Chateau de sables et noix aux nems

Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche. Quelques pas en avant, quelques pas en arrière. Pas de doute, Nini s'était perdue. Enfin, non. Elle découvrait une partie de la ville que tous les touristes ne visitent pas. Elle était en immersion à se promener dans un coin où apparemment seul les locaux venaient. Et peut-être deux ou trois personnes faisant des trucs pas vraiment légaux, vue les petites ruelles sombres qu'il y avait dans les parages. En machine intelligente, elle consulta rapidement la carte qu'elle avait télécharger à l'hôtel. Carte sommaire pour touriste. Très bien pour se promener dans les rues principales tout en allant voir les attractions du coin. Pas détaillées. Les petites rues n'y figuraient pas. Même avec un plan, Nini ne savait pas où elle était...

Il ne restait plus qu'à faire une chose : aller où il y avait de la lumière et du passage. Elle devrait arriver à une rue plus grande comme ça, peut-être même qu'elle figurerait sur son pan inutile! L'androïde quitta donc sa ruelle et l'arrière du restaurant pas vraiment aux normes d'hygiène le cœur léger : Kamph n'était pas une si grande ville que ça. Elle allait bien tomber sur un axe principal à un moment donné. Et de là, elle se mettrait à chercher Septembre. Et si elle ne retrouve pas, elle aurait juste à retourner à l'hôtel et à l'attendre là-bas bien sagement. Tout allait bien dans le meilleur des mondes, il n'y avait vraiment pas de quoi s'inquiéter. Enfin, ça c'est juste ce que Nini ressentait. Le sanctuari qu'elle avait semé n'était peut-être pas tout à fait de cet avis là...

Allant vers la lumière (qui n'était pas au bout du tunnel), l'humanoïde mécanique arriva rapidement sur une rue de moyenne importance, encore animée malgré l'heure tardive. Quelques bars avec terrasse accueillait des noctambules en plus ou moins bon état tout en diffusant des musiques aux styles différents. Tout de même pas très sûre de la direction à prendre, l'androïde se décida à aller demander son chemin. A sa gauche, elle avisa quatre jeunes hommes assis à une table à l'ambiance décontractée.

-Bonsoir! Dites, comment je peux rejoindre la rue principale depuis... Vous jouez à quoi?

Les quatre garçons dans le vent (un petit vent marin soufflait sur la ville) jouait à un jeu typique de la région. Chacun tenait sept languettes qui semblaient être à mi-chemin entre les cartes et les dominos et au milieu se trouvait deux dés à huit faces reposant dans un bol qu'on aurait facilement confondu avec une carapace de tortue. Ou c'était non pas un bol mais une véritable carapace de tortue... Très amicaux, les jeunes gens l'invitèrent à s'assoir avec eux et lui proposèrent même de lui apprendre comment jouer avec ces dés et ces bâtonnets tout plats. Youpi! Nini trouvait que ça avait l'air intéressant et amusant : elle accepta sans hésiter. Installée à leur table, elle prit le temps d'observer une manche, de voir passer des pims de plusieurs mains à une seule puis vint le moment où elle allait pouvoir commencer à jouer.

-J'ai pas beaucoup d'argent avec moi. Je peux miser un pim ou quelque chose d'autre?

Et voilà, elle était partie pour jouer et miser avec ses nouveaux copains. Remettant sa recherche de Septembre et du chemin à plus tard. Et puis, comme on lui avait appris, la meilleure chose à faire quand on est perdu est de rester tranquillement là où on est, en attendant que quelqu'un vienne nous aider. C'était, à deux ou trois détails près, ce qu'elle faisait!

Les Androïdes ne dorment pas. La plupart d'entre eux je crois. En tout cas, moi et ma jolie carrosserie on ne fermera pas l'oeil tant qu'on n'aura pas retrouvé Nini.
La petite teigne perdue on ne sait où (et si je savais qu'elle s'apprêtait à jouer à des jeux d'argent pendant que je sue pour lui remettre le piston dessus...) je fouillais méthodiquement les rues. Ou quelque chose du genre...

A ma dernière visite, j'avais vu l'avenue principale, la caserne et on m'avait parler de quelques quartiers un peu plus pauvres, un peu moins surveillés non loin du centre ville. Je n'y étais jamais allé mais bizarrement, mon processeur me titillait en insistant pour m'envoyer là bas.
L'instinct du sanctuari d'aller y faire un tour luttait contre ma logique très présomptueuse : Nini n'irait quand même se balader là bas !

Sur la grande avenue, je trouvais le vigile d'un club qui regardait au dehors les yeux vidés de toute substance créative.

-Vous n'auriez pas vu une jeune femme... avec une tête rose ?

Il sourit.

-Tu crois quand même pas que...

L'homme était relativement bien bâti, il aurait des restes de géants que ça ne m'aurait pas étonné.

-Je me fiche de qui entre dans ton bordel, la fille que je cherche devait courir et faire un bruit impensable. Je doute que tu l'aurais laissé entré.

Il me paru étonné... Et finit par dire :

-J'ai vu personne passer depuis une heure.

Super. Demi-tour mon grand !

Je répétais un scénario similaire durant plus d'une heure dans quelques ruelles qu'elle était susceptible d'avoir prise. Pas de trace dans la poussière (et les robots en laissent plein), des cul-de-sac, des endroits si sombres qu'elle n'aurait certainement pas pu passer par là sans se tordre le cou : après tout elle n'y voit rien dans le noir, c'est bien ça ?

Ne me restait que quelques rues mal fréquentées. Mon premier réflexe fut de bien ranger mon miroir de Sanctuari et de préparer ma mécanique.
Quand on est grand, costaud et austère, on a toujours plus de chance de se faire enquiquiner dans ces coins là. Parole d'expert !

J'ai déambulé dans les rues un petit moment, trouvant de nombreux bars et clubs encore ouverts. C'était très fréquenté mais pas si rebutant comme endroit, Magna me faisait bien plus frissonner que ces rues là.
Attrapant quelques épaules impressionnées par mes nombreux centimètres en trop, je questionnais par ci par là :

-Vous auriez vu une fille aux cheveux roses ?

Beaucoup de non, des oui infructueux ou hilares, et parfois des "peut-être bien m'sieur" accompagnés de mains tendues, avides.
Jusqu'à tomber sur un "oui par là bas ! Elle jouait"

-Elle jouait ?

L'autre s'en alla sans répondre et je suivais incrédule le chemin indiqué par le fêtard.

Nini se concentrait. Apprendre ce jeu n’était pas aussi simple qu'il le paraissait. Non seulement il fallait mémoriser les règles qu'on lui avait plus ou moins clairement expliquées avant de commencer la partie (vous allez me dire que ce n'est pas ce qu'il y a de plus complique pour un ordinateur dote de jambes), mais il fallait aussi enregistrer celles dont ils avaient oubliées de parler. Pas facile de gagner comme ça. L’androïde avait un sacre handicap pour le coup. Résultat des courses : elle perdit son pim. Mais préférant gagner que perdre, Nini le petit robot rose releva le défi de faire une autre partie et cette fois, elle paria vaillamment un demi pim. Bin oui, elle avait pas encore des boulons en or, alors elle faisait avec les moyens du bord - j'ai fait une rime, j'ai fait une rime!

Les quatre garçons dans le vent (une brise marine rafraîchissait Kamph a cette heure tardive) se regardèrent les uns les autres : d'habitude, ils n'acceptaient pas des mises aussi petites. 1 pim était la mise d’entrée, et déjà ils se montraient généreux. Nini les regarda tour a tour, avec ses grands yeux roses presque implorant, une petite moue au visage, légèrement penchée en avant avec sa tête quelque peu rentrée entre ses épaules. Ses long-cils venaient ombrager ses pupilles en fraise tagada synthétique a intervalles régulières alors qu'elle demandait d'une petite voix leur approbation. Que les jeunes hommes, trop fières d'eux-même lui donnèrent bien rapidement. Leur instinct protecteur de mâle viril et puissant s’était réveillé et ils étaient trop heureux de faire ce geste magnanime en vers cette fille tout mignonne, aux allures innocentes et candides qui était miraculeusement échouée a leur table. On ne voyait pas beaucoup de fille aussi facilement abordable se promener toute seule loin de la lumière des grandes artères se promener seule a cette heure ou les gentils enfants sont couches depuis bien longtemps.

Misant donc un demi pim, Nini était repartie pour un petit tour. Et cette fois aussi elle perdit. Mais elle apprit. Elle découvrit que la clé de la victoire était de compter les mains tirées et jouées, mémorisant systématiquement les languettes, croisement d'un jeu de cartes et de dominos. Une fois le tout mémorisé et compte, deviner ce que les autres allaient jouer relevait juste d'un peu de logique et un brin de chance. Rien de sorcier au final. Le seul véritable aléa qui restait était les des. Néanmoins, cela suffit pour que Nini prenne progressivement l'avantage et termine par gagner sa troisième partie. A la quatrième partie, elle peaufina sa technique et domina la table : elle avait récupéré son pim et demi et plus encore. Au milieu de la cinquième partie, les jeunes hommes arrêtèrent de parler de la fameuse chance du débutant. Ils préféraient se concentrer sur le jeu, devenant de plus en plus sérieux. Comment pouvaient-ils accepter de se faire plumer par une néophyte toute innocente et qui n'avait pas forcement l'air très futée? Pendant ce temps, l’androïde avait tout le loisir de laisser se promener son regard, observant les environs et apercevant une silhouette qui lui disait quelque chose.

-Attendez moi, je reviens tout de suite! Et ne jouez pas durant mon absence, hein!

Nini se leva d'un bond et s’élança en direction du pas inconnu, mastodonte de circuits, de rouages et de piles électriques. Comme quoi, la meilleure chose a faire quand on est perdu est d'attendre sagement que quelqu'un vienne nous chercher. La preuve : Septembre avait termine par retrouver Nini alors qu'elle, telle une damoiselle en détresse, l'attendait patiemment. En jouant avec des inconnus a un jeu d'argent, certes, mais elle l'attendait. Même si elle ne s'en était rappelée qu'au moment ou elle l'avait aperçu, concentrée sur son jeu comme elle l’était. Arrivée a la hauteur de sanctuari, elle le prit a nouveau par la main et commença a l’entraîner vers sa table et ses nouveaux copains a qui elle avait hâte de le présenter. Toute contente, elle lui raconta comment elle avait failli perdre tous ses sous avant de comprendre qu'il suffisait de compter les bâtonnets et de renverser la situation... Et le tout, sans se demander si elle avait vraiment raison de raconter a un représentant comment elle jouait a un jeu d'argent en plein milieu de la nuit tout en trichant, ou presque, avec de parfaits inconnus. Que c'est beau, l'innocence et la spontanéité.

Elle jouait. Le garçon n'avait pas menti, le mot "jouer" était on ne peut plus juste.
Une ruelle loin des artères principales et des gens qui jouaient à des jeux d'argent à la vue et au su de tous. Je devais évaluer la situation, quelque chose me disait que la petite androïde allait nous attirer des ennuis bien relevés ! Quand elle trotta pour me retrouver et m'emmener à sa table de jeu, elle fit pire encore.
Elle révéla à ces pauvres bougres qu'ils jouaient avec une androïde possédant un super calculateur dans la tête. Ce serait comme autoriser un androïde dans un Casino. Au back-jack elle ferait un malheur !
L'ambiance devint bien moins accueillante. Les regards impatients ou curieux se muèrent en tout autre chose.
En sentant l'atmosphère changer, je tentais un maigre :

-Et si on faisait comme si elle n'avait rien gagné et que vous n'aviez rien perdu...

Raté. Des manches se relevaient et les résidents nous présentaient des visages plus ou moins haineux.
Quatre contre un, je n'étais pas certain de m'en sortir sans dégâts. Nini non plus. Je passais une épaule devant elle, pour faire rempart de l'épaisseur de ma carrosserie et de ma subtile mécanique...
Mais ils sortirent des couteaux de leurs manches. Des cartes que je n'avais pas en stock. Mes plaques de métal étaient immunisées mais aux liaisons, aux articulations, et sur toutes les zones souples de mon corps...

J'ai cherché la main de Nini avant de la récupérer et de ne surtout pas lui laisser l'espace pour se libérer.

-Nini, on joue à chat maintenant. Eux, ce sont les chats, et nous on doit les semer.

Aussitôt dit...
Je tirais la jeune femme par le bras en donnant le top départ de notre fuite éperdue : droit devant. Un carrefour, je m'y engouffrais sans me référer aux quelques bribes de carte de ma mémoire. D'ailleurs mon processeur tenta bien de me dire : tu vas te perdre et moi avec, mais devant l'énergie déployée pour semer nos poursuivants, je fis une mise en quarantaine de toute forme d'alerte qui n'aurait pas été urgente.

Ce qui devait arrivé, arriva. J'avais clairement pris une mauvaise direction, mes pieds s'enfoncèrent dans le sable avant que je ne comprenne que la bande noire et odorante droit devant n'était rien d'autre que la mer léchant la plage.

Main dans la main, comme ils étaient mignons ces deux robots en vacances. Par contre, les quatre joueurs encore assis et qui entendaient ce que la jeune femme mécanique disait devenait de moins en moins mignons eux. Toute guillerette, Nini raconta a quel point elle trouvait ce jeu d'argent amusant maintenant qu'elle avait compris comment gagner a tous les coups. Apres tout, il suffisait de compter et d'enregistrer les mains jouées pour ensuite faire un rapide calcule de probabilités : il n'y avait pas de quoi faire fondre ses circuits, loin de-la. Par contre,que ses petits camarades se fâchent en découvrant qu'elle n’était rien d'autre qu'un super calculateur sur pattes, ça, ça ne rentrait pas dans son hypothèse de base et donc dans ses projections...

-Et si on faisait comme si elle n'avait rien gagné et que vous n'aviez rien perdu...

-Hey! Mais pourquoi? J'ai gagne! Pourquoi je devrais leur rendre l'argent?

L’idée que sa petite technique puisse être considérée comme une énorme tricherie ne lui avait pas effleurer l'esprit. Apres tout, les règles ne stipulaient pas qu'on n'avait pas le droit de compter et mémoriser les coups joués. Elle avait gagne, alors pourquoi devrait-elle rendre son argent fraîchement acquis? C’était tout bonnement injuste! Néanmoins, la poupée vaguement vivante n'eut pas vraiment l'occasion de continuer a protester et de faire un caprice. Le grand, beau et fort Sanctuari se mit légèrement devant Nini en signe de protection avant de lui saisir la main pour s'enfuir en courant. Les petits camarades de jeu de l’androïde étaient des hooligans mauvais perdant. Voila qu'ils sortaient des couteaux et semblaient être bien décidés a écorcher leurs belles carrosseries. Tout ça parce qu'ils n'avaient pas de super processeur a la place de leur cerveau organique! La jalousie et l'envie, c'est moche.

Bref, cette fois ce fut Nini qui se fit entraîner par Septembre, et non l'inverse. Et c'est parti pour un petit sprint demandeur en énergie! Surprise, la pauvre petite androïde était a deux doigts de se faire balader par le sanctuari comme une boite de conserve vide se fait trimbaler par une voiture de jeunes maries... Et la petite course poursuite se finit par Robot numéro 1 freinant brusquement et Robot numéro 2 qui lui rentre a moitie dedans. Il fallait mettre les warning ou au moins allumer les feux de freinage pour éviter un accident! Enfin heureusement il n'y eu pas de dégâts : pas besoin de constat a l'amiable cette fois. En un réflexe parfaitement inutile, Nini se frotta le nez qu'elle venait de cogner contre le métal de Septembre. Elle savait pertinemment qu'elle n'avait subi aucun dommage: un message d'alerte serait apparu si elle était endommagée. C’était encore un de ces éléments de gestuelle pré-enregistrés qui étaient censés aider les humains s'habituer a la présence de cette machine humanoïde. Nini s’éloigna de quelques pas sur le cote de Septembre.

-C'est... c'est la mer?

O joie! le robot venu tout droit du monde des bisounours a la cervelle en guimauve voyait pour la première fois cette espèce d’aquarium géant rempli d'eau salée. Et comme une gamine souffrant d'hyper-activité et ayant bu par hasard trois cafés noirs et deux cannettes de boisson dopante... énergisante je veux dire, elle s’élança vers la mer. Et zoup-la boum, les deux pieds dans l'eau! Voila qu'elle découvrait les vagues, les toute petites bulles blanches qu'on appelle écume et... bin les vagues un peu plus grosses qui vous trempent jusqu'au cuisse. D'un coup, c’était moins drôle. Elle retourna aussi vite bien au sec a cote du sanctuari qu'elle était partie batifoler dans l'eau. Jouer dans les vagues, ça avait l'air bien. Mais tremper ses affaires et les saturer de sel, c’était légèrement moins drôle. Surtout quand un petit message d'alerte passait en boucle en disant "attention, risque d'infiltration! Attention, risque d'infiltration!" . L’androïde de maison était conçue pour résister a une rapide trempette, au cas ou quelqu'un lui renverserait de l'eau dessus ou si elle se faisait surprendre par la pluie; mais la baignade était fortement déconseillée...

Nini tourna une petite mine déçue vers Septembre.

-Je crois pas pouvoir aller me baigner comme ça...

Ennuyée, elle donna un petit coup de pied dans un petit monticule de sable qui n'avait rien fait de mal. La violence gratuite, c'est pas beau. Nini se tourna vers la mer et se laissa tomber par terre. Elle s'assit, entourant ses genoux de ses bras. C’était la toute première fois qu'elle contemplait la mer.

-Attend…

Un bras levé bêtement vers l’horizon nocturne et Nini s’échappant vers les vagues. J’ai tenté un bref « c’est de l’eau » qui résonna dans le vide. Elle résista assez bien à l’eau de mer jusqu’à ce que son ordinateur (très utile pour tricher) lui fasse admettre que, évidemment, un robot n’est pas dans son meilleur élément au milieu d’autant de flotte.

Plus tard la baignade. Quand il fera jour et que personne ne risquera de nous tomber dessus avec des couteaux trop aiguisés pour les circuits délicats et compliqués qui nous remplissent le ventre.

-Ouai, personnellement, c’est le sable qui me gêne.

La quarantaine terminée, mes alarmes internes retrouvèrent toute leur intensité, me conviant alors à une geste typiquement humain : Je me pinçais l’arrête du nez, la tête basse et une grimace douloureuse finit mon expression de profonde fatigue physique et mentale. Même si mes batteries sont encore en bon état et que mon esprit ne fatigue jamais.

-Je vais grincer…

Je fis rouler l’articulation de ma cheville et un léger grincement suivie de quelques crissements significatifs attestèrent que le sable fin avait pénétré mes liaisons.
C’est un repousse sable/poussière/particules que j’aurais dû commander au technomage.

Je remarquais enfin qu’elle s’était installée sur la plage, les yeux rivés vers la mer. Les lumières de la ville illuminait la crête des vagues de reflets orangés. Et l’horizon ne se définissait qu’entre l’étendue étoilée et la masse sombre roulant au dessous.

A la voir ainsi absorbée par le spectacle, je sus à quel point sa conscience était proche de l’humanité. Un être humain aurait eu la même réaction. Devant la mer, le désert, le ciel… Le cœur impressionné par l’immensité et un fond d’instinct lui rappelant l’étendu du territoire à conquérir et les dangers qu’il recèle.

Je refusais catégoriquement de risquer les articulations des hanches en m’asseyant à ses côtés, mais debout à côté d’elle, je manquais le paysage et l’observais, elle.
Une semaine entière à ses côtés, ce serait peut-être une semaine à jouer à chat, à rincer mes articulations, à vérifier l’intégrité et la résistance de tout mon cortex émotionnel : le processeur affilié aux tâches ingrates. Celles de comprendre les gens comme Nini.

-Que dirais-tu d’essayer de retrouver notre chemin ? Avec de la chance, tes soupirants ont abandonné l’idée de nous poursuivre pour récupérer leur argent.

L’a-t-elle gardé ou était-il sur la table ? Première solution, nous les reverrons sûrement, deuxième, en faisant attention ils nous oublieront.

-On te passera a l'aspirateur en rentrant. Ça suffira a t'enlever le sable?

Nini fit une petite moue. Autrement dit, elle imitait le derrière d'une poule avec sa bouche. Elle se sentait vaguement déçue de ne pas avoir pu se baigner. La mer était la, plus proche que jamais, a quelques mètres devant elle. Elle était a la plage pour la première fois et voila que tout ce qu'elle pouvait faire était observer les reflets de la ville et de la lune apparaître avant de disparaître dans le ressasse des vagues. C’était injuste. La flaque géante la narguait. Et elle, pauvre robot de son état, elle ne pouvait rien répliquer. Nini en était réduite a avoir les fesses bien ancrées dans le sable tout en fixant l'eau. C’était beau, quelque part. Ou du moins, c'est ce qu'elle supposait. C’était grand, vaste même. La mer, sombre sous le ciel nocturne mais parée de reflets étincelants discrets; donnait l'impression de receler de mystères. Et surtout, elle paraissait être la derniers gardienne avant de la fin du monde. Si l’androïde respirait, elle aurait pousse un soupir. Ses disques durs avaient beau lui crier une explication parfaitement rationnelle et scientifiquement exacte de ce qu'était la mer, Nini n'arrivait pas a chasser cette impression. Peut-être avait-elle lu trop de livres fantastiques et avait-elle regarde trop de films. Ou peut-être arrivait-elle enfin a développer ses capacités émotionnelles. La fille aux cheveux en barbe a papa et aux yeux en fraise tagada serait-elle enfin en train de devenir adulte? Un miracle serait-il en train d’opérer?

-Des soupirants? Des gens qui poussent des soupirs?

Nini tourna un regard plein d'interrogation vers Septembre. Elle n'avait pas enregistre ce vocabulaire et n’était pas sur de comment interpréter le mot "soupirant"... Pour sa défense, on pourra dire que ce nom n’était pas utilises très souvent. Le jeune femme mécanique se leva et épousseta ses fesses d'un geste rapide et quelque peu brusque. Quelques pièces tinta dans l'une de ses poches. Elle avait récupéré un peu plus de sa mise de départ avant de quitter sa table de jeu et d'avoir a prendre la fuite en toute urgence avec Septembre.

-On repart a l’hôtel alors?

L’androïde domestique se dirigea vers les beaux et larges trottoirs paves de dalles blanches entre lesquelles le sable s'insinuait. Maintenant, le tout était de retomber sur l’artère principale afin de pouvoir rejoindre leur hôtel ou n'importe quel autre point de la ville. Nini jeta un coup d'oeil autours d'elle et termina par repérer un point d'information pour touriste éclairé malgré l'heure tardive. Un plan simplifie y était affiché et indiquait les grandes rues ainsi que les principales attraction de la ville.

L’aspirateur, le balais brosse et même la soufflerie seront nécessaires pour tout enlever !
J’empêchais les nanobots de mon visage de se disperser sur ma carcasse le temps d’un nettoyage en profondeur au risque de découvrir toute ma fragile mais inesthétique mécanique.

-Non un soupirant c’est…

Je devrais la connecter à mon dictionnaire interne.

-Je te montrerais plus tard !

C’était déjà assez embêtant que mon humour fasse un flop! mais de ce calibre là… C’est limite pour ma programmation. Je vais demander à ce qu’on me supprime la touche d’humour de mon caractère numérique.

Sans mot dire, je l’ai suivi jusqu’au kiosque.

-Tu as repéré le chemin ?

Mais pourquoi lui poser la question, je devrais mieux faire une photographie du plan et m’assurer de prendre les bons chemins…

Sur le dallage on entendait un cric-crac répétitif qui marquait mes pas lourds sur la pierre et le grincement de mes rotules embarrassée.
Si j’avais pu rougir, je ne me serais pas gêné !

Penché au dessus son épaule, je mémorisais à mon tour la carte abîmée par le soleil. Sa lisibilité pour un œil humain laissait à désirer mais pour deux ordinateurs ambulants !
Aussitôt fait, je repartais vers l’artère principale.
Ajoutant un cric-crac à l’ambiance, de plus en plus sonore alors que le ressac des vagues s’éloignait de la portée de notre ouïe.

-Que vas-tu faire avec tes gains de jeu ?

Ma mémoire me rappelle de lui expliquer en quoi c’est mal de tricher aux jeux d’argent… Et dangereux.

-Repéré!

Nini posa un doigt sur la carte avant d'y tracer le chemin le plus court, et le plus sécurisé aussi, pour retourner à l'hôtel. Elle enregistrait le trajet, pour être sûre de ne pas se perdre cette fois. Une escapade dans l'inconnue par soir était amplement suffisante. Le crissement des grains de sable se faisant comprimer par les rouages du sanctuari remplaça peu à peu le bruit des vagues alors que les deux robots empruntaient l'artère principale de la ville. Heureusement pour eux, leur hôtel chic et choque, et aussi accessoirement hors de prix, était situé sur l'une des places les plus en vues de la ville. Autrement dit il suffisait de suivre l'itinéraire du bon touriste, parfois surnommé le bon gros gras pigeon, pour tomber dessus.

-Hé?

Nini se passa une main dans les cheveux. C'est vrai ça, qu'allait-elle bien pouvoir faire des trois deniers qu'elle venait de gagner? C'était une fichtrement bonne question. En bon transistor, elle se mit à réfléchir à haute vois, faisant un petit bruit de fond accompagné cric-crac régulier des genoux de Septembre.

-Aucune idée! J'aurai bien acheté des souvenirs mais, je vois pas à quoi ils vont me servir à part prendre la poussière. Je pourrais peut-être m'acheter une glace avec? Ou un verre de... un cocktail? Ou je pourrais les mettre de coté pour plus tard? Ou je pourrais acheter des cartes postales? Mais je ne personne à qui envoyer de lettre, à part mes chèvres. Et je ne suis pas sûre que mes chèvres sachent lire. Si elles sont encore vivantes. Oh! Mais je pourrais t'envoyer une carte à toi?

Oh l'idée de génie! Envoyer une carte postale à la personne qui la supporte et se fait traumatiser par elle l'accompagne et partage joies et bonheurs avec elle! Comme si à la fin de ses vacances il allait en redemander. Nini regardait le prototype de ce regard innocent et enjoué, un brin enfantin mais surtout plein d'illusions et d’enthousiasme. Avec des petites étoiles apparaissant de-ci de-là.

-Tu me donnes ton adresse?

Des cocktails, c’est possible ça, avec les noix on pourra en siroter toute la journée ! Avec ce soleil ce serait même une précaution sanitaire. Deux faux-organiques qui s’assèchent au soleil, l’odeur de momie fraiche risquerait d’alerter les autorités.
Mais à quoi je pense, au juste ?!
Mon processeur fit une embardée avant de reprendre un rythme convenable.

-Mon adresse ?

C’est drôle ça, mon adresse c’est Septembre, Caserne des Sanctuaris.
Mais je vais lui donner : Cellule n°12, Caserne.
Ça fera de la lecture pour le vieux Bobby.

Les chèvres me firent penser à une connaissance de Li, une érudite à tête de bouc qui trainait plus souvent son nez dans des ouvrages poussiéreux que sur le gazon. Je pourrais lui refiler de la compagnie intempestive.
Pour me venger des informations tronquées qu’elle m’a donné lors d’une mission délicate.

-Tu sais, je connais une chèvre qui sait lire, elle passe beaucoup de temps à la bibliothèque.

Je priais les dieux que cette histoire de chèvre savante se grave dans la mémoire de la petite androïde.

-Sinon, garde tes sous, tu trouveras plein d’occasions de les dépenser pendant le séj…

Nous atteignions l’une des artères principales de la ville. Dans quelques minutes nous serions à l’hôtel pour s’y reposer (se nettoyer les articulations). Mais il fallait encore l’atteindre.

Il y avait un groupe au milieu de la route. Le plus étrange n’était pas dans l’attroupement, mais dans la langueur des mouvements de chaque individu, leur façon de se rentrer dedans lorsque les routes se croisaient malencontreusement.
Certains grattaient aux portes, d’autres rampaient contre les murs aux fenêtres obstruées.

Pour une fois, mon dictionnaire me donna une définition parfaite de ce qui nous aperçu comme une seule créature :

-Des morts vivants, mais…

Ce n’étaient pas des mort-vivants de Touen ou de K’ouen, non. C’étaient ceux des vieux films d’horreur en noir et blanc. Qui trainaient leurs jambes sur les pavés, les bras levés devant eux, espérant trouver chez deux robots de la chair fraiche et saignante.

Il faut le dire : c’était une soirée pleine de rebondissements !
Et j’avais laissé mon équipement à l’hôtel… Quel imbécile !

Prêt à en venir aux mains, je me plaçais devant Nini :

-Tu voudrais bien m’attendre sur le côté, j’ai quelques petits problèmes à régler.

Question : qui a déclencher l’épidémie ? D’où venaient toutes ces goules ? Et Depuis quand ?