Les terres glacées où grandissent les reines

Le temple accueillait trois aventuriers, un cyliong, un loup cybernétique et une rafale de vent à glacer le sang en même temps. L'odeur de la neige envahie mon corps, le froid me fit frissonner d'excitation ; nous y étions. Au coeur du royaume de l'hiver, notre équipée partirait à la rencontre des créatures les plus majestueuses des landes de glace.

Le froid avait également réveillé le cyliong. Conçu par la nature pour vivre dans cet environnement, l'animal agitait frénétiquement les oreilles et le museau pointé vers le ciel, savourait la chute des flocons de neige sur sa truffe. Je flattais son encolure, la main perdue dans sa crinière. Le lion gris émis un ronronnement lourd, puissant. Il était heureux lui aussi.

Juché sur ma monture, l'elfe se hissa à ma hauteur, montée sur la magnetic.

-J'ouvre la voie. Prenons la direction du lac ouest, nous pourrons suivre le vol des adultes à partir de là, dit-il sur le ton de la suggestion.

Je le connaissais assez bien pour savoir qu'il avait déjà choisi ce plan. Ne restait qu'à vérifier si notre épicière confirmait.

Du blanc à perte de vue. Des flocons qui tombent en abondance. Le temple de G’einmyra juste à côté d’eux et le froid grisant qui attaque ses oreilles félines si sensibles et le bout de sa queue malgré le pelage. Cette dernière peut se balader librement derrière Leiline, non obligée de rester bas à cause de sa garde-robe composée essentiellement de robes.

Alors c’est ça, le désert de glace ? Notre femme-chat en avait souvent entendu parler étant petite. Surtout pour être le coin de paradis des raies volantes. Malgré l’excitation de leur future découverte, elle a la boule au ventre, sa forte respiration dégageant à chaque souffle un gros nuage de buée.

Elle est une débutante face à l’expérience de Wergeld et d’Ayame et elle a peur de ne pas leur apporter plus d’aide qu’elle ne le pourrait. La seule chose qu’elle sait de ces créatures, c’est qu’elles vivent en ces terre glacées et qu’elles volent. C’est déjà un bon début, mais elle espère profiter de cette expédition pour mieux les étudier.

- Bien, va pour le lac ouest.

Elle ne peut que s’accorder avec l’elfe pour ce qui est du chemin à prendre. Magnetic ou Cyliong, le choix est très vite fait pour l’hybride, c’est la monture. Elle a l’habitude de monter ces gros lions lorsqu’elle s’adonne à des sessions de dressage avec toute la petite troupe de l'Épicerie.

Leiline veut profiter du paysage pendant le court voyage, mais difficile quand les flocons tombent à foison. La visibilité est médiocre et elle s'inquiète de comment Ayame s'en sort pour conduire sa moto dans de telles conditions météorologiques. Inconsciemment, elle ne se pose pas les mêmes questions pour l'animal connu pour être aveugle. Il est juste plus attentif aux sons.

Leiline aimerait en faire de même, mais ses oreilles trop sensibles ne supportent déjà plus le vent glacial et restent baissées en permanence. Elle se jure d'y trouver une solution à l'avenir …

Dans un moment calme où les flocons se font bien moins présents, l'hybride plisse des yeux, repérant un groupe, un troupeau peu plus loin. Elle fouille dans son bestiaire mentale. Un animal aussi gros et qui vit en troupeau dans les zone enneigées. Le seul animal qu'elle y trouve est le Moutonphant. Elle l’a souvent croisé dans ses livres mais jamais en face à face.

Dans le doute, elle interpelle Wergeld d'une tape amicale sur le bras en pointant du doigt sa découverte. Mieux vaut rester discret, dans le doute.

Je ne vois que les phares arrières de la magnétic, la neige tombe en couche épaisse, sur nous, le lion. Le froid crispe mes membres, je sens l'air du Grand Nord s'infiltrer sous ma peau. Ce royaume hostile nous ouvre les bras de la plus majestueuse des façons. La température n'est qu'une donnée tant il fait froid. Je me tourne vers Leiline, comprenant qu'elle ne devait pas avoir l'habitude de ce genre d'expédition.

-Tu dois être gelée avec ta doudoune. Prend la fourrure dans mes affaires derrière toi.

Je transmis l'un de mes écouteurs à la jeune femme avant de reprendre les rênes. Ainsi, elle pourrait nous écouter converser et participer au plan de voyage.

-Wu, la visibilité est quasiment nulle. Il faut s'arrêter le temps que la tempête passe.

-Attend, Aya. Leiline a vu quelque chose.

Nous avançons au pas, le vent levé hurlait à nos oreilles et Ayame me confirma mes craintes :

-Un troupeau de moutonphant sauvages.

A cette annonce, j'ordonnais à Ayame d'éteindre ses phares et de venir discrètement se positionner derrière le cyliong. A l'aveugle, le cyliong allait se faufiler entre les congères, espérant ne pas alerter les moutonphants. Car le Cyliong au vu de sa taille et de son régime alimentaire, à l'état sauvage devait être un prédateur naturel de cette espèce de mouton.

-Plus un bruit. On s'arrêtera quand le troupeau sera loin de nous.

Emmitouflée dans la fourrure - sous l’ordre bien avisé de son collègue plus expérimenté - Leiline tente tant bien que mal d’entendre le moindre son de la part des moutonphants. Mais difficile d’entendre quoi que ce soit quand le vent glacial siffle dans les oreilles et qu’il les gèle sur place.

Toujours silencieuse, elle observe les alentours, tournant la tête le plus lentement possible. De la seule masse difforme qu’elle puisse repérer au loin, les ruminants n’ont pas l’air de pouvoir partir. Ils sont sur leur territoir à son avis.

Le Cyliong semble calme et le trio est bien positionné, caché entre les congères. Difficile de les repérer tout de suite, à moins que les moutonphants aient une sacrée vue. Le coeur de l'hybride bat plus vite qu’à l’accoutumé. Elle le sent presque malgré la couche d’habit qui lui recouvre la poitrine.

Ce dernier fait alors un bon dans sa cage thoracique lorsqu’elle entend un bêlement long et rauque venant de derrière une congère proche. L’un des membre du troupeau se cachait derrière les grosses masses de neige, laissant enfin apparaître sa tête au yeux de nos explorateurs. Ne restant jamais seuls hors d’une troupe, un autre l’a accompagné pour son escapade, avançant lentement à ses côtés.

La féline se mord la lèvre inférieure et les bêlements reprennent de plus belle, alertant au loin tous les autres du groupe. À première vue, ils semblent se rapprocher. Leiline s’adresse à Wergeld, le plus calmement possible malgré le stresse qui commence à la prendre aux tripes.

- Il va falloir s’éloigner d’eux là …

HRP:

Le cyliong n'attendait pas que nous nous rendions compte de la situation pour s'élancer. Il avait un instinct de survie remarquablement bien développé. Contrairement au miens.
Ou bien le lion a appris à ne pas reproduire mes comportements à risque ?

Quoiqu'il en soit, le vent glacial devient tempête autour de nous. Il est le seul à savoir où il se trouve.Les moutonphants ne sont pas prêts à nous laisser fuir sans nous apprendre quelles sont les limites de leur territoire. Le lion bifurque vers l'ouest c'est bien tout ce que je vois, les mains refermées sur les rênes, courbé sur l'épaisse encolure.

Des aiguilles de glace fendaient le rempart de mon col de fourrure, piquaient ma peau. Une secousse, un moutonphant chargeait sur le flanc, le lion l'avait évité avec souplesse, mon coeur fit un bond et les yeux fermés je lui faisait entièrement confiance.
Un sifflement, un moutonphant beugla et s'effondra comme un tremblement de terre. Ayame dégageait la voie.
Mais qui surveillait ses arrières ?

Un rugissement, c'était la magnétic prenant les airs, bousculée par les cornes d'un mâle furieux. Cent mètres. Itxi. Ayame est téléporté jusqu'à nous. J'agrippe son bras et brutalement il termina à plat ventre derrière Leiline.

Même si le Cyliong se déplace et esquive avec brio, notre hybride ne comprend plus grand chose à l'espace autour d'elle, la tempête n'aidant en rien à se repérer.

Elle a beau tenter d'observer ce qu'il se passe autour ou derrière elle, elle ne peut que rester agrippée à K'ouen et de subir les caprices du temps et la colère justifié des habitants de ces plaines glacées. Elle ne peut qu’entendre les beuglements, la magnetic et le vent dans les oreilles.

Le coeur de la féline fait un bond lorsqu’Ayame arrive en trombe derrière elle. Qu'est ce qu'il vient de se passer ? Même si la situation lui échappe, elle a le bon réflexe de lui attraper le bras, le tenant fermement le temps qu'il retrouve un semblant d’équilibre. Le risque, c'est qu'elle-même le perd, cet équilibre. Même si la sécurité est leur priorité, la femme-chat se pose tout de même une question de fond.

- Tu crois qu'il y a moyen de récupérer la magnétic ?

Du peu de ce qu'elle voit autour, les masses noires s'éloignent déjà et les gémissement bovins se font moins audibles. Même les Moutonphants les plus proches du trio commencent à les laisser tranquille. Très certainement la fin de leur territoire.

Ayame se redresse, sonné mais souple comme un chat. A trois sur le cyliong, Mornir a du mal. Je le sens plus lourd, plus lent, moins habiles. Mais la force de la peur a pour effet de décupler les siennes. Il continue tout droit sans demander son reste, aussi loin que possible des Moutonphants furieux, dans la neige, le vent et les ténèbres de ses yeux éteints.

Il ralentit quelques minutes plus tard, depuis la magnétic, plus rien ne nous poursuit. Les bêtes nous ont laissé en paix, sachant qu'une course ne ferait que mettre en péril la cohésion du clan, réduire à l'état de proie les poursuivants trop téméraires pour s'aventurer loin de la solide protection de leur groupe.

L'elfe est le premier à descendre du cyliong. Je le suis et tous les deux nous regardons Mornir sans savoir quoi faire pour l'aider. L'adrénaline ayant fait son office, le cyliong s'est affaiblit, il s'allonge de tout son long, la tête sur les pattes et la tempête recouvrant patiemment son corps d'une couche de neige fine.

-Sarkina.

Il disparaît, à l'abri dans le titre magique. Le loup qui nous a accompagné jusqu'ici dresse les oreilles au dessus de sa tête, signe qu'il entend la tempête forcir. Il nous fallait nous abriter avant de finir ensevelit.
L'elfe se met au travail et avec mon aide, nous formons rapidement un dôme de neige compacte. Un presque igloo, un presque abri. J'invite Leiline à nous rejoindre dessous, la montre gousset posée entre nous, son bouclier nous protégera des intrus.

-J'irais chercher la magnétic, prenez du repos tous les deux. On repartira après la tempête.

Ayame utilisait les piquets de la tente pour consolider la structure de notre abris, s'assurant par la même occasion qu'il ne s'effondre pas sur les dormeurs à cause du surplus de neige.

Notre troupe se trouve hors de leur territoire mais le Cyliong fatigue rapidement. Dans un climat pareil, pas d'étonnement à avoir. Le pauvre animal dû être enfermé dans un Sarkina afin d'être en sécurité pour se reposer. Comme quoi, il y a un avantage à cette méthode peu orthodoxe …

La féline aide du mieux qu'elle peut le duo de chasseur expérimenté à bâtir un petit igloo de fortune dans lequel elle s'engouffre à l'invitation de K'ouen. Tous les trois presque blottis les uns contre les autres.

Se reposer ? Difficile pour la femme-chat. Même si face à une tempête de cette envergure, la plupart des gens se sentirait éreinté, l'excitation et l'adrénaline l'empêche de ressentir la moindre fatigue. Cela change totalement de toutes ses précédentes missions. Elle a voulu tenter le sauvetage en zone polaire mais sa coéquipière de l'époque l'avait abandonné à la dernière minute. Les petites natures …

Emmitouflée dans sa tenue d’esquimau à oreilles de félidé, elle regarde le sol. Malgré les conditions météorologiques catastrophiques, Leiline reste sereine. Accompagnée de deux pointures de l’exploration, elle apprend des techniques de survie et se sens bien plus en sécurité. Notant que pour le moment, aucun de ses coéquipiers ne dort encore et que la tempête n’a pas l’air de se calmer, elle s’ose à engager la conversation, d’une voix posée, son sourire qui ne démord pas.

- Vous avez déjà visité la région auparavant ensemble ? Je sais qu'à part les moutonphants et les raies, nous pouvons croiser des crales ou des arrocs ici. Mais vous avez déjà rencontré des créatures disons … plus rares et féroces ?

Non pas qu'elle en avait pas forcément l'envie - quoi que - mais s'il y a un risque de se faire attaquer, l'hybride préfère se préparer à cette éventualité. Dans sa tête, elle fait déjà un rapide récapitulatif des titres de son Optimus. C’est toujours ça de prit.

- Et nous sommes encore loin du lieux d’habitat des raies ?

J'observais Ayame, à peine distrait par le mugissement du vent au dessus de nos têtes. L'elfe était certes habile pour dissimuler ce qui importe, mais la raideur de ses mouvements me signalent immédiatement une blessure. Je fronce les sourcils, le vois sourire et resserrer son col de fourrure autour de son cou. Ce n'étais pas grand chose, le métier, seulement le métier.
Alors Leiline entreprend de lancer la discussion, son sourire semble être la lumière qui nous manquait au cœur de la tempête. Les lueurs de Lux nous donnaient l'air fatigués et défraichis. Aya entreprend d'allumer la bobine à Gaz qu'il avait emporté. Elle produit rapidement une chaleur sèche issue de sa grille chauffée au rouge.

-Il nous faudrait un truc pour faire du feu même ici, ce réchaud n'est pas suffisantdit-il en bougonnant. Je le voyais s'emmitoufler dans sa couverture.

L'elfe n'était pas une créature du Grand Nord, la douceur de sa Northrives préférée lui manquait. Je le soupçonnais d'avoir pris un mauvais coup lors de sa rapide confrontation avec le moutonphant. Nous devrions passer par un village pour vérifier ça.
Il allait fermer les yeux et somnoler quand il repéra mon sourire espiègle. Levant son regard au ciel, l'elfe se déresponsabilisait de mon humour douteux.

-Oh, dis-je avec amusement, il est possible qu'on croise un arcturien. Ou des lions affâmés allant chasser les raies. Je préfère encore les moutonphants...

Un léger rire secoua mes épaules, un soupir d'Ayame ponctua ma blague.

-Je te rassure, par ce temps nous ne croiserons pas grand chose, les moutonphants sont une sacrée surprise. Ils ont dû être délogés. Nous verrons en chemin. On n'est pas à l'abri de croiser un ours, mais avec Mornir nous ne devrions pas craindre grand chose. Quoique... Un sampal sauvage et...

Ayame me lança de la neige pour me faire taire. Je ricanais de plus bel en plaçant ma vieille casserole sur la grille et en l'y remplissant de neige. Elle ne tarda pas à bouillir. J'y jetais feuilles de thé et même une rasade d'alcool, que l'elfe senti immédiatement.
Loin d'apprécier mes tendances alcooliques, il se redressa assez vite pour me tendre les chopes perpétuelles que nous possédions, en proposant une aussitôt à Leiline.

-Il faut s'hydrater lorsqu'il fait froid, fit-il avec son sourire solaire.

Il avait abandonné l'idée de dormir tant que je m'évertuerais à faire du mauvais humour.
Au moins, nous étions en sécurité tant que la tempête ferait un carton, de quoi rassurer sa nature tranquille.

Contrairement à toute attente - ou non lorsque l'on connait suffisamment l'hybride - l'humour noir de K'ouen ne fait qu’accroitre son sourire déjà bien présent sur son visage, presque caché sous les couches de vêtements. Le commun des mortels à la vision extérieur aurait peine à croire que Wergeld et Ayame sont tous deux des figures importantes de l'Entre-Monde. Mais pour Leiline, cela importe peu, elle trouve que c'est ce qui font leur charme. Et par principe, elle ne peut qu'ajouter sa pierre à l'édifice dans la bêtise du Maître.

- Pour un désert de glace, c'est qu'il y en a du monde, ma parole !

L'ambiance est bonne enfant, ça a de quoi réchauffer les cœurs au beau milieu d'une tempête hivernale. Mais si ont s'en réfère aux principes de Wergeld, quitte à faire chauffer l'atmosphère, autant y ajouter un bon thé agrémenté d'alcool à tout ça. L'enthousiasme de l'efle fait lâcher un léger rire à la femme-chat qui accepte volontiers la chope.

- Je me suis dit "pas pendant le service" mais c'est si gentiment proposé.

La féline essaye presque d'imaginer la réaction de Corben à la savoir dans un igloo de fortune, à boire du thé alcoolisé en compagnie de K'ouen et son acolyte, le tout agrémenté avec de l'humour douteux. Elle s'abstient de lui faire part de la situation avec son anneau, c'est un coup à paraître alarmiste.

Malgré le goût appréciable du breuvage, Leiline grimace à la première gorgée, cumulant la température de l'eau et la dose d'alcool plus présente qu'elle ne le pensait. Au moins, c'est sûr que ça réchauffe !

Les oreilles félines perçoivent encore le souffle du vent violent contre la paroi de glace qui les protège. Ignorant encore dans combien de temps la météo va t-elle se calmer et désormais tous occupés à boire, Leiline à poser au duo comique une autre question.

- Et sinon, ça fait combien de temps maintenant que vous voyagez ensemble maintenant ?

Après cette question, Leiline hausse les épaules, un brin gênée.

- N'hésitez pas à me dire si je suis trop indiscrète hein ...

Même si elle apprécie beaucoup ses deux camarades, elle ne connait finalement pas grand chose d'eux. Cette escapade est aussi l'occasion de faire plus amples connaissance. Après, peut-être sont t-ils trop pudiques pour ainsi dévoiler leurs histoires, un peu comme elle.