La guerre est déclarée [Conseil des Maîtres]

"Les procédures de rationnement d'énergie sont d'ores et déjà établies. Elles entreront en vigueur dès que la population aura été avertie. Vous recevrez tous un rapport des mesures prises."

En espérant que personne n'y trouverait rien à redire. La situation était grave, peut-être pourrait-on éviter des querelles de chaumière sur les équipements et bâtiments dont tel ou tel Maître jugerait l'alimentation "indispensable". Personne ne comprenait mieux la technologie que Cerclon. Personne n'était mieux désigné qu'un robot pour établir des priorités objectives, froides et méthodiques.

Xénon réfléchissait déjà à la problématique des capteurs frontaliers quand Dinu prit la parole. Il cilla et inclina la tête à l'intention de la banquière.

"Nos spécialistes travailleront volontiers de concert avec vous. De même, si Souen le souhaite, nous pouvons intervenir sur le réseau éolien pour l'étendre et augmenter son potentiel. Si l'espace vient à manquer sur les îles, nous pouvons déployer des cerfs-volants équipés de turbines. Les temples et les avant-postes les plus venteux pourraient également en bénéficier."

Il y avait probablement un tas d'autres technologies oubliées qui pourraient servir dans les tiroirs de ses ingénieurs. Cerclon possédait les travailleurs les plus infatiguables de tout l'Entre-Monde... pourvu qu'ils disposent d'énergie. Et on allait avoir besoin d'eux.

"Nous avons un barrage sur l'Ourgandi au Nord de la ville ; je veux en construire un sur l'Arcos au Sud, à son point de sortie des remparts. Faute de temps, ce ne sera pas une merveille de technologie, il deviendra donc impossible de transiter par la voie fluviale pour quitter la ville.

Les générateurs de Cerclon peuvent drastiquement augmenter leur production pour un temps limité. Malheureusement, leur voisinage immédiat deviendra invivable de bruit et de vibrations, et nous allons déjà manquer de place en ville. Nous garderons cette possibilité en dernière recours, si la cité est directement assiégée."

-Je vais m’assurer que les réfugiés puissent gagner la capitale ou les villes dans les terres sans encombre. Je vous adresserai la liste des greniers et réservoirs disponibles afin de faire remonter les ressources vers les points sensibles. Je vais voir avec K’an et les peuples marins pour vérifier l’état de nos sources. J'autoriserai le barrage dans ma zone, j'ai quelques commissaires qui accompagneront le chantier pour le sécuriser.

Les choses se compliquent quand il faut faire la liste de tout ce dont nous aurons besoin en cas de siège. Tout ça sera fait en temps et en heure.

-En ce qui concerne la proposition d’abroger la loi de limitation technologique, je demande à ce que la proposition soit amender, je ne veux pas d’une abrogation totale mais plutôt d’une suspension. Ce n’est pas le moment de défaire de vieilles lois, on pourrait s’en vouloir une fois cette guerre terminée.

Je prends le temps de peser mes mots. Ces décisions me semblent aussi importantes que tout le reste. Je ne veux pas commettre d’impair que nous paieront une fois la guerre passée et les dieux apaisés.

-Je suis même d’accord pour cette proposition d’amnistie. Cependant, quiconque voudra être amnistié devra se présenter devant les commandants [ndlr : je pars du principe que les fronts sont trop nombreux pour limiter à Xénon et moi]. Ils devront avouer tous leurs délits et crimes s’ils veulent être amnistiés totalement.

Cela va de soi, j’entends MES commandants. La frontière est mon domaine, si Augure veut contribuer j’accepte avec joie, mais il est hors de question que je lui laisse ma place. Cette réflexion très égoïste, même pour moi, exprimait toute la méfiance que j’avais pour Tchen.
Si Augure espère faire passer ses criminels pour de gentils agneaux grâce à la guerre, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il est bien sûr hors de question de gracier tout Magna par principe. Ceux qui veulent participer devront montrer patte blanche : Devant les gens en qui j’ai confiance et non les siens.

-Ce n’est que s’ils participent effectivement que j’accepterais de gracier les K’ouen. Je ne peux pas me prononcer pour les gens des autres miroirs.

-Quand vous aurez fini de vous chamailler, nous pourrions évaluer l'offre auprès des autres maitres en présence.

Les postes vacants étant nombreux et les titularisations rarissimes...

-Partons du principes que nous représentons la majorité de l'Entre-Monde, dit-elle avec sérieux,tout en ignorant superbement et K'ouen et Tchen. K'ouen étant d'accord de son côté, je le suis aussi et Tchen semble voter sa mention automatiquement. Nous pouvons considérer que la majorité est pour. Des objections ?

Dinu Mihai s'était redressée sur son siège, son stylo parcourait à allure rapide sa feuille et ses yeux regardaient tout sauf ce qu'elle écrivait.
Les discussions stratégiques de ces enfants qui jouaient à la guerre ne l'amusait pas autant que cela aurait dû. Son agacement visible sur ses traits, elle finit par poser son stylo et son carnet de note sur la table.

-Suspension de la restriction technologique, amnistie pour chaque criminel participant à l'effort au front à condition que celui-ci se présente devant un commandant des milices de K'ouen et avoue ses crimes. On va dire que ça prendra 5 minutes pour les moins originaux du lot...

Elle s'autorisa un soupir, son visage redevint serein, immuable masque de métal caché sous une peau d'illusion divine.

-Maintenant qu'on a fait le tour des questions stupides et des coups d'échecs entre Tchen et K'ouen, je suggère d'aborder un dernier problème.

Non des moindres.

-Comment allez-vous traiter le problème de fond ? Tant que la Silnà sera parmi nous les dieux ne nous lâcheront pas. Vous adorerez sûrement les premiers mois de front, ça en défoulera quelqu'uns, mais au delà nos ressources ne sont pas organisées pour tenir des années.

D'un rapide calcul Dinu Mihai avait estimé à une baisse des productions alimentaires et énergétique de 40%, environ, rien que pour des raisons logistiques : Si la main d'oeuvre est au front, qui va s'occuper des champs, des élevages et des centrales ?

-Sans oublier que ce sont des dieux. Je suis certaine que vous trouverez amusant d'essayer la puissance de vos canons sur eux, mais je doute de leur effet. Par conséquent, il ne reste qu'une solution assez plausible pour nous assurer un avenir viable à long-terme : L'Infini. L'un de vous va-t-il organiser l'expédition ? Ou bien devrais-je plutôt poser cette question à Mahaut ?

A vrai dire, personne ne pouvait traiter plus en profondeur les sujets du front. Tout viendrait dans l'urgence et la communication des Maitres étant ce qu'elle est, même autour d'une table pour traiter d'une guerre imminente, ils préfèrent se taquiner pour voir qui va lever la main le premier et déclencher ainsi les hostilités.
Irrécupérables...
Dinu Mihai se disait que sa présence dans l'Entre-Monde commençait à être foncièrement compliquée. Dirigée par une bande d'écervelés (pour ceux qui n'ont pas de processeur logique) lui pesait à chaque Conseil supplémentaire.

Elle avait tout intérêt à aller voir ailleurs si elle y était. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Elle se leva, leur tourna le dos et quitta la salle pour les laisser débattre en vain sur des sujets superficiels.
De toute manière, elle voudrait visiter un peu le pays.

Et voilà.

Il fallait que ça arrive tôt ou tard : le conseil dérapait. Et toujours entre les deux mêmes têtes de mules. La seule surprise était que Nij'aku n'ait pas encore rajouté de l'huile sur le feu par une remarque égoïste quelconque. Xénon pressa son pied contre celui de Wergeld sous la table, supplication muette de ne pas transformer ces négociations en pugilat.

La banquière prit les choses en main, ce qu'il pouvait difficilement lui reprocher. Il ne se vexa même pas de ce qu'elle ignore complètement son avis sur la question. Ces arrangements ne lui posaient pas de problème particulier, et de toute façon elle avait raison, son vote était superflu.

Lorsqu'elle fut sortie, il se leva à son tour.

"Restons-en là. Nous avons tous beaucoup de travail et trop peu de temps pour les conflits internes. Tout le reste pourra être réglé autrement qu'en personne."

Il faisait confiance à Wergeld pour rebondir sur la remarque de Dinu et lancer cette expédition en bonne et due forme. La bibliothèque était sous sa responsabilité et il avait une longue habitude de ce genre de choses, comme le prouvait le simple fait qu'ils aient commencé l'exploration de la Zone Inconnue. S'ils avaient dû entamer cette guerre sans la moindre idée de ce qui les attendait de l'autre côté des frontières...

Avant de se tourner vers la sortie, il choisit pour une fois d'oublier la discrétion et posa une main sur l'épaule de Wergeld.

Il ne la serra pas, ni ne tenta de l'entraîner avec lui. Ce n'était pas ainsi qu'ils fonctionnaient. Il n'avait aucun ordre à lui donner. Mais le geste était un avertissement : Wergeld pouvait choisir de l'ignorer et de poursuivre son affrontement avec Augure, mais il se mettrait en froid avec Xénon.

A chaque nouvelle génération de Maitre il y a toujours au moins un casse-bonbon. Augure rempli ce rôle à merveille. Si Xénon ne m’avait pas rappelé à côté de qui je me suis assis en arrivant à ce conseil, ce dernier n’aurait pas été autre chose qu’une arène de plus.
C’est même étrange que je n’ai pas déjà fais trembler toute la table rien que pour le fun de lui montrer qui est le plus fort.

La banquière a la délicatesse de nous rappeler aussi que nous ne sommes que de la vermine avec des couronnes. La poésie à la Dinu Mihai.

Ignorant superbement Tchen et le silence brutal de Souen, je me levais après Xénon pour lui emboîter le pas. Avant de sortir et d’enfiler l’écouteur pour entendre Ayame me parler au travers des grésillements, je lançais un regard amusé envers le sauveteur de ce conseil :

-Tu ne pourras pas toujours m’empêcher de lui rentrer dedans.

Au moins, quand c’était Neythen qui me prenait le chou, il acceptait volontiers de régler ça. Augure se planque sur sa jolie île volante, se planque derrière tout Magna pour ne pas m’affronter. Il sait baver en plein conseil, mais sur le terrain ce sera une autre histoire.

-Qu’il mette un pied dans ma zone, marmonnais-je.

Je saluais Xénon d’un mouvement de la main et disparaissais dès qu’un commissaire m’eut rejoint pour le voyage.
Ayame allait être furibard et fier à la fois.

Boooon... Tout le monde semblait se prendre le choux pour pas grand chose. Nij croisa les bras et se cala au fond de son siège en regardant les autres se crêper les chignon. C'était marrant mais il craignait tout de même un peu pour son mobilier qui ne tiendrait pas à une déferlante de colère soudaine. Il pensait notamment à Wergeld qui semblait bien partit pour péter un câble.

Heureusement que miss grippe-sous... la chose qui servait de banquière là... heu... DINU ! ou la femme qui lui volait ses économies petit à petit, peut-être faudrait-il qu'il pense à retirer et à tout mettre dans un endroit loin de ces mains voleuses ? Il balaye cette idée d'un geste vif de la main et écoute ce qu'elle a à dire.

Se protéger contre les dieux... Aller chercher l'infini... Pourquoi ça le tentait bien d'un coup ? Pas castagner du dieu, pourtant ce qui aurait été évident, mais d'aller chercher cette entité infinie. S'éloigner de l'Entre-monde et des problèmes qui s'y déroulaient pour en rencontrer d'autres. Serait-il vraiment prêt à risquer ses plumes pour ça ? il regarde autour de lui et prend une décision rapide : oui il est prêt, juste pour ne pas perdre ce somptueux palais. Palais qu'il allait se charger de confier à son intendant dont il ne se souvenait plus du nom. Bah, aucune importance.

Mais il n'eut pas le temps d'annoncer quoi que ce soit que la banquière était déjà partit. Ah ces femmes, toujours pressées... Wergeld suivit de près. Il regarda les survivants, haussa les épaules et considéra le conseil clos.

- Bon... Puisque tout le monde semble avoir commencé la bataille dans son coin, je propose d'aller casser du dieu, sur le champ. Ah, et je précise pour ceux qui auraient eut l'immense idée de venir squatter chez moi: je refuse toute intrusion étrangère à mon personnel dans ce palais. Sauf autorisation spéciale de ma part, écrite en trois exemplaires un jour paire finissant par trois. Allez trouver d'autres endroits pour vous cacher.

Sur ces mots, il se leva et congédia les autres avant de rattraper en vitesse Dinu, du moins c'est ce qu'il aurait voulu faire... Mais comme la malchance était de son côté, il se décida plutôt à lui envoyer un messager:

- Chère Dinu, il grimace à ces mots, si tu veux tenter une expédition hors de ces murs pour trouver l'Infini, je te propose mes services, gratuits pour une fois.

[J'ai "clos" le conseil mais rien ne vous empêche de continuer à faire de la résistance dans la salle du conseil XD]

Dinu reçu ce mot avec un temps de retard, elle ne tarda pas à exiger d'Ilinca qu'elle appelle le miroir Souen. Tombée sur une boite vocale, l'adjointe laissa un message qui sonnait comme ceci :

-A l'intention de Souen, Madame de Welgaia vous informe que l'expédition pour l'infini se prépare actuellement à la bibliothèque. La Silnà a pris les choses en main à défaut des maitres. Si vous souhaitez y participer, vous devriez vous y rendre rapidement.

De cette voix atone, Ilinca ne fit passer aucune émotion, malgré l'urgence de la situation. Personne n'est parfait...