Chasse aux ours d'Etra.

Nous voilà donc partit de Cabèche, nous étions partit en direction de Vink et je suivait mes deux compagnons du moment avec grande attention. Un peu avant de rejoindre Wergeld je pose à Ayame une autre question qui me travaillait, je n'avais pas très envie de déranger Wergeld ... Vu son humeur.

-Dite monsieur Ayame ... Pourquoi est ce qu'il est en colère monsieur Wergeld ?

Ensuite comme nous nous rapprochions de ses oreilles j'embrancha sur la première question qui me turlupinait.

-Et sinon ... Qu'est ce que vous avez posé sur vos vêtement ? Cela sert à quoi ?

C'est vrai que j'étais un peu curieuse. Personne au village, du moins, quand j'étais là, n'avait posé ce genre d'objet sur leurs vêtements.

- Cela sert-il à se déguiser ? Ou ... A donner un pouvoir particulier ?

Le dos rond et traînant les pattes, j'accusais le voyage sous l'eau qui s'était révélé très reposant, si on omet quelques petits détails... J'écoutais d'une oreille distraite les messes basses d'Ayame et de la louve, il n'y avait pas grand chose que je pouvais entendre vu l'état de mes tympans, justes quelques mots.
Quant à l'elfe, il ne savait pas vraiment répondre à Louvia, lui-même ne comprenait pas cette triste maladie qui m'avait fait rendu fou d'un autre fou, et qui aujourd'hui me terrassait avec plus d'efficacité que le plus costaud des tauracles. Il choisit ses mots, pour en dire peu. Ce qu'il faut.

-Il a perdu un ami récemment...

Juste un ami, n'est-ce pas ?

-Tu peux m'appeler Aya !

Son ton était sans détour. Il voulait qu'on le surnomme Aya. Un sourire. La chasse ne le tentait pas tant que ça, au contraire il aurait préféré me traîner de force à l'hôpital pour me faire suivre et me traiter à coup d'antidépresseur. Le mérite de la médecine de rassurer le semi-elfe et de me mettre sous cloche de verre en attendant que la raison me revienne.
Si elle revient un jour.

-Cessez de jacter tous les deux, la nuit ne va pas tarder à tomber, j'ai pas envie que vous traîniez en arrière. On ne sait pas ce qui rôde dans le coin. Vous allez attirer les monstres...

Chiche ?
Un monstre ou deux pour m'échauffer avant les ours. Je me serais mis des baffes à changer d'humeur comme de chemise.

Au milieu des champs et sans lumière, je tenais la tête du groupe. Daignant répondre à Louvia, j'expliquais succinctement :

-Ces écussons permettent aux gens qui ne nous connaissent pas de savoir que nous sommes rattachés à l'administration du miroir. On évite les ennuis.

Ma pelle à tarte suffit d'ordinaire... Enfin, on ne sait jamais.

-Au fait Louvia, si tu as faim, préviens-nous. On avait pas prévu de camper pour dîner...

Ayame me coupant, il ajouta :

-Ce qu'il veut dire, maintenant, c'est qu'on pourrait faire une exception et se chasser un ou deux lapins avant que la nuit ne tombe. Qu'en dis-tu ?

Les trajets de ce genre sont mal fréquentés ou trop fréquenté. Avec Ayame nous avions pris l'habitude d'un seul repas par jour lors des voyages. C'était plus pratique.
La fatigue venait avec les heures passées sous la pluie et au fonds des mers, je soupirais un :

-Demain on continuera sur le Cyliong, ça te dérange de voyager sur une monture Louvia ?

L'animal se fera bien à la présence d'une louve sur son dos. Au pire une bonne bourrade et il sera assez sonné pour l'accepter ! Je n'ai pas envie qu'on me contredise en ce moment.

-Aya, trouve de quoi dîner, on va préparer le campement !

Le soleil approchait l'horizon, enflammant les nuages de cendres rouges et or. Au loin, les cimes de la forêt Hourva se dessinait en un fin liseré recouvrant les collines. Surplomber d'un ciel lourd et chargé qui pleure continuellement.
La pluie cessa, quelques instants. Assez pour que le vent nous glace le sang.

L'elfe s'éloigna, il avait déjà repéré quelques cavités et bosses signant à coup sûr la présence de lapins dans les fourrés. Il était déjà loin quand j'indiquais à la louve un endroit où nous pourrions camper quelques heures, pour dormir et manger. Un puissant chêne rouvre courbé comme un vieillard nous tiendrait lieu d'abris contre la pluie. Ses feuilles perlaient de rares gouttes d'eau sur le feuille que je tentais de faire démarrer avec des copeaux et brindilles sèches...

-Aller...

A force de m'énerver sur les bouts de bois, ils finirent pas fumer, souffler dessus attisa les premières flammes et bien vite les crépitements narguaient l'humidité environnante.

-On aura chaud ! Ce sera plus agréable que de voyager de nuit.

Avec le Cyliong, nous gagnerons des heures entières, l'animal avançait à bonne allure alors, pour cette fois, nous pourrons prendre un peu de repos. Surtout que la tête tournait, les allés et retours dans les profondeurs n'avaient pas aidé mes tympans à guérir de la visite de Ho'una dans le désert, ni le reste des blessures encore existantes sous mes vêtements.

-Un Cyliong c'est un grand lion gris, aveugle. Une monture intelligente qui supporte le poids de trois hommes. Moi et Ayame ne sommes pas bien lourds alors l'animal n'aura pas de mal à te porter toi aussi. Il nous permettra de traverser les collines et le fleuve Brihm. On devrait arriver à Vink demain soir, ou après demain dans la matinée, tout dépend si nous décidons de prolonger cette pause ou non...

Le semi-elfe revint, tenant par les oreilles trois lapins bien charnus.

-Le souper arrive !

Il s'assit en tailleur près du feu.

-Tu préfères crû ou cuit, Louvia ?

Il dit ceci en me donnant l'un des cadavres qu'il fallait dépecer et vider avant de le piquer au dessus du feu. Je me mis au travail, par habitude et pour ne penser à rien. L'elfe se contenta de me remplacer pour faire la conversation à la louve.

-Vous discutiez du voyage ? Il ne sera pas bien long et avec cette pluie battante les chacals nous ficheront la paix. Nous ne devrions rien rencontrer de dangereux jusqu'aux abords de la ville. C'est une bonne nouvelle !

Pleutre.
Lui-même se mettait au travail sur le second lapin. C'était importe de le préparer proprement pour le dîner. Ou nous risquions l'empoisonnement...
D'ailleurs, en regardant le troisième gibier :

-Le lapin te convient ?

Caleb m'avait appris à ne pas donner les os de lapins aux chiens. Ils sont durs et pointues, ils manqueraient de leur blesser les entrailles.

Ils formaient un duo qui semble fonctionner depuis toujours. L'un chasse, l'autre fait le feu et ensemble ils préparent la nourriture. Quand l'un se tait l'autre prend la parole s'en était impressionnant et beau à la fois. J'étais resté silencieuse le temps de laisser à Wergeld de faire le feu et aussi d'écouter ses explications par rapport au Cyclion. J'avais hâte de voir ça, je me demandais si il accepterai ma présence animale et surtout, canine. Enfin Ayame revient et repris la conversation.

-Je préfère cuit s'il te plait et oui il me convient parfaitement.

En vérité je n'avais pas l'habitude de manger beaucoup, exception faite de la viande rouge que je pouvais avaler par kilo ! J'adorais ça, et qu'elle soient crû ou cuite peu m'importait. Ma famille adoptive avait surtout fait attention à ne pas me donner trop vite le goût du sang, mais les premières chasses n'avaient fait qu'accentuer ma préférence pour les viandes rouges. J'humais l'air autour de nous et ne décelait pas de danger immédiat, en même temps fasse à une louve et deux chasseurs expérimentés, il n'y avais aucune raison que nous ne nous en sortions pas face à quelque bête prédateur.

-Non en effet, la pluie calme souvent les ardeurs d'une meute, cela dit, certaines meutes aime profiter de l'avantage d'une pluie, mais c'est très rare.

Connaissant encore que peu les environs j'essayais de me renseigner sur ces fameux ours que nous allions chasser.

-Dite, vous avez déjà chasser les ours d'Etra ? Ils sont comment ? C'est quoi la bête la plus féroce que vous ayez eu à chasser ?

Ce n'était pas vraiment les loups qui nous inquiétaient ici. Sous le chêne et encore si loin de la forêt nous ne verrons pas grand chose sinon des bovidés et peut-être quelques prédateurs solitaires. Ceux là sont déjà plus dangereux. Plus imposant que les loups, silencieux, intelligents...
Le lapin fumait au dessus du feu, pour ma part je l'aurais préféré bouilli. Les fumées chargées de l'odeur de la cuisson pourraient attirer les monstres. Mais en l'absence de matériel de cuisson... On fera avec.

Ayame était d'humeur bavarde ces derniers jours. Il avait tout tenté pour me sortir de ma mauvaise humeur, l'humour, discuter travail, parler famille, parler avenir ou passé... Jusqu'à maintenant la seule chose qui m'avait tiré un sourire c'était les cabrioles sous-marines de la louve. Il aurait été difficile de manquer ça.
Mangeant patiemment, je le regardais. Son sourire parfait qui jamais ne disparait.
Si il est parti une fois, quand il a appris pour...
Je l'ai vu déçu et triste pour la toute première fois. Je me demande encore quel effet ça m'a fait ce jour là. Je me souviens de l'embarras et de l'agacement provoqué par... Du silence.
Il n'a jamais vraiment compris. Il l'a accepté.

-Ce sont juste de gros ours. Ils sont assez lourds, ce ne sont pas de bons chasseurs. Ils ne seront pas difficile à éliminer.

L'elfe commençait à manger lui aussi. C'était simple mais nourrissant.
Je repris alors :

-La bête la plus féroce que j'ai chassé... Elle remonte à loin. Ce n'est pas la plus dangereuse loin de là mais je n'avais que quinze ans. C'était ma toute première chasse totalement seul. Une Scyllabre. Elle sortait la nuit des cours d'eau et dévorait tout sur son passage : les animaux domestiques comme les humains.

-Elle a manqué de lui arracher la jambe. Il l'a eu en ... séparant la mâchoire inférieur du reste de la tête de la bête.

-J'ai sauvé ma jambe...

-Quand il m'a appelé pour prévenir que le monstre était mort, il a demandé si un médecin pouvait venir voir sa blessure. Le guérisseur l'a trouvé dans un tel état qu'on l'a aussitôt rapatrié au sanctuaire des braves ! Et il n'a pas cessé de râler durant tout le voyage prétextant qu'il avait du travail !

Grognon, je mangeais en silence. Ce jour restait gravé dans ma mémoire. J'avais rencontré Ayame une première fois, mais surtout Eönwë. Juste après avoir perdu mon père, disparu on ne sait où dans la zone inconnue. Je croyais juste qu'il m'avait abandonné.

Mangeant de bon appétit, je cédais volontiers à Ayame le soin d'expliquer. Pour ma part je me serais contenté d'un "je suis un chasseur". Ça explique parfaitement pourquoi je dois chasser ces ours. Même si l'histoire était légèrement plus compliquée.
Ce serait comme répondre 'parce qu'il le faut'... C'est une phrase qui m'a toujours rendu fou. Pourtant, chaque instant je chasse parce qu'il le faut. J'accepte... Sans demander d'explications. C'est sûrement ça le problème. Il est temps de se poser les bonnes questions.

-Si tu veux ces ours ne sont pas bien dangereux, on a bien pire. Mais, ils se reproduisent vite. Trop vite. C'est une espèce invasive sous les climats les plus cléments. Ils empiètent sur les territoires des autres prédateurs et progressivement les chassent ou les font disparaître. Ils sont dangereux pour l'équilibre de la région. Et puis, comme ils restent assez dangereux pour de simples animaux, ils causent déjà quelques dégâts. Il vaut mieux régler ça avant d'avoir un mort sur les bras.

Dans les montagnes, le climat empêche la prolifération et le relief les maintient dans des zones restreintes. La population se régule d'elle-même. Mais dans les plaines et en forêt... Ils pulluleraient trop vite.
Trop pédagogue, je perdais patience et lançais simplement :

-Il faut les tuer, les déplacer est trop compliqué et rien ne garantie qu'ils ne reviendraient pas ici.

Caleb me disait : "la chasse c'est la chasse. Ni question, ni commentaire."
La chasse c'est la chasse. On se concentre. Il faut discipliner son esprit pour ne jamais oublier ce qui importe : terminer la mission.

Au lieu de représailles Ayame tenta d'essorer sa redingote avec plus ou moins de succès. Il n'était pas du genre à se plaindre sans arrêt, bien qu'il soit plutôt bavard dans son genre.
Sociable, qu'il corrigerait.

-Ça va ça va, bredouilla-t-il.

Un signe compatissant, l'elfe en était là des politesses avec la louve. Un peu plus d'eau ou un peu moins il n'était plus à ça près. Il n'irait pas la réprimander.
Il faut aussi dire que Soare lui en fait voir de bien plus belles...
Bien moins belles qu'à moi. Cette panthère finira en descente de lit un de ces jours. Dommage que ses canines soient si peu développées, elle aurait eu un effet incroyable devant la cheminée de la grande chambre de ma maison sur l'île des Singes.

En se rasseyant à son tour, l'elfe en profita pour me frapper l'épaule comme une compagne offusquée... Il me désignait Louvia avec un regard insistant qui en disait long sur ma tête de déterré.
Il me signifiait par regard interposé un : et si tu faisais preuve d'un peu de sympathie...

Moi et mon charme inimitable.

-hum...

Ce début peu concluant, je le dissimulais en mangeant un morceau, en buvant une gorgée d'eau pour faire passer la pilule.

-Et sinon, tu comptes aller où après ?

Allait-elle vraiment chasser avec nous dans les campagnes de Vink ?
Un petit fond en moi se demandait si elle reprendrait la route vers le Nord, pour progresser paisiblement jusqu'à Entre-Monde... Ou plus exactement, avancer dans la brousse et protéger ses miches jusque là bas.
Peut-être que nous devrions l'accompagner ou la faire escorter. Je m'inquiétais de savoir cette Louve trop joyeuse parcourir Hourva, les Montagnes puis Ing...

Il y avait d'autres chemins moins directs encore : Verdi vers le Nord-ouest, et le temple de N'hacyriv à la pointe de la chaîne de Grâce. Si elle continue sur la côte, Trinity. Un bâteau et elle serait à Urle ou Saïmiri. Cette pensée me réconforta. J'avais cruellement envie d'aller m'étendre dans la petite maison sur la falaise. Loin du monde, avec pour seule compagnie le bruit des vagues et les mouettes qui niches dans les combles et chassent les rats.
Et la seule compagnie de moi-même.

Hélas, je m'insupporte déjà.

Termer dans ce cas. Un endroit glaciale où penser est un sport qu'on s'épargne tant il est difficile de garder les idées claires dans la tempêtes.
Ou plus au Nord encore.
J'ai besoin d'une claque mordante.

Ayame se cala contre le tronc du grand arbre, il me laissait me dérouiller les mâchoires et fermait déjà les yeux.
Je prendrais donc le premier tour de garde, ma mission la plus difficile sera sûrement de maintenir le feu allumer afin qu'aucun de nous ne meure de froid.