Le bruissement d'une feuille [pv Ama]

Le travail ne manque pas, mais voir des corps à longueur de journée avait rendu Kaze irritable au possible, il n'en pouvait plus de travailler dans les sous-sol à déblayer. Les prières de ceux qui espéraient encore des survivants ne nous atteignaient guère plus depuis des jours entiers. Aujourd'hui nous pensions à nettoyer, en finir. Des bulldozers et des foreuses venues de Tern nous avaient rapidement remplacées, aujourd'hui était une journée vide. Riku loin et Kaze passant son temps à râler contre la télévision ou la radio ou contre le journal avait eu raison de mes nerfs. J'étais parti pour une durée indéterminée. J'avais passé un village accolé à la ville et en était ressorti dans une immense zone de plaine verdoyantes. Des arbres bordaient le contrebas, et un sentier entretenu me conduisait toujours plus loin des remparts.

Le soleil sur ma nuque, j'avais depuis longtemps fermé les yeux. Pour entendre. Un lièvre s'échappant à ma vue, des hirondelles passant loin au dessus de moi. Le bruissement lointain des arbres. La ville n'avait pas ce miracle en elle.
L'après-midi était déjà bien avancée, il faisait une chaleur suffocante. Adossé à un arbre, j'avais abandonné mon tee-shirt, un genou levé et l'autre jambe étendue, j'avais vissé les morceaux qui composaient ma flûte. L'argent de la traversière avait ce reflet cru sous la lumière du jour. Portant l'ouverture à mes lèvres, je commençais à jouer.

Je ne saurais dire si cette mélodie était triste ou heureuse. Je n'y fais plus attention. Mes yeux se posent sur quelques gouttes d'eau qui tremblaient dans le vide, suspendues entre deux notes, elles attendaient peut être un ordre.
Si concentré que les sons extérieurs ne me parvenaient plus. Une brindille se brisa, j'abandonnais mon instrument et me torturait le cou pour voir dans mon dos, à l'ombre des arbres, ce qui avait pu causer un tel bruit.

-Montre-toi.

Ama se promenait tranquillement, comme à son habitude. Elle surveillait que tout allait bien dans sa forêt. Bien que n'ayant aucun droit sur les lieux, elle y était chez elle et se faisait un devoir de les protéger. Elle se déplaçait sous sa forme lupine, tout de même plus pratique que sous sa forme humaine. de plus, elle pouvait percevoir son environnement avec beaucoup plus de subtilité. La louve se déplaçait donc en silence entre les rayons de soleil qui trouaient la voûte forestière.
C'était une journée superbe mais le beau temps n'arrivait pas à rendre Ama plus heureuse que cela. C'était malheureux mais depuis son arrivée elle ne se sentait jamais le coeur en fête et peu de choses la réjouissait. Elle restait d'humeur égale presque tout le temps, indifférente aux choses autres que sa forêt. Elle n'avait plus que cela et y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Aussi, tant que rien ne venait perturber le calme des sous-bois, tout était pour le mieux.

La louve blanche s'était aventurée près de l'orée. La chaleur l'attirait malgré tout et un bain de soleil pouvait être agréable. Sans pour autant se dévoiler, l'animal s'était allongé dans une flaque de lumière et se laissait chauffer doucement. Ses tatouages vermeils ressortaient sur le blanc immaculé de sa fourrure. La déesse était bien, l'esprit en paix.
C'est alors qu'un léger courant d'air lui apporta la rumeur d'une mélodie. Intriguée, la louve se leva sans bruit et tout en longeant l'orée de la forêt, chercha la source de la musique. Elle ne tarda pas à le trouver. Un jeune homme qui jouait de la flûte, assis par terre. La mélodie était interessante. Ama se prit à vouloir l'écouter avec ses oreilles humaines. Les contours de la louve se troublèrent et une jeune femme en kimono blanc apparut. Elle s'avança pour mieux écouter. Malheureusement, elle en oublia la prudence et se fit repérer. Se maudissant pour son étourderie, elle pesa le pour et le contre: si elle se montrait, elle allait peut-être s'attirer des ennuis. Mais si elle se cachait, elle manquerait peut-être une occasion de connaître quelqu'un de bien. Après tout, quelqu'un qui joue de la musique ne peut pas être entièrement mauvais. La jeune femme sortit alors de l'ombre des arbres.
Elle se tenait droite, le visage neutre, parcourut par ses tatouages rouges. Ses longs cheveux blanc cascadaient sur ses épaules et le long de son dos et le large col du kimono laissait voir le début des marques qu'elle portait sur les épaules. Elle s'inclina légèrement sans quitter l'inconnu des yeux. D'un voix calme elle s'expliqua:

-J'ai entendu de la musique alors par curiosité je suis venu voir. Je ne voulais pas vous déranger. Je m'en vais.-

Et avec un second salut, elle fit demi-tour vers la forêt, un petit pincement au coeur. Incapable d'entamer une conversation, sa réaction avait été de se retirer sans plus en dire. Elle venait de manquer sa chance...

Une femme. Mon visage était neutre de tout expression, et mon coeur était soulagé. La journée n'était pas propice aux batailles et l'adrénaline qui s'était peu à peu déversée dans mon sang refluait, se consumait. Levant les yeux vers elle, entre l'ombre des arbres et la lumière vive de cette après midi, elle miroitait légèrement dans son kimono blanc. Qui porte encore ce genre de vêtements ? Je n'en avais pas vu depuis longtemps.

-Il n'y a pas de mal.

Portant la flûte à mes lèvres, j'allais de nouveau jouer, sans chercher à savoir si cette femme était partie ou restée. Normalement, la musique m'éloigne de mon environnement, c'est une atmosphère nouvelle, une bulle fermée. J'y entends l'écho de ma propre voix jusqu'à ce que les bruits extérieur viennent la faire retomber comme un souffler.
Ma main retombe, le flûte glisse sur ma cuisse et rebondit mollement sur le manteau d'herbe et de mousse. Mes lèvres s'entre-ouvrir, je voulais dire quelque chose, mais rien ne sortait. Je ne doutais pas, j'étais surpris. M'appuyant sur l'arbre, je sautais sur mes pieds et l'interpellait avant qu'elle ne disparaisse de mon champs de vision.

-Savez-vous...

Je serrais les dents.

-Savez-vous jouer d'un instrument ?

Cette question, je l'avais déjà posé à Kaze. C'était il y a vraiment longtemps. Nous étions jeune, chez eux, leur piano servait de décoration, quand j'ouvris la planche de bois qui couvrait les touches d'ivoires il vécu réellement sous mon regard. J'ai joué, instinctivement la musique qui me venait en tête. Mes nouveaux frères de l'époque s'étaient alors rassemblés autour de moi, assis à demi sur le banc du pianiste et ils fixaient mes mains qui allaient et venaient sur les rectangles un coup blanc un coup noir. Riku retenait son souffle, comme s'il n'avait jamais vu une telle habileté et Kaze en était muet de surprise.
"Et toi, tu sais jouer ?" Kaze avait secoué vivement la tête et Riku avait sourit pour me répondre. Kaze n'aura jamais su jouer autre chose que de la gâchette et Riku préférait m'écouter que de toucher lui même l'instrument. J'avais un public assez large pour mes petites épaules.

Je n'attendis pas la réponse, je m'adossais une nouvelle fois à l'arbre, ma flûte dans les mains. Elle n'était plus et depuis longtemps un véritable instrument. la lame circulaire interne en était une première preuve enfin, pour la soulever il fallait de l'habitude ou des muscles entrainé. Elle était lourde, excessivement lourde et à son extrémité pendait une fine chaine de titane. Je l'avais faite non pas pour en jouer, mais pour qu'elle me serve dans mon métier. Le flûtiste... Ce surnom ne signifie plus rien aujourd'hui.

La déesse s'arrêta net en s'entendant interpellée. Ca ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps d'avoir une conversation avec quelqu'un, juste comme ça. Laissant un silence s'installer avant que la mélodie ne reprène, la jeune femme prit le temps de sourire. Elle avait peut-être une chance de ne pas finir hermite finalement...
Revenant sur ses pas, elle s'accroupit elle aussi contre l'arbre et laissa aller sa tête contre le tronc. Elle pouvait sentir le battement lent de la sève dans le bois. Cet arbre était en pleine forme, ça faisait plaisir.

-Non, je ne sais jouer de rien. Mais j'aime la musique. Elle adoucit les bêtes.-

Un sourire un brin amusé se déssina sur le visage de la jeune femme. Il ne l'avait pas vu sous sa forme de louve, il ne pouvait pas vraiment saisir l'auto- clin d'oeil qu'elle se faisait. La déesse écouta la mélopée encore quelques instants. Ca ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait connu. Petite on l'avait obligée à apprendre à jouer d'un instrument. On lui avait collé une sorte de mandoline entre les mains et bon grés mal grés, elle avait du apprendre. Mais une fois sa majorité arrivée, elle avait abandonné l'instrument. Non pas qu'elle n'aimait pas en jouer ou qu'elle ne sache pas, mais se sentir contrainte la rendait malade et elle préférait se priver de ce plaisir que de poursuivre dans les fers qu'on lui avait posé. Il devait lui rester quelque chose mais depuis le temps, toutes ses connaissances s'étaient surement envolées.

-Je n'ai pas l'occasion d'entendre souvent la musique des hommes. Mais normalement, vous aimez la partager entre vous je crois...Pourquoi venir jouer dans un endroit aussi vide ? Il n'y a que les arbres et le ciel pour entendre.-

Aux yeux de la jeune femme, c'était déjà beaucoup mais peut de monde saisissait l'intérêt de jouer "dans le vide". C'était peu gratifiant de ne pas avoir d'applaudissement ou de public.

Partager ? La musique des hommes n'en n'était pas, je n'avais pas grand chose d'humain et ma musique n'était pas vraiment de la musique. Si je devais la définir je ne pourrais pas dire que je souhaite créer une mélodie, il me suffit de poser mes lèvres sur la flûte et l'air s'échappe avant que je n'y pense. Je ne lui confère pas de sentiment volontaire, alors non, je crois qu'il ne s'agit pas vraiment de musique.

L'instrument s'échappa de mes mains et retomba dans l'herbe avec un bruit sourd, bien trop pour un tel objet. Son poids eut raison de son apparence. Elle brillait d'un éclat feutré l'ombre de l'arbre, réfléchissant en déformé le tronc et les branches, les feuilles qui se balançaient au dessus et laissaient trainer sur mes épaules quelques rayons de lumière.

-Les arbres et le ciel me suffisent.

Le silence. Je le laissais trainer en longueur. Je l'écoutais plus que je ne le sentais. Pourtant, c'est ridicule, écouter le silence c'est comme attraper du vide, ça n'a pas de sens. Ça n'a jamais aucun intérêt et ne sert jamais à rien. Je m'agace moi-même, alors je ferme les yeux et j'attends quelques secondes.

Elle semble avoir envie de parler, d'échanger. Alors peut-être que parler c'est comme une musique, qui peut être tantôt douce et agréable, tantôt puissante et agressive. Je souris, sans m'en rendre compte. Riku déteint sur moi.

-Je n'ai pas l'habitude de parler.

Je suppose qu'elle l'entend parfaitement. Je soupire et mes épaules retombent légèrement, mon dos s'accroche au tronc d'arbre. En cet instant, un observateur extérieur me verrait sûrement comme un homme tranquille qui se détend sous le soleil. Mes yeux s'attardent sur elle. Elle est belle. c'est une jolie femme avec quelques attributs qui l'empêche de se fondre dans la foule. Les cheveux blancs sont monnaie courante mais les tatouages...

-Que représentent-ils ? Je levais une main pour lui désigner les marques rouges.

Ama sourit. Quelqu'un qui n'avait pas l'habitude de parler, c'était très bien pour commencer. Elle même devait se forcer à sortir de son mutisme pour mettre plusieurs phrases bout à bout. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas tenue de conversation avec quelqu'un...Mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle même au fond.
La question l'étonna. On ne lui faisait généralement aucune remarque sur ses marques. Elles faisaient partie intégrante de la jeune femme et celle-ci les avait oubliée, comme on oublis qu'on a des oreilles. Elle passa un doigt au coin de son oeil et pu retracer la ligne rouge de mémoire. Elle les connaissait trop bien.

-Le cycle perpétuel.-

Amateratsu se souvenait très bien du jour où elle s'était elle-même dessinée ses tatouages sans même savoir qu'elle les garderait à vie. Elle était alors très jeune, une enfant, mais elle avait entendu parler de cette spirale parfaite et éternelle que l'on retrouvait partout. Les dieux de l'air la voyaient dans les nuages, les dieux de l'eau dans les remous de l'océan, ceux de la pierre la voyaient inscrite dans les roches enciennes et les dieux des plantes les trouvaient dans le noeux des arbres. Les hommes l'arboraient sans même s'en rendre compte: il suffit pourtant de regarder la pulpue de son doigt pour la voir. Cette spirale sans début ni fin.

-L'on croit à tort que le cercle est la marque de l'infini. Mais une fois le cercle fermé, le chemin recommence toujours le même trajet. Or jamais rien n'est semblable. C'est pourquoi la spirale est l'image de l'éternel...-

La déesse avait portée, sans s'en rendre compte, une main à son épaule. Sous le tissu, elle le savait, se cachaient d'autres lignes rouges. Le même symbole sur son front et sur chacune de ses épaules. Et pour le contour de ses yeux, une imitation du masque de certains animaux et des spirales plus petites.

-Et ta flûte ? Quel est son secret ?-

Ama n'était pas bête: un instrument aussi petit et aussi lourd, ce n'était pas courant et pas très normal. Il devait donc y avoir quelque chose à raconter sur cet étrange instrument. Avec un doux sourire, elle prit la flûte entre ses mains agiles. Le métal était froid et pesait dans sa paume. La déesse détailla l'objet un moment avant de le reposer là où il était une minute auparavant.

Une spirale... Mes yeux tombèrent sur mon instrument. Ses mains étaient plus fortes qu'elles ne le supposaient. Soulever cet instrument nécessitait la dextérité de l'habitude sont poids étant cinq à six fois plus élevé que la normale. J'eus un léger sourire quand je récupérais l'objet et le brisait en deux. J'en tirais la lame circulaire qui ne me quittait jamais, dans l'autre main, le corps de la flûte lesté et sa fine chaine de titane.

-Je n'ai pas de secret, je travaille pour Souen et voici mon arme. Enfin, une partie.

Je fixais le tube de leste, je rangeais la lame et ma flûte était de nouveau reconstituée. Je portait l'ouïe à mes lèvres et soufflait légèrement dans l'instrument. Il fallut quelques instants de musique avant que mon pouvoir ne se déclenche réellement. L'eau environnante se rassembla en petites gouttes suspendues dans l'air. Elles n'avaient reçu encore aucun ordre aussi les fis-je gonfler comme les bulles savonneuses qu'un enfant soufflerait.
La musique se tût et les bulles s'envolèrent happées par un coup de vent.

-Allons marcher, si la musique apaise, le bruit que nous faisons va attirer les prédateurs forestiers.

Je me levais et époussetait mon pantalon de toute la poussière qui s'y était accumulée. Mon instrument retrouva son étui à ma ceinture, comme un revolver que je rengainerais.
Le vent se levait patiemment, les faibles courants d'airs qui avaient réchauffés l'après midi se transformait en bourrasque miniatures. Plaquant ma chemise sur ma peau, il était frais, annonciateur de la venue du soir.

Ama ne s'étonna pas outre mesure de voir la flûte se transformer en arme. Il y avait des objets bien plus étranges même si celui-là était assez sournois dans son genre. Puis l'instrument reprit sa forme initiale et la déesse ferma les yeux pour apprécier les notes qui en sortaient. Elle ne les réouvrit que quand une sensation froide et humide émana de sa joue. Elle découvrit alors que des gouttes d'eau étaient en susprention autour d'eux. Ainsi donc, cette flûte était aussi un instrument de magie ? Et bien, elle n'était pas tombée sur n'importe qui visiblement.
Emerveillée par le spéctacle, elle regarda les gouttes enfler jusqu'àà devenir des bulles brillantes que la brise emporta. Le soleil faisait scintiller ces ballons transparents. La jeune femme s'était laissée allée à sourire franchement, les yeux brillant de surprise comme une enfant devant son sapin de noël. Elle prit à peine conscience que la musique s'était arrêtée. Quand le musicien se leva, elle redescendit sur terre brutalement et se racla la gorge pour se donner contenance. Elle se sentait ridicule.
D'un mouvement souple elle se releva et suivit l'inconnu. Un sourire en coin apparût sur son visage quand il évoqua les bêtes sauvages. Elle en faisait partie et cela faisait un moment que tous les prédateurs des bois environnants avaient appris à s'éloigner d'elle. Il fallait dire qu'elle était tout même bien plus dangereuse qu'un ours ou une meute de vrais loups.

-Tu as un nom par lequel je puisse t'appeller ?-

La déesse n'aimait pas nommer les choses par ce qu'elle sont quand elle pouvait les nommer par qui elle sont. Un arbre est un arbre mais il peut être tremble, chêne, genévrier ou sapin. Il était important de faire la différence. Elle n'allait pas appeller "homme" son interlocuteur, c'était ridicule. Et le "Toi" lui semblait assez grossier.
Le vent écarta de son visage ses longs cheveux et dénuda par là même son cou et ses épaules. Un frisson courut le long de sa peau blanche mais elle n'en laissa rien paraitre. Elle ne savait pas vers où elle suivait le jeune homme mais peu importait. Elle connaissait les environs et ne pouvat pas se perdre.

J'hésitais à répondre franchement. Kaze me demandait tout le temps d'être prudent quand je sortais seul et n'importe où. Me voir revenir couvert de sang, de boue et d'autres déchets plus ou moins toxique l'avait convaincue de jouer les mère poule à défaut d'avoir une femme à la maison pour le faire. Je le comprenais un peu, entre moi et Riku, il avait de quoi se faire du mouron... Le charmant rôle du frère aîné.

-Nozomi.

Ma voix était grave et j'avais le souffle un peu court. Me remettre à marcher, me lever trop vite, et je pensais à trop de choses évidemment. À croire que je m'inquiétais plus pour eux que eux pour moi.
Je ne me rendis pas de suite compte que j'en oubliais de lui demander à mon tour son nom. Si on me le demandait, j'hausserais les épaules et je dirais qu'il ne me sert à rien de le savoir. Mais il le faut quand même. Par respect avant tout et car pour la majorité des créatures, le nom est synonyme d'existence. Ne pas être nommé signifie ne pas exister, la preuve, on nomme vide ce qui n'existe pas, ce qui n'apparait pas.

-Et toi ?

Je tentais un regard. Et je finis par détourner les yeux sur le paysage. Je ne savais pas quoi dire d'autre pour meubler le silence. Et ce silence me plaisait bien. J'avançais sans savoir où j'allais, car d'une manière ou d'une autre je retrouverais forcément mon chemin.
Finalement, j'eus une idée.

-D'où viens-tu ?

J'aurais parié qu'elle n'était pas humaine, mais je n'étais pas porté sur le jeu et puis... Qui sait si je ne me trompais pas. Plutôt que de lui demander vulgaire ce qu'elle était, je préférais savoir d'où elle venait. Elle me semblait trop âgée pour être née ici. Là encore, j'avais des chances de me tromper.

Ama aquiessa comme si elle s'attendait à la réponse. Elle donnait l'impression de savoir mais c'était surtout un tic. Elle aquiessait à beaucoup de choses. Ca lui permettait de répondre, donc de ne pas parraitre impolie, mais de clore éventuellement une conversation. C'était devenu une habitude. Elle approuvait ce qu'on lui disait, même si on ne lui demandait pas son accord. Ca pouvait sembler stupide ou prétentieux mais elle ne se rendait même pas compte qu'elle répondait.
La question sur son prénom la fit revenir à la réalité. On ne lui avait pas demandé cela depuis assez longtemps et elle se demandait même si elle se rappellait de comment elle s'appellait. Bien sur, difficile d'oublier les surnoms tous plus farfelus les uns que les autres qu'on lui avait donné au temps où elle était chez elle. Mais son prénom, c'était autre chose. C'était à elle, ses fidèles ne le connaissaient pas vraiment ou l'oubliaient assez vite.

-Amateratsu.-

La déesse tourna son regard vers le soleil qui descendait. Ce serait bientôt l'heure des loups. Ce serait une bonne idée de se mêler à la chasse cette nuit. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vu la meute du coin. Il faisait assez peu de ravages dans les fermes, le gibiers étant abondant dans cette partie de la forêt. Il faudrait forcer un peu le barrage, l'Alpha n'était pas toujours conciliant, mais elle avait toujours reussi à s'incruster.
D'où elle venait ? La question fit s'effacer l'ébauche de sourire qu'elle avait. Un voile sembla obscurcir son regard et elle se mit à regarder par terre, comme soucieuse de ses pieds.

-Pas d'ici.-

Ca voulait tout dire. Dire son amertume du passé perdu, son angoisse de la solitude présente et sa lassitude de l'éternité future. Un quotidien morne et fade, régulier comme le rythme d'un tambour et d'un ennui effrayant. Des promenades en solitaire qui duraient depuis des années et des endroits connus sur le bout des doigts et qu'elle ne se sentait pourtant pas le coeur à quitter. La peur, il fallait l'avouer, de ce monde qu'elle ne connaissait pas vraiment et qu'elle ne voulait pas vraiment connaître. Le vide profond du silence qui l'avalait désormais au point qu'elle aille parler avec le premier des inconnu. Sa vie était devenu une page grise sans relief où les doutes et les angoisses les plus absurdes pouvaient naître.
Ama avait sentit les gazs de la ville sur son compagnon de promenade. Il devait vivre dans la grande ville, derrière les remparts. Ca lui rappellait quelqu'un. Ama n'était rentrée qu'une seule fois en ville et elle en gardait un atroce souvenir. Elle n'aimait pas ça, trop de bruit, trop de gens, trop d'odeurs.

-Tu vis à Tern? Ca doit être fatiguant.-

Puis une question étrange lui vint en tête.

-Quel âge as-tu ?-

C'était abrupt mais tout à coup, ça l'interessait. Peut être parce qu'elle pensait à son propre âge et à ce qui l'attendait encore.