[Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei

Dim 8 Mai - 15:24


Un rayon de soleil perça le voile de nuages qui drapait l’horizon depuis la veille, venant frapper les ombres des montagnes. Relief presque surnaturel, parsemés d’arbres verdoyants, de rocs pointés vers le ciel, tels les doigts de géants, baignant dans la claire rosée et la pâle lumière du matin. En cet endroit, le Brihm n’était encore qu’un ruisseau dévalant la roche, jeune et vif, dans lequel le brouillard qui léchait les racines des montagnes Sud de Grâce semblait se refléter. Dans ce silence, il n’y avait que le tintement de l’eau pour résonner, murmure d’un arbre à un autre, d’une pierre à sa voisine. Parfois, un léger bruissement faisait s’envoler quelques oiseaux, et l’on sentait la caresse d’une brise fraîche effleurer sa main. Un regard embrassait de longs bras de coton évasifs, comme des prisonniers voulant briser leurs chaînes et gagner le ciel.
Le Brihm taillait depuis des siècles son lit, plus profond chaque année. De part et d’autre du ravin, à la lisière de la barre montagneuse, ces doigts de géants, monolithes immenses, rassemblés en de fantaisistes bouquets tachetés d’arbres aux couleurs jeunes et vives du printemps. Noyés en leur base par la brume, pointant à travers elle comme des îlots dérivant sur les nuages. Isolés, déserts, presque un autre monde au sein des terres.

Sur la pointe de l’un d’eux, un champignon suspect sortait de terre, craché par le sol, ou posé par une main humaine. Un petit pavillon de pierre dépourvu de mur. Un plancher d’un bois rougeâtre, usé par les éléments mais fidèlement là, foulé depuis des décennies sans faiblir. En ses quatre coins, des piliers de pierre, forts simples, monolithes, soutenaient la voute cambrée vers le sol, la toiture d’ardoise pointée vers le ciel. On s’y rendait par un chemin sinueux et raide, qui souvent disparaissait contre quelques rochers, soutient d’arbres aux équilibres précaires. Le sentier se perdait dans la forêt Hourva, au nord de la chaîne de montagnes, puis traversait cette dernière, rejoignant péniblement la source du Brihm. De là, il ne fallait compter plus que sur son sens de l’orientation, à moins de descendre le ruisseau en barque. Mais il fallait encore parvenir à ne pas manquer l’endroit où le lit s’élargissait, laissant la place aux immenses piliers rocheux sortir de pierre. Il fallait parvenir, dans ce paysage éternellement brumeux, à rallier le chemin qui mènerait au pavillon.
Au seuil duquel se tendait une longue passerelle de bois et de cordes, défiant le vide cotonneux de ses trois cents mètres de longs. Balancée au gré des vents et des pluies, la lumière du soleil projetant son ombre fine sur le brouillard comme sur une épaisse couche de neige.

Elle provoquait les voyageurs épuisés par leur trajet, menaçait de ne pas les porter à destination. Une destination tout proche, et si loin. Dressée silencieusement vers le ciel, adossé à un monolithe plus haut de quelques mètres au premier. Deux tours, l’une au sommet, l’autre en contrebas, chapeautées de trois cônes d’ardoises évasés, portant au sommet d’une pointe des objets ovales aux gravures complexes. Un balcon ceignait la plus haute des tours. Celles-ci soudées par un bâtiment à demi confondu avec le monolithe, au tour sombre et incurvé, composé d’un seul étage bordé d’un passage couvert menant du pied de la haute tour au sommet de la basse.


[Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei Grres11



~ ~ ~


Dans les immenses pièces aux plafonds hauts, vides de tout objet ou meuble inutile, il avait marché longuement. Aussi bien que le duo de tours était coupé de trois niveaux distingues, le reste de la demeure n’était qu’une immense pièce au sol carrelé de tatamis. Une seule table, basse, débarrassée de tout objet, entouré juste de part et d’autre de deux coussins ronds. Un vide calme qui faisait du bien. Il en avait fait le tour, avant de gagner le passage couvert qui courrait le long du bâtiment, séparé de la pièce par de hauts et larges pans de bois que l’on pouvait glisser les uns sur les autres. Accoudé à la balustrade, il scrutait à présent le vertigineux brouillard qui s’étendait devant lui, distinguant par endroits les reliefs de la montagne. Il savourerait chaque expédition pour ce rendre ici, dans ce sanctuaire éloigné du monde et des autres êtres pensants. Trouver un transport pour gagner Verdi ou Vink, les deux villes les plus proches, ne serait nullement un souci. Par contre, la longue marche qui s’en suivrait… Ca ne serait pas compatible avec ses nouvelles fonctions. Néanmoins, il viendrait, car cet ici était chez lui.

    Comptes-tu réellement habiter ici ? Il n’y a rien.


Il demeura accoudé à la barrière qui le séparait d’une chute mortelle, sourit en apercevant, du coin de l’œil, la silhouette de Bonis gagner son côté gauche. Elle avait dit avoir besoin de vacances, d’où sa présence ici. A présent, elle regrettait Saïmiri, avait hâte de partir, de le laisser à sa retraite d’ermite. Elle avait émis ce sentiment en arrivant et, après une nuit de sommeil, comptait bien s’y tenir. Sans doute pour cette raison, et en dépit de l’heure matinale, elle se tenait déjà prête aux côtés du maître de Touen, vêtue, sous un long manteau de toile, d’une tunique longue d’un vert passé brodée de noir sur des braies d’un beige foncé. Une échappe d’un tissu épais, uniformément gris, s’entourait autour de son cou, une extrémité retombant dans son dos, derrière le lourd sac qu’elle portait. Un bâton de voyage à la main, nulle autre arme : c’aurait été aller à l’encontre de ses principes.
Attendant une réponse, elle frappa le sol de bois de sa canne. D’habitude, c’était sur le crâne de son camarade qu’elle l’usait, mais depuis qu’il était maître, elle n’osait plus. Elle aurait bien voulu connaître celui qui avait été assez fou pour le laisser accéder à un tel poste.
Après quelques secondes, il se supposa concerné par la question. Bonis avait une fâcheuse tendance à se perdre dans l’art du monologue, posant des questions pour créer les réponses. Cependant son présent silence laissait entendre que la réponse était supposée venir de lui. Il s’y soumit, peu contrariant.

    J’y compte bien. Toi-même, pars-tu déjà ?
    Excuse-moi, je suis indéniablement une citadine. Je te laisse ton décor de film d’horreur !


Avec bonne humeur, il laissa échapper un rire de plumes, avant de l’inviter de lui proposer son bras, qu’elle accepta, pour la conduire jusqu’à la grande tour. Gravissant les escaliers, elle critiqua la sobriété des lieux, l’absence de marques personnelles, l’absence de tout. Elle lui reprocha le côté inaccessible, s’interrogea sur son refus de vivre dans la respublica qui était la sienne. Affirma qu’elle s’appliquerait à prendre de ses nouvelles, et qu’il avait intérêt, quant à lui, à en donner.
Sur le seuil du petit domaine, elle osa l’embrasser sur les deux joues, lui arracha la promesse d’être sage. Il osa lui rappeler qu’il avait vingt sept ans, et plus l’âge d’être materné.

Et au premier pied que l’humaine posa sur la passerelle, Rei avait disparu, et son atypique de manoir semblait tout rendu à son sommeil perdu.
Fredric S. Rei
Fredric S. Rei

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Bonislava,
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Re: [Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei

Jeu 8 Déc - 18:19


A son habitude, la brume dissimulait la vallée. Et de part sa position, la maison aux allures de monastère asiatique semblait tout juste posée au dessus, flottant entre le drap voluptueux de la brume et le bleu vif du ciel. La matinée avait cette fraîcheur humide qu’on ne trouvait nulle part ailleurs.

Dans la plus grande pièce de la maison, les pans de bois séparant de la coursive qui la longeait avaient tous été tirés, offrant une vue imprenable, pleine de silence et d’espace invisible. L’imprévu donnait une saisissante impression : celle que l’on allait y tomber, que l’immensité, à nos pieds, allaient s’approcher d’un pas pour nous projeter là d’où l’on ne pourrait jamais revenir.
Et dans cette grande pièce vide aux allures de dojô, au sol tapi de tatamis, rien de plus qu’une table basse d’un bois sombre et chaud. Un simple natte.
Un homme.

Vëtu d’un léger pantalon de lin, blanc cassé, d’un débardeur blanc. Nu pieds.
Rei.

Il avait dormi d’un profond sommeil. Trop.
Sans rêve, sans cauchemar. Lui, totalement dévoué à Touen et son quartier, avait délaissé ses fonctions, abandonné temporairement ses devoir à Qeroy. Non sans dégoût. Non sans crainte.
Mais il ne pouvait pas… Il refusait d’aller au sanctuaire.
Plusieurs heures durant, il avait craché du sang.
Avant de faire mander Bronis. Elle n’était pas chirurgien, mais en connaissait un au sanctuaire qui accepterait … Qui avait accepté de le soigner, ici, chez lui. Il avait réparé son poumon blessé, retiré et remis en place les éclats de côtes, grâce à une pâte réparatrice des parties osseuses. Pâte de son invention. Le guérisseur avait promis de ne pas en parler au sanctuaire, de passer sous silence cette visite. Et s’il s’en était allé, Bronislava avait exigé de lui tenir compagnie.

A condition qu’elle ne trouble pas sa paisible retraite, il avait accepté. Et alors qu’il passait des heures à méditer, Bronis explorait la montagne, y découvrait quantités de plantes médicinales et créatures insolites. Il parlaient peu, voir pas. Elle surveillait ses blessures, changeait le bandage de ses côtes.
Parfois elle lui racontait des choses, rien de bien intéressant. D’autres fois, souvent, elle se taisait.

Assis en tailleur sur la natte, Rei respira profondément.
C’était fini. Il avait disparu, replié dans l’espace de sauvegarde où lui-même avait passé des siècles.
Des années d’histoire.

Il aurait pu ne rien faire. « Il » serait considéré comme disparu. Voilà tout…
Respirer. Profondément. Le bas ventre, le ventre, le sternum jusqu’aux épaules, jusqu’à la gorge. Du plus profond de lui-même, sentir l’air frais, l’air pur des montagnes de Grâce le remplir, envahir chaque parcelle de son être.
Fermer les yeux.
Il pouvait ne rien faire. Mais il ferait.
C’était son devoir, il le ferait.
Mais pas seul, ça non. Il en était bien incapable. Quitte à disparaitre… De toute façon il était temps de faire ce qui avait échoué au départ. Il était plus que temps…

Tout doucement, l’air s’échappa d’entre ses lèvres. Lentement, très lentement. Ses mains se posèrent sur ses cuisses. Le tissu, la toile de lin sous ses paumes, sous les bouts de ses doigts. Sous lui, la natte. Son débardeur contre sa peau. L’air autour de lui, sur son visage, ses bras nus. La douleur le lançant encore dans les côtes. Les odeurs. Humides de brouillard, tièdes du soleil naissant.
Sa respiration, de lente devint presque imperceptible.

Sous ses paupières closent, la nuit tomba.
Parsemée d’étoiles, sans lune. Un court d’eau se dessina, brillant de sombres diamants. Il sentit l’air tiède de la belle saison balayer ses cheveux. Les steppes s’étendaient loin autour d’eux, très loin. Au détour d’une colline, la lueur d’un feu se devinait. Quelques insectes chantaient entre les herbes, leur mélodie se liant à celle de l’eau.
Et laissant son regard courir autour de lui, il vit cette fine silhouette aux muscles durement taillés accroupie près du ruisseau. Penché en avant, ses cheveux, longs aux épaules et d’un noir incroyable, glissèrent dans son dos. Les étoiles se reflétaient sur les boucles d’argent qui cerclaient ses oreilles, arcades sourcilières, le bord de ses lèvres, donnant à l’extrême beauté de ce visage une armure sévère.
Il ne s’étonna pas de savoir ce que cachait ces traits superbes de marbre. Il savait quel homme dur et fort se trouvait derrière. Mieux que personne, il savait ce que valait Tanyth’.

    Tu me flattes maître d’armes. Mais ce que nous vallons ne compte pas.
    Seul ce que l’on fait importe.
    Le reste n’est qu’une vaste comédie.


Aucun sourire n’effleura Rei. Une tristesse brute heurta le gris de ses yeux.
Ca n’était qu’un souvenir. Aussi réaliste soit-il. Ce souvenir si vieux…
Quelques heures après la conversation qu’ils avaient eu ici, ils avaient lancé un raid contre un village, celui où vivait le conseiller du roi des elfes de la lune. Lui et sa famille. Un rire sans joie l’interpela, il releva les yeux sur l’elfe du soleil.

    La Guerre a cela d’inhumain que les familles les subissent.
    Tu en sais quelque chose.


Et c’était vrai.
Où avait été Brim ce soir-là ?
Tanyth’ et lui étaient pourtant inséparables.

    Pourtant ça n’est pas la guerre qui est inhumaine.
    Ce sont ceux qui la font.


L’elfe opina, son regard tranchant effleura la surface de l’eau. Ainsi à le regarder, Rei en vint à regretter cet elfe frigide et agressif, ce concentré de haine et de rage. Il aurait voulu savoir s’il était toujours vivant, toujours à mener ses hommes au combat. Comme pour tant d’autres, il aurait voulu savoir…

    Pourquoi es-tu là ?


Parce que comme tant d’autres, il se plaisait à le revoir, à lui parler. Au fond de lui-même, au fond de son esprit.

    Tu veux savoir si Eönwë Elambar est fils de Galdor ?


Rei attendit, avant de froncer les sourcils. De ce souvenir truqué où il parlait avec Tanyth’, il se souvint de Galdor. Il se souvint comme Tanyth’ lui avait sauté dessus, fou furieux, sa lame crachant des étincelles de haine à chaque fois qu’elle croisait celle de Galdor. Et le seigneur elfe de la lune avait perdu, d’un dague perfidement plantée dans le dos, à travers le poumon et jusqu’au cœur. Le rire froid, le faux rire de Tanyth’…

    Salaud, n’est-il pas ?


Et puis il y avait eu le gosse. Une quinzaine d’année. Un gamin blond. Il avait tenté d’utiliser son arc contre Tanyth’.

Il se souvenait. La façon dont il savait saisi le môme à la taille, la façon dont il l’avait désarmé. Tanyth’ avait ri. Fixant le gamin droit dans les yeux, il avait ouvert la poitrine de Galdor pour s’emparer de son cœur.
Puis était parti.

    Alors tu as posé l’enfant. Retiré ton manteau pour en couvrir le cadavre.
    Tu avais de la pitié pour tes ennemis.


Un manteau gris vert, sans aucun blason dessus. L’enfant agenouillé sur le sol, lui s’était approché du corps mutilé. La cage thoracique défoncée offrait aux yeux un écœurant spectacle. Il avait fixé les prunelles vides de vie. Pliant le genou aux côtés du vaincu, et d’un coin de son manteau, il avait essuyé le visage du mort de la sueur et la poussière qui formaient une mince pellicule sur ses traits éternellement figés. L’avait couvert de son manteau, masquant l’effroyable blessure.
Les familles subissent.
Les yeux pâles de Rei se posèrent sur Tanyth’, là, au bord de cette rivière. L’elfe s’était toujours vengé de tous les elfes de la lune. Sans faire aucune distinction. Sans aucune pitié. N’importe quel homme de ce peuple, à ses yeux, avait toujours mérité de payer. Sans pitié, parfois, souvent même, sous les regards des progénitures, il leur arrachait le cœur.

    Cœur qu’ils n’ont jamais mérité de leur vivant.


Face à lui, Tanyth. Debout, poings sur les hanches. Dans son regard brûlaient des flammes que l’elfe verrait jusqu’à la fin de ses jours. Celles-ci qui avaient dévoré sous ses yeux, le visage de Brim enfouie dans son épaule, les corps de leurs deux parents. Alors encore vivants.
Rei soutint le regard ambre de Tanyth. Il n’avait jamais eu peur de l’elfe. Ce dernier avait beau être un des meilleurs général de l’armée de son peuple, neveu de la reine, redouté à juste titre de tous, il ne l’avait jamais craint. Il avait toujours laissé Tanyth détourner les yeux le premier, il lui avait toujours dit en face le fond de sa pensée.

    Elambar ne t’a pas reconnu.


Il avait beau savoir que ça n’était qu’un souvenir, il était troublant de le voir, de l’entendre. Tout était si réaliste qu’en s’oubliant un instant, il aurait pu y croire.
Cependant ce Tanythendil auquel il parlait n’était rien de plus que le portrait d’un souvenir que son subconscient faisait parler. C’était une façon comme une autre de réfléchir. Toute chose en rapport avec Eönwë ressurgissait sous une certaine forme, alors qu’il y pensait indirectement.

Non, Elambar ne l’avait pas reconnu. Il n’aurait pas pu. L’enfant de quinze ans s’était heurté à un soldat en pourpoint de cuir sous un manteau gris vert, ne portant aucun blason. Ni celui des elfes du soleil, ni celui des elfes de la lune. Un soldat qui n’avait pas dit un mot, la tête serrée dans un heaume de fer simple et sans fioriture, dissimulant son visage jusqu’au menton et gardant la nuque dégagée. Le cou protégé…

    D’un col de fer en trois parties. Ô combien le forgeron t’avait-il maudit en faisant cette création.
    Tu ne le quittais jamais, maître d’armes.


Exact. Si jamais il n’avait porté d’armure, jamais il n’était parti en guerre sans son heaume et…

Dans la réalité de l’Entre-monde, son corps fut secoué d’un frisson.
Ses doigts se tendirent, un bref instant. Comme un tressautement.
Puis plus rien.

Les ombres de la nuit jouaient sur les traits de Tanyth. Ce soir-là, il avait eu ce geste. Il avait passé ses doigts le long de sa gorge, jusqu’à la clavicule. Un sourire avait dévoilé sa dentition parfaite, et son regard était demeuré dur comme de la pierre, froid comme une nuit d’hiver.

    Souviens-toi, tu avais accusé un bien mauvais coup ce jour-là.
    Les bords déchirés de ton col menaçaient de te trancher la gorge. Tu l’avais alors retiré…


Le col de fer était demeuré pendu à sa ceinture. Et le long de son cou dégagé, sous l’oreille gauche…
Le regard de Rei dessina silencieusement le tatouage de Tanyth. Lui aussi portait un tatouage dans le cou.

    Et l’enfant de Galdor Elambar l’a vu.


Il sortit si soudainement de sa méditation qu’un instant, la lumière du jour l’aveugla, et il nagea dans un nuage d’égarement. Les mots du souvenir de Tanythendil se bousculaient, semant le désordre dans ses pensées. Le visage de l’elfe s’estompa lentement de devant ses yeux, jusqu’à ce que même son regard d’ambre disparaisse. Essoufflé, il respira profondément. Ceci faisant, la douleur remonta dans ses côtes, et il grimaça, se pencha en avant.

Au cœur de la bataille, un elfe de la lune lui avait porté un méchant coup d’épée qui aurait du lui emporter la tête. Il n’avait que salement amoché son col, mais les bords de la déchirure s’enfonçaient dans sa chaire : il avait du l’enlever pour ne pas s’y blesser d’avantage.
Ses doigts entourèrent sa gorge, puis il enfouit son visage dans ses mains.
Sans qu’il n’y puisse rien, les larmes noyaient ses yeux clairs et ruisselaient sur ses joues.
Il avait pleuré chacun de ces jours où Tanythendil avait tué un de ces pères. Et encore longtemps après, ailleurs, dans d’autres mondes, il avait continué d’espérer… De croire que, pour peu qu’il y ait un Dieu au dessus de ces univers, il pourrait pardonner à Tanyth tout ce qu’il avait pu faire.
Il avait pleuré la désolation qui couvrait le cœur de l’elfe.
Il pleurait celle qui habitait aujourd’hui le sien, hanté par les fantômes de ses souvenirs.
Comme ceux de ses camarades sur Terre, de Mattéo, d’autre…
De l’enfant…

Et celui de Tanythendil.

Longuement, il resta prostré là, immobile. Lui que tout ce temps, toutes ces vies passées, n’avaient pas su altérer. Lui qui n’avait pas eu la parade de la folie pour s’éviter le calvaire de se souvenir.
Longuement il pleura ceux-là qu’il avait perdu sans savoir pourquoi, qu’il avait connu sans savoir pourquoi. Ces gens rencontrés sans le vouloir, sans aucun espoir de les revoir un jour. Eux à qui il s’était pourtant attaché… Qui lui avaient tous apporté quelque chose, de qui il avait tant appris. Se battre, survivre, penser, voir, résister… Tellement de choses qu’il leur devait… Tellement de souvenirs, de mains tendues à leurs façons, d’amitié qu’il ne pouvait pas oublié et dont il devait se passer… Ces gens qu’il ne savait mort ou vivant, dont il ne cesserait jamais de pleurer les absences… Autant d’amis que de places vides dans son cœur…

Ca n’était pas injuste, il le savait. Sa présence, sa prise de conscience, était une lamentable erreur. Ca n’aurait pas dû arriver. Tout était prévu pour qu’ « il » reste à l’abri de ces souvenirs, et qu’ « il » ne le soit plus ne s’expliquait que par une chose… « Il » était tombé en rade, parce que ce foutu emballage complètement déglingué ne pouvait plus permettre à personne de vivre. En tout cas pas à quelqu’un de si fragile sur le plan psychologique. L’ensemble instable, « le » préserver était devenu une priorité.
C’était là que lui intervenait. Pour préserver l’emballage, puisqu’ils avaient besoin d’un ensemble corps et âme.

Longuement, les larmes amères coulèrent aux creux de ses paumes, le long de ses poignets, parfois l’une d’elle parvenant à se glisser entre ses doigts. Longuement il sentit leur goût salé sur ses lèvres, et leur soubresaut secouer son corps, comme celui d’un enfant. Un long moment passa, durant lequel sa méditation ne fut plus qu’une intarissable rivière de larmes.

Son calme ne revint que petit à petit, au terme de plusieurs minutes, plusieurs heures.
Mais même sans plus pleurer, il demeura là où il était assis, recroquevillé sur lui-même.
Abattu, écrasé par le poids d’existences qui n’étaient qu’en partie les siennes. Il n’avait jamais réellement vécu toutes ces choses… Il les avait vécu sans jamais y être, pas autrement qu’indirectement.
Il pria le ciel de le laisser s’endormir, de ne plus le réveiller.
Il aurait voulu être…

Fin. Un couperet tomba sur ses pensées, un manteau sur ses épaules.
Il réalisa qu’il avait froid.

Lentement, ses mains dévoilèrent son visage, essuyèrent ses joues. Ses yeux, rougies d’avoir trop pleurés, se levèrent à peine de quelques millimètres, pour croiser le regard bronze de Bronis. Elle venait de s’asseoir en face de lui, de l’autre côté de la table basse
Vêtue plus que d’une tunique aux manches longues, Bronis se saisit du plaid sur lequel elle s’asseyait d’habitude, et s’enveloppa dedans. Rei dévora la salle du regard, comme sortant d’un mauvais rêve, encore étourdi d’images surréalistes. Les panneaux de bois avaient été remis en place, sauf un, à une extrémité de la pièce. Aucune lumière en dehors de celle de la lune, et d’une lampe posée sur la table basse, une lampe en papier rouge oranger où des silhouettes noirs tentaient de se saisir d’un papillon. A l’intérieur brûlait une petit lampe à huile qui dessinait un carré aux contours vagues au plafond, alors que des lueurs rougeoyantes éclairaient à peine les visages de Bronis et Rei.
Ce dernier, après avoir soigneusement détaillé les lieux, s’inquiéta de son amie, la dévisageant attentivement. Ici, elle était la seule amie qu’il avait, la seule personne à le connaître. Sans tout lui dire, elle savait qu’il portait un fardeau qui n’était pas vraiment le sien, qu’il avait vécu longtemps. Trop longtemps. Elle savait qu’en dépit de ses allures de jeune homme, il était âgé, plus qu’elle, plus que la plupart des personnes qu’elle connaissait. Bien sûr elle faisait mine de ne pas le croire quand il lui parlait de ses origines insolites. Mais comme il ne lui avait jamais menti, elle sentait au fond d’elle qu’il disait vrai. Elle ne se l’expliquait pas, elle n’imaginait pas un monde où une telle chose fût possible… Seulement s’il était là aujourd’hui et qu’il le disait, elle ne pouvait qu’y croire.
Rei n’aurait pas menti sur quelque chose d’aussi bête.
Ni sur quoique ce soit d’autre.

Le regard du maître de Touen dériva sur la lampe en papier, se perdit dans cette veine chasse au papillon. Il sentait les yeux métalliques de Bronis sur lui, sans oser les fixer. Finalement, ce fut elle qui prit la parole, sans doute désireuse de le tirer de son mutisme.

    La méditation est censée apporter calme et sérénité.


Il n’osa aborder le sujet de…
Il ne lui avait jamais parlé de tous ces gens, ces lieux, ces existences.
Que dire de cet impérieux elfe aux cheveux de jais et au regard sombre ? Comment lui raconter, Tanythendil et Brimhuir, les frères qu’ils étaient, les chefs qu’ils étaient, combien différents ils avaient été…

    Qu’est-ce qui trouble tes pensées Rei ?


Il ferma les yeux, et un soupire épuisé passa ses lèvres. Il n’avait rien fait de la journée, ou si peu… Et il était épuisé. La moindre minute de sommeil le harcelait de fantômes, dormir était un calvaire. S’il n’y avait eu que lui, il serait sans arrêt resté éveillé.
Son regard gris filtra entre ses cils.
Il croisa le regard inébranlable de Bronis.
Elle attendait une réponse.
Plusieurs secondes s’écoulèrent, jusqu’à ce que dans les yeux de la guérisseuse passe cet éclat mordoré qui ne signifiait rien de bon. Alors seulement il se décida. Non pas par peur, mais parce qu’il savait qu’elle méritait sa confiance. Elle méritait aussi de savoir une part de vérité.
Et ce qui troublait ses pensées…

    Il y a quelqu’un que je dois sauver…


Alors doucement, il raconta.
Bronis était son amie, la seule qu’il avait dans tout l’Entre-monde. L’autre s’était fait quelques vagues connaissances, sans plus. La réalité était qu’il n’y avait que la guérisseuse. C’était elle qui était là aujourd’hui, qui avait été là la veille, et les jours précédents. Elle l’avait soigné, sans poser de question. Elle avait pris soin de lui jusqu’à ce qu’il aille mieux, elle était restée avec lui.
Là encore, elle se souciait de savoir ce qui le tourmentait depuis…
Depuis qu’ils se connaissaient.
Il raconta. Tout. En commençant par la fin…
Il y a quelqu’un que je dois sauver.

A la fin, au dernier mot, il réalisa qu’il n’avait plus qu’une chose à faire avant d’aller le sauver.
Il réalisa qu’ici, tout s’arrêtait pour lui. Sa chance d’exister, d’être.
Les choses rentreraient dans l’ordre.
Du moins dans l’ordre qu’Ils avaient décidé.
Et que lui, sans réelle existence, n’avait qu’à suivre.
Fredric S. Rei
Fredric S. Rei

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Donjion.


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Re: [Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei

Dim 21 Oct - 14:41


    Tu aurais pu au moins choisir un endroit desservi par les transports !
    Bon sang, ça…


Le maître de Touen osa espérer que la vue de la grande demeure en équilibre sur les épines rocheuses ferait taire Vind. Le donjion, vêtu convenablement d’un pantalon de toile rude et d’un t-shirt kaki, n’avait cessé de râlé depuis qu’ils avaient quitté Verdi. D’après Vind, il avait passé les trois quart de sa vie à traîner dans l’Entre-monde comme un errant. La moindre des attentions, à son avis, aurait été de lui fournir une monture pour qu’il n’ait plus jamais à marcher.
Fredric avait répondu en riant que c’était soit la monture, soit les armes.
Il n’était pas plein aux as, et s’il devait déjà entièrement équiper Vind en armes, il n’aurait plus un pims pour acheter une monture. Le donjion avait fait mine de réfléchir, avant de céder au Sire qu’on ne pouvait après tout pas tout voir.

Il n’en avait pas moins renâclé pendant tout le trajet.
Aussi épuisant que cela soit, Fredric l’avait laissé faire.
Après tout, Vind descendait de ceux qui avaient eu pour rôle de l’attendre. Il lui avait rendu son épée, et la certitude que les siens ne l’avaient pas oublié. Il avait, d’une certaine façon, une dette envers le donjion. Même si ce dernier estimait que ce service était peu de chose, comparé à l’existence entière que le Sire vouait aux siens.
Fredric avait vécu dans trop d’endroits différents, avait rencontré trop de personnes, avait vu trop de choses pour voir encore ainsi. Il avait choisi sa façon de vivre, ses frères et ses sœurs ne lui devaient rien. Il avait choisi de ne jamais mourir pour revenir plus fort qu’il ne l’aurait jamais été en demeurant dans l’Entre-monde.

    Sire, comment as-tu déniché cet endroit ?
    Je l’ai racheté.


Il se tourna vers Vind : ce dernier retenait tant bien que mal son hilarité derrière un sourire moqueur.
Le donjion poursuivit, sarcastique.

    A des moines ?


Fredric haussa les épaules, glissa la grosse clé de bronze dans la serrure et la fit tourner.

Vind explora les lieux pendant tout l’après-midi, choisit sa chambre.
En début de soirée, il retrouva Fredric dans la plus grande pièce du domaine, toujours aussi vide. Les tamis au sol étaient toujours les mêmes. La même table basse, la même natte. La même lampe au papier rouge orangé.
La lumière étirait sur le sol et les murs les noirs silhouettes d’inconnus chassant un papillon.
Lumière tamisée.

Le donjion prit place en face du Sire, assis l’un comme l’autre en tailleur. Attentivement, il dévisagea l’homme qu’il voyait. Il semblait soudainement différent. Pourtant… Non, le visage était définitivement plus dur. Les cheveux mi-longs avaient adouci ses traits, un sourire lui avait apporté une sympathie naturelle.
Mais là…

Le regard acide de bleu et d’orage grésillait de détermination, d’une force ancienne.
Il avait rasé ses cheveux, si court… Les mèches d’un brun de velours n’étaient plus là pour apaiser son visage taillé dans du diamant. Le donjion sourit : l’attente de plusieurs siècles en avait valu la chandelle. Il était fier d’être le premier des siens à avoir trouvé leur Sire. Il était fier d’être l’une des pierres d’angle sur laquelle leur peuple allait pouvoir se bâtir, s’élever à nouveau.

Longuement, Vind hésita sous le regard scrutateur de Fredric.
Il se lança après que plusieurs minutes soient passées. Quand il eut la certitude que le Sire ne parlerait pas en premier.

    Les choses vont changer alors ?


Un sourire.
Un tendre sourire qui n’étonna pas le donjion : ce sourire que Fredric n’aurait jamais pour qui que ce soit d’autre qu’un des siens. Vind sentit son cœur se gonfler d’adoration. La victoire était si loin d’eux… Et en même temps il se sentait invincible pour cet homme-là venu de si loin.

    Elles ont déjà commencé à changer.


Il s’étira de tout son long.
Wergeld et sa bande de ballots étaient partis pour la Zone Inconnue.
Bientôt la Faille de soufflante ne serait plus un obstacle. Quand ils l’auraient passé, quand il aurait la certitude qu’elle ne soit plus un obstacle… A son tour il gagnerait la Zone Inconnue. Il n’avait jamais cessé d’espérer qu’un tel jour arrive…

Et si jusque là les Sideris avaient pu étouffer les frères et sœurs de la Silnà, au point de les croire tous morts… De part son retour il se ferait une joie de leur rappeler leur existence. Les siens existaient encore à travers le monde. Il les retrouverait. Il regagnerait sa Citadelle…

    La curiosité des gens de l’Entre-Monde causera leur perte.
    Bientôt nous pourrons retrouver les nôtres.

    Les dieux ignorent-ils… ?


Le sourire de Fredric se fit plus sombre.
Ô combien il les détestait…
Ô combien leur ferait-il regretté de l’avoir cru mort.
Ils s’étaient crus tous puissants, ils avaient cru avoir écrasé la Silnà sous leur talon.
Il leur cracherait au visage sa vie qui depuis le début n’avait jamais cessé de brûler.

    Ils se croient forts.
    Ils le sont.


Le Sire aurait voulu se lever, faire les cents pas pour ne pas y penser. Bien sûr qu’ils étaient forts… Sans ça il n’aurait pas eu à se donner tant de mal. Mais la victoire n’en serait que plus délicieuse…
Il s’étira avec précaution, étira sa jambe blessée.

Suite à sa rencontre dans Tern avec ce type avide de sang, il n’avait pas été au Sanctuaire des Braves. Il avait été trouvé Bronis qui l’avait soigné comme elle avait pu. Ca n’était pas franchement du luxe… Et marcher pour venir jusqu’ici avait rafraîchi la douleur dans sa jambe.
Une grimace lui échappa.
Un soupire.

    Fais-moi confiance.
    Je sais déjà comment nous venger d’eux.
    Mais avant toute chose il faut retrouver le garçon.


Nouveau soupire.
Son regard, jusque là voguant sur les ombres, se fixa sur Vind.

    Le moindre mouvement de ma part risque d’attirer l’attention.
    Il va falloir que tu le trouves pour moi…


Vind fronça les sourcils.
Hésita une fois encore, puis interrogea.

    Ne peut-on pas se passer de lui ?


Un sourire.
Un sourire lointain, déterminé.
Un mystère.

    On ne peut se passer de moi.


Vind médita cette réponse un bref instant.
Hocha la tête et rendit son sourire au Sire.

    Je trouverais l’enfant pour toi.


Fredric opina.
Ferma les yeux.
Méditer, se détacher du corps.
S’éloigner, toucher l’esprit de l’enfant…

Silencieusement, Vind se retira.

    *Ee’Zir…*

Fredric S. Rei
Fredric S. Rei

Masculin Suivi : Fiche - Carnet de bord

Titre : Noble

Race : Humain dieu-dragon, frère de la Silnà.
Notes :
[Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei Bonisi10
Bonislava,
humaine,
guérisseuse.

[Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei Qeroyi10
Qeroy,
Créature,
intendant.

[Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei Vindic10
Vind,
frère de la Silnà,
Donjion.


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Re: [Montagnes Sud de Grâce] Demeure - Genichi Rei


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