savoir se perdre dans l'oublie des limbes. Elle voulait vivre, c'était une pulsion plus forte que n'importe quelle autre. La pulsion des proies. Mais elle n'y pouvait rien, c'était comme une vague en elle qui la rejetait sans cesse contre les rochers. Elle se faisait pitié elle même. Mais tout cela, jamais elle ne le dirait. Il valait mieux que son hôte la pense lâche depuis toujours, c'était moins humiliant à ses yeux.
Son égarement n'avait duré qu'une seconde et de but en blanc, elle demanda pour combler le vide:

- Que fais-tu dans l'Entre-Monde ? Tu occupes un certain poste ? Tu voyage beaucoup ?-

-Je comprends pourquoi tu es triste.

Il ne savait pas quoi dire d'autre. La tristesse des autres n'était pas son fort, il ne savait ni consoler ni réconforter. Son esprit était froid et rationnel, il pesait le pour et le contre, et dans cette situation, elle était en vie alors pourquoi s'en faire. Elle s'en remettra. La mort des autres, on s'en remet toujours, car même s'ils font partit de notre famille ils n'en restent pas moins des êtres extérieurs à notre conscience. Ainsi pensait-il qu'elle vivrait si elle en avait encore l'envie. La force ? C'est une autre histoire. Elle s'était plutôt bien débrouillée jusqu'à maintenant.
Il sourit. Il sourit à son propre étonnement. Pour un peu, il s'inquièterait pour elle. Pourtant, il ne la connaissait pas, ou très peu, ce n'était rien de plus qu'une nouvelle rencontre, un nouveau visage dont il aurait du mal à se souvenir le nom dans quelques semaines. Il en aurait laissé tomber sa brochette s'il n'avait pas eu assez faim pour éviter de pourrir son bout de viande. Il perdit le sourire et l'observa un instant médusé.

-Tu m'as déjà posé cette question, tu sais ?

Il rit doucement, son visage mélancolique ayant choisi de partager un moment de quiétude plutôt que son attitude détachée qui faisait de lui le moins populaire des hommes de Souen. Enfin, c'est ce que Kaze se plaisait à lui répéter sans cesse.
"Cesse donc de serrer les dents, Nozomi !"
Il détacha l'un des piques en bois du feu et la lança vers la déesse en ayant pris la précaution de la prévenir de son geste.

-Mange, je n'aime pas être seul à dîner.

C'est totalement faux. La solitude ne l'a jamais dérangé au contraire. Il appréciait le calme qu'apportait l'absence d'autres êtres conscient. Il en venait à espérer se retrouver au beau milieu d'un glacier quand Riku débarquait et allumait la radio aussi fort que possible afin de faire hurler un ou deux groupes de musique totalement imbuvable. Puis il continua de manger en silence. Même s'il commençait à aimer sa discussion avec la déesse, il se doutait qu'il ne comprenait pas comment elle fonctionnait. Il avait déjà fait l'erreur une fois de se croire assez malin pour l'avoir cernée sans y être réellement arrivé, il évitera de répéter sa bêtise une seconde fois.

-Tu n'as vraiment jamais cherché à découvrir la ville ? Là bas les dieux y sont des êtres comme tous les autres. S'il y a un monde où tout le monde a le droit de vivre à égalité avec n'importe quelle autre race, c'est bien ici. Tu pourrais quitter cete forêt et voir ce qu'il y a au delà. Mais tu as peut-être trop peur pour ça.

Ama eu une mine étonnée.

-Ah bon ? Ah peut-être...Excuses-moi.-

Ca commençait à être inquiétant si elle ne se souvenait même plus de ce qu'elle disait.
Mais heureusement, ça avait plus l'air de le faire rire que de l'agacer alors elle resta détendue. Il avait un visage très doux au regard quand il souriait, c'était agréable. Attrapant la broche au passage, la jeune femme ne dit rien. Elle n'avait pas faim. Pas faim du tout. L'odeur de la viande lui chatouillait le nez et c'était dans ces moments qu'elle se rendait compte à quel point le flaire d'un canidé était développé par rapport à celui d'un humain. Elle Regarda Nozomi manger, indécise, regarda son morceau de viande, le feu, Nozomi. Elle ne savait pas si elle devait faire confiance à son estomac qui lui disait qu'elle n'avait pas besoin de manger ou à son sens de la politesse qui lui intimait de manger, ne serait-ce que pour répondre à la demande qu'on lui avait faite. Se décidant enfin, elle porta la broche à sa bouche, prit une bouchée. Une sensation désagréable, un mélange d'écœurement et de répulsion totale s'empara d'elle. Elle n'en laissa rien paraître et avala son morceau mais reposa la viande sur une pierre un peu à l'écart du foyer. Elle ne pouvait pas manger ce soir. Son hôte l'ignorait mais elle s'était goinfrée dans la matinée d'un cerf qu'elle avait réussi à abattre. Quand on est loup, on apprend à faire des réserves, au cas où. Par contre, pendant 2 ou 3 jours, impossible de manger. Ce n'était certes pas des manière très civilisées mais depuis quand une louve doit elle se soucier de comment elle doit manger ?
Ama fut contente que Nozomi reprenne la parole. Pour quelqu'un à l'air renfermé, il était plutôt bavard finalement. La déesse ne s'en plaignait pas, le ton calme et la voix posée du jeune homme était très apaisant.

-Oui j'ai peur. Je n'ai pas de soutiens, pas d'amis, pas d'appuis et cette peur viscéral qui refuse de me quitter. Et je ne sais pas quoi faire pour m'en débarrasser. Mais au-delà de ça, être en ville est une torture. Déjà avant c'était désagréable mais je crois qu'avec ma retraite ça a empiré. Et je crois que la ville de l'Entre-Monde est aussi beaucoup plus grande. Si tu veux, c'est comme un bourdonnement permanent, une migraine atroce et une oppression. Comme un grand poids sur le coeur qui me fait suffoquer. Et il y a tellement de monde...Et pas un coin tranquille. Quand on a pas de guide pour vous apprendre ou de distraction pour faire fi des nuisances, impossible de faire plus d'un kilomètre en ville. Alors forcement, c'est dur de visiter dans ces conditions.-

Elle posa un regard brûlant sur Nozomi. Il ne pouvait surement pas comprendre puisque elle même ne comprenait pas. Mais c'était à chaque fois une grande douleur et une grande angoisse. On lui avait parlé d'agoraphobie. Pourtant elle n'était pas certaine que ce soit de la même nature. Petite, son père lui avait dit qu'il s'agissait peut-être du fait qu'elle abrite un esprit animal. Le loup se réveillait et paniquait dans un environnement qu'elle ne connaissait pas et il prenait le pas sur le reste. Ama s'en était tenue à cette explication.

-Pour toi, ville ou campagne, peu importe. Pour moi, la ville c'est la mort de la vie végétale, la douleur du bruit et des odeurs et le sentiment permanent du danger. Je ne sais pas quel danger mais ça hurle au fond -elle serra le poing contre son coeur - et c'est un appel que je ne peux ignorer. Comme tu ne peux ignorer cette envie de me fuir.-

C'était un handicap, elle en était pleinement consciente mais elle devait vivre avec. Elle pouvait, avant, aller en ville une journée voir deux. Dans une ville de taille moyenne. Mais ici, impossible. Oui, elle se coupait du monde, oui elle baissait les bras mais sans aide, elle ne pouvait pas. C'était comme s'auto-planter une épine dans le milieu du dos. Elle ne pouvait pas, même si elle le voulait.
Poussant un soupir, agacée contre elle même et toutes ses tares, elle leva la tête vers le ciel. La nuit s'était installée et les étoiles brillaient déjà. Reprenant son masque de neutralité parfaite, elle parla pour elle même.

- J'aurais aimé être une déesse des ténèbres. Certaines savent lire les étoiles et comprendre leur voix lointaine. Moi je ne peux qu'entendre un murmure sans nom.-

Un regard pour elle qui semblait si paniquée. Car c'était l'impression qu'elle donnait. Il essaya de sourire encore un peu, de lui communiquer le calme dans lequel il baignait depuis toujours mais ses lèvres restaient figées. Petit on se demandait s'il n'avait pas des soucis pour contrôler les muscles de son visage, à l'évidence, non, il s'en sortait comme un chef c'était son caractère qui faisait obstacle. Nozomi était une statue capable de se mouvoir, c'est l'impression qu'il donnait les soirées d'hiver. Comme s'il avait été pris dans la glace.
Et puis il leva les yeux au ciel. Un tic nerveux conditionné par l'instinct humain et les habitudes sociales. Il regardait les étoiles parce qu'elle lui en parlait. Peut-être une petite pointe de crainte l'avait poussé à regarder cette tapisseries qui recouvrait leur côté du monde. Résultat il regardait les étoiles sens les voir, comme il aurait regardé une télévision éteinte ou un tableau sans expression.

Son menton s'affaissa et ses yeux observèrent la jeune femme. Il ne cillait pas plus qu'auparavant et ne semblait pas le moins du monde troublé de la dévisager si soudainement.

-Tu n'es jamais allée à Northrives ?

Plus une affirmation qu'une question en fait. Il pensait logique que si elle parlait pollution elle n'avait jamais vu ni Ciel, ni les fumerolles ni Northrives. Et Cerclon ne pollue pas non plus, mais une déesse de la nature dans un écrin métallique n'était pas une bonne idée.

-Le quartier est traversé de canaux et des bras de rivières on s'y déplace en gondoles. Et les rues sont jonchées de maisons cohabitant avec une végétation luxuriante. L'endroit est paisible hormis les jours de fêtes et l'humidité est propisce aux développement d'une flore riche, peut-être que tu t'y plairais.

Il avait lancé ça comme on trouve la solution à un problème simple. Il ne concevait pas qu'on veuille vivre reclu, il ne concevait pas qu'on veuille s'éloigner d'un endroit pour une raison autre que le "danger", la "nécessité impérieuse". Bref il pensait comme un humain sans scrupule et rationnel jusqu'au bout des ongles.

La déesse avait posé son regard sur Nozomi. Pour un humain, il était étrange. Peut-être les titans étaient-ils de pierre pour rester ainsi figer ? Ama se contentait d'arborer un air neutre simplement parce qu'on lui avait appris à le faire comme on apprend à se tenir bien à table. Ca ne l'empêchait pas d'avoir des expressions. Mais lui, il ne bougeait presque pas. Y compris quand il parlait, il se dégageait de lui une impression d'impassibilité total. C'était étrange mais apaisant aussi.

-Non, je n'y suis jamais allé. Peut-être que je m'y plairais... Mais il faut travailler pour avoir de l'argent pour pouvoir vivre en ville. Et ça je ne peux pas le faire. Je ne suis pas née pour travailler, je suis née pour être, aussi bête que cela puisse paraître. J'irai pour le tourisme.-

Elle se leva alors, son long vêtement bruissant au passage. Une esquisse de sourire se dessina sur le profil de son visage à la peau pâle.

-Les hommes ont le travail dans le sang, désoeuvrés ils sombrent dans la folie. Moi c'est de travailler qui me rend folle. Obligations, horaires, soumission à un chef... En plus ce n'est même pas agréable.-

La jeune femme s'étira alors, les paumes tendues vers le ciel, le dos arqué avant de se relâcher dans un soupir. Etre assise à parler, c'était fatiguant en fin de compte. Mais elle se sentait bien. Mis à part le constat fait de sa situation pathétique. Elle se retourna vers Nozomi, un sourire résigné aux lèvres.

-Je ne pourrais jamais vivre en ville et je ne le souhaite pas. J'ai une demeure ici, bien plus vaste que ce que tu pourrais imaginer. En plus, j'ai l'immense satisfaction de l'avoir construite moi-même. Mais j'avoue que tu as piqué au vif ma curiosité avec ton histoire de ville-nature. J'essaierai d'y aller bientôt. Peut-être que ça fera sauter ce carcan dont je te parlais. En tout cas, ça à l'air plus accueillant que ce que j'ai vu pour l'instant.- elle croisa les bras, faisant disparaître ses mains gracieuses dans ses longues manches.- Ce qui est le plus gênant dans ma situation, c'est le manque de contact. Vive seule, dans la forêt, ce n'est pas nouveau. Mais la solitude totale, ne parler à personne, ne voir personne...Ca c'est de plus en plus insupportable.-

Northrives. Peut-être que la clé était là. Peut-être que l'Entre-Monde lui offrait une alternative entre la ville et la campagne. Peut-être...
Un hurlement se fit entendre, discret mais très reconnaissable. Un loup, quelque part, appelait. Ama savait même lequel c'était. L'alpha de la meute du coin lançait le début de la chasse. Plusieurs autres appels retentirent dans la nuit, en réponse, avant de laisser place au silence. L'intervention avait fait sourire Ama. Un sourire serein. Elle aurait tout le temps de repenser à tout ça un autre jour. Elle avait besoin de bouger à présent.

-Une promenade nocturne, tu serais contre ?-

Elle regarda le jeune homme avec un sourire amusé en pensant que les moeurs humains pouvaient voir en cette demande quelque chose comme de la drague. Parfois, elle n'arrivait pas à saisir quelle était la différence qui permettait de voir où se trouvait la demande simple de la demande ambigüe. Compliqués ces humains. Mais tout à fait fascinants.

Il abandonna les restes du lapin mort et ramassait de la terre pour éteindre le feu. L'humidité de la nuit aidant, le feu agonisa quelques instant avant que la terre ne vienne à bout des dernières braises. Il observa la fumée âcre de terre cuite lui monter au nez et détourna le regard. Son sourire avait disparu. Et sur son visage impassible l'obscurité nouvelle semblait creuser des rides.

-Travailler est à la portée de tous.

Il pensait continuer à discuter sur ce sujet, mais se tu. Avançant jusqu'à la déesse, il lui était reconnaissant du dîner, après tout le chemin jusqu'en ville lui prendrait sûrement toute la nuit mais maintenant que son estomac avait de quoi supporter la marche il ne serait plus gêner par cette idée. Une direction au hasard ou devait-il la suivre ? Sans réponse, il choisi de la suivre. Elle ne l'avait pas conduite dans la gueule du loup jusque là, enfin, pas tout à fait. Il oublia de sourire et reprit leur conversation à peine refroidit d'un instant d'oubli.

-Tu es restée dans cette forêt plus de dix ans. Tu n'es jamais allée dans les villages qui fleurissent dedans ? Ou dans d'autres ville moins denses que Entre-Monde ?

Ouvrant grand les yeux, il cessa une seconde sa marche et portant son poing à ses lèvres toussa légèrement. Il détourna le regard et chassa de la main le reste de ses questions.

-Laisse. Je pose trop de questions.

Il serra les dents, ses investigations n'étaient pas toujours bien accueillies encore moins l'insistance qu'il pouvait mettre dans ses interrogatoires.

-Je peux te faire visiter Northrives, en passant par la porte du Nord on serait immédiatement dans le quartier.

Et il repensa à cet amalgame qu'elle faisait entre ceux qui travaillent et la hiérarchie qui s'impose. Il était sous les ordres d'un maitre qui faisait à peine la moitié de sa taille, mais faisait plus de dégât que lui et Kaze réunis. Etait-il soumit ? Non. La réponse sonnait évidente à ses oreilles. Il n'effectuait pas de tâche ingrate, même si le sale boulot était souvent pour la pomme des hommes de mains, ils conservaient leur libre arbitre. Même Kaze pas créatif pour un sous faisait preuve d'initiative et d'esprit constructif lorsqu'ils partaient en mission. Alors l'autre question qui lui vint à l'esprit fut : Travailler est-ce se soumettre ? Non.
Gardant le silence, il se perdait dans ses idées allant d'une logique à une autre, cherchant à définir une notion qui n'a pas de véritable limite, qui n'est ni noire ni blanche et qui semblait à des années lumières de toute interprétation cartésienne.