Des frelons comme des hommes

Dans une autre vie, Urut fut un refuge paisible et agréable. Une petite communauté accueillante acceptait les chasseurs avec plaisir. J’y avais échangé quelques lapins, quelques poules sauvages en échange d’une place, d’une nuit, d’un peu de chaleur dans les cocons formant la ville. Mon souvenir me rappelle l’odeur des pins dans la brume matinale, le thé noir brûlant préparé dans une marmite commune. Les habitants réunis autour, quelques souris, quelques visages fatigués. Ils iront bientôt cueillir les baies, ramasser les racines et récupérer le bois nécessaire à la soirée suivante. Pour un jeune chasseur vivant seul en pleine nature, cet endroit était un compromis idéal. Une société accueillante mais une vie simple et proche de l’environnement.

Ayame reçu un appel sur son baladeur. Un fonctionnaire sous pression lui annonça qu’Urut était en difficulté à cause des frelons. Un appel à la bibliothèque, quelques mots d’un commissaire et une salutation polie plus tard, l’elfe fronça les sourcils. Ce mouvement typique de son visage m’avait toujours été destiné. Lorsqu’il enterrait son sourire chaleureux pour ce visage-là, je pouvais deviner que ma journée serait longue.

-Qu’ai-je fait cette fois ?

Un éclair de surprise dans ses yeux puis le sourire réapparu, fugace, comme une invitation à ne pas me croire le centre du monde.

-Heureusement, rien. Nous intervenons immédiatement à Urut. Tu veux venir ?
-Raconte-moi en chemin.

Trop heureux de délaisser les dossiers en cours, j’étais déjà devant le porte-manteau à récupérer mon blouson et mes armes. Ce n’est qu’en percevant le cliquetis des loquets de sécurité de la mallette du fusil d’Arcturus d’Ayame que je me retournais, tout aussi surpris que lui quelques secondes auparavant :

-C’est si grave que ça ?

Une fois dehors, un cortège de milicien en uniforme et arme à l’épaule écoutait les ordres de l’elfe. Il me suffisait de ne plus le regarder pour bouillir de rage. Jusqu’à ce que me concentrer sur lui ne soit plus assez convainquant pour calmer la colère vibrante dans mes muscles.

-Je pars devant. Aya, évite de me tirer dessus cette fois.

Perçant. L’elfe ouvrit la bouche, je repérais son sourire crispé, mais sa voix n’avait pas fait le voyage avec moi. J’étais au cœur d’un champ de bataille, Urut dévasté et mon cœur avec. Ma colère redoubla.
Du fer dans l’air, du sang partout. Triste et amer, ma rage brandie avec mon épée, je fendais des créatures qui n’avaient pas mérité de mourir et dans la cohue, je traçais un chemin de charognes.

Un sifflement, ténu, progressant dans le champs de misère. Des arcs de lumières et des balles d’énergie fleurirent dans la clairière. Explosant en étincelles sur les frelons qui, brusquement, se figeaient et chutaient. La voix clair d’Ayame perça le silence après la première vague. Des bottes par dizaines claquèrent dans la boue. Formation losange pour une troupe armée, le cortège se sépara en deux angles obtus et tout en piétinant les restes sous leurs semelles, avançaient avec détermination vers les extrémités du village.
En quelques minutes les bourdonnement des frelons s’était éteint. Des créatures secouées de spasmes parsemaient le sol. Oreillette et baladeur en main, j’appelais aussitôt l’équipe de secours.

-Atrya, des vétérinaires et des guérisseurs. Des blessures perforantes, surtout. Potentiellement du venin de frelon d’Urut. Les frelons sont paralysés. Oui. Il y a aussi des blessés de ce côté-là…

Je m’interrompis, car un villageois s’approchait de moi. Ma rage s’écoulait dans mes yeux et dans ma voix. Il voulait me remercier et perçut mon épée pointé sur lui.

-Atrya. T’as trente secondes. Ensuite, il y aura des blessés supplémentaires.

De ma main libre, je retire l’oreillette et range mon matériel dans ma poche de poitrine. Vint le discours du roi. Les villageois et mes deux missionnaires sont dans un sale état. Je suis au bord de deux gouffres, la colère qui brûle encore dans mes veines et la peine que m’inspirait cette vision de cauchemar.

-Comment en sommes-nous arrivés là ?

J’espérais qu’on me réponde, mais aucune voix ne s’éleva face à la mienne. Avais-je activé Rockstar par mégarde ?
Puis, ma rage retomba. Je refusais d’être celui qui leur taperait sur les doigts. J’étais désolé de voir que la cruauté de la Conscience avait eu pour conséquence un massacre. Bien sûr, ils étaient fautifs. Moi, également. L’elfe approcha et je rengainais mon arme. J’attendais les guérisseurs tout en réfléchissant à ce que nous pourrions mettre en place pour que ce genre de mésaventure n’arrive plus jamais. Ayame pris les choses en main.

-Les Guérisseurs sont en chemin ! Miliciens, récupérés les blessés et éloignés-les du bourbier s’ils peuvent être manipulés. Les villageois valides, vous réunirez les cadavres de frelons. Ne touchez à rien d’autre, leur ordonna l’elfe.

Durant son discours, des Commissaires apparurent sur la plateforme perçant, alertés certainement par l’annonce des problèmes d’Urut quelques instants plus tôt. Arrivés après la bataille, ils se préparaient à une deuxième vague de frelons. Les colonies étant parfois immenses, ils se déployèrent sur le champ de bataille sans attendre mes ordres, leur formation de chasseur pour la plupart leur murmurant qu’il valait mieux anticiper la suite des problèmes que d’attendre en regardant le ciel.

Ayame me jeta un œil, soucieux. Je décidais que c’était le moment d’aller récupérer les aventuriers malchanceux venus se perdre en forêt pendant une guerre village contre Nature. Je reconnaissais Richye sans difficulté. Mais la jeune femme qui portait son arbalète ne me disait rien.

-Wergeld Ulsarys, K’ouen. Dis-je vaguement pour me présenter. Vous pouvez marcher ou je vous transporte au sanctuaire ?

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