Les terres glacées où grandissent les reines

Ayame lâcha un lourd et profond soupir. Il me regardait sans trop savoir quoi répondre à une telle question. Puis, haussant les épaules en une imitation parfaitement calibrée de moi-même, il sourit au dessus de sa chope.

-Quinze ans que je le supporte, dix depuis qu'il est Maitre... Ça mérite bien un thé avec de l'alcool.

L'elfe ne s'étonnait plus de me voir trouver dans mon équipement toujours un petit quelque chose qui changeait. J'étais économe pour le voyage et pourtant j'arrivais à trouver le moyen de glisser une flasque dans une poche, quelques noix dans une autre. Les petits plaisirs qu'il ne refusait plus et dont je profitais de plus en plus avec l'âge.

-Au tout début, je pensais vraiment que tu démissionnerais ou que tu te ferais dévorer après quelques jours. Je n'en reviens pas que tu aies survécu si longtemps. Nous aurions dû venir serrer la pogne aux moutonphants plus tôt.

Sourires amusés, l'elfe me salua de sa chope autoremplissante, qu'il finit par me donner. L'alcool en temps normal est déconseillé par temps froid. S'il réchauffe au départ, il a tendance à refroidir le corps et à le déshydrater. Mais puisque nous étions là encore pour quelques heures, quelques gorgées de tafia ne pouvaient pas nous faire plus de mal que cette tempête.

L'elfe entreprit aussitôt de déclencher la carte holographique. Un premier point lumineux se confondait avec notre position, le deuxième s'y superposait -c'était l'émetteur secret d'Ayame que je n'ai toujours pas réussi à retrouver- et enfin des informations apparaissaient à la demande de ses mains agiles.

-Nous aurions dû vérifier la carte, les moutonphants sont signalés dans la zone depuis quelques jours déjà.

Je me contentais de boire mon thé sans piper mot. Je n'avais pas eu la bonne idée de vérifier les herbivores... Plus habitués à vérifier la présence des prédateurs que de leurs proies.

Il sourit de plus bel.

-Un petit village nomade au nord est, nous pourrions y être en quelques heures de marche.

-Dans ce cas je vous laisse y aller avec le cyliong. Je vais aller récupérer la magnétic. Si elle est hors de fonctionnement je file à la capitale chercher un autre véhicule et je vous rejoins. Sinon, je devrais pouvoir vous rattraper rapidement.

Je me tournais vers Leiline

-Si tu veux que je te ramène en ville, on peut faire ça aussi.

Une amitié de longue date donc, fascinante à observer. Leiline les compares presque à un vieux couple, elle s'en amuse. La discussion sur ce sujet est coupée court pour reprendre le cours de la mission. Peut-être a t-elle touché à un point un peu trop personnelle, elle se ravise donc de faire le moindre commentaire et de continuer sur cette voie.

Leiline observe la carte holographique, buvant de temps à autre sa chope de thé, se disant qu'il est peut-être temps à son tour de s'acheter un de ces petits bijoux de technologie. Son sens de l'orientation complètement anarchique lui en remerciera dans le future. Surtout si elle peut afficher toutes les villes et repérer même des créatures sauvages, pratique pour partir en chasse.

Son regard plongé dans sa boisson, elle ne lève le nez que lorsque Wergeld s'adresse à elle. Elle jette un dernier coup d’œil sur la carte avant de lui répondre.

- Un village nomade en plein milieu de la neige a le don d'attiser ma curiosité.

Elle finit le fond de sa chope avant de remarquer que celle-ci se remplit toute seule.

- Je pense suivre Ayame pour ce coup là, à moins que tu aies besoin d'aide pour retrouver la Magnetic.

Non pas qu'elle sous-estime les compétences et l'arsenal du Maître de Miroir, mais au vu des potentiels prédateurs qui peuvent rôder et aux Moutonphants qui ont décidés de se faire la belle, deux personnes en valent peut-être mieux qu'une.

Plus le temps passe dans l'igloo, plus la frimousse pourtant joyeuse de l'hybride émet des signes de fatigues. Le cumul de la balade contre le vent mordant et de l'alcool, très certainement. Sans s'en rendre compte, elle se plonge peu à dans ses songes.

Elle ouvre les yeux, difficilement. Du temps a passé depuis que ses paupières ont tombées. Des minutes ? Des heures ? Impossible de jauger. Seul les changements de places de certains éléments dans leur abri lui ont mit la puce à l'oreille. Oreille féline qui se tourne vers la couche protectrice de neige.

Le silence. Plus de bourrasque. Leiline espère du plus profond de son être que c'est l'annonce de fin de tempête.