Re: Besoin de discuter [Pv Genichi Rei]

Si je n'avais pas pour habitude d'afficher un visage impassible j'aurai presque pu avoir un mouvement de recul en entendant la réponse de mon interlocuteur. Une fidélité inébranlable? un dévouement absolu? Seule la mort pouvant défaire ce lien? Ces mots résonnaient étrangement comme celui d'un fanatique. Accepter une telle offre serait revenir un pas en arrière, même si l'homme en question n'avait rien à avoir avec le Styx.

« Vous ne demandez rien de moins que ma vie en somme... »

Un bien grand prix à vrai dire. Je n'avais pas perdu une partie de celle-ci pour finir dans les griffes d'une autre personne qui ne verrait en moi rien de plus qu'un outil. Je ne rechignais pas à dévouer ma vie pour servir quelqu'un, non, mais retomber dans le statut de poupée avait de quoi me rebuter.

« Mais c'est une bien grande demande, j'ai un peu l'impression d'apparaitre comme un outil ou un objet dans ces conditions... »

Je n'aimais pas vraiment parier ma vie sur un jet de dés, j'avais beau être un assassin, je connaissais malgré tout le concept de loyauté et l'offrir à un homme tel que lui revenait à le servir pour l'éternité.

« Il faudrait déjà que je vous connaisse un peu mieux et savoir ce que vous cherchez à obtenir avant de pouvoir répondre à une telle demande. Je veux certes vous proposer mes services, mais si je dois vous assurer une loyauté sans faille, il faut que je sache avant tout quel est l'homme auquel je devrai dévouer ma vie. »

Un moment de silence pour y réfléchir, la demande du maître paraissait démesurée. On ne vendait pas sa vie sans connaître la personne à qui on l'a confiait.

« Je n'ai pas quitté ma vie passée pour en retrouver une autre d'asservissement. Je veux bien proposer mes services, mais si ce n'est plus de manière ponctuelle alors cela requiert de connaître la personne avant de pouvoir décider de lui être dévoué à vie. »

Ce n'était ni un refus, ni une acceptation de ses demandes. Comment pourrais je me prononcer avec de telles conditions pour quelqu'un que je venais juste de rencontrer?

D’un geste de la main, Fredric écarta un mot en particulier prononcé par le tchen.
Asservissement.

Comme un insecte.

Ryner le prenait pour une version officielle et légale du Styx ?
Son regard se fit un peu plus intense, et surtout ne s’éloigna pas de Ryner.

N’avez-vous jamais eu le sentiment de vous retrouver au croisement de vos vies ?

Demeurer l’assassin qu’il était, se faire traquer pour divers meurtres dont il se ferait un plaisir de le charger. Les assassins efficaces étaient en général connu dans Magna. Leurs signatures l’étaient également. Celle de Ryner… Charger un peu plus les dossiers que la justice avait pour lui, ça passerait sans problème.
Sinon il arriverait peut-être à disparaitre, aux yeux du Styx, aux yeux de la loi. Changer de nom, de métiers, tout du moins de méthodes. Tout perdre, tout recommencer à zéro.
Il y avait aussi se débarrasser des crimes dont on l’accusait pour s’innocenter.
Ou se trouver un protecteur, une nouvelle vie.

Je ne cherche pas un pantin.
Mais une personne capable d’avoir aveuglement confiance en moi.
Quelqu’un capable de choisir de vivre en prenant un risque.

Pour le coup il ne mentait même pas : un serviteur n’avait rien à voir avec un pantin.
Le pantin était régi par les ordres de ficelle, incapable de se soustraire à l’autorité.
Le serviteur l’était par choix, capable d’émotions à l’égard de son maître.

Regardez au fond de mes yeux Ryner.
On dit que l’âme des hommes s’y trouve…

Lui savait que dans ses yeux bleus, les milliers d’électrons libres de ses existences passées fourmillaient. L’intensité de son savoir et la tension de ses convictions. La puissance de son âme qu’il avait voulue immortel.
Il acheva dans un murmure.

La servitude n’est rien comparée à cet avenir que vous entrevoyez.

Au vu de la réaction de Fredric je pu deviner qu'il tiqua sur le mot asservissement comme je l'avais prévu. Selon lui il y avait une différence notable entre ce qu'il me proposait et cette notion d'asservissement que j'avais voulu volontairement forte pour voir ce qu'il me répondrait.

« Oui tout repose sur ça, la confiance. »

Je comprenais parfaitement que je me tenais à un croisement de ma vie. J'étais venu dans le but de rencontrer Ez et au final je me retrouvais à devoir faire le choix de servir ou non un maître du miroir que je venais tout juste de rencontrer. J'avais le choix, refuser et conserver cette liberté qui pourrait m'être volée par la justice ou la mort, ou bien servir cet homme tout en sachant qu'il était impossible de savoir où pourrait me mener une telle décision.

« Vous êtes habile avec les mots et même si asservir et servir n'ont pas le même sens, vous me demandez une confiance aveugle comme vous me le faites remarquer. »

Puis je levais mon regard pour le plonger dans le sien, intrigué par ces yeux qui reflétait un long vécu. Était-il un dieu ou un être immortel ayant vécu milles aventures? Je ne le savais pas, mais ce regard avait de quoi troubler. Pas étonnant que l'homme face à moi cherchait à dominer par le discours.

« Je suis prêt à accepter votre offre, même si je ne promets pas de vous accorder une confiance aveugle dès maintenant. Après tout, l'expression dit bien que c'est quelque chose qui ne se donne pas mais s'acquiert... »

J'étais intrigué par cet homme à l'air mystérieux, étrangement excité par sa proposition et je voulais savoir jusqu'où pourrait m'amener à servir une personnalité telle que lui. C'est pour cela que je voulais être le plus honnête possible avec lui, j'aurais pu très bien lui dire que je lui accorderai cette confiance aveugle qu'il souhaitait, mais cela aurait été mentir. Je ne lui promettais pas qu'il l'ait dès maintenant mais il n'aurait pas été étonnant qu'elle vienne avec le temps. Puis il devait se douter que je n'étais pas homme à remettre en question les décisions de ceux pour qui je travaillais.

Un sourire lointain éclipsa toute forme d’émotion autre sur le visage de Fredric.
Habile avec les mots… En fait n’importe qui avec quelques mots de vocabulaires pouvait se révéler habile. Même les crétins les plus obscurs pouvaient tenir des discours convainquant. Il n’y avait qu’à utiliser les bons mots, sur le bon ton. L’habileté n’avait pas grand-chose à voir. Il suffisait d’avoir du charisme et des facilités d’expression.

Enfin ça n’était pas important.
Ce qui comptait c’était…
Ca.

J’accepte votre offre.

Vous avez une éternité pour me faire confiance.

Du moins aussi longtemps qu’il vivrait. Or il avait bien l’intention de devenir immortel…
Il observa un instant le jeune homme. Aucun d’entre eux n’aurait à regretter ces quelques mots échangés…

Cependant… Prenez quelques jours pour y réfléchir.
Et venez me retrouver à Touen lorsque vous serez décidé.

Une chance de changer d’avis, de revenir sur sa décision.
Non pas qu’il espérait que Ryner revienne sur sa décision, loin de là-même.
Mais il fallait… Que le tchen puisse évaluer les choses calmement et à tête reposée. Pour qu’à l’avenir, il se souvienne qu’il n’avait pas été manipulé par des mots. Qu’il s’était décidé après y avoir réellement réfléchi.
Que tout du long, et de même qu’il en serait pour tout le restant de sa vie, il avait conservé son libre arbitre.

L'éternité... C'était bien ça le problème, ce n'était pas un engagement à prendre à la légère. Je lui aurai bien demandé si j'avais le droit à une période d'essai ou à un délai de rétractation comme pour un contrat de travail, mais je doutais franchement qu'il apprécie ce genre de question ressemblant à du mauvais humour.

« Oui je pense que réfléchir à tout ça n'est pas une mauvaise idée. »

Je m'approchais ensuite de l'homme qui allait sûrement, peut être? Devenir mon futur maître. Milles réflexions se bousculaient dans mon esprit mais je les chassai rapidement. Le moment n'était plus opportun pour s'encombrer l'esprit, j'allais avoir quelques jours devant moi pour réfléchir à tout ça, alors il était inutile d'y penser dès maintenant.

« La discussion touche à sa fin je suppose, où pourrais je vous trouver à Touen? »

Touen était un endroit assez grand, bien que je ne doutais pas pouvoir le retrouver ou le contacter, un lieu de rencontre paraissait toujours utile. Je lui tendis alors la main pour le saluer, un geste qui scellait presque déjà ce futur pacte entre un servant et son maître.

« Je ne vais pas vous importuner plus longtemps, je vous souhaite une bonne journée. »

Fredric marqua un temps d’arrêt, fixant l’approche du tchen d’un œil dépourvu de sentiments.
Il n’avait pas tellement les moyens de se fier à un type hésitant.
Or à l’évidence, Ryner hésitait…

C’aurait pu sembler normal, pour lui c’était une raison supplémentaire de se méfier du démon.
Un homme à tendance paranoïaque, rendu méfiant par ses expériences…
Un homme qui ne vivait pas, qui ne faisait que survivre.
Obnubilé par ça, trop pour pouvoir avoir la foi en quelque chose.

Au fond, lui aussi avait besoin de réfléchir.
L’âme de Ryner était bien trop sale et étriquée pour pouvoir se vouer entièrement et éternellement à quelqu’un. Il n’en ferait peut-être rien de bon… Il n’y trouverait peut-être aucun avantage. Rien d’autre qu’un boulet qu’il risquait d’avoir à traîner jusque dans sa Citadelle…

Le doute n’était pas un luxe qu’il pouvait se payer.

Où le trouver à Touen ?
Fredric posa son regard électrique sur la main tendue.
Doucement, ses yeux remontèrent jusqu’à ceux de l’assassin.
Murmure.

Il n’y a qu’un maître de Touen.

Il suffirait de le demander : n’importe qui pourrait renseigner Ryner.
Cette conversation, pour sa part, n’avait rien de secrète.
Une nouvelle visite de Ryner à Touen – sur son propre terrain – n’était en rien quelque chose à cacher.

Sa propre main serra celle du tchen.
Avec cette force qui se lisait dans ses yeux.

Quand il libéra Ryner, et du geste et du regard, il lui tourna le dos sans un mot de plus.
Peinant à se convaincre qu’un homme de main était préférable à la solitude.