De retour à l'école

Je manquai de tomber au sol, bousculer par... Kip ? Me redressant et arquant un sourcil, je le regardai arriver de son air las, je le regardai faire sa besogne sans vraiment comprendre son air, le laissant attendre à une réponse jusqu'à ce qu'il finisse de lancer un appel, à Cerclon comme il le précisa.

Euh.. Oui.. La lecture.

Je ne m'avançais pas en lui demandant comment il allait ou autre, après tout, c'est un robot, je ne suis même pas sûr qu'un robot peut vraiment ressentir des choses. Et oui, c'est une épée qui dit ça. Je me grattai la tête, songeuse, finissant par suivre Kip en collant mon regard au téléphone. "Kip doit appeler Cerclon", hein ? Bon.. Au moins il l'a appelé.

D'accord, mais... Ton appel ? T'as pas oublié de parler de ça?

La réponse m'importait en réalité peu, mais je connaissais une bibliothécaire qui serait heureuse d'avoir le travail fait et de ne pas devoir repasser derrière les erreurs du petit robot. Je montai donc tranquillement, hochant les épaules, puis m'installant une fois arrivé en haut pas trop loin des escaliers. Je gardai une échappatoire. Je déposai mon cahier, mon stylo et le livre que l'on m'avait prêté sur la table, ouvrant ce dernier pour commencer à m'entraîner en attendant les prochaines directives de mes professeurs.

Alors ? On fait quoi ensuite ?

-Kip ! Syllabes suivantes ! Kip !

Cette fois, le robot trouva immédiatement les ouvrages de références, bien en vu sur le chariot disposé à une distance respectable de la table. Kip, en freinant trop tard et trop brusquement renversa une chaise et non les quarante livres sur la table de récupération. Une petite victoire parmi les innombrables catastrophes kipiennes.

Kip révéla à Hiryu des syllabes aux voyelles et consonnes fusionnées, des sons qui n’avaient plus rien à voir avec les lettres dont on les composaient et parfois des mots qui se prononçaient étrangement car ils venaient d’autres langues, de dialectes ou de bouts d’histoire.

Il affichait en cadence des schémas grossiers de visages humanoïdes dont les lèvres représentaient les étapes de prononciation.
Kip avait téléchargé une montagne de données pour mieux conseiller Hiryu dans son apprentissage, mais en fin de course c’était à la jeune femme de travailler dur pour mémoriser chaque jour ce qu’elle apprenait.

-Kip ! Il faut revoir la leçon d’hier aussi. Kip !

Tandis qu’elle s’entrainait, Kip chargeait une liste de mots et expressions contenant les syllabes que la jeune femme avait vu depuis la veille. Je commençais à avoir pour elle quand, en passant par là, je remarquais que Kip envoyait à une cadence trop rapide les images lumineuses à côté du visage d’Hiryu. Je me devais d’intervenir.

-Kip ! Extinction !

Ce seul ordre força le robot à couper tous ses circuits en urgence et il se posa en douceur sur le parquet. Une commande qui n’aurait pas dû persister depuis l’implantation de son moteur de conscience. Mais, puisqu’il était une catastrophe ambulante et étant sa tutrice jusqu’à nouvel ordre, j’avais réussi à négocier une issue de secours...

-Encore un peu et tu frôlais la crise d’épilepsie ! Il est complètement dingue quand il s’y met… Tout va bien ?

Et c'était reparti, Kip s'agitait pour aller chercher les différents bouquins et me les présenter. Une catastrophe plus tard, il commençait la leçon tandis que je me demandais encore comment Eva pouvait supporter tout ça. Ce n'était peut-être qu'une chaise, mais il ne la remettrait pas en place, et il faut penser que parfois, c'est bien pire. Je voyais donc enfin à quel point Eva était formidable : ne pas avoir tué ce robot qui lui donnait au final plus de travail qu'elle n'en avait déjà... J'étais vraiment impressionnée.

Reprenons, donc, Kip me présentait de nouvelles syllabes, avec de nouvelles techniques d'apprentissage comme cette vidéo de lèvres qui prononcent le son. C'était très.. Spécial. J'essayai au moins de me souvenir comment reconnaître ces syllabes et leur donner le bon son, le tout était complexe à mémoriser, mais je finirai sûrement par y arriver. Après tout, j'avais le temps qu'il me faudrait, et mes exercices matinaux pour garder la forme s'était aussi vu rajouté un moment de lecture pour faire travailler l'esprit. "Un esprit sain dans un corps sain", ce sera moi.

Ensuite, vint justement les révisions, je réussis en prenant bien mon temps à donner les bonnes réponses.

Eh eh, facile !

Néanmoins, la cadence n'arrêtait pas de s'accélérer et je finissais par perdre le fil, alors que je n'avais pas répondu au 15e mot, Kip arrivait déjà sur le vingtième. Je finissais par regarder l'écran plein de lumières clignoter à une vitesse vertigineuse, les yeux grands ouverts et la bouche entrouverte, ne comprenant rien, était-ce le niveau que je devrais avoir à la fin ? J'avais un peu peur... Quelqu'un avec la voix d'Eva arriva alors à mon secours.

Woh... Euh... Merci, Eva. Mais, une crise d'épilepsie ? C'est le mot pour dire le plus haut niveau de lecture qu'on peut avoir ?

Je fermais les yeux un moment, reprenant mes esprits et une vue moins trouble.

T'es forte en fait, je pensais que tu pouvais juste crier fort comme Ayren et c'était pour ça que les gens avaient peur... Mais en fait... Wow...

Je me mis à rire aux éclats, ce qui venait de se passer était déjà comme oublié.

-Non, Hiryu, l'épilepsie c'est une crise pendant laquelle tu as des spasmes et des crispations, c'est dangereux. Et les hautes cadences de lumière peuvent provoquer ces crises. Kip aurait encore causé une catastrophe...

Je m'arrêtais dans mon explication, bien consciente que la jeune femme ne serait pas aussi alarmée que moi sur le sujet et puisque Kip est un cas irrécupérable, il n'entendrait jamais le mot "danger" de la même manière que moi. Que deviendra ce petit robot le jour où je ne serais plus là ?
Peut-être qu'on le fera suivre par un androïde de probation, comme Azolvya "à la moindre catastrophe on te grille le processeur" ?
L'idée me fit sourire et je m'installais à la place libre à côté de mon apprentie lectrice.

-Si tout va bien, on va reprendre l'apprentissage. Tu t'es essayée à l'écriture ?

Kip n'avait pas noté que Cerclon n'était pas informé convenablement et bien sûr, je ne le saurais que le soir même après avoir noté l'absence de communiqué dans ma boîte mail. Kip en prendrait encore pour son grade et mes nerfs ne feront que s'épuiser encore un peu plus. Dans moins de dix ans, je sais qu'on me soignera pour de l'hypertension et des problèmes cardiaques...

Eva connaissait beaucoup de choses, même des choses compliquées... Je ne compris rien à son explication, à part que ça n'avait pas l'air très drôle à vivre mais très drôle à voir. J'haussai donc les épaules en guise de réponse approximative, puis ouvris le cahier que ma prof m'avait demandé d'acheter.

Ouaip ! Regarde.

On pouvait y lire une dizaine de fois les lettres qu'on m'avait apprises à écrire la leçon dernière. Ces révisions que j'avais faites seule étaient en fait assez simples, j'avais eu l'impression de m'entraîner, et de répéter les mêmes coups dans le vide pour les réaliser à la perfection. Enfin, dans le cas présent, la perfection était loin de s'approcher d'une des lettres écrites.

On fait quoi aujourd'hui avec toi ?

Je pris le stylo d'une main, puis jouai avec comme si c'était un couteau, le reprenant d'ailleurs en main comme si c'était ce genre d'outils. J'essayai de le remettre correctement entre mes doigts, me prenant quelques longues secondes. Après quoi, je continuai l'alphabet comme je l'avais fait précédemment sur le cahier.

T'as vu ! Je me débrouille bien, hein ? Dis-je en écrivant un M tout cabossé.

Carine soupirait d'ennui et rien qu'à l'idée d'une nouvelle catastrophe de Kip, je pouvais le voir dans mes pensées mettre ses pattes sur ses yeux et tenter, maladroitement, de s'esquiver de cette réalité sordide dans laquelle il était tombée. Ma vie.

*Tu n'avais qu'à ne pas me dérover sale bête*

Ses grondement sourd m'avisant qu'il pouvait aussi se mettre en colère me refroidit. Je n'avais pas l'énergie de me battre avec lui aujourd'hui. Kip était une terreur à lui tout seul, deux ce serait trop.

Je pris une feuille vierge et j'inscrivais le nom et le prénom d'Hiryu.

-C'est ainsi que s'écrit ton nom. Essaye de le reproduire.

Lui laissant quelques instant pour s'essayer à l'exercice, j'approchais du Kip éteint et profitais du calme irréel régnant dans les lieux lorsque le petit robot n'était pas là.

-J'hésite à le rallumer...

Mon nom... C'était bien la première fois que je le voyais, et la première fois que je pouvais le lire. C'est marrant, mais j'imaginais un nom bien différemment, quelque chose de plus extraordinaire que simplement un mot des plus normaux. J'obéis à ma professeur, et commençai à écrire mon nom dans mon cahier, écrivant de grosses lettres capitales. Le rendu était plus moche, mal réalisé, mais la vue de mon nom me rendait des plus fières. D'une part, je pouvais voir à quoi il ressemblait, et pouvait l'écrire, mais je voyais aussi que j'étais capable de le lire (en cinq secondes, mais c'était un début).

Wouah, t'as vu Eva ? Il est joli mon nom ! Merci !

Je lui présentai mon plus beau sourire, émerveillée. Elle continuait sur Kip. C'est vrai que le bâtiment était bien plus calme quand il était hors service, ça semblait même étrange.

C'est bizarre sans les "Kip!" habituels, et les chutes de livres. Enfin, il fait pas exprès, et il est gentil. Mais, tu pourrais prendre un autre assistant, un autre robot, nan ?

J'haussai les épaules, finissant par me soustraire au sujet et revenant sur mes "études", soupirant en entendant les voix des aventuriers dans les étages du bas.

Bon, on fait quoi ensuite ? Il y a pas un moyen d'apprendre plus vite, c'est looong !

Elle se débrouillait assez bien pour apprendre sans moi, la clochette du hall retentissait depuis quelques instants, l’ouïe de Carine remarquant à quel point c’était désagréable à entendre.
Je posais une main encourageant sur l’épaule d’Hiryu tout en faisant avancer vers elle le livre d’écriture.

-Il te faudra du temps et de la discipline pour apprendre à lire et écrire. Tu pourras revenir autant que tu veux à la bibliothèque pour obtenir de l’aide, mais pour le moment j’ai du travail.

J’allais aussitôt vers le petit robot pour enclencher sa remise en route par quelques ordres et codes manuels complexes. Son écran-visage s’alluma et le moteur anti-gravité recommença à ronronner.

-Désolé Kip, mais tu t’es un peu emballé…

Le petit robot enclencha ses routines de démarrage et d’analyse système tout en me suivant telle une ombre dans les escaliers.

Le travail d'Eva la rattrapait une nouvelle fois. C'était donc à ça que pouvait servir Kip, lui permettre des pauses... À vrai dire, je me demandais si avec un assistant comme lui, elle pouvait prendre des congés, ou partir s'amuser en mission... Ce genre de choses semblait bien loin de notre bibliothécaire, cloîtrée dans cette tour par son travail, ne faisant qu'attendre le prochain coup de clochette. Elle m'indiqua que l'apprentissage serait long, et qu'il me faudra être rigoureuse, ce dont je répondis par un soupir.

À la prochaine du coup, je passerai de temps en temps pour la lecture si j'ai des problèmes.

Une fois le robot allumé, les deux collègues disparurent dans les escaliers. Je me mis au travail, répétant l'écriture de mon prénom, chose qui me serait le plus utile pour le moment. Puis, enchaînant sur de la lecture pour m'aider à assimiler cette nouvelle pratique.

Une bonne heure plus tard, je repartis de la bibliothèque, rangeant tout mon attirail et ajoutant deux choses à ma liste des exercices du matin : la lecture et l'écriture. Un esprit sain dans un corps sain ? Nan, trop dur. Mais un corps sain qui peut aller en mission sans avoir besoin de demander la lecture et de faire signer la feuille d'inscription à sa place, ça, c'est bien. Un vrai but à atteindre.