Pèlerinage pour Na'Keisärin

Spoiler:

Uriel commençait à regretter de s'être à nouveau mis Selin à dos. Peut-être que si elle l'avait eu à la bonne, elle lui aurait filé une autre de ses tambouilles de nyctalopie.

En même temps, Selin ne l'avait jamais eu à la bonne. Et ses tambouilles avaient tout autant de chance de le rendre aveugle à vie que de fonctionner correctement. C'était juste la peur qui parlait.

Il faut dire qu'il y avait de quoi. L'obscurité était plus épaisse que jamais et les bruits d'activité nocturne de plus en plus proches et nombreux. Uriel ne savait même pas où il mettait les pieds. Il faisait entièrement confiance pour le guider à un dragon qui ne demandait probablement qu'à se débarrasser une bonne fois pour toutes de ce "maître" qui lui inspirait tant de mépris. Il y avait de quoi claquer des genoux, ce qu'il aurait sans doute fait si ses jambes n'avaient déjà été occupées à marcher.

"On suit toujours le scarabée, là ?" siffla-t-il à voix basse.

Pour ce qu'il en savait, ils avaient perdu l'insecte depuis belle lurette et personne n'avait pris la peine de le lui signaler. Personne ne répondit et Foudre ne réagit pas, ce qui ne le rassura pas des masses.

Tout à coup, le flanc du Daken le percuta et l'envoya bouler contre un arbre. Il poussa un cri aigu. Il lui fallut plusieurs essais pour dégainer son katana tant ses mains tremblaient. Ça y est, Foudre avait décidé de l'achever !

Des bruits de lutte retentirent dans le noir. Il entendit le dragon grogner, puis rugir, le sifflement furieux d'une créature inconnue. Finalement, un craquement de chair. Un court silence, puis des sons de déchiquetage et de mastication.

"Foudre ?" fit Uriel d'une toute petite voix.

Un grondement familier lui répondit. Uriel soupira et se détendit d'un coup.

"T'es vraiment obligé de prendre un encas maintenant ?" gémit-il. "Tu ne sais même pas où ça a été traîner."

Mais le Daken n'en démordit pas, et Uriel fut bien obligé d'attendre qu'il ait fini son repas.

Le dragon observait en coin ma mission de nettoyage. Il me regarda m'escrimer avec un lierre pour en démêler les nœuds complexes d'abord… Au bout d'un certain temps à me regarder intrigué il se lassa. Etendu sur le flanc il se détendait. On n'a pas tous la chance de pouvoir dormir dans Ing, je ne vais pas l'en priver.

Il y avait des champignons de toutes sortes autour de l'autel, des langue-de-bœufs énormes coulaient jusqu'au sol. Il m'était impossible de remettre l'autel en servir sans m'en débarrasser. Je découpais les champignons au raz de la pierre et ne laissait que leur base. Ils pourront se reconstituer avec le temps…

-Et moi j'ai mon souper.

L'autel était légèrement penché, pour le redresser je creusais autour et poussait en sens opposé. Mais sans l'aide du daken, l'autel n'aurait pas retrouvé sa position tête vers le ciel.
L'eau de ma gourde me permit de nettoyer le dessus, là où la bougie irait se fixer sur son pique. Je l'allumais à l'aide d'un simple amadou.

Une heure que nous tournions sans rien y voir... C'était à n'y rien comprendre. On apercevait distinctement les étoiles -bougies flamboyantes- dans la Nuit et on avait beau chercher dans la continuité de ce commencement de tracé, on ne trouvait rien.

Atlas piaffait d'impatience, il en avait sa claque de tourner en rond dans cette zone sans rien avoir à faire de plus distrayant. Mon griffe s'impatientait et moi avec. Le dessus de la forêt était d'une densité insoupçonnable, sauf à être au dessus. Une baleine flotterait aisément sur cette couverture sombre...
Ca et là les feuillages s'éclaircissaient et on pouvait y descendre, jeter un coup d'oeil et remonter avant d'être repéré.

Sans compter qu'il fait un froid de canard. Je frissonnais, il faut avouer aussi que je n'étais couvert que d'un pull, de mes bottes et de la combinaison de camouflage.

-Il est forcément dans le coin...

J'empoignais les rênes pour nous faire descendre au sol. J'allais chercher directement sous les arbres plutôt que d'essayer depuis les airs.

Je n'allais pas être celui qui rentre bredouille. Syel se moquerait encore de moi... A force, mon égo va en prendre un coup.

Après mûre considération, Uriel ralluma Lux dans sa sacoche. La lueur était si faible qu'elle créait plus d'ombres que de lumière, mais ce fut suffisant pour confirmer ses soupçons : Foudre et lui étaient seuls. Nulle trace de Selin, sans doute disparue en une folle course-poursuite après le scarabée, ni d'Augure, sans doute... parti à la recherche de dangereux prédateurs à réduire en purée ? C'est ce que les grands bourrins comme K'ouen et lui faisaient pendant leur temps libre, non ?

Uriel soupira et adressa un regard de reproche à Foudre.

"T'aurais pu me prévenir. Ça fait combien de temps qu'on avance complètement au hasard ?"

Foudre se contenta de se lécher les babines d'un air satisfait. Apparemment, son estomac avait plus d'importance que celui de son maître. Jurant dans sa barbe, Uriel réactiva Scarabée et repartit au pas de course derrière l'insecte. Il laissa Lux allumé. Il ne pouvait de toute évidence pas faire confiance à son propre Daken, sans parler d'alliés quelconques. Il ne manquerait plus qu'il trébuche sur le prochain autel dans le noir et le brise.

Séparée du dragon durant nos recherches, je m'étais perdue… Uniquement en ce qui concerne les autels, sinon je sais exactement où je suis, dans Ing. Trop facile…
Bientôt je serais à Providence pour boire un chocolat chaud en bonne compagnie car cette forêt me donne déjà de l'urticaire. Elle est dangereuse, je le sens. Pour qu'un chasseur sente ce genre de chose sans avoir eu à dégainer son arc c'est bien qu'il y a un problème. Il y a de la sournoiserie derrière chaque arbre, des créatures qui ne doivent pas toutes leurs forces à la nature.

J'ai fini par abandonner ma récolte de champignons. L'odeur et les spores ont attirés des rongeurs et des petites créatures intéressées par le repas… Mon armure était déjà assez lourde à porter pour le daken de toute manière.

Toute à mon observation des lieux au travers de la chiche lumière de ma lampe, Je vis une créature plus grosse que celles croisées jusqu'à présent atterrir. Préférant être le chasseur que la proie je bandais l'arbalète, la flèche s'envola et je la désaxais juste à temps en reconnaissant Atlas et Azurée.
La pointe se ficha dans le tronc d'un vieil orme.

-Azurée, chuchotais-je au travers des buissons, t'es malade d'atterrir comme ça… J'aurais été affamée je t'aurais bondit dessus… Ces errants ! Aucune prudence !

A défaut de trébucher sur le prochain autel, Uriel passa carrément devant sans le voir. Ce n'est que trois mètres plus loin qu'il réalisa qu'il avait perdu le scarabée de vue, se retourna avec la ferme intention de passer ses nerfs sur Foudre - c'était forcément sa faute, il l'avait ralenti, ou distrait... même si avec ses quatre pattes il avait tendance à avancer bien plus vite qu'Uriel - et aperçut une souche tarabiscotée.

"Aussi, quelle idée de planquer un arbre dans une forêt," grommella-t-il en s'approchant.

Il écarta un buisson qui avait pris ses aises et confirma que c'était bien un autel, bien qu'encore plus envahi par la végétation que le précédent. Soupirant, il déposa sa sacoche, retroussa ses manches et entreprit de débroussailler. Cette fois quelques branches et une poignée de fougères furent perdues dans la bataille. Uriel espéra que Na'keïsarin se montrerait compréhensif, même si c'était beaucoup demander à un Dieu. C'était lui qui voulait que ces autels soient remis en fonction, après tout. On ne faisait pas d'omelette sans casser des oeufs.

Pendant ce temps, Foudre s'occupait en patrouillant les environs. Uriel ne voyait de lui qu'une vague silhouette dans les sous-bois, mais un soudain vacarme dans cette direction le fit sursauter. Il s'immobilisa, le coeur battant. Il y eut un rugissement qui ressemblait fort à un ours, beaucoup de bruissement de végétation, un choc sourd contre un arbre, puis une cavalcade qui s'éloignait et le grognement de dépit du Daken. Uriel secoua la tête, incrédule. Il n'avait quand même pas encore assez faim pour un ours ?

L'autel à présent dégagé et à peu près stable, il répéta le même rituel que pour le précédent : la bougie, une courte prière. Cette fois-ci, un frisson lui chatouilla l'échine, comme si quelque chose venait de s'éveiller. Mal à l'aise, il se releva en époussetant son pantalon.

"Bon, ne chômons pas. Au suivant."

Foudre renifla comme s'il avait son opinion sur lequel d'eux deux chômait dans cette affaire.

Spoiler:

Atlas en perdit des plumes et moi une partie de mon espérance de vie déjà courte ! Mon cœur fit trois tours sur lui-même quand mes yeux reconnurent la flèche sombre plantée dans l'écorce. De la sciure de bois s'était répandu au sol.

-C'est toi qui est dingue ! Tu m'as tiré dessus !

Je palpais mon corps surpris de ne pas ressentir de douleur. J'achevais ce petit manège pour lui répéter d'une voix criarde :

-Tu m'as tiré dessus !

j'eus un hoquet de stupeur avant que mon corps ne cesse de générer une adrénaline déjà inutile. Je mis une main devant ma bouche après m'être rendu compte que j'avais parlé assez fort pour ameuter toute la famille des prédateurs d'Ing au grand complet.

-J'aurais jamais dû t'offrir cette arbalète, t'es dangereuse !

Atlas tournait sur lui-même, le stress venait de lui faire perdre toute contenance. Son instinct lui conseillait de partir d'ici au plus vite. Avec son bec, il nous picorait le bas du dos pour nous pousser à avancer. Toute à ma colère, j'avançais sans lui demander la direction...

Négocier avec le dieu dragon était deux fois plus dangereux qu'elle ne l'imaginait… Sûrement était-ce dû au plateau, voire à la saucière, d'avertissements qu'on lui avait servi en double exemplaires. Mais Astrid était une femme opiniâtre, possédant assez de caractère pour continuer à tenir son rôle malgré ses jeunes années.

Elle entrevit une solution dans la forêt. C'est comme ça qu'elle se trouva à suivre un chemin oublié dans la forêt. La prédicaine n'avait aucune idée de où chercher. Elle espérait au moins trouver un autel pour présenter son respect au dieu dragon, au moins ça, à défaut de vénération pieuse.
Pour pallier à sa mauvaise vue, elle utilisait une simple lampe torche accrochée à son poignet. Le faisceau de la lampe dirigé vers le sol ne s'évasait que très peu.

Veillant jusqu'à présent à se faire discrète, elle remercia l'Infini de lui avoir évité les mauvaises rencontres. Elle réitéra sa prière silencieuse quand elle tomba nez à nez avec Syel et Azurée encore à se chamailler.
Elle s'avança vers eux non sans dissimuler son amusement. La lumière de sa lampe torche croisa la route d'un menhir allongé dans la mousse. Elle annonça sa présence avec une légère pointe d'ironie :

-Si ce n'est pas le destin qui nous a réuni là, que dire de cet autel ?

Retroussant ses manches, elle contribua au moins à nettoyer l'autel, ce dernier s'illumina quelques minutes plus tard sous la flamme d'une bougie.

-Ce devait être le dernier autel, dit-elle, que diriez-vous d'un chocolat chaud ?

Son regard gourmand se noyait déjà sur le chemin du retour.