[Voilier 17] Xénon et Wergeld - Speed Dating - Sous le regard des étoiles

Décidément, Xénon ne s'habituerait jamais à faire confiance à un animal pour son transport. C'était d'autant plus curieux quand c'était une raie volante qui l'emmenait à bon port. Il ne pouvait pas vraiment s'asseoir, à part en tailleur, ni se tenir quelque part. Il craignait de glisser au moindre faux mouvement. Il fut soulagé de descendre lorsqu'ils atteignirent le bateau à la voilure rouge. Il regarda repartir sa monture avec une certaine perplexité. Qui les avait dressées pour cette tâche, d'ailleurs ?

Chassant cette pensée, il étudia le cadre dans lequel il allait passer la soirée. Au-dessus de sa tête, le ciel étoilé était splendide. Il plissa les yeux en reconnaissant la constellation la plus visible.

Xénon n'avait d'abord pas pensé participer à ce Speed Dating. Ni lui ni Wergeld n'étaient très fleur bleu, comme en témoignaient leurs rendez-vous généralement originaux et mouvementés. Ils ne tenaient pas en place. Passer toute une soirée sous le signe du romantisme, ce n'était pas leur truc, s'était-il dit. Et puis était arrivé le jour J, et au milieu d'une de ses habituelles virées en moto pour se vider la tête, il avait découvert qu'il n'avait pas vu Wergeld depuis des semaines et qu'il lui manquait. Aussi avait-il sauté sur le prétexte pour l'inviter au dernier moment. Il avait de la chance que Wergeld ait pu se libérer...

Ordinairement il aurait eu honte de ce manque d'organisation, mais cette fois il avait trop envie de voir son compagnon. Dans sa hâte d'arriver à peu près à l'heure, il ne s'était même pas changé et portait encore son blouson et son pantalon en cuir. Son seul équipement se résumait à son tout niveau titre Optimus, bien au chaud dans sa poche. Encore quelque chose pour lequel il pouvait remercier Wergeld...

Ses yeux s'illuminèrent de plaisir quand il vit une autre raie s'approcher du voilier.

Mon baladeur ne déclarait plus aucun message depuis plusieurs minutes. Xénon puis Ayame avaient successivement appelés ; pour un retour tranquille en ville à dos de cyliong, en quelques instants la balade bucolique s'était muée en téléportation accélérée. L'elfe m'attendait, il prit les rênes du lion gris, se saisit avec difficulté de tout mon équipement jeté sans ménagement dans ses bras et pourtant il souriait. La soirée bien avancée, les étoiles me firent l'honneur d'éclairer ma route.

L'air chargé d'iode bousculait mes sens. Le comité d'accueil lorgna mes bottes usées et sales, des feuilles et des rizhomes inconnus accrochés à mon blouson et mon visage. Leurs grimaces me firent froid dans le dos. En attendant un taxi volant, je secouais mon blouson et essuyait mes bottes. On m'informe de quelques minutes d'attente, c'est le temps qu'il me faut pour aller me faire un brin de toilette.
Miracle ! Mon portefeuille toujours dans ma poche, je trichais honteusement avec les titres. J'étais présentable en un tour de magie. Peu ému d'utiliser pour la toute première fois ces titres esthétiques que les créateurs de mode de tout Tern m'envient depuis des années, je n'étais pas très original, privilégiant des vêtements dont je connaissais et le confort et l'apparence. Les mêmes que les autres...
La raie s'avance jusqu'à ma main, son museau est frais, humide, elle frissonne.

-Ouais, moi aussi je ne suis pas très à l'aise...

Elle m'emporte avec grâce jusqu'au voilier, Xénon m'attend. La tension invisible qui me prenait au ventre depuis des jours s'envole. L'univers se referme sur cette soirée. Mon remède à cette vie n'est qu'à quelques mètres. Quelques instants plus tard, ma main se referme sur le bois vernis, je quitte la raie avec plaisir.

Des semaines sans Xénon et je le retrouvais avec la joie du premier soleil printanier. Pour étrange que ça parait, je lui trouve "bonne mine". Meilleure que face à un arcturien, en tout cas.

-Tu m'as manqué.

Je n'hésite pas à m'approcher, le serrer dans mes bras est le geste le plus naturel qui me vient à l'esprit. Aimer me rend heureux. Je lui rend son sourire.

-J'aime bien ton blouson, j'ai l'impression que tu as envie de partir à l'aventure.

Spoiler:

Xénon referma les bras sur Wergeld, agréablement surpris par sa spontanéité. Il serra avec plaisir son corps solide contre le sien et se permit d'enfouir quelques instants le nez dans son cou, humant le parfum de sa peau chaude et l'odeur de fourrure et et de verdure qui s'y accrochait. Quand il releva la tête, il piocha une feuille restée prisonnière des cheveux de son compagnon. Son sourire était tendre.

"Toi aussi tu m'as manqué. Merci d'être venu."

Il l'embrassa longuement, laissant le moment s'étirer. Les yeux fermés, la nuit sous ses paupières était totale, et le roulis sous leurs pieds les berçait dans un monde rien qu'à eux. Il n'aurait jamais pensé trouver un jour la mer apaisante après la façon dont il était arrivé dans ce monde, mais le murmure des vagues était à mille lieues du chaos de la ville qui l'entourait si souvent. Ici, il pouvait déposer ses responsabilités et s'oublier le temps d'une soirée. Ici, il pouvait effacer les regards posés chaque jour sur les Maitres de K'ouen et de Ken. Il pouvait s'ouvrir à Wergeld comme il en avait si souvent envie, comme une fleur cherchant le soleil.

Il s'écarta et posa son front contre celui de son aimé.

"J'ai toujours envie de partir à l'aventure, tant que c'est avec toi," confessa-t-il avec un sourire en coin. "Mais en l'occurrence, je voudrais tenter une aventure de mon cru... avec ton soutien ?"

Il dénoua un bras précédemment enroulé autour de la taille de Wergeld et tira une bouteille de son Sarkina. Il avait fait le détour en quatrième vitesse pour la récupérer chez lui. Il tourna l'objet pour en exposer l'étiquette : "Sang de fer". Ce vin était le seul capable d'agir sur n'importe quelle créature, même des robots.

"On m'a offert ça il y a une éternité... mais je n'ai jamais eu le courage d'essayer. Je préfèrerais partager l'expérience avec toi."

L’aventure dans sa voix en conclusion d’un baiser me promettait la nuit, le ciel, le monde tout entier. En sa présence, je regrettais presque de partir en chasse chaque jour. Tiraillé entre deux vies, je sentais que pour lui, raccrocher mon épée, ce ne serait pas si difficile.
Il dégaina une arme secrète, le sang de fer. Je suis surpris qu’il sorte une bouteille, il n’avait jamais montré le moindre signe de tentation pour la nourriture ou la boisson.

-Pour ce genre de mission, tu n'as pas besoin de demander deux fois !

Une pensée coupable m’effleura : qui avait offert une bouteille à Xénon ? Un ami, certainement… Quel genre d’ami pour offrir du Sang de Fer ?
Jaloux ? Un petit peu. Mais c’est un secret.
Je voyais une bouteille mais aucun verre, les sièges, les voiles et des lanternes…

En m’éloignant, je jetais sur lui un regard appréciateur. Il était romantique ce soir, loin de me déplaire, l’androïde révélait une facette douce, insoupçonnée. Son humanité éclatante, me rappelant souvent où j'avais caché la mienne.

Sous la planche refermant l’assise d’une banquette, un coffre. Je m’attendais à n’y trouver que des dispositifs de secours ou de réparation. C’était sous-estimer Témari. Des verres épais, lourds et solides accompagnaient l’équivalent d’un mini-bar de secours. Pas un seul gilet de sauvetage, pas une bouée, mais de l’alcool et des verres… La dragonne avait ses priorités et elles m’arrangeaient bien.

-J’ai trouvé le graal. Les graals même.

Deux verres dans les mains, un sourire, nous étions armés pour cette bouteille. J’enjambais la banquette, posant les verres entre mes genoux à même le bois.

-J’espère que tu ne tiens pas l’alcool…

Mon visage trop expressif révéla mes intentions derrière un sourire en coin, l’œil pétillant, je lui laissais le plaisir de servir.

-...Pas trop.

Assez longtemps pour en profiter.

Sourcils dressés, Xénon examina le contenu du coffre par-dessus l'épaule de Wergeld. Et le respect des règles élémentaires de sécurité maritime, dans tout ça ? Tout se perdait. Il espéra que les passagers des autres voiliers savaient nager.

Il s'assit face à Wergeld sur la banquette, imitant sa position avec un sourire mi-embarrassé, mi-nerveux. S'il en avait été physiquement capable, il aurait sans doute rougi.

"Nous allons vite le savoir... Honnêtement, je n'ai pas la moindre idée de comment le Sang de fer va réagir avec mon système. J'aurais voulu me renseigner sur son fonctionnement, mais je savais que si je le faisais, je me dégonflerais."

Il ouvrit la bouteille et servit les deux verres, se basant sur les quantités pratiquées pour un vin classique. Il fut tenté de diminuer sa dose, mais dans un accès de courage, se versa le même niveau qu'à Wergeld. Il reboucha la bouteille et la posa à ses pieds, prenant son temps avant de saisir son verre.

C'est qu'il angoissait un peu. Lui qui n'avait jamais envisagé d'essayer ne serait-ce que les Noizumènes de l'alchimiste, se trouvant bien dans son corps fait de technologie et de logique, s'apprêtait à ingérer ("ingérer", voilà déjà un mot qu'il n'aurait jamais pensé utiliser en rapport avec sa personne !) un produit qui allait perturber le fonctionnement de son processeur. C'était comme s'injecter volontairement un virus. Seule la présence de Wergeld le mettait assez en confiance pour une telle folie.

"Tu me retiens si j'essaie de sauter par-dessus bord..."

Sans se laisser plus de temps pour hésiter, il versa un peu du liquide dans sa bouche. Le vin eut à peine touché sa langue qu'il disparut, ne laissant à ses capteurs qu'une impression de fraîcheur fugace. Il fronça les sourcils en fixant le fond de son verre.

"Bizarre..."

-Ou je te suis dans l'eau.

Clin d'oeil.

-J'attends de voir comment tu y plonges.

Je l'observe porter le verre, l'approcher de ses lèvres avec un nœud à l'estomac. Il était assez nerveux pour que je le sois à mon tour. Je coule un regard sur son cou. La sensation d'ivresse au bord des yeux. Nul besoin de boire, sa présence à mes côtés et le plaisir de ce moment d'intimité rendait cette soirée inoubliable.

Boire sur un petit navire, c'est un peu comme boire à moto. Ça tangue et lorsqu'on penche la tête le verre au bord de lèvres, on se dit que ce n'est peut-être pas normal si ça penche autant... Je jette à oeil sur l'eau, les vagues roulent contre la coque. Ce n'est peut-être pas l'effet du vin finalement.
Rien de grave, Témari fait sa crise d'ado.

Le vin coule dans ma gorge, produit l'effet semblable à une boisson douce-amère. Je suis déçu qu'il ne me transforme pas en robot ultra-perfectionné dans la seconde... Je m'attendais à un effet spécial, un effet hors norme. Non pas à du vin, juste du vin. En y repensant, ce n'est pas du vin ordinaire. C'est un verre partagé avec Xénon, j'étais aux premières loges pour un double baptême, la boisson, l'alcool, la soirée romantique.
Voilà qui fait trois.

-Il n'est pas mauvais. Mais j'avoue être un amateur de bière... Il faudrait qu'ils le fassent sous cette forme.

Après le regard déçu à mon verre, imitant maladroitement la forme des vagues qui nous assaillaient, je relevais la tête pour chercher son regard. Le plaisir escaladant mon visage d'une simple rougeur aux joues, aux éclats pétillant de mes yeux.

-Comment as-tu trouvé ton premier verre ?

Prochaine étape, je teste les méca-noix... Si j'arrive à passer le cap de ma perte de sensibilité tactile pour celle d'une sensibilité numérique. Je me fais des idées, ma seule peur est instinctive, celle d'un animal face à l'inconnu.
Pas si étranger que ça, j'avais la preuve devant moi que la machine avait un coeur, celui-là même que je tenais avec la peur de le briser. De quoi avais-je peur sinon d'aimer ça ? Je me le demande.

L'ambiance de la soirée était terrible, je devenais fleur-bleu, c'était irrésistible et embarrassant. Y succomber était pourtant d'une facilité déconcertante.
Penché vers lui, je l'invitais à un baiser.

-C'est pas mal aussi quand on partage le goût...

Allait-il se laisser prendre au piège de cette manœuvre ? Il a toujours été conciliant avec mes techniques manquant de subtilité... En vrai, je quémandais ses lèvres, elles me faisaient tant envie que je jalousais le verre qu'il tenait.
Je l'avais dis que cette ambiance me rendait idiot... Plus que je ne le suis d'ordinaire.

"Ce ne sera pas très sexy si je saute. En général, une pierre qui coule ça n'a rien de glamour." Un rapide sourire complice. "Même si le petit ami de la pierre la trouve en temps normal agréable à regarder."

Le feu dans les yeux de Wergeld ne lui avait pas échappé. Il n'en tirait aucune vanité, ne devant sa conception heureuse qu'à des ingénieurs qu'il n'avait jamais rencontré, mais quand même un certain plaisir ; plaisir tout intellectuel du reste, puisque lui-même ne ressentait pas l'attirance physique. Il était simplement heureux de pouvoir provoquer ces sentiments chez son compagnon.

Il prit une nouvelle gorgée, le geste venant plus facilement la seconde fois, tout en méditant sur les mécanismes du goût. La bière, c'était une boisson pétillante ? Non, il confondait avec le cidre. C'était fou l'énorme diversité de nourritures et de boissons que les êtres biologiques produisaient et consommaient. Ne pouvant guère les différencier que par la couleur et la texture, Xénon s'y perdait complètement, et comprenait très mal pourquoi ils ne se contentaient pas de rations standardisées adaptées à leurs besoins. Ce serait quand même plus simple. Peut-être tenterait-il l'expérience des Noizumènes un jour... Il y avait quelque chose de fascinant à l'idée de découvrir un nouveau sens.

Seule la question de Wergeld lui fit prendre conscience qu'il venait de terminer son verre. Il fixa à nouveau le gobelet, cette fois avec toute la perplexité du monde inscrite sur son visage.

"Bizarre," répéta-t-il d'un ton plus appuyé. Le reflet des étoiles sur les vagues retint quelques instants son attention, et il dut faire un effort inédit pour se reprendre. "Je me laisse distraire par un rien, c'est normal ? J'ai un peu de mal à garder le fil."

Ce n'était somme toute pas grand-chose, il pouvait se concentrer s'il le voulait. Mais il n'était pas habitué à devoir le vouloir.

La ruse sans vergogne de Wergeld le fit rire à gorge déployée. Il l'avait rarement vu aussi ouvertement heureux. La perspective qu'il soit la source de ce bonheur était pour lui un baume pour l'âme. Il en avait presque le vertige. Le vertige ? Ah, non. C'était juste son gyroscope qui, l'espace d'une seconde, l'avait insulté en duodécimal. Là c'était définitivement l'alcool qui parlait.

"Tu risques d'être déçu, le vin disparaît dès qu'il entre en contact avec l'intérieur de ma bouche. Je n'ai pas de papilles, moi."

Mais cela ne l'empêcha pas de cueillir les lèvres de Wergeld, le laissant vérifier ses dires à sa guise. Il ne s'écarta que pour abandonner son verre avec un sourire d'autodérision.

"C'est assez pour une première fois, je crois. Je ne veux pas risquer d'expérimenter ma première cuite en oubliant une de mes trop rares soirées avec toi."

Puis il reprit le baiser là où il l'avait interrompu, trouvant encore plus facile que d'habitude de faire taire les calculs sans fin de son processeur pour se consacrer tout entier au contact de son aimé.

L’absence du vin sur ces lèvres n’ôtait rien au plaisir d’y goûter. L’étreinte fut brève, improvisée et heureuse. J'admets volontiers ma défaite, mes tentatives sont visibles, autant que les étoiles, elles le faisaient rire. Et elles marchaient ! J’étais sous le charme de ce Xénon amusé.

-On dirait qu’il fait effet ce vin !

Je remballais les verres et éloignais la bouteille de mes genoux. Le tout en me déplaçant sournoisement sur le siège pour m’assurer d’un contact permanent entre nos jambes.
Ce voilier était une excellente idée…
Tout en sachant que Xénon ne prenait pas le même plaisir de ces contacts physiques, je ne pouvais m’empêcher de mettre des actes sur le lien entre nous.

-C’est normal, ce sont les effets de l’alcool. Ton champs de vision devrait s’étrécir, ça tombe bien, je suis juste en face de toi.

Il ne verrait que moi et la mer éveillée au delà. Maintenant que nous avions éliminé le perturbateur de processeurs… Le compte-à-rebours commençait dans mes pensées gardées secrètes. Vu son gabarit et la quantité consommée, j’avais, tout au plus, trente minute avant que l’alcool ne fasse plus autant d’effet.

-Si tu te sens mal… Enfin, “mal”, je le répétais souriant pour nous rassurer tous les deux, je t'emmènerais dans un endroit qui tangue un peu moins.

Je ressentais de l’hésitation. J’étais certains de vouloir donner au chemin à parcourir ensemble d’autres visions. Là où j’hésitais, c’était la forme de cette nouvelle requête. Je m'interdis l’humour, il méritait que je sois aussi sérieux que cette demande exige. Ou peut-être était-ce par peur qu’il ne me prenne pas au sérieux. J’étais pourtant parfaitement clair avec moi-même. Pour le lui prouver, j’armais mon courage et mon coeur de sincérité, espérant que ses yeux verraient aussi bien que les miens la justesse de ce souhait.

S’il avait le mal de mer, mon plan tout entier tomberait -littéralement- à l’eau. Ils sont beaux les discours sur les chemins et l’avenir sous les étoiles, si le moindre imprévu envoyait tout à la mer… Mais tout était encore possible.

-J’espère que tu as aimé l’expérience quand même, je m’imaginais déjà te faire goûter quelques pâtisseries très bientôt.

Le temps gagné avec ces quelques mots, et la pensée que si HK était là, il aurait été outré par une telle trahison - le bruit de pas sur le bois me fit tourner la tête. Un camitou bleu nuit se faufilait sur la coque vernis du navire. Il marcha de son pas hésitant jusqu’à nous, grimpa sur ma jambe et se mit face à Xénon.

-T’en as mis du temps, dis-je à mon complice tout juste débarqué. Xénon je te présente Béryl. Je te rassure, je ne vais pas t’offrir une bestiole, même si c’est une machine très pratique.

Sous-entendant sans vergogne que si je pouvais le lui offrir quand même ce serait bien.

-Mais je me souviens que j’ai malgré moi contribué à la destruction de ta Legacy…

Mon sourire ne concordait pas à cette petite expression penaude que je tentais de faire apparaître sur mes traits.
La langue mécanique du camitou se déploya et dévoila un trousseau de clefs flambants neuves. Un porte-clef orné du loup des Ken gravé sur un galet d’acier.

-Si jamais tu veux l’admirer, je l’ai laissé au parking.

Je lui tendis une main de bonne volonté. La mer se révélant capricieuse, ma présence sur ce navire n’était plus recommandée. Nous pouvions rester et discuter ou bien partir voir cette beauté acquise tout spécialement pour Xénon.

Son champ de vision s'étrécissait-il ? Il n'en avait pas l'impression, mais il n'avait pas non plus envie de se concentrer pour le vérifier. La vue juste en face lui convenait très bien.

"Je pense qu'il me faudrait plus d'un verre pour commencer à sentir se retourner un estomac que je n'ai pas," sourit-il, "et j'ai la naïveté d'espérer que le Sang de fer a été créé pour ne reproduire que les effets amusants de l'alcool chez nous."

Il se frotta le front, pensif. Manger quelque chose était de toute évidence l'étape suivante pour Wergeld, mais pour lui ça n'avait plus rien à voir. Le Sang de fer était un moyen de découvrir la sensation d'ébrieté. La nourriture serait la découverte du sens du goût... et de l'humanité tout entière. C'était un pas autrement plus important. Mais Wergeld montrait un plaisir si simple à l'idée de lui présenter ses sensations favorites. Comment refuser ?

"Laisse-moi le temps de me faire à l'idée," dit-il avec un haussement d'épaules d'excuses.

L'arrivée du camitou le prit de court. Il se pencha sur la créature, intrigué. Il avait entendu parler des camitous, mais ne mettant pas les pieds à l'épicerie, il n'avait jamais eu l'occasion d'en voir un d'aussi près. Il tendit son bras à Béryl, qui y grimpa sans se faire prier, et étudia de plus près son revêtement caméléon.

"Oh !"

L'apparition du trousseau de clés le surprit. Son regard passa de Béryl à Wergeld et vice-versa. Il ne savait pas comment réagir, et l'alcool n'était qu'en partie responsable. Il avait bien compris le sous-entendu de Wergeld concernant le camitou, principalement parce qu'il savait que ce n'était pas le genre de créature dont Wergeld préférait lui-même s'entourer. Et maintenant une moto ?

Certes, il mourait déjà d'envie d'aller voir la Legacy ; Wergeld connaissait bien son public. Mais recevoir tous ces cadeaux d'un coup le mettait mal à l'aise. Il avait beau savoir que les finances de Wergeld pouvaient largement lui permettre ces folies, c'était plus fort que lui : cela le gênait qu'on troue son porte-monnaie pour lui faire plaisir.

"Heureusement que je t'ai proposé cette soirée à l'improviste, je n'ose pas imaginer ce que tu m'aurais offert si je t'avais laissé le temps de t'organiser," dit-il avec un haussement de sourcils indécis. "Laisse-moi te couvrir de cadeaux la prochaine fois !"

Mais il prit la main de Wergeld, cédant à l'appel de la Legacy.

J’étais ravi, un sourire fendit mon visage d’une demi-lune de bonheur. Connaître à l’avance la réaction de Xénon n’avait en rien gâché le plaisir. Il était évident qu’il accepterait la moto, c’était, jusque-là, presque trop facile.
Hôtel, puis Parke, les deux titres consommés, nous étions dans les parkings sentant encore le neuf de Rivetiel.

-Pour ma défense, ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu. Voilà le résultat…

Dans la parking, à cette heure avancée, ma voix résonnait dans un silence amplifié par les hauts plafonds. Je fis mine de chercher mon chemin, y décelant un moyen de dissimuler mon embarras. Nous arrivions à la touche finale de cette mise en scène. Qu’elle soit prête si rapidement relevait du miracle… J’espérais que Xénon se rende compte de l’exploit que moi et mes complices avions réalisés en si peu de temps.

Les portes du parking s'alignaient en rang d’oignons, jusqu’au numéro peint en noir sur le mur blanc, le même que celui sur le Parke. Une pression de l’index sur une haute technologie me reconnu comme propriétaire des lieux. Je gardais le silence à la voir pulser du plaisir de fonctionner.
Le portail s’ouvrit. Deux motos tenaient dans le box, la magnétic flambant neuve; noir mat sur fond de ténèbre et la legacy, sa coque presque résistante à la mâchoire d’un arcturien, ses chromes scintillant dans la lumière artificielle.

On percevait depuis l’extérieur le siège et les commandes du véhicule. Puis, posé dessus comme tombé du ciel, un dernier cadeau. Le diamant capta un éclat de lumière, cette fois ma gêne escalada des strates inexplorées jusque-là. Je me détournais, lui laissant le champs libre pour aller admirer le nouveau membre de sa collection.

-Il y a un dernier cadeau, après, je te promet -presque- de ne plus recommencer. Enfin… Pas trop vite.

La curiosité se faisant plus forte que ma nouvelle collection de rougeur, je jetais un coup d’oeil impatient à Xénon. Essayant de lire sur son visage sachant bien comme c’était impossible de deviner sa réponse ainsi.