Re: Table n°5

Je complète la commande par une deuxième vodka et le serveur s'éclipse. C'est à peine le temps qu'il a fallu pour que j'oublie à nouveau le nom du gamin. Sans intérêt... L'autre nom par contre, celui rempli de 's' me parle d'avantage. Timonière de l'autre ab**ti sur le vandavel. Une naga farouche et cupide. J'attends avec impatiente le jour où elle remplacera son patron. Elle a l'air de savoir surmonter les accidents...

Le serveur revient. Je reporte toute mon attention sur Eva. J'ai beau être immortel, la vie est foutrement trop courte pour penser à ce crevard. Je souris en réponse à sa pique. J'ai appris à ne pas intervenir lorsqu'elle s'en prend au loup. C'est un droit qu'elle se réserve et je la comprends. De plus, l'animal a fait preuve de sa dangerosité. Je n'ai plus aucune raison de le rabaisser.

- Si tu passes par Tchen, je pourrais t'apprendre un ou deux trucs.

J'y passe le plus clair de mon temps et avec cette foutue guerre, c'est pas près de changer. De toute façon j'ai jamais su ce que c'est des vacances, mais j'apprécie sa présence. Ce sera l'occasion de faire un break. J'ai envie de lui dire de d'être prudente pendant ces prochains mois. De ne pas sortir sans armes et de faire des réserves à la bibliothèque au cas où les choses tournent mal, mais je n'en fais rien. Ce n'est pas le lieu pour ça.

- Ce sera l'occasion de changer d'air sans se faire tirer dessus.

La place de Tchen est apaisante la journée à ce qu'il paraît. Sélène s'en est émerveillée la première fois qu'elle a posé le pied sur la Res Publica. Cette foutue quiétude me tape sur les nerfs. Je préfère la cour de nuit. Plonger son regard dans les flammes m'a toujours calmé.

C'est une invitation à visiter l'île de Tchen ? Visiter son palais ce doit être amusant, sauf en temps de guerre.
Je n'ai jamais connu aucune guerre, je ne sais pas à quoi m'attendre en acceptant l'invitation.

-Mais que fais-tu quand tu ne te fais pas tirer dessus ?

Cette question était très sérieuse... Certes, mon sourire lui donnait un ton ironique. Pourtant, avant d'imaginer rejoindre Augure sur Tchen je vais avoir besoin d'informations supplémentaires. Premièrement, quand il ne traque rien ni personne, fait-il autre chose de son temps libre ?
Deuxièmement... Ses trucs peuvent-ils devenir dangereux ?
Je suis toute disposée à apprendre à mâter Carine surtout si cela me permet de ne pas boire contre toute raison. Cependant, je crains que ça ne se retourne contre moi.

-Je t'imagine mal avoir des loisirs comme monsieur tout-le-monde.

On a déjà épuisé les loisirs à risque et je le vois mal faire du tricot, donc si je me pointe sur Tchen, en dehors de la visite touristique, qu'allait-il pouvoir inventer pour occuper son invité ?

Sa question me prend un peu au dépourvu. Je ne me fais pas tirer dessus tous les jours, mais de là à avoir des loisirs... Je n'ai jamais eu jusqu'à maintenant. C'était superflu. Et j'ai cessé de courir il y a quelques jours à peine. Qu'est-ce que je fais depuis ? Je prépare une guerre, je supervise les préparatifs de Magna et demain j'ai une réunion avec les nouveaux chefs de guildes...

- C'est une bonne question.

Je n'ai pas d'autre réponse. Je ne sais même pas si je sais ce que c'est un foutu loisir.

- Apparemment, je me fais bouffer le nez par ma soeur. C'est un passe-temps comme un autre.

Un foutu cache-misère. Je suis désarmé sur ce terrain. C'est pitoyable et ça ne trompe personne.

- Je faisais de la photo. Avant.

ça fait plus d'un siècle, rien que d'y penser, j'ai l'impression que ça fait partie d'une autre vie.

- Les clichés en noir et blanc m'ont toujours fasciné. Ils dégagent un émotion brute; illuminent l'essentiel.

Voilà tout ce que je peu tirer de mes loisirs passés ou présents... Ah, il faut que je rectifie un foutu détail avant que j'oublie.

- En général... on a pas le temps de me tirer dessus.

Je suis pas un foutu amateur. Quand je casse des crânes, je le fait vite et bien.

Ce doit être très étrange pour lui d’être brusquement projeté dans un univers de calme et de tracas domestiques. Du jour au lendemain la pression sur ses épaules s’est apaisée. Il lui faudra du temps pour accepter cette toute nouvelle liberté.

-Le caractère doit être de famille !

C’est bon signe, cela veut dire que cette gamine a encore assez de cran pour vivre sans s’apitoyer sur elle-même. Ou bien elle décharge sa nervosité sur Augure.
Heureusement pour elle, il est capable de supporter un speed dating durant une heure ou deux.

Un petit paquet de blagues me passèrent par l’esprit. Je les retins toutes. Augure était susceptible de ne pas apprécier que je lui rappelle dans quel état nous sommes revenus du pic d’Acturus il y a quelques semaines. J’en riais facilement, c’était ma seule défense. En plus, c’est lui qui s’est mangé une flèche, je m’en suis drôlement bien sortie de mon côté, cette fois-là.

-Je te l’accorde !

Je levais une main en signe de reddition. Mieux valait parler photo que mission.

-Alors comme ça tu aimes la photographie.

Je n’y connaissais absolument rien. On en apprend tous les jours ! D’ailleurs…

-Je n’ai jamais touché un appareil photo de ma vie, il faudra que tu me montres ça, un jour.

Quel genre de photo ferait-il ? Plutôt des paysages ou des portraits ? Ce passe-temps pourrait répondre à beaucoup de questions sur sa personnalité. Le vrai « Augure », au-delà de celui qui lutte en permanence contre un mal qui le ronge.

Ouais. Pour ce à quoi se résume ma famille désormais... J'aimerai croire que Sélène est suffisamment forte pour encaisser tout ça sur le long terme, mais je n'ai aucune certitude. C'est pour ça que je vais veiller sur elle jour et nuit.

- Pour ce que j'en ai vu, les appareils d'ici n'ont rien à voir avec celui que je manipulait.

Et c'est un doux euphémisme. Il y a cent ans, dans mon monde, la photo ne s'était pas democratisée et les appareils n'étaient en rien développés comme ceux d'Entre-Monde.

- Je le ferai avec plaisir. Ce pas sorcier de toute manière. Tout ce qu'il y a à savoir, c'est qu'une bonne photo donne vie à une histoire. Le reste n'est que détail.

Je bois mon verre d'une traite. Si aujourd'hui on prenait un cliché de moi, quelle histoire surgirait de l'image ? Je n'ai pas envie de le savoir.

- Est-ce que tu as faim ?

Qu’est-ce qu’une bonne photo exactement ? Bien que je souris, je suis attirée par ses histoires en photo. Ma curiosité est mon plus grand défaut. Je pourrais parier, et gagner, qu’à mon arrivée à la bibliothèque demain je ne saurais m’empêcher d’aller visiter le rayon photographie.
Il venait d’ouvrir les vannes à un flot de questions qui me submergeait. Celle sur « comment utiliser un appareil photo » n’était qu’un détail technique…

Par un effet de physique élémentaire, le voir finir son verre me conduit à entamer le miens. La vodka et l’absence de repas commence à faire mauvais ménage.
J’acquiesce immédiatement à sa question.

-Oui, mais le buffet ne me tente pas.

Carine en profite pour indiquer qu’il avait faim aussi.
Sauf que je me fiche éperdument des exigences de Carine. Je regarde mon verre avec un peu de regret. Manger fera passer en partie les effets de l’alcool et il faudra tenir le loup à distance durant le reste de la soirée.

Si c’est le prix à payer pour quitter ce navire…
Je prends les devant.

-As-tu envie d’aller dîner à l’extérieur ?

Je suis Eva Carine, cette simple affirmation explique pourquoi c'est moi qui propose.

- C'est l'idée ouais.

Il est temps de quitter le navire. Si j'entends encore une fois cette sonnette me dicter avec qui je dois parler et combien de temps, ça risque de pas plaire à celui qui l'agite.

- Je connais un bon restaurant.

Est-il utile de préciser que ce resto est à Magna. Je sais pas si ça lui pose un problème, mais j'ai envie de lui montrer une autre part de moi et un autre magna. Loin de ce que les rumeurs et les à priori ont fait de la réputation du quartier. Je me lève et attends qu'Eva fasse de même et on se dirige vers la sortie.